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Article rédigé par :

Amèle Debey

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Affaire Leignel: condamné pour licenciement abusif, l'État de Vaud va faire recours

Dernière mise à jour : 13 févr.

Renvoyé pour «justes motifs» dans une affaire largement médiatisée dès 2019, l’enseignant de français qui officiait au gymnase Auguste Piccard avait attaqué l’État de Vaud pour licenciement abusif dans la foulée. Le tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale (TRIPAC) vient de trancher et n'est pas tendre avec le canton. Celui-ci a annoncé sa décision de faire recours.

verdict
© Pixabay

Mise à jour du 04.11.2024: Le Département de l’enseignement et de la formation professionnelle (DEF) annonce faire recours


Dans un courrier adressé à la presse, le DEF annonce sa décision de faire recours. Il «prend acte d'une décision dont il ne partage pas la vision, exprime en premier lieu son soutien aux victimes qui ont osé parler et partage leur sentiment».


«Le Département de l’enseignement et de la formation professionnelle ne tolère pas ce type de comportement, peut-on lire dans la note à la presse. Parmi les exemples avérés et confirmés par le Tribunal dans ce cas précis, il ne tolère pas qu’un enseignant dise en classe qu’une de ses élèves va s’adonner à du sexe oral avec une de ses camarades. Le DEF ne tolère pas non plus qu’un enseignant profère des menaces envers sa hiérarchie ou qu’il entretienne des correspondances sentimentales de plusieurs centaines de pages avec des élèves.»


«Le Département de l’enseignement et de la formation professionnelle est déterminé à ce que de telles situations ne puissent pas se reproduire dans l’école vaudoise et mettra tout en œuvre pour cela.» C'est ce qui, écrit-il encore, a motivé sa décision de faire recours.

 

03.11.2024: C'est un véritable camouflet infligé par la justice vaudoise au canton. Le 7 octobre dernier, le TRIPAC a pris la décision de condamner l’État de Vaud pour licenciement abusif, dans l’affaire qui l’opposait à Philippe Leignel, enseignant de français au gymnase Auguste Piccard, dont la carrière s’est brusquement arrêtée à cinq ans de la retraite, après une polémique sur fond de propos déplacés et de lectures inappropriées.

 

Selon le jugement du tribunal de prud’hommes, que nous avons pu consulter, la faute du demandeur renvoyé était «de moindre importance par rapport à l’ampleur de la réaction du défendeur (l’État de Vaud, ndlr).» Le tribunal, qui qualifie la faute de l’employeur comme «lourde», note également: «Le contenu de la lettre de licenciement était ainsi en contradiction évidente avec les faits constatés au terme de l’instruction, contrevenant manifestement au principe de la proportionnalité et conférant au licenciement un caractère abusif.»

 

Philippe Leignel avait été licencié «avec effet immédiat» par son employeur, le 29 juillet 2019, pour «justes motifs», après avoir été provisoirement relevé de ses fonctions, le temps d’une enquête administrative. Sa faute? Avoir notamment tenu en classe des propos considérés par certains élèves comme déplacés. Pour justifier le renvoi de l’enseignant, son employeur avait alors évoqué «la gravité des faits» retenus dans le rapport de cette enquête et «la mise à exécution des menaces (…) dans les pamphlets, courriers, interventions médiatiques et autres actions qui ont suivi la suspension provisoire».

 

Or, comme l’avait révélé L’Impertinent dans un article en mars 2022, la cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) Cesla Amarelle était intervenue auprès de l’ancien juge Meylan, auteur du rapport en question, pour en faire changer les conclusions. Celles-ci passant de «manquements modérés» à «manquements graves». Cet élément ressort à plusieurs reprises dans le jugement du TRIPAC, «pour le moins surpris» de l’ingérence de la conseillère d’État d’alors, qui a arrêté sa carrière politique peu après ce scandale, suite à une défaite dans les urnes.

