Sites de rencontres: entre faux profils et addiction, enquête sur un modèle basé sur l’emprise et l’exploitation
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Article rédigé par :

Julien Monchanin, Toulouse

Sites de rencontres: entre faux profils et addiction, enquête sur un modèle basé sur l’emprise et l’exploitation

En à peine un quart de siècle, les sites et applications de dating se sont imposés dans l’esprit collectif comme un moyen privilégié de rencontrer l’âme sœur. Après une longue lune de miel médiatique, ils essuient aujourd’hui le feu des critiques. Certains s’interrogent non seulement sur leur efficacité, mais aussi sur leur dangerosité.

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© DR

À première vue, les rencontres en ligne sont un de ces sujets «glamour» sur lesquels il est aisé d’enquêter. Partis sans préjugés d’une simple question (en quoi les sites de rencontres influencent-ils la nature des relations amoureuses?), nous avons pourtant vite compris qu’il n’en serait rien. Le problème? Les dirigeants des principales plateformes se murent dans le silence. Le groupe Match, leader mondial et détenteur des applis Tinder, Hinge et Meetic, n’est revenu vers nous qu’après plusieurs sollicitations, nous réclamant des précisions sur notre démarche. Nous lui avons adressé un long courriel, demeuré sans suite malgré nos relances. De l’art du ghosting… Le dauphin Bumble (Bumble, Badoo), quant à lui, nous a ignorés dès le départ, tout comme Adopte, Happn et d’autres dont certains, malgré leur notoriété, ne semblent disposer d’aucun service de relations presse.


Ce silence radio ne surprend pas l’entrepreneur social Arnaud Poissonnier, qui a publié en mai dernier Boîtes de conserve, un réquisitoire implacable et très documenté sur les travers du dating numérique. Pour lui, «Il y a un effet loupe autour du succès de ces sites. Depuis des années, les médias en parlent avec bienveillance. La quasi-totalité des sites actuels se fondent sur un même modèle, avec des différences purement cosmétiques. Or ce modèle ne fonctionne pas: aucun site n’a intérêt à ce que ses utilisateurs trouvent l’amour et se désinscrivent. C’est un modèle basé sur l’emprise et l’exploitation du besoin qu’ont les utilisateurs de combler leur solitude. Nous sommes en plein conflit d’intérêts, et selon moi sur un scandale du type de celui des Ehpad», résume-t-il.


Ce que confesseraient même dans le privé certains exploitants de plateformes comme Attractive World, aux dires d’Arnaud, qui écrit dans son livre que dans les conditions générales de ces sites, «le nombre d’exclusions de responsabilité est tel qu’il est difficile d’imaginer qu’ils soient faits pour promouvoir et favoriser l’amour. Leur seul engagement formel? Fournir une plateforme technologique fonctionnelle de mise en contact».


Une guerre de chiffres

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Des mots forts, mais soigneusement pesés, chiffres à l’appui. Car c’est bien par une bataille de chiffres que commence le débat autour des sites de rencontres. Ces derniers ne se priveraient pas d’embellir la réalité. L’exemple-type serait Meetic, avec ses 8 millions de couples créés à travers l’Europe. Ce chiffre est basé sur une enquête réalisée en 2018 par Dynata auprès de 60'000 personnes de plus de 18 ans. Selon cette étude, 6% des sondés déclaraient «avoir été en couple avec une personne rencontrée sur un des sites du groupe Meetic». Outre les critiques habituelles suscitées par ce genre d’étude, Arnaud Poissonnier insiste sur l’ambiguïté d’avoir «été en couple», expression qui peut renvoyer à des histoires courtes ou des aventures d’un soir.


Devant l’absence de données précises et le manque d’objectivité des exploitants de sites, l’auteur plante un décor moins flatteur à partir de ses propres extrapolations. Il y a d’abord celle, souvent reprise, des 18 millions de célibataires en France, chiffre qui progresserait de 2% par an depuis 20 ans, qui s’appuie sur les taux publiés par l’Insee et qui, s’il était fiable à 100%, démontrerait à lui seul que l’important phénomène du dating ne contribue pas tant que cela à la formation de couples solides. Or, la relation durable demeurerait l’objectif premier des utilisateurs d’outils de rencontre.


