«Guerre hybride» russe: une menace gonflée par des fake news récurrentes
- Maxime Chaix, Rhône-Alpes

- il y a 5 jours
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La notion de «guerre hybride» russe martelée par les médias et les politiciens occidentaux se fonde souvent sur des accusations fausses ou non prouvées. L'enjeu majeur de ce qui semble constituer une guerre cognitive à usage interne serait, pour les dirigeants européens, la fabrique d’un consentement en faveur des complexes militaro-industriels occidentaux, au détriment de leurs propres peuples et de la nécessaire recherche d’une désescalade des tensions avec la Russie.

Dans un monde saturé de récits stratégiques, la frontière entre information et propagande s’efface, y compris en Occident. Ce «journalisme hybride», miroir des guerres cognitives qu’il alimente, s’autorise à jouer sur deux tableaux: informer quand c’est possible, orienter quand c’est nécessaire. Une logique que l’on peut déceler dans une récente chronique de François Clémenceau, qui cherche à convaincre son lectorat que les objets volants détectés ces derniers temps dans les cieux européens étaient, à l’évidence, déployés par Vladimir Poutine. Soulignant toutefois qu’il n’existe «aucune preuve matérielle (…) que ces drones aperçus (…) dans les espaces aériens danois, norvégien, allemand ou belge soient russes», il estime que «le plus probable reste qu’il s’agit de petits drones verts», en référence aux «petits hommes verts» envoyés par le Kremlin pour prendre la péninsule criméenne en février 2014.
Il omet cependant de rappeler que, selon Barack Obama lui-même, «M. Poutine a pris cette décision [d’annexer] la Crimée et [de déstabiliser] l’Ukraine non pas dans le cadre d’une grande stratégie, mais essentiellement parce qu’il a été pris de court par les manifestations du Maïdan et la fuite [du président] Ianoukovitch, après que nous avons négocié un accord pour une transition du pouvoir en Ukraine», qualifiant cette réponse militaire russe d’«improvisation». En d’autres termes, le renversement du président ukrainien par le mouvement Maïdan en février 2014, qui était notoirement soutenu par Washington, est considéré par Obama comme étant «la cause» de cette annexion de la Crimée, alors que la Russie souhaitait réchauffer ses relations tumultueuses avec l’Ukraine en novembre 2013 – et non s’emparer de ses territoires.
Pour nos journalistes hybrides, il est inutile de chercher à comprendre les causes réelles de l’agressivité du Léviathan russe; ils se contentent le plus souvent de décrire son chef – certes critiquable à bien des égards –, comme un «nouvel Hitler» menaçant d’envahir l’Europe car il incarnerait le «mal absolu». Dès lors, toute démarche d’explication des préoccupations sécuritaires de l’adversaire est assimilée à du «poutinisme», et tout appel à la diplomatie est associé à l’«esprit munichois» qui avait précédé la Seconde Guerre mondiale.
En Occident, l’amnésie stratégique qui nous est imposée par cette grille de lecture orwellienne est totale. Le demi-siècle de provocations états-uniennes ayant conduit à l’invasion russe de février 2022 est effacé de notre conscience collective au profit du mythe de l’agression «non provoquée». L’empathie cognitive – soit le fait de chercher à comprendre la partie adverse sans pour autant adhérer à sa vision du monde –, n’est pas tolérée dans notre débat public lorsqu’il est question de nos rivaux stratégiques, Russie en tête. À l’instar d’une majorité de ses confrères, François Clémenceau nous dispense donc de toute contextualisation historique du conflit russo-ukrainien, puis nous explique que ces drones, dont il ne peut démontrer l’origine russe à l’instant où sa chronique est publiée, sont «une version nouvelle de la guerre hybride que mène la Russie dans cette partie de l’Union européenne où l’on se réarme à toute vitesse, notamment autour de la mer Baltique, en Finlande ou en Suède par exemple, nouveaux membres de l’OTAN. Si nous étions à la place de Vladimir Poutine, n’agirions-nous pas avec le même genre de réflexes?»
