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À Lausanne, des éducateurs piégés entre hiérarchie «maltraitante» et violence

Mobbing, gestion hiérarchique autoritaire et manque de soutien face à la violence physique et verbale des enfants et de leurs parents sont autant de maux qui prévalent aujourd’hui dans l’accueil parascolaire. Des éducateurs exposent un climat de travail délétère. La Ville annonce des mesures pour répondre aux préoccupations.

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© Canva/DR

Après les révélations de L’Impertinent sur le climat de peur et de mobbing au sein d’un service des ressources humaines de la ville de Lausanne, la parole se libère. Des collaborateurs d’autres secteurs dénoncent, eux aussi, des conditions de travail tout aussi déplorables.


C’est dans ce cadre que cinq éducateurs actifs dans l’Accueil pour enfants en milieu scolaire (APEMS) ont signalé de nombreux dysfonctionnements à L’Impertinent. «En plus de la violence d’une hiérarchie tyrannique, nous subissions les problèmes et les situations parfois extrêmement difficiles des enfants et des parents. Il y a deux ans, un de mes collègues s’est fait tabasser par le père d’un élève. La direction n’a pas du tout soutenu l’éducateur», s’indigne Michel*. Selon nos informations, l’employé tabassé a saisi la justice et a désormais changé d’orientation professionnelle.

Les collaborateurs des APEMS rencontrés par L’Impertinent déplorent tous l’absence de mesures de la direction par rapport aux familles se trouvant dans des situations difficiles, voire de violence. «Le personnel se sent abandonné à son sort et est poussé à garder le silence par rapport aux problèmes», poursuit Michel.


Il se dit aussi déçu par la frilosité de la direction envers les familles qui dysfonctionnent. «Il y a eu deux cas où j'ai voulu faire des signalements à la protection de l'enfance. Ma directrice m'a répondu que j'avais meilleur temps d'aller bosser à l'État de Vaud et m'a fait explicitement comprendre que si je persistais à vouloir faire des signalements, mon contrat n’allait pas être reconduit», se souvient l'éducateur actuellement en arrêt-maladie. Il poursuit en rappelant que c’est en vain qu’un courrier collectif avait été envoyé à la cheffe de service pour dénoncer «un environnement de travail toxique».


«Parler librement, c’est s’exposer à la sanction»


Christian*, lui, déplore la répression de toute voix dissonante. «Les colloques, pourtant destinés à favoriser l’échange, sont devenus des espaces où la hiérarchie sanctionne ceux qui osent contester quoi que ce soit. Si vous émettez un avis différent, vous êtes taxé de ‘revendicateur’, puis harcelé jusqu’au licenciement», explique-t-il. Selon lui, la liberté a disparu des colloques. «Parler librement, c’est prendre de grands risques. Les propos, le comportement, le ton, la posture sont scrutés, analysés pour ensuite être sanctionnés. Toute prise de parole est susceptible d’être réprimée. Par conséquent, on a peur de dire ce que l'on pense durant les colloques et on verse dans la soumission.» De son côté, Zeineb* dénonce «les ordres contradictoires et un cadre de travail instable».


Coup de poing dans le ventre d’une éducatrice enceinte


La colère et l’émotion émergent dans la voix de Nadia* quand elle parle de son vécu professionnel. L’éducatrice vaudoise pointe du doigt l’inadéquation entre la politique d’inclusion et les réalités du terrain. «J’ai vu un enfant autiste, entouré d’une soixantaine d’enfants très agités, souffrir du bruit au point de se boucher les oreilles. Cette scène a lieu quasiment au quotidien. Ce n’est pas ça l’inclusion. Là, c’est de la maltraitance institutionnelle», s’indigne-t-elle. Le sous-effectif chronique transformerait les APEMS en lieux de «gardiennage» plutôt que d’éducation. Elle déplore aussi l’inaction de l’employeur face à la violence des familles, qui contraste avec son attitude répressive envers les éducateurs.

«Une collègue enceinte a reçu un coup de poing dans le ventre de la part d'un enfant. Les éducateurs ont demandé que l’enfant bénéficie d’une mesure éducative, voire une réorientation dans une structure spécialisée. Mais la direction a préféré minimiser les faits. Un autre élève a traité un éducateur de 'fils de pute' sans aucune sanction», souligne Nadia. «C’est devenu une banalité de se faire traiter ainsi», renchérit Michel.


Nicolas* est, lui aussi, marqué par ses conditions de travail. «Les entretiens d'évaluation sont devenus des outils de règlements de comptes. On cherche des poux aux collaborateurs pris en grippe en leur assignant des objectifs irréalistes et contradictoires. Le collaborateur finit souvent par craquer et tomber malade.»


Une organisation qualifiée de «maltraitante»


«Les APEMS sont une organisation maltraitante, qui bafoue le droit d’être entendu et les droits fondamentaux des travailleurs», tonne Aristide Pedraza, figure emblématique du syndicat SUD. Il fustige «une politique irréaliste, des moyens insuffisants et un management despotique qui réduit les éducateurs à des «exécutants soumis». Le syndicaliste dénonce également une intrusion croissante dans la vie privée des employés car «leurs activités hors travail peuvent être surveillées et sanctionnées». Concernant la violence, il parle d’un «processus sacrificiel» où les éducateurs victimes sont abandonnés par leur hiérarchie. «Il y a une lutte contre la parole collective. Nous exigeons que le droit d’être entendu, assisté et défendu soit respecté dans tous les processus disciplinaires», martèle Aristide Pedraza.


Réaction de la Municipalité


encadré

Face aux critiques relayées par L’Impertinent sur les conditions de travail dans les APEMS, David Payot, municipal popiste en charge de la Direction de l’Enfance et de la Jeunesse, réagit. L’élu lausannois, membre de l’Exécutif depuis 2016, défend les pratiques de la Ville tout en annonçant des mesures pour répondre aux préoccupations.


Concernant les accusations de violence non prises en charge, il reconnaît la complexité du problème et annonce une réflexion pour améliorer l’accompagnement des éducateurs. «Un soutien uniquement juridique ne répond pas toujours aux attentes du personnel, surtout quand la confiance avec les familles ou les enfants est rompue», explique-t-il. David Payot insiste sur la volonté de maintenir un service public inclusif, évitant autant que possible les exclusions d’enfants, parfois réclamées par des syndicats.


L’élu rejette fermement les allégations d’immixtion dans la sphère privée des employés. «Le droit à la vie privée est respecté. Cependant, le devoir de loyauté interdit la diffusion d’informations confidentielles ou les attaques personnelles contre des collègues», nuance-t-il, soulignant les obligations professionnelles des éducateurs.


David Payot défend le fonctionnement des colloques, contestés par certains éducateurs. «Ce sont des moments de partage, où le personnel est informé, consulté ou invité à décider. Mais les responsables d’équipe doivent garantir le respect du cadre légal et des éléments centraux», précise-t-il, rejetant l’idée d’une répression des voix divergentes.


Sur la question de l’inclusion, critiquée pour son inadéquation avec les réalités du terrain, l’élu affirme que Lausanne investit significativement. «La Ville finance près d’un tiers des renforts de personnel, en complément du dispositif cantonal, et propose des ressources supplémentaires pour l’accompagnement et le conseil», soutient-il, défendant les ambitions inclusives des APEMS.


Enfin, David Payot réaffirme que l’accompagnement syndical est assuré, conformément au droit communal. Toutefois, il met des limites. «Nous ne pouvons pas accepter que chaque désaccord soit systématiquement reporté aux discussions avec les syndicats», précise-t-il.

*Prénoms d’emprunt

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