top of page

RTS: «Rien n’indique qu’une nouvelle crise serait traitée différemment»

Dernière mise à jour : 7 avr.

Il y a un an, les responsables de la RTS formulaient toute une série de bonnes résolutions pour sortir l’entreprise de plusieurs crises internes. Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle initiative populaire pour réduire la redevance se prépare, les défis semblent plus importants que jamais pour le service public. Que reste-t-il des volontés d’amélioration et où en sont les principaux chantiers? Bilan.

© Wikipédia


Début 2022, L’Impertinent publiait un article relatant le manque de diversité d’opinion au sein de la RTS. Dans ce papier, le directeur Pascal Crittin évoquait la mise en place d’une nouvelle politique basée sur la diversité et l’inclusion, «qui va au-delà de la question des genres». La porte-parole, Emmanuelle Jaquet, expliquait alors: «Le spectre est en train d’être élargi. Cet objectif fait partie des tâches que la nouvelle directrice RH (qui commence au 1er mai prochain) devra développer. Par ailleurs, un poste a été ouvert (responsable Diversité et Inclusion) et une personne est sur le point d’être nommée.»


Un an plus tard, la nouvelle directrice RH en question est partie au bout d’un mois (nous y reviendrons plus bas). La porte-parole a démissionné et le poste Diversité et Inclusion évoqué est un 50% assuré en théorie par la journaliste Gaëlle Lavidière. Or, cette dernière s’occupe également d’un autre chantier et non des moindres: le projet Moveo.

 
 

Comme nous l’expliquions dans notre précédent article, le projet Moveo a été mis en place pour accompagner les employés qui vont devoir déménager de Genève et de La Sallaz au nouveau site de l’EPFL. Beaucoup d’entre eux sont inquiets et «pensent qu’il s’agit également d’un plan d’économie», de l'avis du syndicat des mass media (SSM).


En effet, selon une source à l’interne, le site de l’EPFL n’a pas assez de place pour accueillir tous les collaborateurs de la RTS concernés par le déménagement. Il y a 500 places pour environ 900 personnes. Interrogée sur la question, la responsable du Service Communication, Sophie Balbo, explique qu'avec les tournus, les temps partiels et les présences sur le terrain, «il n'y aura jamais 900 personnes en même temps sur le site»: «Dès le début du projet, nous avons établi qu’il y aurait un poste de travail pour deux personnes, anticipant de fait une réalité que la pandémie a accélérée: celle du travail hybride, sur site et à domicile. Elle précise que tous les journalistes terrain restent sur le terrain. Tous les bureaux régionaux restent et seront renforcés. Tout ce qui est ‘Genève internationale’ reste à Genève.


Si ce site a été choisi pour lancer le projet Campus, c’est notamment pour des raisons financières. «Le terrain à l’EPFL est plus intéressant qu’au centre de Lausanne». Mais également parce que « la RTS collabore déjà activement avec l’EPFL et l’UNIL et que ces collaborations vont s’intensifier avec notre présence sur le campus», explique la responsable communication. Des collaborations entre la RTS et l’EPFL font également l’objet de groupes de travail au moment où nous parlons. A en croire un autre porte-parole de la Radio Télévision Suisse, Christophe Minder, «le campus de l’EPFL est un écosystème extrêmement dynamique pour le développement de l’audiovisuel et du numérique.»


Au cœur de la Tour, l’heure est désormais à la location des étages inoccupés. Ce qui ne serait pas une mince affaire.