Pour le prouver, Arnaud s’est livré à de savants calculs. Selon une fameuse étude de l’Ifop réalisée en 2020 pour Facebook, 31% des Français auraient utilisé une appli de dating au cours de leur vie, soit 21 millions de personnes. Partant des données de cette enquête, l’auteur estime à 4 millions le nombre d’utilisateurs actifs dans l’Hexagone. Puis, s’appuyant sur une autre enquête de l’Ifop réalisée en 2024 pour la mutuelle animale Goodflair et selon laquelle 32% des personnes souffrant de solitude ont recours aux sites de rencontres (soit 2,7 millions de personnes), il déduit que 67% des utilisateurs de ces sites seraient en recherche d’une relation durable. Un chiffre que confirme l’enquête qualitative réalisée par l’auteur lui-même auprès de 330 utilisateurs.


Une vie sentimentale saucissonnée


Or c’est bien là que le bât blesse et que se trouve une première réponse à notre question initiale: ces sites échoueraient dans leur mission de produire de la relation stable et durable. Entre les rencontres qui n’aboutissent à rien faute d’attirance réciproque, les histoires d’un soir et les relations «faute de mieux» qui explosent au premier accroc, les utilisateurs n’auraient qu’une chance sur 20 de trouver l’amour via une appli… «Ces sites contribuent au raccourcissement de la durée des relations, à une vie sentimentale saucissonnée. Ils condamnent à de petites histoires, souvent superficielles car construites par défaut, sans base ni histoire commune», commente Arnaud.


Bien sûr, les rencontres en ligne ne sont pas seules responsables du raccourcissement de la durée des relations, phénomène sociétal plus large. Mais le dating en ligne accentuerait la tendance. En tout cas, il ne paraît pas l’inverser.


D’autres données le confirment, telles celles compilées depuis sept ans par Pierre, le fondateur du site Stat-rencontres, véritable observatoire du dating en France. Pierre s’appuie aujourd’hui sur un beau panel de plusieurs milliers d’utilisateurs de sites et applis. «Nos membres ont en moyenne 3,6 apps installées. Certains n’en ont qu’une seule, mais d’autres en ont 4, 5 ou 6. Cela vient peut-être de la multiplication des nouvelles petites applis ces dernières années», explique-t-il. Un indice qui montre déjà qu’une seule appli n’a pas l’air de suffire…


Mais Pierre a encore mieux: il vient de publier une enquête réalisée auprès de plus de 3000 célibataires inscrits sur des sites de rencontres, et avance que ceux-ci «obtiennent en une année une moyenne de 3,5 dates (ou rencards, en français), pour un total moyen de 26 discussions initiées». Rencards qui ne déboucheraient que sur 0,4 relations durables… Autre enseignement: «Trois utilisateurs sur dix se déclarent insatisfaits des applications de rencontres», chiffre assez largement inférieur à ceux d’autres enquêtes, avec des taux allant parfois jusqu’à 80%. Même si ces statistiques sont un peu plus encourageantes que celles d’Arnaud, peut-être du fait d’un panel plus mature et au fait des mœurs du dating, on est encore assez loin de la promesse des concepteurs d’applications.


Taux de réussite limité?


Parmi ces derniers, rares sont donc ceux qui ont accepté de nous répondre. Olivier Orna, fondateur et dirigeant de l’appli de niche chrétienne Theotokos, n’en est pas plus étonné que nos autres interlocuteurs: «La communauté des sites et leurs outils manquent de transparence. Nous essayons d’aller contre cette tendance, que ce soit en termes d’accès au catalogue de profils, de chiffres, d’algorithme, de modération ou d’éthique commerciale. Nous avons refusé de céder à certaines sirènes, comme le recours aux réabonnements automatiques », expose-t-il. De même, les chrétiens sont naturellement moins portés sur les histoires d’un soir, ce qui limite les malentendus: «Ils souhaitent des relations durables, ont généralement plus de 30 ans et sont plutôt dans un esprit de dignité».