 
 

Dans son jugement, le TRIPAC conclut: «En définitive, on ne peut pas objectivement considérer que les seuls propos tenus par le demandeur devant la classe 3Car1 en février 2019 – certes inadéquats mais pour lesquels le demandeur a fait amende honorable – suffisent à détruire irrémédiablement les liens de confiance entre les parties. Il en va de même des autres critiques adressées au demandeur (…) qui n’ont jamais fait l’objet de reproches (…) d’autres mesures auraient pu être prises en l’espèce, comme un avertissement ou le retrait de la classe 3Car1 au demandeur, étant rappelé que c’est la seule classe qui avait émis des plaintes à l’encontre de celui-ci. Partant, au vu de ces éléments et tout bien pesé, le licenciement immédiat signifié au demandeur était injustifié».

 

Le président du tribunal, Pierre Bruttin, qui a récemment pris sa retraite, va jusqu’à évoquer une forme de «congé-représailles» à l’encontre d’un enseignant qu’on aurait tenté de faire passer pour une espèce de ‘prédateur sexuel’» Ce qui, juge le magistrat, «est également de nature à porter atteinte à la personnalité de celui-ci.»

 

Condamné pour licenciement abusif, l’État de Vaud a jusqu’à la semaine prochaine pour faire appel. Si cela n’est pas le cas, il devra débourser à Philippe Leignel une indemnité correspondant à six mois de salaire brut, soit la somme de 76'842 francs, plus le paiement des trois mois de salaire qu’il aurait dû avoir après la rupture des rapports de travail, ainsi qu’un dédommagement de 10'000 francs pour tort moral.


«Les enjeux sont la pratique que fait l'État de Vaud du licenciement immédiat»

 

Contacté par téléphone, Philippe Leignel se dit soulagé de ce verdict, même s’il attend le délai du recours passé avant de crier victoire: «J’ai été très frappé émotionnellement que cela ait pu se terminer de manière aussi heureuse. Je trouve le jugement réconfortant sur le plan moral, confie-t-il. Je suis encore sous le choc. C’est cinq ans et demi de lutte difficile qui trouve tout à coup sa résolution. Mais je pense que les enjeux me dépassent, par rapport à la pratique que fait l’État de Vaud du licenciement immédiat, avec toute sa violence et sa brutalité.»

 

En effet, un des motifs de recours de l’État de Vaud serait d’éviter que ce cas ne fasse jurisprudence, car il pose les jalons d’une lutte syndicale contre le droit des autorités de renvoyer leurs employés pour des motifs qu’elles établissent elles-mêmes comme «justes», selon l’article 61 de la loi sur le personnel (Lpers). Reste à savoir si le nouveau conseiller d'Etat en place veut accepter cette affaire en héritage, ou passer à autre chose. Contacté vendredi en fin de journée, l'Etat de Vaud n'était pas disponible pour nous répondre.


L’avocat de Philippe Leignel, Maître Stauffacher, est revenu par téléphone sur les éléments problématiques de cet article de loi: «L'article 61 Lpers ne fait qu’importer dans la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud les articles du Code des obligations en matière de licenciement immédiat pour justes motifs, explique-t-il. Sauf que, au moment de la rédaction de cet article, on ne s’est pas rendu compte de son incohérence avec l’article précédent, l’article 60 Lpers,  qui traite de la résiliation ordinaire dans des conditions abusives et qui donne droit, s’agissant d’un syndicaliste comme Philippe Leignel, à la réintégration ou à une indemnité de 12 mois de salaire (au lieu des 6 mois de salaire maximum alloués en cas de licenciement immédiat sans juste motif).»


«Volée de bois vert»


«En d’autres termes, ajoute-t-il, un fonctionnaire licencié de manière ordinaire, mais abusive, est donc bien mieux traité que quelqu’un qui subit la disgrâce infamante d’un licenciement immédiat  sans justes motifs. Or, ce point n’a jamais fait l’objet d’un quelconque débat parlementaire au moment de l’adoption de la Lpers. Il s’agit donc d’une vraie lacune de la loi que le tribunal, en vertu du droit civil, était autorisé  à combler, en faisant acte de législateur. Il n’a cependant pas osé s’aventurer sur ce terrain. Il n’en reste pas moins que cet article 61 Lpers est en réalité une 'arme bien pratique' pour licencier, rapidement et à moindre coût, un fonctionnaire dont on veut se débarrasser».

