Droits des pères séparés: l’autre #MeToo?
- Julien Monchanin, Toulouse
- 15 juin
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 juin
Accusations mensongères, procédures et décisions de justice partiales, aliénation et non-représentation d’enfants: à l’heure de la lutte contre les violences faites aux femmes, le désarroi des pères injustement lésés reste un tabou. Une proposition de loi en faveur de la garde alternée devrait bientôt être débattue en France.

Leurs histoires pourraient faire l’objet de romans. Thomas, 32 ans, entrepreneur du BTP en Auvergne, est en couple depuis 6 ans lorsque naît sa fille, à l’automne 2023. Dès lors, sa relation avec sa compagne se détériore et très vite, le rêve tourne au cauchemar. Les querelles se multiplient jusqu’à ce triste soir de janvier. L’ultime dispute éclate pour une banale histoire de biberon.
Madame simule une crise de nerfs. «Je finis simplement par la saisir par-dessous les bras, la mettre dehors et l’inviter à faire trois tours de jardin pour se calmer», raconte-t-il. À peine 5 minutes plus tard, quatre voitures du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie se garent devant chez lui. «J’étais en train de donner le biberon à ma fille et ils m’ont carrément ordonné de la poser par terre». Après une nuit de garde à vue et un interrogatoire plutôt musclé, il rentre chez lui et, surprise, la chambre de sa fille est entièrement vide, «plus de berceau, plus d’affaires, plus rien». Madame est partie chez ses parents avec l’enfant, à 300 kilomètres de là. La voiture d’un ami l’attendait d’ailleurs ce soir-là.
Des milliers de cas avérés
Thomas ne le sait pas encore, mais elle avait tout planifié depuis deux mois. L’expertise médicale pratiquée sur elle ne donnera rien, mais le mal est fait. Thomas en subit encore les conséquences: il ne peut voir sa fille qu’un samedi sur deux, pendant deux heures et demie, dans un lieu associatif médiatisé. Pourquoi? Thomas a fait l’erreur de ne point faire appel d’une première décision et de signer un acte d’acquiescement, par volonté d’apaisement. En cours d’année, il demande cependant que ses droits soient réexaminés. En décembre 2024, cinq jours avant l’audience, Madame dépose une nouvelle plainte en produisant une bande sonore trafiquée, que le juge ne retient pas. Un nouvel examen de la situation est programmé en février dernier: «J’ai fait l’autre erreur d’accepter ce long délai. Entretemps, le juge a tout oublié du dossier et fini par accéder à toutes les demandes de mon ex-conjointe. Faute de s’en rappeler, il a appliqué le principe de précaution», conclut Thomas.
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Le cas peut paraître lunaire, mais il est très répandu. Jocelyn*, 45 ans, travaille dans l’enseignement auprès de primo-délinquants en Guadeloupe et a subi le même type de plainte pour violences, avec l’habituel certificat médical de complaisance. «Madame n’a pu s’appuyer que sur une dermabrasion à la cheville gauche, évidemment pas de mon fait, et un peu ridicule quand on pense à la réalité des violences conjugales avérées. Je sais bien, en tant qu’éducateur, ce qu’est la provocation, et jamais je n’aurais été trop loin. En revanche, Madame m’a bien porté deux coups de poing, et j’ai moi aussi porté plainte, ce qui a fait rire les gendarmes. Elle a même admis la chose, mais ma plainte a été classée». Jocelyn voit ses enfants une fois par semaine, un mercredi sur deux et un week-end sur deux. Manipulation des enfants, fraude à la CAF de la mère et petits soucis de procédure pimentent un dossier sur lequel on pourrait aussi s’attarder fort longtemps.