Lutte contre le harcèlement


Revenons un instant sur l’un des chantiers les plus importants entamés après l’article du Temps publié en 2020 sur le climat de harcèlement, qui a mis en lumière de nombreux comportements abusifs au sein de l’entreprise. Comme nous l’avons vu plus haut, le poste de responsable Diversité et Inclusion fièrement annoncé par Pascal Crittin et assuré par Gaëlle Lavidière est un 50%. Un poste «sans moyens qui fait joli sur le papier», si l'on en croit une source à l’interne. Sophie Balbo ne résumerait pas les choses ainsi. «C’est une thématique qui est portée par l’entier du département RH, avec un réseau sur le plan national, et non pas par une seule personne. Les questions de diversité et inclusion touchent l’ensemble de nos processus et nous sommes satisfaits du rythme auquel nous avançons. Les progrès concrets réalisés nous ont par exemple permis de confirmer notre certification Edge, label de référence en matière d’égalité», explique-t-elle.


«Le début de la crise a été une onde de choc pour tout le monde, raconte la responsable Communication, et nous avons tenu à ce que tous les cas puissent être dénoncés, sans limites de temps dans le passé, raison pour laquelle nous avons mandaté un bureau d’avocat, le collectif de défense, choisi avec le syndicat. Ce collectif a géré tous les témoignages, de manière totalement indépendante, et a fait des recommandations à la RTS, qui ont été implémentées ou sont en train de l’être». L'observatoire «indépendant» en question a refusé de répondre à nos questions, «étant actuellement sous contrat avec la RTS». En juillet 2021, la moitié des 24 objectifs fixés par ce collectif étaient considérés comme «non atteints» par le SSM.

Parmi les éléments avancés pour prouver un changement des mentalités, mais surtout de la culture d’entreprise, l’un des porte-parole nous explique que la RTS compte à présent 50% de femmes dans son Conseil de direction et que 4 départements sur 7 sont dirigés par des femmes.


«Les organes de surveillance ne sont pas nommés»

«Ce qui est factuel c’est que les personnes de confiance internes sont à bout touchant d’être mises en place, mais que les personnes externes et organes de surveillance ne sont pas nommés», souligne le SSM, par le biais de son secrétaire syndical, Jamal Al-Amine. Dans une communication récemment adressée aux employés de l’entreprise, le SSM affirme constater une résistance de la Direction de la RTS à se doter d’outils efficaces.


«A l’heure actuelle, la Direction refuse d’indiquer, par exemple, que le harcèlement sexuel serait puni a minima d’un avertissement, qu’un viol serait puni d’un licenciement avec effet immédiat, qu’un comportement de violence physique d’une personne ayant une responsabilité hiérarchique devrait mener à la perte de celle-ci dans la mesure où la conduite d’équipe nécessite la capacité de se maîtriser», écrit-il.


Problèmes de management


Parmi les défis les plus souvent soulevés par nos sources, les problèmes de management arrivent en haut de la pile. «Les gens parlent de caste en parlant des cadres», souffle-t-on. Au sein de la RTS, il y a actuellement 86 cadres (contre 107 en 2015), ce qui représente environ 5% des employés. Pourtant, le système d’évaluation des cadres a peu évolué depuis. Selon Sophie Balbo, tous les managers doivent désormais remplir des objectifs RH liés aux questions de diversité et d’inclusion. Par ailleurs, un projet pilote d’évaluation à 360° a été mené l’an dernier. Nouvel élément à rajouter à une to do list déjà passablement chargée.


«La protection de la personnalité est encore à géométrie variable»

Dans sa communication aux employés, le SSM déplore encore un manque d’anticipation flagrant de la part de la RTS en matière de formation, de supervision et de coordination avec les autres acteurs. Pire, à en croire le syndicat, un signalement de violation de la personnalité commise par un cadre contre un employé au sein du Département Société et Culture n’a pas été traité par la direction. (…) Certaines potentielles atteintes à la personnalité commise par le management n’ont tout simplement pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête malgré des signalements… En 2022, la protection de la personnalité est encore à géométrie variable.»


Jamal Al-Amine explique que la problématique de la culture d’encadrement au sein de la RTS est un problème d’impunité, de manque de transversalité et d’entre-soi d’une partie du management. «Tout le management ne se comporte évidemment pas de la sorte mais dans certaines situations nous regrettons que des cas n’aient pas été traités ou de manière disparate en fonction de la personne mise sous enquête», déclare-t-il. Une constatation qui laisse le syndicat penser que si des crises similaires aux précédentes devaient se reproduire, elles ne seraient pas traitées différemment.


