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«L'existence de réseaux pédophiles est une évidence»

Ancien journaliste devenu défenseur des droits de l’enfant, Georges Glatz est connu en francophonie comme l’un des piliers de la lutte contre la pédocriminalité. A la tête du Comité international pour la dignité de l’enfant (CIDE), qu’il a fondé dans les années 90, ce héros des temps modernes continue à se battre pour sauver des enfants malgré une attaque cérébrale qui a bien failli le forcer à déposer les armes il y a quelques années. Rencontre.

George Glatz
© DR

 

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Amèle Debey, pour L’Impertinent: Vous êtes le fondateur du CIDE, pourriez-vous nous expliquer ce que c’est?

 

Georges Glatz: C’est une organisation humanitaire qui a d’abord été créée sous la forme d’une association, puis d’une fondation. L’idée est de venir en aide aux enfants maltraités. Notre but est de veiller au respect de la Convention relative aux droits de l’enfant de l'ONU.

 

Pendant vingt-huit ans, nous ne comptions que sur les dons. La médiatisation de certaines de nos affaires nous a permis de gagner une certaine notoriété. Il y a quinze ans, j’ai subi un AVC qui m’a fortement affaibli. Mais c'est il y a trois ans que j’ai véritablement songé à cesser les activités que je menais pour le CIDE, car tout seul je n’y arrivais plus. Mais j’ai été convaincu de continuer le combat par un mécène qui a décidé de me soutenir financièrement quelque temps.

 

Depuis deux ans, je peux donc payer une juriste spécialisée dans les droits de l’enfant à 50%, ainsi qu’une assistante sociale à 40%. Bien évidemment, nous avons besoin d’autres sources de financement pour développer notre action et assurer l’avenir de la Fondation.


«Il est temps de prévoir la suite pour la Fondation»

Il y a également des bénévoles qui donnent un coup de main. Et de temps en temps, lorsque je reçois des dons, je peux mandater des personnes externes pour des enquêtes par exemple.

 

Tout récemment, nous avons signé un mandat avec un ancien magistrat français, Thilo Firchow, avec qui nous allons bientôt inaugurer une antenne à Paris. J’en suis très heureux, cette personne est extrêmement compétente et il est temps de prévoir la suite pour la Fondation.


La Convention des droits de l’enfant date de 1989, ce qui est relativement récent. La société a-t-elle mis du temps à s’intéresser aux droits des enfants selon vous?

 

Oui, en effet. Avant cette convention, l’enfant n’était juridiquement pas considéré comme une personne et pendant longtemps on a cru qu’un bébé ne ressentait pas la douleur. Il a fallu que la science démontre qu’il pouvait souffrir pour que les médecins changent leur pratique. Mais il y a encore beaucoup à faire pour défendre les droits des enfants.


Par exemple, le CIDE s’occupe actuellement d’un cas où le témoignage de l’enfant n’est pas entendu par la justice. Lorsqu’un curateur est chargé de défendre la parole de l’enfant, s’il n’est pas adéquat – ce qui arrive souvent malheureusement – l’enfant n’est pas entendu.

 

L’enfant n’est pas un électeur et malheureusement les politiciens pensent souvent à sa place.

 

Comment se fait-il que les curateurs soient souvent inadaptés?

 

Pour tous les professionnels dans le domaine de l’enfance, des assistants sociaux aux juges, on devrait définir des critères d’empathie dans les formations. Ces critères doivent être sélectifs, c’est-à-dire que si les candidats à des postes de professionnels de l’enfance n’ont pas un minimum d’empathie, ils devraient être écartés de la profession. Par exemple un avocat spécialisé dans le droit des assurances n’est pas forcément compétent pour être un curateur adéquat.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à fonder le CIDE?

 

Je le dois à mes parents. Ils ont été exemplaires à mes yeux. Ils plaçaient la solidarité et le soutien envers les plus faibles en haute estime. Ils étaient ouverts aux autres et il était important pour eux que leur entourage aille bien.

 

Quand j’étais journaliste et que je travaillais pour Temps présent, l’émission phare de la télévision suisse, j’ai été confronté à des souffrances d’enfants qui m’ont particulièrement marqué. J’ai vu des enfants mourir de faim dans mes bras. D’autres qui récupéraient des grains de riz dans la boue comme seule alimentation. Je n’oublierai jamais ces images.