L’histoire de Fabrice, 57 ans, commerçant, victime bien connue du principe de précaution et de l’acharnement d’une ex-compagne, est encore plus dramatique. Il a été accusé à tort de pédophilie en 2014, affaire classée sans suite au pénal, mais qui a fait des dégâts: dix ans plus tard, il ne voit ses deux enfants qu’un week-end sur deux, sans la nuitée du samedi au dimanche. Il en a fait un livre au titre évocateur: J’ai été accusé du pire. Le cas a également fait l’objet de reportages télévisés.
Ces situations sont aussi monnaie courante en Suisse (voir encadré). Laurent*, pacifique universitaire de 45 ans, a combattu trois ans les fausses accusations de pression psychologique et d’incompétence parentale d’une ex-concubine infidèle. Lors de l’audience dédiée aux «mesures provisionnelles», on lui retire leurs deux enfants (dont il s’occupait majoritairement) et l’autorité parentale sur l’aînée, née hors de Suisse. «J’ai assisté à une véritable mise en scène et découvert un système judiciaire complètement partial. Je ne savais même pas par où commencer mes réfutations», raconte-t-il. S’ajoutent à son malheur des contraintes économiques basées sur la notion suisse de «revenu hypothétique», alors qu’il a renoncé à une carrière internationale pour rester auprès de ses enfants. La pension s’élève à 4500 francs suisses par mois. Preuves à l’appui, il démonte tous les mensonges de Madame en vue du jugement définitif, et obtient une garde alternée. Mais la question financière se pose toujours. La partie adverse ira jusqu’à lui demander une contribution de 10'000 francs suisses, équivalent d’un salaire entier à son échelon. Sur ce point, il n’obtiendra gain de cause qu’en appel. Sa fille de 7 ans sera interrogée au début de la procédure. Elle révèlera que «maman a frappé papa» et que si on lui donnait une baguette magique, elle vivrait «avec maman et papa», propos que le tribunal «oubliera» de retranscrire! Si Laurent parvient aujourd’hui à se reconstruire, il confesse qu’il restera «marqué à vie».
Plaintes abusives: un sport national
S’il est délicat d’estimer précisément le nombre de ces pères malmenés, déshonorés ou déchus de leurs droits injustement, on peut facilement se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Sur Facebook, le groupe français «Papa en colère» compte aujourd’hui plus de 22'000 membres, et chaque semaine y sont postés des dizaines de témoignages plus édifiants les uns que les autres. De même, les associations dédiées comptent de plus en plus d’adhérents: «Je suis en place depuis une quinzaine d’années. À mon arrivée, nous étions environ 300 membres. Nous sommes aujourd’hui entre 700 et 800», confirme Jean Latizeau, président de SOS Papa.

Établies dans la moitié sud de la France, plusieurs sources policières nous confirment en outre la forte augmentation des dépôts de plainte pour harcèlement ou violences dans le cadre de séparations. «Cela pollue clairement le travail de nos services et les enquêtes. Démêler le vrai du faux prend un temps fou, et les accusations s’avèrent très souvent fausses», souligne l’une, ajoutant que «ce type de plaintes n’est pas nouveau, mais il s’est largement démocratisé, alors qu’il restait auparavant réservé aux milieux aisés». Un effet pervers de #MeToo? «Il est clair que ça n’a rien arrangé, la médiatisation de certaines affaires et les réseaux sociaux non plus. Mais malgré tout, l’installation du phénomène a été progressive».
«De manière générale, les citoyens, de plus en plus, portent plainte pour tout et n’importe quoi», conclut notre interlocuteur, policier depuis 30 ans, qui confesse qu’il a lui-même été visé par une plainte exagérée suite à sa séparation… Problème: toutes ces plaintes limitent le temps que les forces de l’ordre peuvent accorder à chacune, et par ricochet à celles, réellement sérieuses qui, faute d’avoir été enregistrées ou correctement traitées en temps et en heure, conduisent à des féminicides.
