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Article signé Charles Gave, économiste et financier, publié sur le site du think tank L'institut des libertés le 20 février et reproduit ici avec l'autorisation de son auteur
J’ai écouté cette semaine une interview que le professeur Raoult a donnée à André Bercoff .
Le professeur Raoult n’est pas seulement le numéro un mondial de sa spécialité (d’après un sondage international auprès de tous ses pairs) mais il laisse aussi son expérience et son intelligence s’approcher de tous les problèmes de société et il les traite à partir d’une gigantesque culture tant littéraire que scientifique.
Avant tout, je dois dire que j’ai été surpris par le côté serein du Professeur Raoult, qui ayant fait son devoir toute sa vie et n’ayant plus rien à prouver est parfaitement détendu, même si «on» vient de le mettre à la retraite, lui le meilleur au monde dans sa spécialité.
Mais, lors de cette interview, il a prononcé une phrase qui m’a frappé comme la foudre tant elle était à la fois courte et profonde.
J’en suis resté pantois et depuis j’y pense sans arrêt tant elle me paraît lumineuse pour expliquer ce dont nos sociétés en général, et la France en particulier, souffrent.
A la question posée par André Bercoff sur la façon dont il avait traversé la période troublée du Covid, il a eu cette réponse magnifique, que je cite de mémoire.
Il commence par un constat, fait par l’un de ses confrères.
Le monde hospitalier est géré à 95% par des gens issus de la même école, l’École Nationale d’Administration qui ont LA caractéristique commune de n’avoir aucune culture scientifique, ayant arrêté toute étude scientifique en seconde.
Or, dans l’administration, l’avancement dans la hiérarchie se fait en fonction de la capacité de chacun à obéir, tandis que dans le monde scientifique, l’avancement dans la hiérarchie se fait en fonction des découvertes, de la capacité à gérer et à mener des équipes et du désir de former des jeunes qui prendront la relève.
Et donc, dit-il tranquillement: il y a deux sortes de hiérarchies qui coexistent en France, celles fondées sur la capacité à obéir et celles fondées sur la capacité à penser librement.
Et c’est cette idée que j’ai trouvé prodigieuse.
Je vais essayer de la développer plus avant, ce qu’il n’a pas vraiment fait dans son interview. Qu’il veuille bien m’en excuser, mais à partir de maintenant, ce n’est plus lui qui parle, mais moi.
Commençons par souligner que la hiérarchie fondée sur l’obéissance ne peut fonctionner que sous la contrainte. Il faut en effet punir les désobéissants.
Ce qui veut dire que cette première hiérarchie se doit de haïr les deuxièmes qui elles ne sont fondées que sur la Liberté.
Il y a donc un conflit perpétuel et sans solution entre ceux qui ont choisi d’obéir, et pour qui tout ce qui n’est pas permis est interdit, et ceux qui, ayant des idées originales, veulent aller là où leur esprit les poussent, puisque pour eux, tout ce qui n’est pas interdit est permis.
Car cette liberté de penser et d’approcher l’inconnu est la marque de fabrique des esprits libres.
Tout esprit normalement constitué comprend intuitivement que personne ne peut être à la fois obéissant et libre en même temps. Et donc, «en même temps», pour un esprit scientifique ne veut rien dire. Quelque chose ne peut exister et ne pas exister en même temps.
Dans une société équilibrée, ceux qui veulent faire carrière dans l’obéissance vont dans les services publics et seront payés par les impôts, les autres allant dans la recherche scientifique, les affaires, le sport, les arts ou que sais-je encore et feront carrière en fonction de leurs réussites.
Hélas, pour de nombreuses raisons que je me tue à dénoncer chaque semaine dans ces billets, le poids de l’état en France (qui ne mérite pas de majuscule) ne cesse de monter depuis au moins 1960. A cette date, le poids de l’État dans l’économie était à 30 % en France et de 30% en Suisse. En 2022, nous avons dépassé 60% en France, tandis que chez nos voisins helvétiques, nous en sommes toujours à… 30%.
Pourquoi cette différence? La réponse est simple.
L’État, comme chacun le sait dès qu’il a eu à remplir des formulaires, est le lieu par excellence où se déploient ceux qui font carrière dans l’obéissance.
Augmenter sans arrêt le nombre de ceux qui travaillent dans la hiérarchie de l’obéissance est donc la meilleure façon pour les chefs de cette hiérarchie d’écraser l’ennemi, c’est-à-dire les gens libres.
Dans cette analyse, la hausse du poids de l’état n’est que la conséquence de la victoire écrasante des administratifs qui ont pris le contrôle des dépenses étatiques sur les créatifs qui avaient mieux à faire ailleurs.
En 1960, plus de 60% des Français travaillaient dans des activités où ils n’avaient pas à obéir à ceux qui travaillaient dans la hiérarchie de l’obéissance, se développant comme ils le voulaient «ailleurs» c’est-à-dire dans des hiérarchies libres et concurrentielles fondées sur le mérite. C’est toujours le cas en Suisse. Ce n’est plus le cas chez nous. Aujourd’hui 60% de nos concitoyens travaillent dans des activités fondées sur l’obéissance, où il faut obéir aux ordres, aussi idiots soient- il. Et, comme nous l’avons vu dans le cas du Covid, ce sont ceux qui obéissent le mieux aux ordres les plus stupides qui sont promus, comme l’a montré la crise du Covid.
