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Enseignants désespérés face à une «jeunesse Covid» sacrifiée

Dernière mise à jour : 22 juin 2023

Si les personnes âgées ont payé le plus lourd tribut de la pandémie de coronavirus, on a tendance à oublier que c’est la génération de demain qui essuie les conséquences des mesures prises. En Suisse romande, un collectif de près d’une centaine d’enseignants et d'éducateurs a été créé afin d’offrir un espace de dialogue à ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique éducative des différents cantons. Car la stratégie sanitaire ne souffre aucun débat au sein des établissements. L’Impertinent a recueilli le témoignage de certains de ces acteurs primordiaux mais malmenés de la société, qui s’inquiètent pour cette jeunesse au futur incertain.

Image prétexte © Pixabay


«Chaque élève doit pouvoir se sentir en sécurité, s’instruire et s’épanouir dans un climat serein dans tous les lieux de formation vaudois.» C’est la mission principale que la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO) s’est fixée, si on en croit son site internet. Seulement, depuis un an et demi, on est loin du compte, comme l’ont rapporté plusieurs membres du corps enseignant à L’Impertinent. Sabrina* enseigne quelque part dans le canton de Vaud. Si elle a tenu à s’exprimer, c’est parce qu’elle est très inquiète pour ses collégiens, qu’elle voit s’enfoncer dans une extrême apathie dont elle ne trouve pas de porte de sortie. «Ce qui m’inquiète le plus, c’est le niveau de déscolarisation des adolescents. Mes collègues me disent à quel point ils n’en peuvent plus de ramer pour essayer de faire sortir les jeunes de leur passivité. Cela fait 20 ans que j’enseigne, je n’ai jamais été dans une telle difficulté pour transmettre», souffle-t-elle.


Une déroute aux multiples causes

L’ambiance anxiogène dans laquelle nous évoluons depuis le début de la crise sanitaire est encore plus flagrante sur les bancs d’école, puisque, selon Sabrina, on a fait porter un poids bien trop lourd aux jeunes du cursus obligatoire. Elle témoigne de leur angoisse face à la culpabilisation qu’on leur impose: «J’ai des collègues qui harcèlent les collégiens lorsqu’ils ne mettent pas leur masque comme il faut sur le nez. Jusqu’à leur coller des heures d’arrêt. Un cerveau d’adolescent, pour être concentré, a besoin d’être oxygéné. Lorsqu’on respire notre propre CO₂ toute la journée, on n’est pas en état de faire grand-chose. Il y a une passivité énorme.»

Certains élèves n’osent plus approcher de son bureau, ce qui rend les échanges compliqués pendant les cours. D’autres se sentent agressés par les profs qui leur crient de s’écarter sur leur passage, afin de respecter les distances. Globalement, Sabrina témoigne d’une agressivité latente, d’une hausse des incivilités, de difficultés à se concentrer et d’absentéisme à répétition consécutif aux quarantaines qui leur ont été imposées car ils étaient «cas contact». «Pour récupérer ces pertes, c’est compliqué», déplore l’enseignante.

Pourtant, dans un récent bilan, le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) estimait que la baisse des résultats scolaires attendue n’était pas aussi dramatique que redoutée. Mais Sabrina avance une explication à cela: Non seulement les profs affaiblissent le niveau de leurs cours, mais en plus ils supprimeraient des matières: «Il faut qu’ils passent, alors on leur retire les branches dans lesquelles ils ne s’en sortent pas. Ils auront des certificats dans celles qui restent, explique-t-elle. Certains ne sont plus en échec, puisqu’on leur a retiré les branches dans lesquelles ils l’étaient.»


De mal en pis

Au début de la crise sanitaire, au moment de la fin du premier semi-confinement, le masque n’était pas obligatoire dans les établissements scolaires, pour autant que la distance de 1,5 mètre soit respectée. Ce qui a déjà passablement compliqué les choses, tant dans les couloirs du collège qu’en classe. Les professeurs ne pouvaient plus rien distribuer car «c’était trop dangereux.»

A la rentrée d’octobre, le masque a été imposé à tous les élèves à partir de 12 ans, en permanence, donc même lors des récréations en extérieur. La situation s’est tellement dégradée que Sabrina se retrouve totalement désemparée: «Comment poursuivre notre mission, lorsqu’on sait que 80% du langage est non verbal, s’interroge-t-elle. Je ne sais plus faire mon métier. Il y a des élèves dont je ne connais pas le visage. Je ne les reconnaîtrais pas dans la rue. Comment peut-on tisser un lien dans ces conditions?»