Dans bien des cas, ces plaintes sont déposées sur les conseils d’un(e) avocat(e). «Chaque professionnel pratique un peu comme il veut, et certains refusent par principe la voie amiable», commente Claire Gastellu, avocate au barreau de Paris, partisane de la garde alternée lorsque la situation le permet. «L’une de mes premières clientes, par exemple, avait d’abord été conseillée en ce sens. On peut adhérer ou non à ces méthodes. Personnellement, ce n’est pas ma manière de fonctionner». Là encore, difficile de chiffrer les abus, mais l’avocate nous décrit, pour l’anecdote, un dossier constitué contre un client en réponse à une proposition à l’amiable, et ce «parce Monsieur enlevait systématiquement les cartouches de l’imprimante».
Présomption de culpabilité
Il est d’autant plus difficile d’attribuer cette situation à des facteurs conjoncturels (comme #MeToo) qu’elle semble avant tout la conséquence d’une évolution sociétale, et donc structurelle: les couples se séparent davantage et, par ricochet, les cas conflictuels se multiplient… Cependant, #MeToo aurait quand même eu des effets directs. Jean Latizeau évoque notamment le dispositif des ordonnances de protection, lancé en 2010: «À l’époque, tout le monde a trouvé aberrant ce principe de saisir une juridiction sur la base de simples déclarations, sans véritable enquête, et l’ordonnance n’était pas appliquée. Son usage s’est probablement envolé à partir de 2017. Auparavant, personne ne nous contactait pour cela. Désormais, nous enregistrons des cas toutes les semaines».
«Je confirme que les demandes d’ordonnances de protection se sont multipliées», renchérit Nicolas*, qui exerçait jusqu’à récemment comme juge aux affaires familiales (JAF) dans le Grand Est (voir notre entretien). Une étude sur les violences faites aux femmes publiée fin 2023, fondée sur des données 2022 du ministère de la justice, le démontre clairement. En dix ans, de 2011 à 2021, le nombre de demandes d’ordonnance de protection serait passé d’un peu plus de 1600 à près de 6000. «Entre 2019 et 2021, le nombre de demandes s’établit à 4500 par an en moyenne. Sur cette même période, 66% des demandes ont été acceptées et 34% rejetées», indique le ministère.
Le mécanisme de ces ordonnances a d’ailleurs évolué le 13 juin 2024. Celles-ci peuvent désormais revêtir un caractère immédiat, renforçant le légitime dispositif de lutte contre les violences faites aux femmes, mais aussi, moins heureusement, la présomption de culpabilité pesant sur les pères.
Une «omerta médiatique»
Selon l’étude, «plus de 117'000 mis en cause ont été impliqués dans des affaires de violences au sein du couple traitées par les parquets en 2022. Les hommes représentent 87% de ces mis en cause. Sur 37'800 personnes condamnées en 2022 pour des violences au sein du couple, 94% étaient des hommes. Près de 50'000 personnes ont été mises en cause dans des affaires de violences sexuelles traitées par les parquets en 2022. 7500 personnes ont été condamnées. 99% étaient des hommes». Reste à expliquer l’important écart statistique entre les mises en cause et les condamnations effectives.
Les statistiques récentes font également défaut au chapitre des décisions rendues par les JAF, même si leurs conséquences sociales sont largement étudiées. Une étude de l’Insee remontant à 2020 précise que seulement 12% des enfants de parents séparés vivaient alors en résidence alternée. Le ministère de la Justice, lui, n’a pas publié d’étude depuis 2013 et une analyse plutôt restreinte, puisqu’elle ne portait que sur quelque 6000 décisions rendues par tous les JAF en deux semaines, en juin 2012. La plupart de nos interlocuteurs s’y réfèrent encore faute de mieux. Un chiffre, en particulier, a fait couler beaucoup d’encre : le taux de rejet de la résidence alternée se monte à 75% lorsque le père la demande et que la mère la refuse. Pour Jean Latizeau, «c’est tout simplement de la discrimination sexiste. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des procédures en appel pour les 25% de demandes paternelles acceptées en première instance».