Et donc le poids de l’état n’a cessé de monter chez nous ce qui veut dire que le poids du secteur obéissant et donc non créatif ne cesse de croître par rapport à celui du secteur libre (et donc créatif) , ce qui nous amène inexorablement à un effondrement du niveau de vie de tous les citoyens, créatifs ou pas.
Je parie d’ailleurs que, quand le secteur obéissant s’effondrera sous son propre poids, les créatifs s’en sortiront beaucoup mieux que les obéissants et cela pour des raisons évidentes : les créatifs continueront à créer mais les obéissants ne pourront plus les en empêcher et leur voler le résultat de leur création par la taxation.
Comme en URSS, l’effondrement sera celui de la société «obéissante» , ce qui permettra aux individus libres de se développer à nouveau. Une révolution a lieu quand la hiérarchie de l’obéissance s’écroule. Et nous allons tout droit vers une révolution.
Pourquoi en suis-je sûr?
En France aujourd’hui, à peine 1/3 de ceux qui travaillent exercent leurs talents dans ce qui les passionne tandis que les 2/3 restant n’ont qu’un but, empêcher le 1/3 restant de faire ce qui les intéresse, en attendant la retraite, qu’ils ne toucheront pas puisqu’ils ont détruit ceux qui étaient productifs.
Et la réalité est que les premiers adorent leur travail tandis que les deuxièmes le haïssent car ils n’ont pas la même notion du travail.
Ce qui m’amène à la notion de travail, à laquelle je viens de consacrer une émission sur YouTube avec Emmanuelle que vous pouvez découvrir à l’adresse suivante.
Notre thèse est la suivante: notre civilisation a hérité de deux notions du travail.
Le travail esclavage, idée héritée des Grecs où seuls travaillaient les esclaves et les «idiotes», en Grec ancien idiotes signifiant ceux qui avaient besoin de travailler pour vivre, et qui sont devenus chez nous les idiots. C’est une notion qui a été reprise avec enthousiasme par tous les Marxistes qui prospèrent dans tous les secteurs de l’économie obéissante, parce que pour eux, il ne peut y avoir de satisfaction dans le travail. Le but est donc de travailler le moins possible.
Le travail accomplissement personnel, pierre de voûte du christianisme qui s’est développé en premier dans les grands ordres monastiques. Ce travail a pour but de développer le bien commun. Et ce genre de travail nous amène automatiquement dans une société de création et donc de liberté, comme en font foi nos cathédrales, nos grandes universités d’autrefois, nos villes et nos villages, chacun accomplissant avec enthousiasme ce qu’il a choisi librement de faire. Et de ce travail naît le bonheur individuel et la prospérité collective. Le but est de travailler le plus possible.
A ce point du raisonnement, je constate que nous sommes sortis il y a longtemps du cauchemar de Charlie Chaplin dans les temps modernes où la majorité des gens devaient faire un travail qui les rebutait, simplement pour survivre.
Mais je me souviens aussi de ce que disait Richelieu «l’Homme est un mulet qui se gâte au repos». Rien n’est pire que l’oisiveté, mère de tous les vices, comme nous le dit l’Église depuis la nuit des temps.
Et donc, le but d’un système politique efficace devrait être de réduire le nombre de ceux qui travaillent dans la société d’obéissance pour faire croître au maximum le contingent de ceux qui veulent s’engager dans la société libre. Force est de constater que le but du système politique dominant en France est de suivre une politique qui amène exactement au résultat inverse.
Étant libéral, c’est-à- dire défendant LES hiérarchies de Liberté contre LA hiérarchie d’obéissance, je crois depuis toujours que Locke nous a donné les clefs intellectuelles pour qu’une société de Liberté puisse se développer.
Il faut :
La séparation des pouvoirs.
Le droit de propriété comme un absolu.
Le jugement des conflits avec l’État par des jurys populaires de citoyens tirés au sort.
Le vote des impôts, des dépenses de l’État et des collectivités publiques par les citoyens et donc la démocratie directe.
L’interdiction des déficits budgétaires et donc de la dette étatique sauf en temps de guerre.
Je ne vois malheureusement aucun homme politique de gauche et encore moins de droite (la Droite française hait la Liberté et adore l’économie de l’obéissance) qui aurait un tel programme.
Je crains donc qu’il nous faille passer d’abord par un effondrement de l’économie de l’obéissance.
Hélas, historiquement, un tel effondrement n’a pas toujours amené à un retour de la Liberté, bien au contraire.
Et pourtant, l’effondrement est inéluctable.
Ce sera à nous d’être prêts pour pousser dans le bon sens quand le moment sera venu.
Nous aurons peu de temps.
J'avais suivi une conférence à Genève d'Albert Jacard qui fustigeait ces boites à conformistes que sont l'X et l'Ena en France par rapport à une université libre d'accès comme l'EPFZ. EPFZ = 23 Nobel, l'X, vaguement 3. Ce n'est pas nouveau, de plus en plus d'écoles conforment au lieu de former.
Excellente analyse de Charles Gave comme d'habitude.
Il essaie de réveiller une société sclérosée qui s'enfonce dans le déni des réalités.
Eh oui, qu'on le veuille ou non, c'est grâce au travail que nos sociétés ont progressé et évolué et, symbole de la fin de notre "civilisation", la dégradation totale et complète voulue par une minorité croissante et envahissante comme cela est très bien expliqué. Et je ne parle pas des théories déconstructives insufflées par le WEF.
Comme le disait si bien le Général de Gaulle : "Il n'y a qu'une fatalité, celle des peuples qui n'ont plus assez de force pour se tenir debout et qui se couchent pour mourir. Le destin d'une nation se gagne chaque jour contre…