Amèle Debey

3 août 202110 Min

Le milieu de la santé et la loi du silence

Mis à jour : mars 29

La polarisation des idées depuis le début de la crise sanitaire concerne tous les milieux, y compris ou plutôt surtout – celui de la santé. Les médecins ne sont plus jugés sur leurs compétences, leur palmarès ou leur réputation, mais sur leur propension à suivre, ou non, le narratif officiel. C’est désormais sur cette base que l’on distribue les bonnes ou les mauvaises notes, que l’on établit la crédibilité des uns et des autres et que l’on décide qui aura voix au chapitre. L’heure n’est plus au consensus scientifique, ni même à la discussion. Une défaite du débat particulièrement inquiétante dans un domaine censé se nourrir du doute et des hypothèses. L’Impertinent a recueilli le témoignage de médecins qui ne sont globalement pas d’accord avec la gestion de cette crise, mais qui n’osent pas toujours le dire.

© iStock/Pixabay

«Les gens ont peur du médecin cantonal, ils savent ce qu’ils risquent. J’ai plusieurs confrères qui ont été menacés», me confiait récemment une source issue du milieu médical romand, déclenchant ainsi l’impulsion à l’origine de cet article.


 
Car si l’on reproche facilement aux journalistes de ne pas aller chercher plus loin derrière les atermoiements politiciens, peu réalisent la difficulté de trouver des témoins crédibles, disposés à exprimer leurs doutes sur la gestion de cette crise. Il est devenu ardu, y compris pour un médecin, de s’opposer à la version officielle et surtout d’émettre des doutes sur l’efficacité et la dangerosité du vaccin. Ce qui est problématique dans une branche au sein de laquelle l’interrogation devrait être le maître mot.

«C’est la première fois de ma carrière que je rencontre une telle difficulté à discuter ouvertement d’une maladie, sans me faire taire en moins de trois secondes», confie un médecin généraliste actif à Genève, qui a souhaité rester anonyme. Depuis mai 2020, en pleine première vague, la direction des HUG et le service de notre médecin cantonal n’instaurent aucun protocole clair sur la façon de traiter un patient pour lui éviter d’être admis, malgré la sortie des premières publications sur le sujet.» Inspiré par ces signes encourageants et son expérience acquise antérieurement sur les virus, le médecin en question met au point un traitement précoce à base de vitamines, minéraux et oligo-éléments qui lui permet depuis mars 2020 de passer sereinement les vagues Covid successives sur plus de 300 patients, selon lui. Mais ces résultats ne seront jamais intégrés dans les recommandations officielles. «Fin mai 2021, un protocole sur 'la façon de soigner le Covid long’ est distribué à tous les médecins du canton de Genève, mais toujours rien sur le Covid tout court», indique-t-il.


 
Aujourd’hui, ce médecin déplore l’impossibilité de dialogue avec ses supérieurs, comme avec ses confrères: «Quand je pose des questions sur les tests PCR, relatives à mes expériences de terrain avec les faux négatifs et les faux positifs, sur la sérodiscordance des tests sérologiques, l'absence de protocole de soin pour le Covid: pas de discussion, pas d’interrogation, pas de remise en question possible, regrette-t-il. Alors que tout cela est si indispensable au débat scientifique. Tout ce qu’on me répond est que la seule solution, c’est le vaccin.»

«On a déjà vécu ça il y a quelques années, avec le Tamiflu»


 
Clare Munday est spécialiste en radio-oncologie dans la cité de Calvin. Membre de la Société vaudoise de médecine, elle a été cheffe de clinique aux HUG et au CHUV et regrette que les discussions autour du Covid aient quitté le champ du rationnel: «Il y a deux camps. Ceux qui sont dans le narratif standard et puis les autres. Il n’y a plus de dialogue entre les deux, explique la doctoresse, qui a également été médecin cheffe à Sion et directrice médicale de la radio-oncologie à la clinique de la Source. On a déjà vécu ça avec le H1N1 il y a quelques années, au sujet du Tamiflu. Mais là, nous sommes dans quelque chose de beaucoup plus fort. On a le sentiment d’une folie de masse, où plus personne ne réfléchit, plus personne ne cherche d’autres versions.»