Un autre témoignage rapporte la difficulté de l’entreprise de se montrer «forte avec les personnalités fortes» et une tendance à «se montrer forte avec les faibles». «Lorsque vous avez nommé un manager qui dysfonctionne, vous n’avez pas envie que cela se sache», nous explique-t-on.


Au sein de la RTS, comme dans beaucoup d’autres entreprises, un employé mécontent qui aurait obtenu un accord avec la direction pour pouvoir quitter son poste dans de bonnes conditions est contractuellement tenu au silence dans les cas les plus problématiques. Une ancienne employée nous a pourtant confié avoir vécu «des années de lourdeurs», une forme de «mobbing». Elle a particulièrement mal vécu l’absence et le manque d’accompagnement du management et des RH, a le sentiment de ne pas avoir été «entendue», mais se refuse à entrer dans les détails pour ne pas en subir les conséquences.


«Une entreprise de près de 2000 employés gérée comme une PME»

Elle dénote également une incohérence de direction, un manque de prise de position objective face à des éléments factuels et à des comportements problématiques. Elle aussi constate une tendance à inverser les responsabilités et à éviter d’afficher certains problèmes d’une manière potentiellement dérangeante pour l’entreprise. Les collaborateurs problématiques le sont depuis tellement longtemps que ce serait un désaveu pour les responsables que de le reconnaître, nous explique également cette source.


«J’ai l’impression que c’est une entreprise de près de 2000 employés gérée comme une PME. On dirait qu’il n’y a pas eu d’évolution depuis dix, quinze ans, déclare-t-elle. La gestion est très vieillotte.»


Depuis le départ de la dernière DRH, Anaïs Stauffer Spuhler, entre autres, la direction marche sur des œufs et les engagements ne sont plus annoncés en grande pompe. En effet, le processus d’embauche des cadres prend un temps considérable et coûte cher, puisqu’il est assuré par des organes externes. Une des raisons pour lesquelles on ne prend pas les départs soudains à la légère au sein de la Tour.


Le cul-de-sac du Département RH


Au fil de notre enquête, il ressort que la pierre angulaire des problèmes internes de la RTS est l’état du Département des ressources humaines, à la dérive depuis de nombreuses années. Les défis à relever dans son domaine ont été encore renforcés par le départ de sa nouvelle responsable en juin dernier, après seulement un mois de travail. Un départ qui n’a pas étonné grand monde en dehors – peut-être – de la direction, selon nos sources.

 
 

«Il y a des dossiers qui traînent depuis des années, qui ne sont pas résolus, de par l’absence de répondant fiable au niveau du département RH, qui n’est pas à même d’avoir une position de prérogative en matière de management du personnel, nous confiait une source juste après ce soudain départ. Sur certaines situations, le département est incapable de prendre une décision sans en référer à d’autres directeurs de départements qui ne sont pas d’accord. Plein de dossiers sont en déshérence. On a un département RH complètement subordonné aux hiérarchies.»


En effet, si l'on en croit la récente communication du SSM, rien n’a véritablement changé depuis la crise de 2020. Le syndicat affirme que, vu l’état du Département RH, rien n’indique qu’une situation comme celle de Robert dénoncée dans l’article du Temps ne serait pas traitée différemment aujourd’hui.


La menace populaire


Actuellement fixée à 335 francs par an, la redevance pourrait bien être abaissée à 200 francs, si la nouvelle initiative populaire la concernant est acceptée par le peuple. Ce n’est pas la première fois que le financement de la SSR – maison-mère de la RTS – est attaqué. On se souvient de l’initiative «No Billag» finalement balayée par le contribuable en 2018. Mais depuis, le Covid et sa gestion sont passés par là. Gestion politique, scientifique mais également médiatique, qui a contribué à creuser le fossé de confiance entre de nombreux citoyens et leur service public.