Loïc*, lui, est enseignant dans un centre de formation professionnelle genevois. Ce qui le gêne le plus? Qu’on lui impose des mesures qu’il estime non seulement préjudiciables pour ses élèves, mais également contraires à plusieurs articles de la Constitution fédérale, comme de la charte des Droits de l’homme. Sa direction lui a clairement expliqué qu’en tant que fonctionnaire de l’Etat, il devait obéir aux ordres. Mais Loïc déplore ce qu’il voit comme une maltraitance, tant dans le port du masque que dans les autres mesures qui ont transformé la vie des jeunes dont il a la charge. «Lors de ce passage de l’adolescence à l’âge adulte, on se construit dans le partage. C’est ainsi que l’on définit qui l’on est.» Loïc regrette que cette transformation doive se passer dans une telle soumission pour ces ados. Mais ce qu’il trouve terrible par-dessus tout, c’est la culpabilisation des jeunes: «On leur dit qu’ils peuvent être des dangers pour leurs proches», regrette-t-il.

Le plus dur pour eux? «De ne plus pouvoir faire confiance aux adultes, selon Sabrina. Car c’est à eux de les protéger. C’est un non-sens grave. Comment dire ses sentiments, exprimer qu’on ne va pas bien, alors qu’on est face à quelqu’un qui est angoissé? Voire, pour certains profs, agressif? Comment l'élève peut-il se sentir en sécurité dans un climat où on lui dit que tout est dangereux? Comment fait-il pour apprendre? Certains se demandent même à quoi ça sert, puisqu’il n’y a pas de place d’apprentissage. Cela génère une énorme anxiété.»

A Fribourg non plus, l'ambiance n'est pas au beau fixe dans certains gymnases du canton, où l'on déplore la difficulté d'accomplir la mission enseignante, qui est également de faire de ces élèves des citoyens critiques.


«Il y a un appauvrissement de la relation et donc forcément de la transmission»

Christophe enseigne les branches scientifiques dans un gymnase valaisan. Il estime que la déscolarisation est surtout flagrante chez les élèves qui étaient déjà en difficulté avant la pandémie. Pour ceux-ci, l’école à distance était impossible à suivre, puisque certains sont issus de familles nombreuses qui n’ont souvent qu’un ordinateur pour toute la maison.


Le masque n’a rien arrangé: «Il y a un très net appauvrissement de l’attention, explique le professeur. Le masque coupe l’interaction. On n’a plus accès aux expressions, aux mimiques qui montrent s’ils ont compris ou pas, s’ils sont attentifs ou pas. Il y a un appauvrissement de la relation et donc forcément de la transmission. Et ça ne va pas en s’améliorant.»

Christophe, qui ne fait pas partie du collectif enseignant récemment créé, se trouve désemparé face à la démission de ses collègues, dont la grande majorité sont angoissés et «jouent les flics». Il déplore également un «conditionnement général à la peur», d'autant plus regrettable avec la population scolaire, qui ne fait pas partie des groupes à risques.


«C’est un démantèlement complet de l'enseignement»

Mais Christophe va plus loin dans l’analyse et aborde la question de l’expérience de Milgram, qui avait prouvé que 65% des gens obéissaient aveuglément aux dogmes scientifiques: «Dans Le jeu de la mort, un documentaire sorti il y a quelques années, on a remplacé le scientifique par une animatrice télé. Le taux d’obtempération est monté à 80%. Et là, on a les deux en même temps: les médias et les scientifiques qui disent la même chose. Sans parler des politiques. Donc on a un taux d’acceptation qui est de pratiquement 100%.»


«C’est un démantèlement complet, conclut Christophe. Si on veut foutre en l’air l’enseignement, on n’a qu’à continuer à mener une politique de psychose avec les confinements, enfermé à la maison ou dépersonnalisé derrière un masque.»


Sollicité sur la question du masque, le DFJC répond avoir été un des premiers à «proposer des masques inclusifs non seulement pour les élèves malentendants, mais très vite pour tous 'les petits' et aussi pour les allophones.» De plus, le canton de Vaud semble conscient de l'urgence de revoir ces mesures, comme il l'a exprimé le 20 mai: «Un retour aussi rapide que possible à la normale dans les lieux de formation doit dès lors être considéré comme une priorité et, partant, le Conseil d’Etat préconise d’envisager une rentrée pour l’année scolaire 2021-2022 avec des mesures sanitaires aussi réduites que possible, voire sans de telles mesures si la situation pandémique le permet.»


Le désarroi des enseignants


Il n’y a pas que le quotidien des élèves qui s’est dégradé. Leurs professeurs, eux aussi, sont soumis à énormément de pression et travaillent désormais dans des conditions qui leur coupent toute envie de revenir de vacances. Les enseignants n’ont plus de contacts physiques entre eux. Ils ne discutent plus entre collègues. Il n’y a plus de réunions, plus de conférences des maîtres. Les apéros habituellement organisés une fois par semaine ont disparu. La grande salle des maîtres destinée à plusieurs dizaines d’enseignants n’a plus qu'une seule chaise afin d’empêcher les regroupements, explique Sabrina. Les chaises plus confortables, en tissu, ont été retirées car moins faciles à désinfecter.