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La lutte des associations de défense des droits des pères se concentre aujourd’hui beaucoup sur ce sujet de la garde alternée, actuellement l’objet d’une proposition de loi (n°819) visant à «renforcer l’égalité parentale après une séparation en instaurant un cadre plus équilibré pour les décisions de garde d’enfants». Cette proposition est soutenue par l’association «Défendre les enfants» et 80 députés d’horizons divers. Elle devrait être débattue dans les mois qui viennent. La Belgique et l’Italie ont déjà légiféré en la matière: le taux de garde alternée y tourne aujourd’hui autour de 40%.
Du désespoir au drame
En 2017, une proposition de loi avait déjà été déposée, bien que le texte en fût «peu pertinent» selon Jean Latizeau, qui souligne que derrière cet enjeu de la garde alternée se cachent bien souvent des considérations financières, détachées des intérêts de l’enfant. «À l’époque, la FNSF (Fédération nationale Solidarité Femmes) avait produit un communiqué qui le révélait clairement», expose-t-il. Ledit communiqué indiquait que «pour les familles monoparentales (à plus de 80% des femmes)», une telle loi «pourrait aboutir à la suppression des pensions alimentaires et au partage des allocations familiales».
Tous nos interlocuteurs déplorent au passage le silence médiatique sur ces questions. «Je n’arrive pas à faire publier d’article sur cette proposition de loi», explique Fabien Wald, de Défendre les enfants. Une foire aux questions concernant ce projet de loi a été mise en ligne pour avancer quelques arguments face aux inévitables critiques. Symptomatique: un premier papier a été produit par nos confrères de La Provence qui, sans prendre la peine d’interroger les promoteurs de cette loi (portée par la députée bretonne Christine Le Nabour), donne la parole à une association féministe opposée au projet. Plus généralement, Jean Latizeau parle de véritable «omerta médiatique» sur ce thème des pères détruits: «En 15 ans, j’ai dû faire trois plateaux télé. J’ai beaucoup sollicité les médias, souvent en vain», nous confie-t-il.

Autre angle mort: les suicides de pères privés de leurs enfants. Si discutables soient-ils, les chiffres évoqués par certains sont systématiquement minimisés, ou bien associés à d’autres causes, comme dans le cas des policiers, en dépit d’une apparente surreprésentation de pères séparés parmi ceux qui mettent fin à leurs jours. «Le chiffre de plus d’un millier de suicides par an que j’ai avancé, fruit d’une extrapolation certes un peu hardie, a été très contesté. Il n’en demeure pas moins que nous recevons régulièrement des témoignages dramatiques de cet ordre», explique Jean Latizeau, qui nous a envoyé celui de Louise, dont le compagnon divorcé, qui se battait depuis 7 ans pour voir ses trois enfants nés d’une première union, a mis fin à ses jours en 2022.
Justice sectaire?
«Ces sept longues années, que j’ai traversées à ses côtés, ont eu un impact psychologique évident: traumatisme lié à une garde à vue abusive alors qu’il venait chercher ses enfants pour le week-end, absence totale de réponse du défenseur des droits, conflit permanent, tension manifeste chaque week-end de garde, refus d’un commissariat de prendre en compte une non-représentation d’enfants sur la base de la bonne parole de la mère, durée de la procédure en raison de renvois successifs pour absence de conclusions de la partie adverse, etc. Je resterai concise, mais il y aurait tant à énumérer. Au-delà du seul arrêt de la Cour d’appel, c’est tout un système qui a broyé un homme», écrivait-elle à l’époque. L’occasion de souligner que nombre de femmes soutiennent le combat de ces pères démolis.