Ce type de raisonnement sophistiqué est malheureusement familier: d’après la plupart des dirigeants occidentaux et leurs relais médiatiques, la Russie était le seul coupable possible dans le sabotage des gazoducs Nord Stream. Selon eux, Poutine utilisait des navires commerciaux pour dégrader des câbles sous-marins dans les profondeurs de la Baltique. Plus récemment, l’armée russe a été accusée d’avoir brouillé le signal GPS de l’avion d’Ursula von der Leyen, puis celui de la ministre de la Défense espagnole. Dans cette même période, si l’on en croyait l’Élysée, Moscou avait utilisé un navire de sa «flotte fantôme» comme plateforme de lancement de ces drones-OVNIS, que la plupart des experts et des journalistes attribuent à la Russie. Or, ces allégations ont été soit démenties, soit non prouvées jusqu’à présent, fragilisant le narratif de nos dirigeants sur la «guerre hybride» russe et la crédibilité des médias occidentaux – dont l’unanimisme pro-guerre par procuration en Ukraine empêche tout débat public sain et rationnel sur cette question pourtant cruciale.
L’affaire Nord Stream: complotisme antirusse, puis accusations douteuses contre l’Ukraine
Dans le cas du sabotage de Nord Stream, les responsables occidentaux – appuyés par des officiers de l’OTAN à la retraite et les journalistes hybrides qui leur donnent la parole –, ont majoritairement accusé la Russie d’être à l’origine de cette attaque, et ce avant toute enquête. Discréditée à partir de décembre 2022, cette hypothèse «complotiste» avait été présentée comme une quasi-certitude par de nombreux médias, chercheurs et politiciens occidentaux.
Excluant désormais toute implication russe dans ces attaques, la justice allemande suspecte officiellement une équipe de six Ukrainiens d’avoir saboté ces gazoducs depuis un bateau de plaisance loué en Allemagne à une société basée en Pologne. Officieusement, comme l’avait rapporté le New York Times en avril 2023, «les autorités judiciaires [allemandes] soupçonnent (…) que ce yacht de 15 mètres, l’Andromeda, n’était probablement pas le seul navire utilisé dans cette attaque audacieuse. Ils estiment (…) que ce bateau pourrait avoir été un leurre, mis en mer pour détourner l’attention des véritables auteurs, qui sont toujours en fuite, selon des responsables informés d’une investigation dirigée par le procureur général d’Allemagne. Ils se sont exprimés anonymement pour partager des détails sur l’enquête en cours, y compris des doutes sur le rôle de l’Andromeda qui n’avaient pas encore été rapportés par d’autres médias, et qui sont encore aujourd’hui refoulés du débat public. Toujours selon le New York Times, «des responsables états-uniens et européens ont déclaré (…) qu’ils partageaient le scepticisme allemand quant à l’idée qu’un équipage de six personnes à bord d’un seul voilier ait posé les centaines de kilos d’explosifs qui ont désactivé Nord Stream 1 et une partie de Nord Stream 2, un ensemble de gazoducs plus récent qui n’avait pas encore commencé à livrer du gaz aux clients.»
Tandis que deux suspects ukrainiens de l’Andromeda ont été arrêtés en Italie et en Pologne ces derniers mois, mais qu’ils nient toute responsabilité dans ce sabotage, nos journalistes hybrides continuent de relayer massivement la thèse d’une attaque ukrainienne – ignorant les doutes des responsables états-uniens, allemands et européens susmentionnés, et le faisceau d’indices qui pointe vers une probable opération clandestine de la CIA et de ses alliés norvégiens. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le scepticisme occidental concernant la piste de l’Andromeda se fonde sur des éléments techniques, qui sont toujours valables aujourd’hui. Comme l’avait révélé le New York Times dans l’article précité, «des experts ont noté que, bien que poser manuellement des explosifs sur les gazoducs soit théoriquement possible, même des plongeurs expérimentés auraient du mal à s’immerger à plus de 60 mètres de profondeur et à remonter lentement à la surface pour laisser le temps à leur corps de se décompresser. Une telle opération aurait nécessité plusieurs plongées, exposant l’Andromeda à une détection par des navires à proximité. La mission aurait été plus facile à dissimuler et à réaliser en utilisant des véhicules submersibles télépilotés ou de petits sous-marins, ont déclaré des experts en plongée et en récupération ayant travaillé dans la zone de l’explosion, caractérisée par des mers agitées et un trafic maritime dense.»
