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Fonds Marianne: un cabinet de conseil macroniste dans les bénéficiaires

Dernière mise à jour : 22 juin 2023

Conspiracy Watch n’est pas le seul organe à être particulièrement présent dans plusieurs projets subventionnés par le Fonds Marianne. Au moins deux associations sélectionnées, Civic Fab et France Fraternités (FF), apparaissent en lien avec le groupe Antidox, un cabinet de conseil spécialisé «en stratégie de communication et d’opinion à forte dominante numérique». De plus, parmi les comités exécutifs de ces deux organisations présentées pourtant comme «citoyennes et apartisanes», figurent des personnalités ayant ouvertement manifesté leur soutien à Emmanuel Macron. Des liens qui interrogent sur un potentiel objectif politique derrière les attributions du Fonds Marianne.

Xavier Desmaison, président du groupe Antidox sur le plateau du «23h» de France Info du 17 décembre 2019.

 

Cet article, signé Amélie Ismaïli, a été initialement publié sur le site recheckingmedia.org

 

Le Groupe Antidox


C’est le site internet du groupe Antidox qui nous apprend que son think tank «Le Lab» serait à l’origine de l’association «Civic Fab», listée comme ayant reçu le troisième plus gros montant du Fonds Marianne, soit 315'400 euros. Ainsi, le président et fondateur du cabinet de conseil, Xavier Desmaison, se trouve être également le président de «l’organisation citoyenne». D’autre part, on retrouve deux membres de l’équipe d’Antidox parmi ceux qui composent l’Assemblée générale de Civic Fab: Vincent Bridenne – directeur artistique – et Solène Collat, responsable administratif et comptable pour le cabinet.


En tout état de cause, l’association est donc une filiale du groupe censée refléter les valeurs sociétales qui sont au coeur de son ADN, telles que le site internet d’Antidox nous les décrivent: «nous travaillons à développer un écosystème informationnel de qualité (modération des fake news, de la haine en ligne, des théories du complot)»; une affirmation qui fait directement écho à la présentation du projet «Nuance» créé par Civic Fab, «une initiative en ligne qui vise à combattre les discours de manipulation (fake news, théories du complot) et extrémistes qui prolifèrent sur internet».

 
 

Un autre bénéficiaire du Fonds Marianne présente des liens avec Antidox, ou du moins avec son président: Xavier Desmaison est en effet aussi le Coordinateur du Comité d’honneur de l’association France Fraternités, laquelle bénéficia de 60'000 euros du fonds initié par Marlène Schiappa. Ces deux engagements sont d’ailleurs mentionnés explicitement dans la biographie du dirigeant sur le site du cabinet. En outre, plusieurs personnalités apparaissent réciproquement dans les gouvernances des deux associations: ainsi, le président de FF, Pierre Henry, siège à l’Assemblée Générale de Civic Fab; tout comme Laure Modesti, qui figure au Comité d’honneur de FF; et on retrouve dans ce même comité Karim Amellal, présenté comme «administrateur» de Civic Fab. Enfin, le média créé par ce dernier (What the Fake) fait apparaître FF comme un de ses partenaires. Tous ces éléments semblent démontrer que les deux organismes sont de toute évidence très proches.

Notons que FF montre également des liens avec une autre association bénéficiaire du fonds Marianne: Fraternités générales (dont la proximité du nom a de quoi intriguer). En effet, toutes deux partagent comme point commun d’être membre d’un collectif inter-organisation appelé «le Labo de la Fraternité». Cette seconde association mettant en avant la «fraternité» dans la liste révélée par Check-news aurait été subventionnée à hauteur de 292'200 euros, juste derrière Civic Fab. Néanmoins, en dehors d’éléments de langage quelques peu similaires (notamment pour présenter des think tanks comme des «laboratoires»), Fraternité Générales ne fait pas apparaître de lien avec Antidox ou son président Xavier Desmaison, d’après les informations que nous avons pu trouver. Nous la laisserons donc de côté – pour le moment du moins.


«Deep communication for Business Impact»


Derrière cette figure de «citoyen engagé», Xavier Desmaison est un expert communicant, spécialisée dans les stratégies d’influence en lien avec les technologies numériques dans le but de «maximiser les profits» des entreprises qu’il conseille(1). Il est également le co-auteur de deux livres: Le Bûcher des vérités (2019) et Stratégies d’entreprises dans un monde fragmenté, surmonter les risques liés à la pandémie et à la guerre en Ukraine (2022). Des ouvrages qui s’intéressent aux rôles des décideurs publiques et des dirigeants d’entreprises dans une période qui favorise de plus en plus de méfiance à l’égard des institutions.