Ces conditions de travail auraient pour conséquence une augmentation importante du besoin en remplaçants. Le Département parle de pourcentages d’absences qui oscillent entre 6 et 8%, contre 3 à 6% en 2019-2020. Certains enseignants craignent pour leur santé, quand d’autres restent chez eux lorsqu’ils sont «cas contact» ou qu’ils ont le moindre symptôme grippal, selon les directives du DFJC. Ce dernier affirme cependant qu'il n'y a pas de hausse significative des remplacements, outre celle imputable à la démographie.


Carrières avortées


Corinne* aussi enseignait dans le canton de Vaud, jusqu’à la décision d’imposer le masque dans les établissements scolaires. L’information leur a été communiquée via un message WhatsApp le jeudi soir, avec effet dès le vendredi matin. Souffrant d’asthme, Corinne ne peut pas suivre ces consignes mais ne tient pas à en communiquer les raisons à sa direction, qu’elle s’attend à voir respecter le principe du secret médical. Convoquée dans le bureau de son supérieur où elle défend ses droits, on lui répond que, vu le contexte de crise sanitaire, on fait tout ce qui est possible pour garder les écoles ouvertes et que, par conséquent, elle n’a «aucun droit». Corinne finit donc par mettre sa direction au courant de sa condition. A partir de là, tout s’enchaîne et l’enseignante ne remettra plus jamais les pieds dans sa classe.


La jeune femme est mise en arrêt et reçoit un mail chaque semaine lui confirmant son remplacement pour la semaine suivante. Elle obtient un certificat médical qui atteste du fait qu’elle ne peut pas porter un masque sur une longue période. Elle demande à poser des plexiglas autour de son bureau, en guise d’alternative. Sa direction accepte, mais la DGEO refuse.


«Il y a des enseignants qui sont licenciés pour “juste motif” dans le canton de Vaud. Ils ne diront jamais que c’est à cause du port du masque.» D’autres ont perdu leur CDD pour incapacité à travailler, alors qu’ils sont en parfaite santé, mais refusent ou sont dans l’incapacité de se soumettre à l’obligation de se dissimuler le visage.


Interrogé sur la procédure en cas de problème d'un enseignant avec le port du masque, le porte-parole du DFJC explique: «Lorsqu’un-e enseignant-e ne peut pas porter le masque pour des raisons médicales, il lui est demandé de l’attester par certificat/attestation médical-e. Dès réception de ce document, la situation est soumise à Unisanté pour analyse. Durant la procédure Unisanté, la personne n’est pas comptabilisée comme étant absente et elle reste à disposition de l’établissement pour d’autres tâches pouvant être effectuées à distance. Dans onze situations qui nous ont été remontées, Unisanté a conclu que, dans le contexte actuel, la contre-indication médicale au port du masque devait être assimilée à une limitation fonctionnelle que la DGEO devait évaluer sous l’angle d’une incapacité de travail. Ces enseignant-e-s sont donc considérés comme étant absents et leur absence est comptabilisée sous l’angle du droit au salaire. On peut noter aussi par ailleurs que treize autres enseignant-e-s ont pu reprendre leur enseignement parce qu’on leur a offert de porter le masque FFP2.»


Lutter contre l’omerta


Au delà des difficultés qu’ils perçoivent de leurs élèves et qu’ils affrontent au quotidien, ces enseignants sont également confrontés au silence assourdissant de leurs supérieurs, ainsi qu’à la réprobation de certains de leurs collègues. «Au travail, on m’a traité de complotiste, de néonazie, d’irresponsable, celle qui nous met en danger, explique Sabrina. Heureusement que nous sommes quelques-uns à nous soutenir, sinon nous ne tiendrions pas.»


Les questions posées, les incohérences soulevées restent sans réponses. «On n’a pas le droit de tenir une version différente de la version officielle», déclare encore Sabrina, qui raconte le jour où elle envoie un mail à ses collègues afin de leur faire part de l’existence de traitements à la maladie. Le lendemain, elle est convoquée à 8h dans le bureau de son directeur, qui lui dit qu’elle n’a pas le droit de partager ce genre de chose car il s’agit d’une boîte mail professionnelle. Plus tard, elle partage une affiche d’une étude allemande qui évoque les conséquences délétères du masque sur les enfants dans la salle des maîtres. Le doyen de la direction lui fait savoir que cette affiche n’a rien à faire dans l’établissement.


Loïc aussi s’étonne de n’avoir reçu aucune réponse lorsqu’il a interrogé sa direction sur la façon dont les malentendants et les asthmatiques étaient censés appréhender l’obligation de porter un masque en permanence. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’obéir aux ordres sans poser les questions qui dérangent. Ces questions, l’Association Crée (Collectif romand d’éducateurs et d’enseignants) les ont soumises aux médecins cantonaux, ainsi qu’à tous les membres décisionnaires de l’Etat, à la base de ces mesures, dont on n'a pas encore fini d’évaluer les conséquences sur le long terme. Reste à savoir si, cette fois, réponse il y aura.


*identités connues de la rédaction

 

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