Alors que les magistrats polonais ont refusé l’extradition de l’un des deux suspects de l’Andromeda demandée par Berlin – et que la justice italienne est divisée sur cette question –, il est probable que l’enquête sur cet acte de guerre perpétré notamment contre l’Allemagne ne puisse avancer, et que les véritables exécutants et commanditaires de ce sabotage ne soient jamais retrouvés. Dans tous les cas, la piste russe est définitivement exclue, et la thèse d’une responsabilité ukrainienne dans cette attaque – renforcée par un article du Wall Street Journal qui disculpe opportunément Zelensky et ses alliés de la CIA –, est en train de s’implanter dans notre inconscient collectif.
Ne s’étant jamais excusés d’avoir désigné, sans éléments probants, la Russie comme responsable du sabotage de Nord Stream, nos journalistes hybrides et leurs experts ne s’intéressent pas davantage à la fiabilité pour le moins discutable de la thèse de l’Andromeda. Estimant que ces gazoducs n’auraient jamais dû être construits, et qu’il était donc légitime de les détruire, la justice et le gouvernement polonais renforcent la crédibilité pourtant douteuse de cette piste ukrainienne alors que leur actuel ministre des Affaires étrangères – le néoconservateur Radosław Sikorski –, avait publiquement remercié les États-Unis d’avoir perpétré ce sabotage.
Les ruptures de câbles dans la Baltique: des accidents, selon des sources sécuritaires et judiciaires occidentales
Dans la construction du narratif autour de la «guerre hybride» du Kremlin, d’autres campagnes médiatiques ont été lancées en suivant un schéma similaire à l’affaire Nord Stream: un événement déstabilisant survient sur le territoire européen, Poutine en est immédiatement désigné comme l’évident responsable et, plusieurs mois après, sa culpabilité est démentie sans que les rédactions ne s’excusent d’avoir relayé une nouvelle théorie complotiste à leurs audiences.
En novembre 2024, le journal Le Monde a publié un article qui est un cas d’école de ce journalisme hybride: «L’incertitude et le doute. Voilà deux armes que la Russie manie avec succès pour déstabiliser ses adversaires européens. Dans la Baltique, deux câbles de fibre optique sous-marins, l’un reliant la Suède à la Lituanie, l’autre la Finlande à l’Allemagne, ont subi des coupures, dimanche 17 et lundi 18 novembre au matin. Sabotage ou coïncidence? Des enquêtes ont été ouvertes, mais six pays européens – dont la France – n’ont pas attendu pour accuser (…) les Russes d’attaques hybrides “sans précédent par leur variété et leur ampleur” contre des pays de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. (…) “Personne ne croit que ces câbles ont été coupés accidentellement”, a déclaré le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, avant une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles, évoquant même un possible “sabotage”.» À l’évidence, le ton employé dans cet article ne peut qu’ancrer dans l’esprit du lecteur l’idée que ces coupures de câbles résulteraient inévitablement d’une opération des services spéciaux russes.

En réalité, tel que révélé deux mois plus tard par le Washington Post, «les ruptures de câbles sous-marins qui ont inquiété les responsables européens de la sécurité ces derniers mois seraient probablement le résultat d’accidents maritimes plutôt que de sabotages russes, selon plusieurs responsables des agences de renseignement états-uniennes et européennes. Cette conclusion reflète un consensus émergent au sein des services de sécurité occidentaux, d’après de hauts responsables de trois pays impliqués dans les enquêtes en cours sur une série d’incidents au cours desquels des lignes sous-marines essentielles d’énergie et de communication ont été sectionnées.»