Malgré l’éthique du dirigeant et de son site, ce business n’est pas une sinécure et les résultats n’ont rien de spectaculaire. Créé il y a 18 ans, Theotokos rassemble aujourd’hui autour de 500'000 inscrits, une «base qui décroît à cause de la saturation du marché», mais «seulement 30'000 se sont connectés au moins une fois pendant l’année écoulée, et environ 2000 se connectent chaque jour». L’appli n’aurait conduit qu’à la conclusion de 2000 mariages. C’est déjà quelque chose, mais cela montre la complexité des rencontres en ligne. «C’est un métier ingrat. Les utilisateurs restent discrets quand ça marche et se plaignent et dénigrent beaucoup dans le cas contraire». Olivier confesse aussi une tendance au dating bashing, et la christianophobie ambiante n’arrange rien. De quoi s’interroger sur les résultats de sites et d’applis généralistes moins transparents et dont les inscrits sont moins soudés autour de valeurs communes…


Exit donc les opposés qui s’attirent, l’heure est au «qui se ressemble s’assemble»

Pour mieux comprendre en quoi la plupart des sites échouent, il faut se pencher sur leur fonctionnement qui, en 20 ans, a beaucoup évolué. Au départ, les sites vous donnaient accès à tous les profils connectés en même temps que vous, et vous pouviez étendre la recherche à tous les profils d’un périmètre donné. Or, avec Tinder s’est imposé un modèle plus opaque, où un algorithme sélectionne des profils que l’utilisateur fait défiler un par un, soit en les rejetant, soit en les likant dans l’espoir qu’ils en fassent de même et que cela conduise à un match. «Cette culture du swipe a fait du mal. Elle rend notamment le rejet, le râteau, plus difficile à gérer pour l’utilisateur», concède Julian Kabab, cofondateur de l’appli à succès Fruitz, le seul autre entrepreneur du dating ayant accepté de nous répondre (voir notre encadré).


Algorithmes: un moteur défaillant


Outre que la visibilité sur le catalogue a diminué et que la sélection des profils présentés à l’utilisateur soit fort brumeuse, tout repose sur un principe d’affinités par critères. Or c’est cette approche algorithmique qu’Arnaud Poissonnier remet en cause: «l’approche profilatoire vous donne l’illusion que vous trouverez la personne parfaite en fonction de vos critères, ou du moins de ceux imposés par la société. Cette critérisation outrancière n’a rien à voir avec l’amour. Elle conduit au passage à éliminer des profils qui auraient pu nous convenir». Là-dessus, l’auteur reprend à son compte l’excellente formule de Pascal Lardellier, universitaire qui a également travaillé sur le sujet: «En amour on a longtemps cherché sa moitié, désormais sur internet c’est plutôt son double que l’on recherche, par effet miroir». Exit donc les opposés qui s’attirent, l’heure est au «qui se ressemble s’assemble». C’est là un autre effet notable du dating.


En clair, la rationalisation du rapport amoureux rendrait le dating inopérant: le phénomène amoureux est à la fois plus simple («Généralement, 6 secondes suffisent lors d’un date à savoir s’il peut se passer quelque chose», explique Arnaud) et plus complexe («Il faut bien entendu de la différence, de la surprise, des complémentarités, une alchimie»). Il serait donc illusoire d’essayer d’en «mécaniser» le fonctionnement.


1000 femmes pour 25'000 hommes

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D’autres éléments viennent encore compliquer la donne. Au-delà du principe d’appariements par affinités, les algorithmes auraient tendance à remonter les profils les plus attractifs (c’est-à-dire les plus likés), et bien sûr ceux des utilisateurs payants, pour l’essentiel des hommes, car comme l’explique Pierre, le fondateur de Stat-rencontres, «toute cette industrie repose sur la nécessité d’avoir un maximum de femmes inscrites pour faire payer les hommes, même si c’est un peu différent sur le marché des seniors. On peut comparer ça au fonctionnement d’une boîte de nuit. Les utilisateurs sont souvent vus comme des portefeuilles. Même lorsqu’ils paient, les formules sont étudiées pour les faire payer davantage, leur donner accès à davantage de fonctionnalités, etc.» Le tout, bien entendu, sans véritable obligation de résultat.


D’un point de vue légal, cette forme de discrimination entre hommes et femmes qui paient ou non pour un même service interroge évidemment. Sans compter qu’il place indirectement la femme dans un rôle de proie ou d’objet, non sans donner l’illusion du contraire, comme en a longtemps témoigné le marketing d’Adopte (ex-Adopteunmec).