 

En Ouganda, j’ai été confronté à une situation de panique où il était question de fuir l’arrivée des rebelles. Lorsqu’il a fallu mettre les enfants dans un camion afin de s’échapper, il y en a un qui est resté derrière, faute de place. J’ai cherché à le sauver et on m’a dit de l’abandonner, comme s’il était déjà mort. Lorsque je l’ai pris dans mes bras pour le charger dans le camion, j’ai été parcouru d’un frisson. J’ai eu l’impression qu’il allait s’effriter entre mes mains, comme du papyrus. Cela m’a profondément marqué.


«La rédaction de Temps présent n'était pas intéressée par un sujet sur une agence de voyage pour pédophiles»

 

Un peu plus tard, en 1992, j’ai souhaité réaliser un sujet sur une agence de voyages suisse spécialisée dans les voyages pour pédophiles, toujours pour la télévision suisse. A l’époque, ma rédaction m’a dit qu’elle n’était pas intéressée par ce sujet. Il n’était apparemment pas dans l’air du temps.

 

Cela m’a tellement énervé que j’ai donné l’information à un journaliste de L’Hebdo qui a enquêté sur cette agence. Suite à ce reportage, le CIDE a déposé plainte et l’agence a dû fermer ses portes.


Article Hebdo

 

Sur le plan de la maltraitance des enfants, il semble y avoir tellement à faire. Comment choisissez-vous les cas dont vous vous occupez?

 

J’ai travaillé un temps avec Edmond Kaiser, le fondateur de Terre des hommes, et je me souviendrai toujours qu’il m’avait dit «où qu’on aille, à gauche ou à droite, on trouve toujours des enfants à aider». Cela relève un peu du hasard. Pour le CIDE, nous répondons surtout aux sollicitations et aux demandes d’aide.


Dans un premier temps, nous constituons un dossier avec toutes les pièces juridiquement importantes pour ensuite faire analyser le cas par un juriste et déterminer si on peut participer à la défense de la victime.

 

Mais, bien sûr, on ne peut pas tout faire et parfois on doit renoncer faute de moyens adaptés.

 

Vous vous êtes spécialisé dans le combat contre la pédocriminalité. Pourquoi est-il si important pour vous?

 

A l’époque, nous étions très peu à parler de cela. Rien que le concept de «pédophilie» n’existait pas. Nous ne faisions pas vraiment attention aux enjeux du problème. Il n’y a qu’à voir le succès des livres de Gabriel Matzneff qui était invité dans les fameuses émissions littéraires de Bernard Pivot en 1990. Les gens ne se rendaient pas compte de l’horreur du récit et personne ne réagissait.

 

Je n’ai pas été victime personnellement, même si j’ai bien failli, mais j’en ai connu autour de moi.

 

Parmi les sujets très médiatisés, il y a eu l’affaire du réseau pédophile de Zandvoort, dans laquelle vous avez joué un rôle prépondérant. Que s’est-il passé?

 

A l’époque, j’ai été contacté par une assistante sociale, Gina Pardaens-Bernaer, qui avait rejoint l'ONG Morkhoven au moment de la découverte du réseau pédocriminel Zandvoort, en juillet 1998. Elle disait posséder des CD-Rom contenant des milliers d’images pédophiles. Elle souhaitait que le CIDE se charge de dénoncer ces faits, car elle craignait que l’affaire soit étouffée en Belgique. Nous nous sommes retrouvés à Bruxelles afin qu’elle puisse s’assurer de mon identité, puis elle m’a promis de m’envoyer les éléments par la poste. Elle ne voulait pas les avoir avec elle au moment de la rencontre.

 

Au bout de deux essais par la poste, je n’avais toujours rien reçu et je commençais à fortement m’interroger sur l’existence de ces CD et la parole de cette femme. Nous avons convenu qu’elle les envoie à une autre adresse et là je les ai enfin reçus. Ils contenaient des images d’enfants abusés, dont des tout petits. On y voyait également le visage de certains hommes.

 
 

Lorsque j’ai reçu les CD, j’ai essayé d’appeler Gina. Je suis tombé sur son mari qui m’a informé de son décès. Elle aurait eu un accident de voiture. Je me suis cependant souvenu qu’elle m’avait dit avoir reçu des menaces de mort, car elle s’était introduite dans une maison pour récupérer ces CD.