D’après ce même Washington Post, qui avait contribué à propager la thèse des sabotages russes dans la Baltique, «les enquêtes menées avec la participation des États-Unis et d’une demi-douzaine de services de sécurité européens n’ont révélé aucun indice que les navires commerciaux soupçonnés d’avoir traîné leurs ancres sur les systèmes sous-marins l’aient fait intentionnellement ou sous la direction de Moscou. Au contraire, des responsables états-uniens et européens ont affirmé que les éléments recueillis à ce jour – notamment des communications interceptées et d’autres renseignements classifiés –, pointent vers des accidents causés par des équipages inexpérimentés à bord de navires mal entretenus.»
Récemment, un tribunal finlandais a conforté ces évaluations en relaxant trois membres de l’équipage du pétrolier Eagle S, estimant que le parquet d’Helsinki, qui a fait appel de cette décision, n’avait pas fourni d’éléments suffisants pour accréditer la thèse d’un sabotage délibéré. En décembre 2024, nous apprenions qu’aucun équipement d’espionnage russe n’avait été retrouvé à bord de ce navire suspecté de faire partie de la «flotte fantôme» du Kremlin, invalidant des allégations de la revue britannique Lloyd’s List reprises par nos journalistes hybrides, y compris après que cette information eut été démentie. D’autres bateaux commerciaux, tels que le Yezvhen et le Yi Peng 3, ont été accusés d’avoir volontairement sectionné des câbles sous-marins dans la Baltique pour le compte de la Russie, mais leurs équipages respectifs ont été mis hors de cause. Pourtant, les médias occidentaux ont décrit chacun des évènements précités comme des actions hostiles de la Russie – à tort et sans la moindre preuve –, renforçant le narratif anxiogène d’une «guerre hybride» menée par Moscou en mer Baltique et au-delà. Ce récit contribue à entretenir un climat de tension et de peur qui rend toujours plus improbable une issue diplomatique au conflit russo-ukrainien, tandis que les populations européennes sont conditionnées à croire en l’inéluctabilité d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie.
L’affaire des brouillages de GPS: les mensonges de la Commission européenne
Ce climat d’hystérie collective autour de la «guerre hybride» russe s’est renforcé le 1ᵉʳ septembre dernier. Ce jour-là, l’avion d’Ursula von der Leyen aurait été victime d’un brouillage délibéré du signal GPS de son avion par la Russie, alors qu’elle était en tournée européenne pour promouvoir les plans de guerre occidentaux en Ukraine. Comme l’a résumé Euronews, «le Financial Times a révélé (…) que l’avion de Madame von der Leyen (…) avait tourné autour de l’aéroport [bulgare] de Plovdiv pendant une heure, utilisant des cartes en papier pour atterrir, après avoir été la cible d’une “interférence GPS russe présumée”.» Or, cette allégation a été contestée quelques heures après par «le célèbre site de suivi des vols FlightRadar24 [, qui] a publié une déclaration dans laquelle il mettait en doute l’idée qu’il y ait eu un brouillage du GPS dans la région de Plovdiv au moment de l’atterrissage de l’avion. Les données fournies par FlightRadar24 ont également révélé que le vol avait duré neuf minutes de plus que prévu, contredisant l’affirmation initiale du Financial Times selon laquelle l’avion avait tourné autour de l’aéroport de Plovdiv pendant une heure.»