Ce mode de fonctionnement implique selon Arnaud Poissonnier des comportements différents selon le sexe. «Les femmes ont une approche plus qualitative, analysent davantage les profils, tandis que l’approche masculine est plus quantitative, avec des likes adressés à la mitraillette», résume l’auteur, qui estime que ces messieurs likent 25 fois plus de profils que ces dames et qui écrit qu’à parité d’inscrits, «c’est un peu comme si, en termes de potentiel de matchs, vous pénétriez dans une boîte de nuit où il y aurait 1000 femmes pour 25'000 hommes».


80/20, une théorie «fantasque»?


Cette mécanique conduirait à des déséquilibres tels que selon Pierre, seuls «5% des hommes inscrits sur ces sites ont accès à 90% des femmes. D’un côté, la majorité des hommes ne s’y sentent pas vus à leur juste valeur, et de l’autre, les femmes trouvent les hommes malhonnêtes, avec des attentes différentes des leurs». Le chiffre est difficile à vérifier, mais n’est pas sans rappeler la sulfureuse théorie plus générale des 80/20, récemment l’objet d’un article du Figaro, qui la juge «fantasque» à l’aune d’essais polémiques tels le Female choice de Meike Stoverock (2021), laquelle décrirait selon le quotidien un «marché amoureux déréglé» où «les femmes libérées par le féminisme et cachées derrière leur écran se seraient mises à exiger la lune et marginaliseraient les ʺhommes moyensʺ jugés indignes de leur quête», situation sur laquelle «prospèrent une économie cynique, un business de la frustration orchestré par les influenceurs».


Fantasque ou pas, nul ne nie plus que les sites et apps de rencontres génèrent d’un côté de la frustration, et de l’autre une hausse exponentielle des exigences, ceci d’ailleurs quel que soit le sexe. Interrogée par Arnaud, l’urologue et sexologue lyonnaise Béatrice Cuzin décrypte bien cet effet pervers: «L’outil est parfait pour les femmes victimes du complexe de Cendrillon, celles qui cherchent à tout prix le prince charmant, celui qui cochera toutes les cases de leur idéal masculin. Quitte à ne jamais le trouver. Leur quête de perfection cache parfois – en guise de carapace ou de protection – une stratégie d’évitement ou un bénéfice secondaire de leurs échecs à répétition».


Là encore, difficile d’attribuer ce degré d’exigence des utilisateurs aux seuls outils de dating: la société actuelle, dominée par l’individualisme et l’ego et où chacun croit qu’il peut tout obtenir, génère très bien par elle-même cet accroissement des prétentions. Mais encore une fois, les sites n’arrangent rien, d’autant qu’ils élargissent notoirement le champ des possibles. C’est leur premier avantage: on y rencontre des personnes que l’on n’aurait jamais croisées dans la «vraie vie», au supermarché ou à la boulangerie. Le choix est plus étendu qu’à l’époque où il se limitait à l’assistance d’un bal de village.


Des effets psychologiques pervers


De ce point de vue se complique la construction de relations durables. Dès qu’une relation se tend, chaque partenaire sait qu’il pourra de nouveau aller piocher dans le vaste catalogue. «Le risque est de s’enfermer dans une démarche consumériste, dans une course sans fin au partenaire le plus beau, le plus drôle, riche et intelligent», commente Anne-Laure, coach et thérapeute à Bordeaux, ancienne mannequin qui a pratiqué ces sites pendant plus de 20 ans et y a noué des dizaines de relations. «Les sites élargissent certes le champ des possibles, mais créent par là-même un effet d’euphorie, ce qui est d’autant plus dangereux que l’espoir qu’ils font naître est grand», renchérit Arnaud Poissonnier, qui n’hésite pas à parler d’un véritable phénomène d’addiction, lequel expliquerait le succès des applis en dépit de leur inefficacité: «On évolue vers des sortes de TDAH relationnels. Plus je pratique et plus j’avance, plus je perds patience dans les histoires, en me disant parfois que je retrouverai facilement quelqu’un ensuite».


L’addiction ne serait pas le seul danger des outils de dating. À moyen et long terme naîtrait aussi une lassitude, un burnout que la journaliste Judith Duportail nomme dating fatigue, liée à l’investissement en énergie dans des relations naissantes débouchant pour la plupart sur des déceptions ou des désillusions. Certains n’hésitent pas à parler de véritables «zombis du dating». Les sites abriteraient par ricochet une concentration importante, non seulement de personnes dont la solitude peut confiner à la détresse, mais aussi de névrosés, de dépressifs et même de pervers narcissiques, hommes ou femmes: «Ces sites sont de vrais champs de mines. On ne sait jamais vraiment à qui on y a affaire, et c’est souvent à une proportion importante de naufragés de la relation», note ainsi Arnaud Poissonnier, dont le panel d’utilisateurs confie à 85% que les histoires nées des apps sont la plupart du temps éphémères.