 

Le défenseur espère que ce verdict, «véritable volée de bois vert» à l'adresse du canton, initiera des discussions, notamment sous l’impulsion des syndicats.


«La reconnaissance du dédommagement pour tort moral me touche particulièrement»

 

Philippe Leignel obtient moins d’argent que s’il avait accepté le deal que lui proposait l’État de Vaud pour un départ à l’amiable. Mais, selon lui, «l’essentiel est ailleurs»: «Si j’avais accepté l’accord de l’État de Vaud, il supposait le silence total, le bâillon. J’ai toujours plaidé pour la liberté d’expression et je ne voulais pas être contraint de laisser dire tout et n’importe quoi sur les causes de l’arrêt de mon enseignement sans pouvoir répliquer, explique-t-il. C’était bien plus essentiel que les questions d’argent. Ceci dit, la reconnaissance du dédommagement pour tort moral me touche particulièrement.»


Selon son avocat, la somme de 10'000 francs allouée pour tort moral est exceptionnelle tant par son principe que son montant: «Dans la plupart des cas, les tribunaux considèrent que l’indemnité de 6 mois de salaire maximum suffit à compenser le préjudice moral subi par l’employé injustement licencié de manière immédiate, explique l'homme de loi. En l’espèce, le Tribunal a voulu, en plus, tenir compte des spéculations injustifiées que l’Etat a fait courir, notamment dans la presse, au sujet de Philippe Leignel, et qui ont contribué à sa dépréciation professionnelle et personnelle. Mon client est donc soulagé que son honneur ait été ainsi restauré.»


Pour rappel, Philippe Leignel réclamait 817’000 francs de manque à gagner aux pouvoirs publics, comme l'avait précisé 24Heures. L'Etat de Vaud avait proposé 207'000 au professeur pour son silence, selon la Tribune de Genève.


Désormais, l’ancien enseignant qui aurait dû prendre sa retraite l’année dernière, se plaît à envisager une activité ponctuelle dans le privé: «Si je peux donner le goût d’un certain nombre d’œuvres qui me plaisent à d’autres, je continuerai à le faire», s’enthousiasme-t-il.


Et de conclure: «Le jugement réfute l’intégralité de l’interprétation que certains médias ont faite de mon affaire. Ce sont des faits établis au bout de cinq ans d’instruction, c’est donc un peu plus sérieux que certaines enquêtes journalistiques…». A ce propos, une plainte pénale a été déposée par Philippe Leignel à l'encontre de L'Illustré, qui se targuait, dans un article publié en 2019, de révéler «la vérité sur l'affaire du prof vaudois viré».


Ce verdict tombe alors que la Cour des comptes vaudoise vient de publier un rapport faisant état d'un manque de «courage managérial» au moment de remercier les collaborateurs dans le public.

 

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3 commenti


philippeleignel
04 nov 2024

Petite correction dans mon commentaire : le livre de Dicker évoque la relation d'un "maître" avec une mineure qui n'est que symboliquement son "élève", étant plutôt une admiratrice de son écriture, si je me souviens bien. Je devais cette précision à la vérité...

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philippeleignel
04 nov 2024

A propos du lien enclenché, dans l'article ci-dessus, par la formule soulignée "certaines enquêtes journalistiques" et menant à un article de "L'illustré" datant du 2 octobre 2019, il faut ajouter le commentaire suivant : la prétendue enquête intitulée, à l'imitation d'un fameux roman de Joël Dicker racontant la romance coupable d'un maître avec son élève, "La vérité dans l'affaire du prof vaudois viré" fait l'objet d'une plainte pénale suivie d'un procès commencé il y a 5 ans et qui aura prochainement des suites dont "L'illustré" devra rendre compte; en effet, la lettre de mon avocat qui suit l'article incriminé sur le site Internet du journal (il a été contraint par nous de la publier en 2019) se voit corroborée trait…

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suzette.s
03 nov 2024

Voilà une fort bonne nouvelle que celle de cet article! Merci à l'Impertinent de nous tenir informés. Je me demande si d'autres médias en parleront.

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