 

Ce qui est curieux, c’est que son accident de voiture est survenu sur une ligne droite. Elle a soudainement foncé contre un poteau. On a donc évoqué la thèse de l’endormissement au volant. Cependant, cela n’était pas possible car la route était en travaux un peu plus haut et nécessitait quelques manœuvres pour passer. Il fallait donc qu’elle soit réveillée, sinon elle aurait eu un accident avant.

 

Qu’avez-vous fait de ces CD?

 

Je les ai donnés à la police vaudoise et à la police fédérale à Berne, ainsi qu’à la ministre française de l’époque, Élisabeth Guigou. Curieusement, elle n’a jamais accusé réception de notre envoi.

 

Nous sommes les premiers à avoir sorti cette histoire, qui a ensuite été largement relayée par la presse française.

 

En 2000, vous avez été invité sur le plateau d’Elise Lucet pour commenter le reportage Viol d’enfants, la fin du silence. Celui-ci a été supprimé des archives de l’INA. Comment l’expliquez-vous ?

 

Je ne l’explique pas. Cela dit, il est heureusement toujours accessible sur internet. Du reste, c’est très curieux car j’ai essayé à plusieurs reprises de reprendre contact avec Elise Lucet depuis et elle ne me répond plus du tout.



Comment faites-vous pour vous assurer de la culpabilité des papas dénoncés par toutes ces mères que vous recueillez. N’avez-vous pas peur de vous tromper et d’accuser des gens par erreur?

 

C’est sûr qu’il faut faire très attention. Selon le rapport de la Ciivise mené par le juge Durand, qui a recueilli et analysé des milliers de cas, la proportion d’enfants qui ont inventé est infime.


Nous n’avons pas de certitudes, si ce n’est qu’il y a des choses que l’enfant ne peut pas imaginer. Des gestes, des comportements qui ne trompent pas. Lors du témoignage de l’enfant, il faut analyser l’entier du langage verbal et non verbal.

 

(Georges Glatz nous montre une vidéo de témoignage d’un enfant qui évoque des violences physiques et sexuelles de la part de plusieurs adultes lors de cérémonies. Nous constatons que celui-ci est pris de convulsions lors de son récit)

 

Que faites-vous du syndrome d’aliénation parental (SAP), qui fait état d’une manipulation de l’enfant afin de l’amener à repousser l’un des parents. Le père, dans la majorité des cas?

 

Le syndrome d’aliénation parental (SAP) n’est pas reconnu par la science et il n’est pas listé dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). C’est une notion qui a été introduite par Richard Gardner, un psychiatre pédophile qui s’est suicidé. Pour identifier un éventuel problème de manipulation, il faut solliciter l’intervention d’une psychologue spécialisée dans l’audition de victime.

 

Il arrive pourtant qu’il y ait des abus dans certaines de ces affaires. Des hommes ont été accusés par erreur.

 

Oui, la justice n’est pas infaillible, mais d’une façon générale, le sexe de l’abuseur  est masculin.


Croyez-vous en l’existence de réseaux pédophiles?

 

Oui. C’est évident. La question est de savoir quelle est l’importance du réseau. Quelles sont les personnes qui sont impliquées. S’agit-il de réseau local ou international. Est-ce que ce réseau a une particularité, comme par exemple une secte satanique?


À ce sujet, nous avons recueilli différents témoignages d’enfants qui ne se connaissaient pas et qui décrivaient des détails similaires.


Avec des dessins, on a pu observer que ces enfants victimes donnaient des descriptions identiques. J’ai personnellement rencontré une des anciennes victimes d’une secte satanique qui affirme avoir été obligée de participer à des sacrifices d’enfant.


Je ne peux pas vérifier ses dires, par contre je sais avec certitude que ses parents ont été condamnés par la justice pour avoir vendu leurs enfants à des groupes d’adultes pédophiles.


A l’ère du virtuel, la pédocriminalité explose sur internet. Avez-vous le sentiment qu’il y a de plus en plus de pédophiles ou voyez-vous une amélioration, puisque les droits des enfants sont désormais reconnus?

 

D’un côté le domaine de la pédophilie est de plus en plus évoqué. D’un autre côté, peut-être que la société est en train de déraper?