Sites et applis seraient également dévastateurs pour l’estime de soi, comme semblait déjà le pointer du doigt en 2016 une étude de l’American Psychological Association. «Nous avons constaté qu'être activement impliqué sur Tinder, quel que soit le sexe de l'utilisateur, était associé à l'insatisfaction, à la honte et à la surveillance corporelles, à l'intériorisation des attentes sociétales en matière de beauté, à la comparaison de son physique à celui des autres et à la dépendance aux médias pour obtenir des informations sur l'apparence et l'attractivité», déclarait à l’époque Jessica Strübel, co-auteure de ce travail.


De l’escroquerie à l’agression


Au-delà, les utilisateurs ont tous fait l’expérience d’un catalogue assez fourni en personnes malintentionnées et en faux profils. Pierre confirme l’importance du phénomène: «Cette industrie n’est pas 100% clean. Il y a des insuffisances de modération pour les faux profils, robots de dialogues, ghosts et autres arnaqueurs en ligne avec des IP basées en Afrique». Sous-entendu: ces profils gonflent les statistiques d’inscrits, donc les plateformes ne s’y attaqueraient pas suffisamment. Certains sites en fabriqueraient même eux-mêmes. On se souvient du scandale autour d’Ashley Madison, site spécialisé dans la rencontre discrète, c’est-à-dire adultère. Il y a une dizaine d’années, le site a été accusé d’avoir créé des milliers de faux profils féminins via un robot. Ceux-ci auraient échangé avec… 11 millions d’hommes! Au passage, à la même époque, le même site avait été pris d’assaut par des hackers qui menaçaient de diffuser les données de ses utilisateurs.


Ces derniers temps, le scamming semble aussi venir d’Asie et prendre de nouvelles formes. Nous avons créé un compte Tinder pour les besoins de cette enquête. Notre premier match? Une jeune femme basée à Hong Kong, qui déclare que son métier est d’investir dans les cryptomonnaies. Son but est naturellement de nous extorquer de l’argent. Certains sites sont même infestés de faux profils avec des photos de jeunes femmes asiatiques générées par IA. IA qui permet d’ailleurs d’automatiser et de crédibiliser les profils, puisqu’elle tient beaucoup mieux la conversation que les vieux robots de chat. Ce qui a de quoi inquiéter concernant l’évolution du dating dans les années à venir.


Mais il y a pire: le dating peut aussi déboucher (heureusement moins souvent), sur de véritables drames. On n’a pas oublié, en France, l’affaire du «violeur de Tinder», Salim Berrada, qui aurait agressé sexuellement et violé 17 femmes entre 2014 et 2016, en se faisant passer pour un photographe en quête de modèles. L’homme droguait ensuite ses proies en leur faisant boire un verre… Après sa remise en liberté, en 2019, il ose même reprendre son manège. Certaines femmes et plaignantes le reconnaissent. De nouvelles plaintes seraient en cours de traitement.


Un des arnaqueurs de Tinder a fait l'objet d'un film sur Netflix.

C’est toujours l’homme qui fait l’outil


Bien que la plupart des sites et applis soient loin d’être irréprochables, il convient de rappeler qu’au même titre que les réseaux sociaux, l’IA ou les nouvelles technologies en général, ce sont aussi et surtout les utilisateurs qui font l’outil. «Ce n’est pas la faute du marteau si vous vous cassez le doigt en tapant dessus. Beaucoup d’utilisateurs se plaignent sans s’interroger en amont sur leurs intentions, leur projet de vie, avant de s’inscrire. Beaucoup savent ce qu’ils ne veulent pas, mais pas forcément ce qu’ils veulent. Tout part trop d’une émotion, d’une simple attirance. J’exagère à peine, mais l’inscription saine sur un site relèverait presque du coaching. On ne peut se lancer par simple détresse, ou avec une liste de Noël. Finalement, la qualité des outils dépend beaucoup de celle des profils», résume ainsi Olivier Orna.