La Bulgarie a également apporté des démentis aux allégations de la Commission européenne, qui avait déclaré le jour même «avoir reçu des informations des autorités bulgares suggérant que le brouillage présumé était “dû à une ingérence flagrante de la Russie”.» Or, le Vice-premier ministre Grozdan Karadjov a affirmé que son gouvernement n’avait transmis aucune information suggérant une interférence russe, soulignant que les relevés de l’AESA mentionnaient seulement des «problèmes mineurs» avec le GPS, et que les ordinateurs de l’avion devaient encore être examinés. Le premier ministre Rossen Jeliazkov a indiqué qu’aucune preuve de brouillage prolongé n’avait été détectée par les instruments au sol, tout en reconnaissant que des dispositifs embarqués pourraient avoir été affectés. Il a finalement ordonné une enquête officielle sur l’incident, qui pourrait permettre de valider ou de démentir les graves accusations de la Commission européenne.
Des allégations similaires ont émergé une vingtaine de jours plus tard, après que l’avion de la ministre de la Défense espagnole aurait été ciblé par un bouillage GPS. Tel que résumé par BFM, «au moment où s’est produit [cet événement], la ministre se trouvait au-dessus de la mer Baltique, près de la ville russe de Kaliningrad. Margarita Robles se rendait sur une base lituanienne où sont stationnés des soldats espagnols dans le cadre des actions coordonnées avec l’OTAN. Interrogé par Europa Press, un commandant de bord a néanmoins minimisé l’incident, expliquant qu’il était fréquent qu’un brouillage GPS soit effectué sur des avions civils ou militaires survolant des zones de conflit, principalement proche de la frontière avec la Russie.» Par la suite, un porte-parole du ministère de la Défense espagnol a évoqué une simple «“tentative de brouillage du signal GPS”. L’avion dans lequel se trouvait Margarita Robles disposait d’un système crypté, et le vol à destination de la Lituanie n’a pas été “affecté”. “Nous pouvons voir si quelqu’un essaie” de pirater l’appareil, a poursuivi cette source, précisant que “cela semble être habituel sur cet itinéraire, y compris pour les vols commerciaux” dans cette zone proche de la mer Baltique et écartant l’idée que la ministre espagnole ait été spécifiquement visée».
Trois semaines auparavant, le premier ministre bulgare avait lui aussi exclu la possibilité que l’avion d’Ursula von der Leyen ait été directement ciblé, contrairement aux allégations de la Commission européenne. Il semblerait au contraire que les activités de guerre électronique russe, notamment depuis la Crimée et l’enclave de Kaliningrad, engendrent des perturbations récurrentes dans les espaces aériens avoisinants. Dans tous les cas, ces accusations de brouillages russes intentionnels contre deux dirigeantes européennes sont opportunes pour Washington. En effet, le gouvernement espagnol s’oppose à la hausse des budgets de défense à 5% du PIB souhaitée par Donald Trump, et Ursula von der Leyen défend au contraire une explosion des dépenses militaires en Europe. Dans ce contexte, le fait d’attiser la crainte de la «guerre hybride» russe en dramatisant des incidents mineurs et prévisibles ne peut que favoriser les intérêts des États-Unis, dont le complexe militaro-industriel devrait massivement bénéficier de la hausse vertigineuse des budgets militaires prévue au sein de l’Union européenne. En effet, alors qu’Ursula von der Leyen et d’autres dirigeants européens appellent à mettre en priorité les achats d’armements européens, notre base industrielle de défense est fragmentée et sous-financée depuis des décennies, contrairement à celle des États-Unis qui domine largement le marché mondial des exportations d’armes.
Les incursions de drones en Europe: Poutine testerait l’OTAN, mais rien ne le prouve
Moins médiatisé, un autre brouillage a engendré une nouvelle escalade dans ce qui semble être une véritable guerre cognitive des puissances européennes contre leurs propres populations. En effet, les nombreuses fake news dénoncées dans cet article alimentent un climat de peur généralisée autour d’une «guerre hybride» russe à l’ampleur nettement exagérée, le tout au profit des firmes de défense européennes et, en particulier, états-uniennes.