 
 

«Les gens qui nous attaquent n’ont pas conscience que ces attaques ont une influence sur la qualité de l’offre», nous confie une autre source interne. Celui-ci travaille à la RTS depuis de nombreuses années et a constaté une dégradation de la qualité du site RTSinfo.ch, notamment à cause de la pression imposée par les éditeurs privés. «On essaie d’éviter d’avoir toute la presse privée contre nous, parce que ça fait mal quand il y a des campagnes».


Non seulement le site n’a pas le droit de mettre de publicité, mais il existe également une limite de caractères à chaque article. De plus, les informations doivent avoir été traitées par la télé ou la radio en amont pour apparaître sur le site. «Hors breaking news, un article de plus de 1000 signes peut être publié sur le site et l’app RTSinfo à condition que nous puissions le relier à une vidéo ou à un audio provenant d’une émission diffusée en broadcast (cela peut être une séquence d’un flash horaire, un sujet du 19h30, un reportage de Mise au point…), nous explique Sophie Balbo. La vidéo ou l’audio doivent être liés thématiquement ou chronologiquement (moins de 10 jours) au sujet traité dans l’article.»


C’est pourquoi, sur RTS info, on trouve de courtes séquences audio ou vidéo – de quelques secondes parfois – en tête des articles. Ce qui constitue un travail fastidieux supplémentaire pour ses journalistes.


«Si tu affaiblis la RTS, tu peux récupérer une partie de son gâteau», nous confie encore notre source qui souligne qu’une réduction de la redevance signifierait aussi de graves conséquences pour les petites productions et les petits réalisateurs qui profitent de sa redistribution.


Dans une interview accordée au Temps début janvier, Gilles Marchand qualifiait cette initiative de «brutale et radicale». Selon lui, elle entraînerait une coupe de moitié du budget de la SSR et entraînerait des pertes d’emploi «très importantes».


En plus de l’initiative «200 francs ça suffit» portée par la droite, la RTS doit désormais faire pareil – ou pas tout à fait – avec moins, puisqu’elle a rogné dans ses émissions et en a supprimé d’autres pour pouvoir faire des économies, comme l’émission TTC. Celles-ci ont servi à éponger la baisse des recettes publicitaires, selon Christophe Minder, qui assure: «Parallèlement nous opérons une transformation qui nous permet de renouveler notre grille TV et de développer de nouvelles offres digitales pour toucher des publics que nous n’atteignons pas suffisamment pour remplir notre mandat.»


Par ailleurs, la SSR vient de lancer le projet Public Space Incubator, en collaboration avec d’autres médias de service public au Canada (CBC /Radio-Canada), en Allemagne (ZDF) et en Belgique (RTBF). «Il s’agit d’un partage de bonnes pratiques entre différents médias de service public pour acquérir des connaissances communes et explorer de nouvelles solutions afin de garantir que le dialogue en ligne avec la population soit équitable, constructif et exempt de discours haineux», explique Sybille Tornay, porte-parole de la SSR.


Si elle précise que la lutte contre la désinformation n’est pas «l’objectif poursuivi par ce projet», Radio-Canada relate une autre version. Ce qui promet de soulever de nouvelles polémiques, notamment auprès de citoyens qui n’ont pas la même conception de la désinformation que le service public.


En conclusion, «peu de choses ont véritablement changé en un an, mais la volonté est là», constate une de nos sources à l’interne. Reste à savoir si ce sera suffisant.

 

A noter que L’Impertinent a rencontré de solides résistances pour recueillir des informations sur ce sujet. Certains journalistes et syndicats estimant sa ligne éditoriale et son traitement du Covid incompatibles avec une enquête sur le harcèlement (!).


(Détails à lire dans une prochaine Chronique impertinente).

1 347 vues3 commentaires
bottom of page