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Il faut sauver le soldat Berset

Dernière mise à jour : 21 juin 2023


© Flickr

Novembre 2020. L’affaire fait grand bruit. On aurait essayé de faire chanter le conseiller fédéral Alain Berset. Une femme aurait menacé de divulguer des éléments privés de leur liaison si le Fribourgeois ne lui donnait pas 100’000 CHF. Elle a été arrêtée en décembre 2019, suite au dépôt de plainte de ce dernier. Elle a été condamnée près d’un an après pour tentative d'extorsion et l’honneur du politicien était sauf. Circulez, y a rien à voir.

Face au danger, Alain Berset avait réagi avec le sang-froid et le professionnalisme qui le caractérisent. Au risque d’étaler sa vie privée sur la place publique, il avait fait passer les intérêts de la nation – un conseiller fédéral qui se plie au chantage, ce n'est pas franchement rassurant – avant la pudeur. Un vrai héros! Un type qu’on peut être fier de voir diriger le pays. Sauf que l’histoire était plus compliquée que ça. Tous les journalistes de Suisse avec un minimum d’instinct le savaient: ce dossier dissimulait une affaire de grande ampleur qui pourrait bien nuire à la carrière d’Alain Berset.

Pourtant, il a fallu attendre près d’une année supplémentaire pour en savoir plus sur cet épisode qui semble n’avoir intéressé que certains médias alémaniques et quelques reporters indépendants, isolés. Comme Arnaud Bédat, figure bien connue du magazine L'Illustré.

Fin 2020, il ne faut pas beaucoup de temps au journaliste pour recueillir les infos qui se cachent derrière cette histoire de chantage. Alain Berset aurait utilisé les avantages que lui confère sa fonction pour filer le parfait amour avec une pianiste suisse. Arnaud Bédat propose le sujet à la rédaction en chef de L’Illustré, mais le papier ne verra jamais le jour. Il gardera donc pour lui les faits récoltés durant son enquête, qui ne seront jamais publiés.

Une bombe

Il faut attendre le 15 septembre 2021 pour que l’affaire éclate. C’est la Weltwoche qui a osé s’y frotter – au risque que l’on remette en question ses motivations – dans un article intitulé Frau, von Bersets Truppe plattgewalzt, que l’on pourrait traduire par Une femme écrasée par les troupes de Berset. Sous la plume de Christoph Mörgeli, qui a apparemment eu accès au dossier secret, les éléments accablants s’amoncellent: Alain Berset aurait menti au procureur lors de l’enquête sur les détails de sa liaison, il aurait «provoqué» un avortement à sa maîtresse sans en assumer les frais, alors qu’elle gagne 3000 francs par mois, il aurait fait gérer ses affaires de fesses par ses collaborateurs – payés par les contribuables – dont l’actuel président du conseil de Swissmedic nommé en 2019, utilisé sa limousine de fonction pour partir en escapade avec la jeune femme, fait en sorte qu’un diagnostic à distance certifie de problèmes mentaux chez cette dernière et l'aurait fait arrêter par des policiers d’élite devant son fils, entre autres détails scabreux sur la hantise des préservatifs du responsable des campagnes de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles.

C’est le branle-bas de combat d’un bout à l’autre du pays. L’homme fort du gouvernement, représentant de la gestion de la crise autrefois sanitaire risque-t-il de voir son image suffisamment écornée jusqu’à devoir démissionner? Pourtant, même si les éléments constitutifs de ce dossier secret sont accablants et largement pénalisants pour le ministre de la Santé, les médias romands ne sont pas pressés de reprendre l’information. Les tendances politiques de la Weltwoche et de l’auteur de l’article semblent supplanter l’importance du scoop. Pire, selon un autre papier de la même publication, certains journalistes étaient au courant de l’affaire mais n’ont pas souhaité en parler, comme le 20 Minutes. Ils n’ont même pas enquêté. Se contentant d’invoquer l'argument de la vie privée et fournissant au passage une couverture partiale, en décrivant la maîtresse comme une danseuse alors qu’elle est pianiste, par exemple.

Interpellés outre-Sarine par une source munie de plusieurs documents accablants, bien des éditeurs (Ringier Blick, Glückspost et Schweizer Illustrierte) auraient refusé d’enquêter sur l’affaire. Quant à Arnaud Bédat, il a été renvoyé en début d’année 2021. Ce qui n’aurait rien à voir avec la choucroute, si on en croit Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef de L’Illustré, qui affirme n’avoir jamais entendu parler de cette histoire. «Arnaud Bédat n’a pas pu être renvoyé puisqu’il n’était pas engagé. C’était un collaborateur extérieur», explique le journaliste, qui affirme vouloir faire prendre un tournant différent au magazine.


«Je n’apprécie guère qu’on essaie de me faire passer pour un menteur, après trente ans de bons et loyaux services à L’Illustré, rétorque Arnaud Bédat, je n’entends pas me laisser faire, les tribunaux trancheront, preuves à l’appui», se contente-t-il de conclure, sans en dire davantage.

Cette omerta ne semble pas émouvoir les médias romands, très frileux de relayer l’enquête de la Weltwoche, ou alors en évitant d’aborder les points les plus problématiques.


«Le Temps n’a pas publié une ligne ce jour-là»

La Tribune de Genève écrivait justement, fin septembre, à propos des différences de réaction au moment de la sortie de l’article: «Le Temps n’a pas publié une ligne ce jour-là. Quant à La Liberté de Fribourg (canton d’Alain Berset) et les régionaux du groupe ESH (Hersant) ainsi que Le Courrier, qui partagent leur contenu suisse et international, ils ont réagi plus discrètement mais en donnant des éléments intimes que les titres Tamedia ont tu, y compris en Suisse alémanique. Surprise outre-Sarine où on pouvait s’attendre à ce que le tabloïd Blick, plus gros tirage de Suisse, empoigne le sujet à bras-le-corps pour feuilletonner, avalanche de unes en prime. Au lieu de cela, c’est la vénérable et sérieuse NZZ qui ajoutera des faits et de l’huile sur le feu. Quant à la RTS, elle suit avec une prudence de service public.»

Certains médias, comme watson, se sont surtout concentrés sur le timing de cette sortie. D’autres ont souligné la volonté de nuire à celui qui représente l’autorité durant la crise. Pour la plupart des journalistes, qui ont des convictions sans même avoir entrepris la plus élémentaire petite enquête, c’était clair: il s’agissait là d’un complot pour faire tomber Alain Berset. Intéressant de constater comment les complotistes ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Tout comme les féministes d’ailleurs. Car, dans cette histoire, les deux véritables victimes sont l’épouse du conseiller fédéral, publiquement humiliée et cocufiée sous les yeux de tout le pays, et la jeune artiste qui a cru aux belles paroles d’un homme habitué à obtenir ce qu’il veut, comme des milliards de femmes avant elle dans l’histoire de l’humanité.


Certaines personnalités, certains médias, ont donc une considération pour les droits des femmes à géométrie variable. Il sera donc nécessaire de le leur rappeler au moment opportun.




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