Une psychiatre de la région lausannoise a, elle aussi, tenu à partager son sentiment: «En tant que médecin indépendante, je peux confirmer les pressions exercées sur nous pour appuyer la vaccination de tous nos patients et pour ne laisser aucune place à un débat contradictoire ni à toute discussion ouverte, explique-t-elle. Nous n'avons plus la liberté de prescrire, y compris pour des traitements bien connus pour leur innocuité et leur efficacité. L'annonce d'effets secondaires vaccinaux reste lettre morte.» Cette dernière affirme s’être contentée de rester factuelle avec ses patients et ne relève pas de menace directe. Cependant, elle confie ressentir une pression constante qui s’érige contre toute déontologie liée à notre profession», selon elle: «A la moindre expression publique, comme par hasard l'on nous trouve un antécédent de faute médicale à même de nous faire prendre une amende salée ou même de perdre notre autorisation de pratique.»

Un médecin généraliste indépendant, qui officie dans le canton de Genève, confirme également que cette pandémie a modifié les rapports entre professionnels de la santé. Alors qu’il avait l’habitude de discuter franchement avec ses collègues, les choses se sont progressivement compliquées: «Il est rare que nous soyons du même avis pour un traitement, raconte-t-il. La médecine étant davantage un art qu’une science exacte, vous pouvez aller voir dix médecins et sortir avec 6-7 propositions de traitements différents. Mais pour le Covid, c’est le contraire. On n’a pas le droit de discuter en dehors des lignes, parce qu’on est vite taxé de complotiste ou d’antivax.» Si ce docteur a choisi de témoigner anonymement, c’est davantage parce qu’il est soucieux de préserver la paix des ménages dans son milieu professionnel, que par réelle crainte de sanctions.


 
Afin de faire l’expérience de ce déchaînement présumé contre les avis dissidents, j’ai rejoint le groupe Facebook «Médecins romands», censé abriter environ 1700 professionnels de la santé, dont 1400 médecins, selon un de ses administrateurs. Mon post évoquant la «doxa officielle», soulevant la question de l’existence d’une omerta et invitant quiconque pourrait en témoigner à me contacter a déclenché une pluie de commentaires. Agressivité, mépris, dénigrement, accusations, dénonciation auprès du modérateur... Mais surtout, absolument aucune possibilité de remise en question de la position officielle, ni d'échange constructif.


 
Petit florilège:

  • «Il faudrait sérieusement se pencher sur la mortalité inédite indirectement due au mauvais journalisme d’investigation en ces temps de crise.»

  • «Il n'y a pas d'omerta, il y a des commissions d'experts pluridisciplinaires qui ont eu un accès aux dossiers complet des vaccins, se sont réunis, ont débattu et ont pris des décisions en émettant des recommandations. Le reste c'est des croyances et du blabla d'ultracrépidarianistes.»

  • «L'agressivité provient du choix lexical de votre publication, dans un contexte de fakes news permanent, de la passivité de nos autorités pour gérer cette crise, et des menaces perpétuelles que nous recevons sur les réseaux sociaux dès que nous mettons en avant la vaccination qui est une mesure de santé publique (ne l'oublions pas).»

  • «OMG... le média préféré des covidiots. Qui a tenté d'organier un débat avec Astrid Stuckelberger (celle qui remet en cause la pandémie, le principe du PCR et parle de "pandémie de tests"), Jean-Do Mich chef de file des complotistes et s'étonne () qu'une personne respectable comme Samia Hurst ait refusé de participer... tout en profitant pour la faire passer pour une hypocrite.»

  • «Est-ce que le modérateur de cette page pourrait nous éviter des posts pareils à l’avenir? Madame Debey a des positions bien connues il me semble.»

  • «Parce que maintenant, il y a des journalistes à l'Impertinent? Parce que vu le niveau des articles et la ligne éditoriale, j'ai de gros doutes.»