Le sentiment d’injustice génère chez beaucoup une compréhensible colère, souvent tournée contre la magistrature. Généralement, sont pointés du doigt les JAF, corps à plus de 80% composé de femmes. «Mon avis personnel est qu’il s’agit moins d’une question de sexe que de génération. Les anciens juges considèrent souvent que c’est à la mère de s’occuper des enfants, et au père de subvenir financièrement à leurs besoins», réagit Claire Gastellu. Un avis globalement partagé par Nicolas, notre JAF du Grand Est: «Les femmes JAF, tout comme les hommes d’ailleurs, n’ont aucun intérêt à faire étalage d’un quelconque militantisme en la matière», ajoute-t-il.
Pour autant, derrière la colère existe une juste mesure: on aurait tort d’associer à cette «révolte des pères» lésés un masculinisme exacerbé. Tous nos interlocuteurs reconnaissent l’importance de la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est d’ailleurs pour cela que leur propre mise en cause a constitué pour eux un véritable choc. À l’arrivée, les combats des pères injustement lésés et des mères victimes de violences ne sont peut-être pas aussi antinomiques qu’il n’y paraît…
Mais laissons le mot de la fin à Fabrice, notre « accusé du pire », qui détonne dans ce petit monde des pères en lutte, mais impressionne par son recul : « Le discours décrivant une justice sectaire est en partie justifié, avec ces décisions parfois ubuesques, mais on ne peut pas s’en contenter. Il faut aller au-delà et se demander ce que l’on peut faire. En lisant les jugements rendus, on se rend compte que les JAF ont une grille de lecture, et que les pères doivent davantage axer leurs demandes sur un projet de vie bien défini et en accord avec l’intérêt supérieur des enfants. On obtient de meilleurs résultats avec cette stratégie». Fabrice recommande également d’agir vite, «car les six mois que l’on perd au début sans voir ses enfants sont définitivement perdus». Belle leçon de dignité.
Pour L'Impertinent, le juge aux affaires familiales que nous avons prénommé Nicolas a accepté de répondre à quelques questions supplémentaires:
Julien Monchanin, pour L'Impertinent: comment expliquer ce chiffre de 2012 selon lequel 75% des demandes de garde alternée sont refusées aux pères lorsque la mère s'y oppose?
Nicolas: Il faut d’abord dire que manquent des chiffres à jour. Se fonder sur des données de 2012 ne correspond pas à la pratique actuelle, qui a beaucoup évolué depuis mes débuts dans la magistrature. Globalement, plus de la moitié des couples s’accordent sur les modalités de résidence des enfants, soit de manière informelle sans recours au juge, soit en faisant homologuer des conventions parentales, soit encore en passant devant le JAF tout en exprimant un accord. Dans les couples non mariés, lorsque les parents n’ont pas d’avocat, il est fréquent de trouver un consensus.
Lorsqu’il y a désaccord, je constate qu’il y a souvent un déficit de demandes de la part des pères par rapport aux mères, même s’il y a une volonté plus grande des pères de s’impliquer dans l’éducation des enfants. Les demandes de fixation de la résidence chez le père sont assez rares. Il y a davantage de demandes de résidence alternée. J’ai été confronté à des situations dans lesquelles la mère ne disposait pas des compétences requises pour élever au mieux les enfants, et les pères ne me demandaient pas toujours de fixer chez eux la résidence. Les causes sont multiples: charge professionnelle, difficulté à accueillir des enfants dans un nouveau couple, sentiment d’illégitimité de certains pères, autocensure…
Même pour la résidence alternée (RA), certains pères (parfois conseillés par leur avocat) n’osent pas faire de demande. Les demandes de RA émanent davantage de pères de milieux aisés. Elles sont occasionnellement motivées par des raisons fiscales. Lorsque le JAF est saisi d’une demande de RA, il raisonne toujours en fonction de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, avec des garde-fous : aptitude à s’occuper convenablement des enfants, distance géographique entre les domiciles, niveau de conflictualité entre les parents, avis des enfants, principe de ne pas séparer les fratries (appliqué avec souplesse) ou encore le très jeune âge de l’enfant, sujet non consensuel parmi les magistrats. Certains considèrent qu’avant 6 ans, on ne peut pas fixer de RA. D’autres descendent à un ou deux ans.