Dans la nuit du 9 au 10 septembre, Vladimir Poutine aurait cherché à «tester» les défenses de l’OTAN en introduisant 19 drones non armés dans l’espace aérien de la Pologne. Massivement décrit comme une provocation russe intentionnelle, cet événement semble avoir été engendré accidentellement. En effet, la Biélorussie, dont le président est un proche allié du Kremlin, a prévenu à l’avance les autorités polonaises de l’incursion de drones du fait de brouillages engendrés par des mesures de guerre électronique lors d’une attaque russe en Ukraine. Se déclarant surpris de cette initiative biélorusse, le chef d’état-major des armées polonais l’a confirmée tout en la qualifiant d’«utile». En d’autres termes, la pénétration de drones dans l’espace aérien polonais n’avait manifestement pas été prévue par Vladimir Poutine, contrairement à ce qu’ont répété les dirigeants occidentaux et leurs relais médiatiques. À partir de cette séquence, les «petits drones verts» évoqués au début de cet article ont été signalés dans plusieurs pays européens, sans qu’il ne soit possible de les attribuer formellement à la Russie jusqu’à présent.
Malgré cette absence de preuves d’une campagne de drones russes dans les cieux de l’Union européenne, le ministre des Affaires étrangères polonais Radosław Sikorski a déclaré que le Kremlin frapperait le territoire de l’Union européenne «en profondeur», et qu’il était donc «irresponsable» de ne pas construire un «mur anti-drones» dont l’efficacité est pourtant remise en cause par un certain nombre d’experts, y compris par le chef d’état-major de l’armée de terre française. Deux semaines plus tôt, un pétrolier de la «flotte fantôme» russe accusé d’avoir servi de plateforme de lancement de drones contre le Danemark a été arraisonné au large de la Bretagne, au moment où se réunissaient à Copenhague les chefs d’État européens pour discuter de ce mur anti-drones et des mesures de soutien militaire à l’Ukraine. L’équipage de ce navire a été placé en garde à vue mais cette accusation s’est avérée infondée, la seule charge de refus d’obtempérer ayant été retenue contre le capitaine de ce bateau. Comme dans les cas précédents, une allégation douteuse s’est largement diffusée dans la presse avant d’être démentie, ce qui a renforcé le climat d’hystérie collective autour de la «guerre hybride» russe, mais qui ne peut qu’affaiblir la crédibilité des médias et des institutions qui l’ont relayée.
L’alibi de la «guerre hybride» russe et la fabrique d’un consentement militariste en Europe
Dans un espace médiatique occidental sans cesse plus orwellien – en particulier lorsqu’il est question de Vladimir Poutine –, peu d’analystes osent mettre en doute les narratifs dominants ou, a minima, souligner qu’il est contraire à la déontologie d’accuser un pays d’actes graves sans preuve formelle. Quelques exceptions au conformisme ambiant peuvent être observées à de rares occasions, comme lorsque Richard Werly a subtilement expliqué sur le plateau de LCI pourquoi la menace des drones russes en Europe était probablement exagérée, pour ne pas dire inventée: «Il faut arriver à convaincre l’opinion de la nécessité d’investir dans la défense. Et l’un des moyens [d’y parvenir,] c’est qu’il y ait une menace! Disons les choses comme elles sont!, a déclaré le journaliste. C’est pour ça que cette menace qui se matérialise à travers les drones, il est vrai qu’elle concourt à augmenter les budgets de la défense, et donc, le message aux opinions publiques [européennes] est: “Vous êtes menacées, vous devez vous défendre !” Et il est normal que les gens s’interrogent. (…) Prenons les choses à l’inverse: (…) on peut très bien imaginer que des groupes plutôt pro-militaires occidentaux [mènent] des attaques de drones qui ne présentent aucun risque pour que ça aille plus vite au niveau des financements [de la défense]. Excusez-moi mais l’Histoire a montré que ça arrive», le général Chauvancy, lui aussi présent sur ce plateau, confirmant cette possibilité.