  • «Le dialogue 2+2=5 ce n'est pas un dialogue, c'est de l'escroquerie intellectuelle.»

  • «Impertinent, c’est non pertinent.»

Si ce bashing, très à la mode sur les réseaux sociaux, pollue les échanges aussi bien dans un camp que dans l’autre, il est d’autant plus préoccupant de la part de professionnels de la santé qui se targuent de défendre les valeurs de la science, niant totalement son caractère malléable et ses fondements basés sur le doute et les hypothèses à vérifier ou non.


 
Au milieu de ce torrent de positions idéologiques en tout genre, dans lequel ne transparaît pas une once de remise en question, il subsiste tout de même un relent de rationalité. Un mathématicien, par exemple, a rappelé que les connaissances actuelles sur le vaccin ne permettaient pas d’afficher de telles certitudes à l’heure actuelle. Car c’est bien un des sujets qui divise le plus, en ce moment, les professionnels de la santé. Mais la plupart des mesures prises depuis le début de la crise, comme le confinement et le port du masque, ou encore la fiabilité des tests PCR, sont loin de faire consensus.


 
Comment justifier une telle rupture de dialogue? Selon les membres de ce groupe qui ont accepté de s’exprimer, elle viendrait de la formulation orientée de la question, mais pas seulement. Lassitude face au torrent de fake news auquel ils se disent confrontés, frustration de ne pas parvenir à convaincre, agacement de voir ce qu’ils estiment être la clé de la sortie de cette crise remise en cause. Autant de raisons qui expliquent, sans justifier, l’économie de la pédagogie et du dialogue apaisé.


 
Problème systémique


 
Tous se basent sur la thèse selon laquelle les informations promulguées par les gouvernements seraient totalement fiables et vérifiées et que seuls les charlatans peuvent tenir des discours contradictoires. La vérité semble leur être acquise et le doute n’est pas permis. Le simple fait de poser une question n’est pas acceptable dans le contexte de pandémie dans lequel ils sont persuadés de survivre. Les partages d’articles signés par des scientifiques systématiquement décrédibilisés par la bien-pensance sont accueillis avec un mépris offusqué que l’on puisse questionner leurs évidences. Vincent Glade (fondateur de la Ligue du LOL) serait ainsi plus légitime à s’exprimer sur cette crise que Laurent Muchielli, sociologue, dont le blog sur Mediapart fait beaucoup de bruit. Aucun d’entre eux ne semble s’étonner de la chasse aux sorcières dont font l’objet les figures de proue de l’opposition. Le doute, fondement même de la science, est un passager clandestin de la crise sanitaire.


 
François Thioly, psychiatre établi dans le canton de Vaud, offre une grille de lecture de la situation: «Il y a bien une sorte d’omerta, mais le problème est multifactoriel, explique-t-il. Un des aspects qui, pour moi, a contribué à des décisions aberrantes, c’est cette panique générée par les moyens modernes de communication et le temps réel. Toute technologie ayant sa catastrophe spécifique, celle des moyens d’information modernes, caractérisés par leur abolition du temps et de l’espace, est celle que réalise le temps réel: le court-circuitage de la prise de recul et donc la sidération de toute capacité de réflexion. Nos gouvernants, pris de court par les médias, en particulier les chaînes d’information en continu et leur inévitable assujettissement à l’immédiateté et au sensationnel, se sont mis à faire n’importe quoi pour ne surtout pas risquer d’être accusés de ne rien faire. Et, pour ne pas se dédire, ils continuent à dire et à faire davantage de la même chose, comme si on pouvait attendre des résultats différents en continuant à agir de la même manière (ce qui était le signe même de la folie selon Einstein).»