Les études sur la psychologie infantile suggèrent qu’il est préférable, dans la première année de vie de l’enfant, de maintenir une figure d’attachement unique (presque toujours la mère, sauf situation de danger). Au-delà, c’est débattu. Il me semble que la question mérite un débat démocratique qui dépasse le seul point de vue du magistrat. Personnellement, j’estime qu’il faut favoriser au maximum l’implication des pères dans la vie des enfants de couples séparés, le plus tôt possible. J’ai donc tendance à prévoir une RA lorsque rien de sérieux ne s’y oppose, y compris pour les jeunes enfants, l’idée étant d’éviter un éloignement qui se creuse avec les années.
Nos sources policières indiquent que les plaintes abusives de mères pour harcèlement ou violences progressent beaucoup depuis quelques années. Est-ce aussi votre sentiment?
Les affaires de violences intrafamiliales qui arrivent devant la justice ont explosé et toutes les juridictions sont écrasées par la masse de ces dossiers au pénal. Le fait de prendre systématiquement les plaintes, d’entendre les protagonistes y est pour beaucoup.
Je ne me sens pas légitime pour exprimer un point de vue sur le nombre de plaintes abusives. Il y a une tendance générale des parquets à toujours poursuivre les faits de violence avérés (avec certificat médical ou témoins). Pour le harcèlement, le niveau des poursuites est moindre, car les éléments constitutifs de l’infraction sont plus difficiles à démontrer. La pression politique est très forte en cas d’homicide, de sorte que les parquetiers préfèrent poursuivre en cas de doute, laissant au tribunal correctionnel le soin de trancher.
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J’ignore la part des plaintes abusives, mais il est sûr que le contexte de poursuites systématiques et le principe de précaution conduisent parfois à prendre des décisions défavorables aux pères mis en cause, dans l’attente d’un jugement. Le nombre d’affaires dans lesquelles on évoque un père violent, une «perversion narcissique», est en hausse significative. De même, le chiffre des demandes d’ordonnances de protection a explosé ces dernières années, ce qui met une grosse pression sur les JAF, qui doivent statuer rapidement.
Dans la pratique des JAF, il faut faire preuve de courage, lorsqu’une mère évoque des violences physiques, sexuelles ou psychologiques, pour maintenir les droits du père dans l’attente du retour des expertises. La tendance est de fixer un droit de visite « en lieu neutre » entretemps. Quand on sait que ces expertises prennent entre 4 et 6 mois et qu’ensuite, les avocats concluent chacun leur tour, cela signifie que les enfants ne voient plus leur père pendant un an qu’à raison d’une à 4 visites par mois, pendant quelques heures et sous surveillance.
Je peux citer un cas de père qui, depuis la naissance de sa fille, n’a pu la voir qu’au domicile maternel, sous le contrôle permanent de la mère. Il avait fait l’objet d’accusations fallacieuses d’attouchements sexuels. Bien que la version de la mère ne s’appuie sur aucun élément objectif, le JAF a ordonné une expertise et fixé un droit de visite en lieu neutre. Entretemps, la mère a déménagé à plus de 100 kilomètres, rendant impossible la mise en place de la RA sollicitée par le père.
Que peut-on dire de l'évolution du respect des décisions de justice et de la façon dont sont sanctionnés les défauts d’application? On pense aux non-représentations d'enfants.
On va dire pudiquement que la priorité des parquets n’est pas de faire respecter les prérogatives parentales. Les poursuites sont rares en cas de non-représentation d’enfants et les condamnations à des peines fermes sont rarissimes. Je n’ai condamné qu’une seule fois un père à une peine ferme pour non-représentation d’enfant : son fils s’était installé à son domicile contre la décision du JAF. Il avait été averti solennellement par la police, les JAF et le délégué du procureur. Il avait affirmé à l’audience qu’il préférait partir en prison plutôt que de respecter une décision contraire à la volonté de son fils. Je sais qu’il a fait appel de la peine de 3 mois fermes que j’avais donnée pour le principe.