Alors que nos confrères ne cessent d’alerter sur la «guerre hybride» russe – souvent au mépris des règles déontologiques les plus élémentaires –, ne devraient-ils pas enquêter sur cette hypothèse de Werly, qui impliquerait une guerre cognitive des dirigeants européens contre leurs propres populations? En effet, alors que les sanctions occidentales ont lourdement affecté l’économie européenne, et que les États membres de l’OTAN subissent la pression de Washington pour accroître leurs dépenses militaires, les marges budgétaires pour financer ce réarmement resteront limitées.
Ce retour du militarisme européen entraînera probablement des coupes sévères dans les secteurs de la santé, du social, de l’éducation et de la transition écologique. Cette tendance se dessine déjà en France, où le gouvernement prévoit d’augmenter le budget de la défense de 6,7 milliards d’euros, tout en réduisant de 7,1 milliards les dépenses de santé. Sans tirer de conclusions hâtives, l’on constate que la diffusion répétée de fake news contribue à renforcer la perception d’une «guerre hybride» russe, qui sert de prétexte à une guerre sociale inavouée au bénéfice des complexes militaro-industriels occidentaux et de leurs actionnaires.
Le climat délétère qui en résulte nous éloigne sans cesse davantage d’une désescalade des tensions avec la Russie, la diplomatie étant assimilée à de l’«apaisement» face à Moscou. À l’ère de la guerre cognitive, votre esprit devient le champ de bataille, mais les adversaires les plus redoutables ne sont peut-être pas ceux que les journalistes hybrides vous désignent.




Et, pendant ce temps-là, les médias dominants se réjouissent que des installations pétrolières russes soient endommagées par des drones annoncés comme ukrainiens..., même lorsque ces attaques se font en Sibérie. Aucun "expert" pour nous expliquer comment l'Ukraine arriverait à déployer ces drones! Comme si la Russie était aveugle est laissait transiter des navires ukrainiens par la route du Nord... Or, quelle nation belliqueuse et hostile à la Russie (et à la Chine) se trouve voisine de la Sibérie? Les États-Unis d'Amérique par l'état d'Alaska. Mais, pour ces journalistes sans déontologie qui se répandent dans les médias de l'oligarchie occidentale, ce ne doit avoir aucune importance.
Merci d'essayer d'ouvrir les yeux des Européens. Ils sont hypnotisés par l'OTAN et catéchisés par certains de leurs hommes d'Etat qui cherchent à faire oublier leur propre impéritie.
" En effet, alors que les sanctions occidentales ont lourdement affecté l’économie européenne, ... "
Le terme légal pour des " sanctions " illégales est embargo, qui vaut une déclaration de guerre.
Seul le Conseil de sécurité de l'ONU peut décréter des sanctions.
Je trouve d'autant plus irritant de trouver ce mensonge répétée par l'Impertinent que les accusateurs ont violé les accords de Minsk après avoir organisé un coup d'État. Victoria Nuland a avoué au Sénat avoir disposé de 5 milliards de dollars pour prendre le contrôle de l'Ukraine. A supposer que des sanctions soient pertinentes, comment se fait-il que les EUA n'aient jamais été sanctionnés ?
Merci pour un éclairage honnête de la situation.
Très bon article. Il manque une chose à mon goût. l'Ukraine actuelle est un projet des neocons américains et il est absolument impossible que des Ukrainiens soient allés d'eux mêmes détruire nord stream2 sans l'accord des USA. C'est un crime de guerre majeur de cette guerre. J'ai beaucoup de peine à comprendre pourquoi les USA ne sont pas mentionnés à chaque fois. Ils l'avaient annoncé, il s'en sont réjouis. Ça suffit amplement.
Ce fait empêche de souligner a quel point au final cette guerre d'Ukraine a ete imposée à l'Europe, pour la punir de vouloir s'émanciper des USA par la Russie. Et c'est pas pour rien que les USA se retirent du conflit et le laissent gérer aux européens qui…