 
Le psychiatre considère que l’étonnante unanimité apparente d’une profession médicale qui adhère, lorsqu’elle n’est pas elle-même instigatrice des décisions les plus contestables, trouve notamment racine dans la formation des jeunes médecins: «Ils sont sélectionnés sur leur aptitude à faire des maths et de la physique, et leur enseignement est désormais formaté par les principes de l’EBM, les arbres de décision, les examens complémentaires et les statistiques mais doit très peu à la clinique, le diagnostic différentiel et la prise en compte de la singularité irréductible du patient, explique-t-il. Par la suite et peut-être faute de temps, leur principale source d’information se limite au marketing des laboratoires.»

«Guillotine pénale»


 
Un autre médecin vaudois, qui tient à son anonymat pour ne pas faire défaut à ses patients en cas de sanctions, affirme que cette phobie de la remise en question ne date pas de la crise Covid. Si la pandémie actuelle a contribué à cristalliser cette problématique, elle est loin d’être récente selon lui: «Le débat scientifique, depuis quelques années, est confisqué en Europe. Si vous osez vous mettre en porte-à-faux avec ce que raconte la caste politico-universitaire, vous risquez gros, explique-t-il, avant d’argumenter: Nous sommes probablement l’une des seules professions perpétuellement à risque de plaintes pénales, lors desquelles nous devons aller nous expliquer nous-mêmes devant la justice. La négligence englobe la mise en danger de la vie d’autrui, les homicides, les lésions corporelles graves. Cette négligence n’implique pas uniquement les erreurs humaines. Mais aussi, par exemple, le fait de donner un conseil de non-vaccination à quelqu’un.»


 
Selon lui, la question de l’omerta est fondamentale, car cette «guillotine pénale» qui flotte au-dessus des membres du corps médical leur couperait toute possibilité de réfléchir et d’innover: «Si vous êtes dangereux, il est parfaitement normal qu’il y ait des sanctions. Encore faut-il que le verdict attestant de votre dangerosité corresponde à la réalité. C’est en amont du verdict et de la décision de justice qu’il faut agir. Quels sont les critères qui permettent à des gens, simplement parce qu’ils sont du bon côté de la barrière, de dire que vacciner une enfant de 12 ans est une bonne chose? C’est le référentiel qui pose problème.

«C’est un système pervers qui vous coince dès que vous sortez des rails»


 
Les juges n’étant pas médecin, ils vont dépêcher un expert du système en place, donc avec un parti pris, afin de faire une expertise sur le comportement médical que vous avez eu. Et comme le juge ne peut pas s’écarter des expertises officielles, c’est tentaculaire.»


 
Ce médecin a reçu plusieurs inspections de la santé publique après avoir pris des positions jugées tendancieuses. Ce qui l’a dissuadé de témoigner en son nom: «Je vois les rouages qui se mettent en place contre les médecins. C’est un système qui est pervers et qui vous coince dès que vous sortez des rails.»


 
Le docteur Philippe Saegesser, ancien président du groupement des médecins hospitaliers vaudois, connaît très bien le fonctionnement du milieu médical et peut parler d’expérience, puisqu’il a été un des premiers à profiter d’être à la retraite pour dénoncer les incohérences gouvernementales, y compris sur le plan sanitaire: «Malheureusement, les médecins qui sont aux commandes, sociétés faitières, références universitaires, médecins cantonaux doivent faire allégeances et accompagner le discours politique et leurs mentors ou sponsors pour pouvoir compter avec les aides économiques qui vont avec leur position et les instituts dans lesquels ils sont engagés et parfois parties prenantes, explique-t-il. C’est une vraie gangrène! C’est eux, avec les autorités, qui exercent des pressions, des intimidations auprès de ceux qui pourraient avoir la capacité et l’indépendance théorique de réagir. Ils sont alors menacés de sanctions, ouvertement stigmatisés, parfois censurés ou mis au ban des sociétés médicales auxquels ils appartiennent.»


 
En conclusion, le problème est systémique et date de bien avant le Covid-19. Si on ne peut pas vraiment parler d’omerta au sens strict du terme dans notre pays, puisque certains médecins témoignent à visage découvert sans problème, il n’en demeure pas moins que l’idéologie semble avoir remplacé la science et que l’esprit critique et la remise en question sont désormais honnis, au profit d’un mimétisme grégaire.


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