Que dire de l’augmentation du volume d'affaires traité et de son impact sur la qualité des décisions ?
On a beaucoup déjudiciarisé en matière familiale. Entre le divorce par consentement mutuel par acte d’avocats et les conventions parentales, le juge n’intervient plus que pour traiter les situations les plus conflictuelles. Pour autant, ces situations sont nombreuses et en moyenne, un juge peut rendre entre 80 et 100 décisions par mois, ce qui laisse environ deux heures pour chacune. Et peut donc occasionner des erreurs.
Que pensez-vous de l’idée de légiférer pour généraliser la garde alternée?
Les magistrats sont trop soucieux du respect de la séparation des pouvoirs pour suggérer de légiférer sur le sujet de la RA. Mais en tant que citoyen, je pense qu’il serait souhaitable de le faire pour fixer un principe plus clair afin que la résidence alternée soit le mode de résidence par défaut dès lors que les conditions sont remplies. C’est en effet une règle qui concourt à l’égalité entre les parents. Je pense également qu’il serait opportun que le législateur fixe une règle d’âge (souple évidemment) pour éviter tout aléa judiciaire.
Quels autres points de la justice familiale vous semblent poser problème?
Il y a un sujet périphérique qui me préoccupe beaucoup en tant que JAF, c’est celui de l’éloignement géographique délibéré du parent chez qui la résidence est fixée. Il est hélas fréquent de voir des mères déménager avec les enfants à plus de 100 kilomètres pour priver les pères de leurs liens avec les enfants. Dans ma pratique, j’ai toujours indiqué aux parents que s’ils s’éloignaient sans motif impérieux du lieu où les enfants ont leurs attaches, cela entraînerait des conséquences sur la fixation de la résidence. En clair, si l’autre parent reste dans la même ville, je transfère la résidence des enfants chez ce parent, dès lors qu’il dispose des aptitudes et que les enfants n’y sont pas opposés. Je pense qu’il ne serait pas inutile de légiférer sur ce point, même si j’ai bien conscience qu’il est délicat de trouver une rédaction juridique satisfaisante pour une telle proposition.
*Prénoms modifiés
La vie de couple, qui plus est avec des enfants, est un exercice très difficile auquel la plupart des personnes ne sont pas préparées. L'amour conjugal n'est hélas pas un gage de bonheur. Beaucoup plus importants sont le respect de l'autre, l'amitié, l'écoute, l'acceptation des envies et des besoins de l'autre, le renoncement de certaines satisfactions personnelles, la compassion... tout ce dont on parle peu et que l'on enseigne de moins en moins aux enfants... y aurait-il une explication de cause à effet? Je constate aussi qu'il n'y a pas de jour sans un article dans les médias conventionnels qui relatent un "féminicide" (pourquoi pas un "meurtre"?), ou qui mettent en avant un exploit féminin (OK, mais pourquoi glorifier le…
Addendum à mon commentaire précédent: j'appuie mes remarques sur mon enseignement de plusieurs années du droit de la famille.
La garde alternée est une solution apparemment satisfaisante pour les deux parents mais pas forcément pour l'enfant sur les épaules de qui repose la responsabilité par exemple de gérer le déplacement de ses effets scolaires ou personnels, chaque fois qu'il change de lieu en particulier quand l'alternance porte sur des demi-semaines ou des délais assez courts. Mais je considère aussi que, trop souvent, la justice néglige les pères et que certaines mères n'ont aucun respect pour le besoin de père que peut avoir leur enfant. Trop souvent la garde alternée est prévue ou exclue dans l'intérêt des parents ou de l'un d'eux plutôt que de l'enfant.