L’importance de dissocier les informations des opinions
- Amèle Debey

- il y a 5 jours
- 3 min de lecture
À l’ère de l'avènement des réseaux sociaux, où tous les avis sont sur un pied d’égalité, nous manquons cruellement d'informations qui – si elles ne sont jamais neutres – tentent tout de même de répondre à des règles d’objectivité et d’éthique journalistique élémentaires. Alerte coup de gueule.

Ceci est un billet d’opinion qui vise à démontrer la vacuité des billets d’opinion, parce que l’humour est tout ce qui nous reste dans ce monde de brutes.
Je ne vous le cache pas: je suis en colère. Depuis quelque temps, on voit fleurir des médias d’opinions ou d’analyses qui gagnent en popularité, au détriment de l’information. Parce qu'on vit à une époque où les avis comptent plus que les faits. Des sortes de blogs améliorés, dont les auteurs se répandent en considérations sur des sujets variés en appelant ça du journalisme, du haut de leur légitimité autoproclamée.
Sur L'Impertinent, on paie des journalistes pour qu'ils fassent des enquêtes et forcément, ce n'est pas toujours explosif. Ça coûte cher et on est moins lus que ceux qui font uniquement de l'opinion. J'aimerais ici rappeler l'importance de dissocier les médias d'opinion des médias d'information. Car il me semble que les seconds sont en voie de disparition.
«Les avis, c’est comme les trous du cul: tout le monde en a un»
(Dirty Harry)
À force de faire la part belle à ces médias d'opinion, on en oublie ceux qui font de l’information. Une information qui – bien qu’inévitablement orientée par le choix et la hiérarchisation des sujets – obéit à une exigence: recouper, sourcer, contextualiser, et corriger quand on se trompe. Depuis sa création, L’Impertinent a publié une soixantaine d'enquêtes de fond, dont plusieurs scoops repris dans différents médias, et autant d'articles purement informatifs. C’est plus long, moins clinquant, souvent moins «viral» – et infiniment plus coûteux.
Alors oui, nous avons une rubrique opinion et laissons les gens s’exprimer au fil des interviews ainsi que chaque semaine, sous forme de chronique. Mais nous sommes clairs sur la catégorisation des papiers. Nous ne cherchons pas à faire croire au public que notre avis fait office de vérité en camouflant nos positions derrière des arguments d'autorité.
On nous reproche parfois de faire trop d’appels aux dons. Pendant ce temps, la concurrence mise sur la viralité de contenus polarisants – parce que c’est ce qui «vend» le mieux: titres choc, convictions instantanées, outrage en kit. L’opinion coûte peu et rapporte vite. L’information, elle, coûte cher: déplacements, heures d’interviews, demandes d’accès, vérifications juridiques, nuits blanches. Chez L’Impertinent, nos revenus servent à rémunérer des journalistes, parce que le travail journalistique – le vrai – mérite salaire. Je souhaite ici défendre l'implication d’une équipe dont je suis extrêmement fière et qui mérite d’être lue davantage. Nos titres sont moins cliquables et nos papiers plus nuancés, parce que la vérité nous importe davantage que la popularité.
Pourquoi l’opinion gagne-t-elle? Parce qu’elle rassure: elle vous donne une position en deux minutes, sans vous encombrer de faits récalcitrants. L’information, elle, dérange: elle complique les certitudes, elle oblige à lire, à comparer, à attendre qu’une hypothèse se vérifie. À l’heure où les extrêmes attirent et où la modération passe pour une faiblesse, nous refusons de céder aux sirènes de l'infotainment.
Ce que je défends ici est simple: dissocier clairement médias d’opinion et médias d’information. Les premiers ont leur place – avec leur subjectivité assumée. Les seconds sont en voie de disparition, car ils coûtent plus qu’ils ne rapportent à court terme. Or une démocratie n’a pas besoin de plus d’opinions; elle a besoin de faits documentés qui permettent de faire éclore le seul avis qui compte: celui des lecteurs.
Nous continuerons donc à faire ce que nous faisons: poser des questions, vérifier les réponses, publier des choses parfois moins «sexy» – mais justes. Si vous voulez que ces pratiques existent encore demain, soutenez-les aujourd’hui. Abonnez-vous, partagez nos enquêtes, exigez des étiquettes claires, récompensez la lenteur utile plutôt que la vitesse stérile.
Les avis font du bruit. Les faits font avancer les choses. Choisissez ce qui a le plus d'utilité.




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