Anne-Laure, notre coach bordelaise, partage en partie cet avis: «Il faut se rendre sur ces sites sans avoir d’attentes trop précises, d’espoirs démesurés ou d’idées préconçues. On ne sait jamais sur quoi cela va déboucher. Sur ces sites peuvent très bien se nouer de belles amitiés, de manière tout à fait inattendue». Oui: l’inattendu finit toujours par triompher des calculs…


Anne-Laure, qui a appris à dédramatiser la rencontre, nous raconte l’histoire d’un homme avec lequel elle a sympathisé et qui insistait pour la voir. Elle était alors très occupée par des travaux chez elle, mais lui a proposé de venir monter des meubles avec ses amis. À défaut d’histoires d’amour, les applis peuvent donc occasionner des tranches de vie originales.


Alors, pas de mauvais site, que de mauvais utilisateurs? C’est la grande question sur laquelle débouche toute réflexion sur le dating: comment fabriquer des couples dans une société d’individus autocentrés, qui se demandent juste ce que l’autre va leur apporter? «On peut s’interroger sur les sites, mais surtout sur l’altérité dans notre société! C’est bête, mais la structuration catholique de nos sociétés avait du bon… Elle fournissait des repères», conclut Olivier Orna.


Vers de nouveaux modèles de dating?


Même Arnaud, qui s’étend longuement sur le cynisme, l’inefficacité et la dangerosité de ces sites, concède que «tout n’y est pas à jeter à la poubelle. Il faut juste aider les utilisateurs à gagner en recul, car la plupart en manquent. Ces sites ne doivent pas constituer une fin en soi mais un complément. On ne peut pas tout miser dessus».


L’auteur milite pour que le législateur s’empare du sujet. Il propose une réforme en 14 mesures tenant à la transparence sur algorithmes, chiffres, fréquentation et tarifs (soulignant au passage dans son livre qu’il «est grand temps que la morale et son bras armé, l’éthique, s’emparent du sujet et que la DGCCRF s’offre une randonnée exploratoire au cœur du dating»), à l’obligation d’avertissements sur les risques, à l’interdiction de limiter l’accès au catalogue, au traitement des données personnelles, à l’accompagnement des personnes en détresse, à la création d’une association professionnelle, à la modération, aux faux comptes et aux faux chats, à la présentation d’une pièce d’identité à l’inscription ou encore aux paiements automatiques.


De nouveaux modèles de dating seraient de même à inventer. Arnaud ne croit pas au business du meeting, qui voudrait remplacer le dating en ligne par l’organisation de rencontres ou d’événements, ni aux nouvelles agences matrimoniales: ces nouvelles idées reposent sur cette même approche profilatoire qu’il juge défaillante. En revanche, il nous parle du site Lafemmedetonchef.fr, basé sur la publication de lettres sans photos de militaires ou de personnels des forces de l’ordre, qui enregistrerait un taux de réussite de 50%. Indépendamment du romantisme de la rencontre par écrit, qui a indéniablement ses charmes et vertus, le mode épistolaire constitue un filtre social intéressant. L’écrit dégage aussi sa propre sincérité, même si pour Arnaud, «le filtre ultime reste la rencontre, les fameuses 6 secondes».


Mais laissons le mot de la fin à Yulia, une jeune femme russe dont l’essentiel de la vie amoureuse s’est bâti sur les sites de rencontres. Mariée dix ans à un Français rencontré en ligne et fraîchement séparée, elle remet le couvert: «Personnellement, je n’ai pas trouvé mieux pour faire des rencontres intéressantes. Je ne vais pas en soirée, ni dans les bars, ni en discothèque. C’est donc aujourd’hui la meilleure solution pour quelqu’un comme moi». Une solution malgré tout sécurisante, car ne soyons pas de trop mauvaise foi: bien des risques associés au dating en ligne existent aussi dans la vie courante, parfois même démultipliés…

Pour aller plus loin:


Enquête Ipsos/Badoo (2022): Être célibataire en 2022

Enquête de Marie Bergström pour Populations & Sociétés, la revue de l’INED (2016): Qui utilise les sites de rencontre en France? Qui y trouve son partenaire?

Essai d’Eva Illouz sur l’évolution des mœurs amoureuses: La fin de l’amour (2020)

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