 

Pour lutter plus efficacement contre ce fléau, il faut différencier les différents groupes de pédophiles:

 

Le premier implique la pédophilie de proximité: tout ce qui concerne l’inceste c’est de loin le plus important, c’est l’acte de captation sur le cercle le plus proche, c’est l’abus sexuels  intra-familial ou dans le voisinage immédiat de la famille. Il est admis selon les statistiques existantes en la matière qu’une fille sur 8 et un garçon sur 10 sont victimes d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans. A ce niveau-là, on constate que la parole s’est libérée de plus en plus.

 

Le second groupe concerne les pédophiles qui s’attaquent aux enfants à l’aveuglette, sous l’influence d’une pulsion. Les pédophiles emploient des stratégies diverses. Stratégies douces, la séduction, ou violente, rapt rapide et brutal. Ces cas se terminent malheureusement avec la mort de l’enfant devenu témoin gênant.

 
 

Ensuite, on a le groupe des institutions. Le schéma est simple. Nous sommes en présence d’un consommateur d’enfant qui va consciemment, ou inconsciemment, se rapprocher du corps de l’enfant en s’infiltrant, par le biais d’une profession appropriée, dans une institution qui précisément s’occupe de mineurs. C’est ainsi que bon nombre de pédophiles embrassent des professions qui les mettront en contact plus directement avec les corps d’enfants, et pour ce faire, s’infiltrent dans les institutions s’occupant d’enfants telles qu’institutions éducatives, foyers, cercles sportifs, mouvements de scoutisme, cercles de catéchisme.


Les pédophiles qui veulent pouvoir opérer en réduisant les risques s’infiltreront dans les institutions pour handicapés, handicapés mentaux de préférence. Et lorsque les choses sont bien faites, ces pédophiles se structurent et vont en tir groupé se fixer sur telles ou telles institutions. C’est la technique du cheval de Troie. Certains pédophiles occupent dans ces organismes des postes cadre, ce qui leur permet d’engager d’autres déviants camouflés en professionnels du monde de l’enfance.


Si je fais cette mise en garde nécessaire, c’est dans un but préventif mais il ne faudrait pas transformer mes propos car, de façon générale, la plupart des professionnel du monde de l’enfance sont des gens tout à fait admirables.


Quatrièmement, on a le groupe des sectes. Il y est beaucoup fait référence dans différents témoignages. Ici on joue sur l’emprise de personnes manipulées par un gourou. Le système des sectes s’appuie sur les fragilités de la personnalité: l’isolement de l’individu, l’envoûtement, l’emprise, le chantage, la menace, la destruction mentale, l’aliénation, voire L’esclavage.

 

Puis il y a la pédophilie industrielle, type mafieux. Nous avons ici affaire à des structures parallèles d’économie de marché excessivement organisées. Les organisations mafieuses savent diversifier leurs activités. Ainsi, derrière les trafics de cigarettes, de whisky, d’œuvres d’art, de drogues, d’armes, on trouve également le trafic d’êtres humains, le corps de la femme, avec aujourd’hui le corps de l’enfant sachant que tout ce qui est Illicite est plus cher. avec des bénéfices plus importants.

 

Sur quelles affaires travaille actuellement le CIDE?

 

Il y a l’affaire du petit Léon. L’enfant a déclaré avoir été abusé par son père. La mère a porté plainte mais celle-ci a été classée par le parquet belge. La mère a fui en Suisse, où elle a consulté des spécialistes qui font état d’abus sur l’enfant, tandis que le père déposait plainte pour kidnapping. La justice vaudoise n’a pas regardé attentivement ce qu’il s’est passé, n’a pas écouté les spécialistes et s’est contentée de faire un copier-coller du jugement belge et a placé l’enfant dans une famille d’accueil.

 

Il est possible que la justice ordonne le retour en Belgique de Léon et de sa mère. Mais nous avons fait recours auprès du Tribunal fédéral et nous attendons sa détermination.

 

Actuellement, nous avons encore d’autres dossiers, qui viennent de Suisse, de France de Belgique, notamment...

 

En conclusion, je me permets de vous dire que c’est un travail moralement très pénible. Je suis très reconnaissant à tous ceux qui travaillent et œuvrent avec le CIDE. Enfin, un grand merci à tous ceux qui nous ont soutenu financièrement. N’oublions pas que ce sont les enfants qui tiennent le gouvernail du monde.

 

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