Ces prises de position illustrent comment le cabinet Antidox a fait de la «désinformation» son cheval de bataille. Reste à savoir de quelles «désinformations» il s’agit: le fait que deux associations présentées comme des «organisations citoyennes» puissent avoir un tel lien direct avec un cabinet expert dans les stratégies de «nudge» et de «social listening» pour influencer l’opinion publique au service de grandes entreprises privées jette un trouble sur leur revendiqué rôle d’éducation à la citoyenneté. Exemple évocateur: Civic Fab, affichant vouloir «mettre la technologie digitale au service de projets dintérêt public et dinnovations sociales» accompagna un projet baptisé «Les Printemps de la prévention», un forum rassemblant une diversité d’acteurs locaux et de professionnels du secteur de la santé afin d’«impulser le changement dans les pratiques et les comportements en donnant la visibilité aux projets innovants et inciter à lusage des nouveaux outils numériques.» Le projet fut conduit par Antidox et NIHLune autre agence de conseil en affaires publiques, qui ne cache pas sa collaboration avec l’industrie pharmaceutique. Un tel risque de compromission avec les intérêts de secteurs très lucratifs laisse de nouveau soupçonner que la «neutralité» ne soit pas tout à fait au rendez-vous.

Lutte contre la désinformation ou propagande macroniste?


Ce type de partenariat public-privé n’est pas sans rappeler une orientation politique proche du «social-libéralisme» – ou néolibéralisme – qu’incarne le parti d’Emmanuel Macron. Et pour cause: les gouvernances de Civic Fab et France Fraternités se composent d’un des plus fervents adhérents président au pouvoir: Karim Amellal. Ce haut fonctionnaire français d’origine algérienne se présente en tête de liste LREM du 10ème arrondissement de Paris lors des élections municipales de 2020. En outre, il aurait créé, en janvier 2022, un collectif explicitement en soutien au président au pouvoir.


Karim Amellal est réciproquement un collaborateur «choyé» par la macronie: nommé ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée, il est aussi désigné pour siéger à la présidence de la commission «Talents du service public» par Amélie de Montchalin en mars 2021. Et pour couronner ce portrait saisissant, il co-rédigea au côté de Laetitia Avia et Gil Taïeb la loi sur les contenus haineux sur internet, dite «Loi Avia», la même qui fut censurée par le Conseil constitutionnel pour ses risques de porter atteinte à la liberté d’expression. Qui de mieux pour former les jeunes citoyens aux «bonnes valeurs» de la République?

Affiche des Elections municipales de 2020 dans le 10ème arrondissement de Paris, liste LREM.


Rien d’étonnant donc, à ce que ce biais politique transparaisse dans les contenus créés par les deux associations dans le cadre du Fonds Marianne. En apparence, elles semblent bien présenter des ressources pédagogiques destinées à combattre le radicalisme religieux et les discours de haine qui favorisent le racisme ou l’antisémitisme – ce qui les placerait au-dessus de tout soupçon. Mais lorsque l’on observe dans le détail, certains de ces contenus révèlent un discours très favorable à l’égard d’Emmanuel Macron. Sur le site What the Fake , tel que se nommait encore le média fondé par Civic Fab durant la période encadrant l’appel à projet du Fonds Marianne, plusieurs pages publiées durant la campagne présidentielle de 2017 mettent particulièrement à l’honneur le candidat de La République en Marche. Une dizaine d’articles produits entre mars et mai de cette année lui sont consacrés afin d’en faire la principale victime de «fake-news» qui auraient été diffusées par la «fachosphère», les partisans de Marine Le Pen ou… par la propagande du Kremlin.

Or ce scénario d’un «complot russe» pour influencer les présidentielles françaises avait été essentiellement partagé par les équipes d’Emmanuel Macron. Scénario dont la probabilité demeure encore très floue, souffrant d’un manque de preuve formelle, et qui fait étrangement écho au Russiagate lors de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis – un dossier aujourd’hui particulièrement mis à mal par le récent rapport du procureur John Durham, qui y dénonce une instrumentalisation politique fondée sur des éléments douteux et un manque d’objectivité de la part du FBI et de la CIA.


Tous ces éléments qui permettent de nuancer le discours macroniste ne se retrouvent nullement sur le site What the Fake, bien au contraire. Les articles au sujet de cette «théorie» ne font que reprendre le discours d’Emmanuel Macron en mettant en cause les médias RT et Spoutnik, et évoque des «rumeurs» qui se révéleront pourtant corroborées par les Macronleaks, tout en parlant de Julian Assange comme une personne «adulé des complotistes». Du reste, ce traitement particulièrement positif de celui qui n’était que candidat à la présidence française lors de la publication de ces articles laisse supposer une orientation partisane correspondant aux affiliations politiques des personnes à la tête de Civic Fab. D’autant qu’en comparaison, aucun article ne traite des autres candidats, sauf pour dénoncer des fausses informations que certains adversaires – François Fillon et Marine Le Pen notamment – auraient partagé. Quant aux mensonges d’Emmanuel Macron, c’est tout simplement «circulez, il y a rien à voir».


Les «mots piégés» de France Fraternités


Ce biais politique se retrouve également dans les contenus produits par FF, cette fois-ci dans le projet spécifiquement conduit dans le cadre du Fonds Marianne. A l’écoute des podcasts «les mots piégés du débat républicain» présentés par son président Pierre Henry (un autre ancien encarté LREM), les thèmes de propagande chers à Emmanuel Macron dominent. Le «souverainisme»? «un mouvement marginal» revendiqué par des «courants qui se situent plutôt à la droite extrême» tandis que la «souveraineté» devrait être «défendue et développée à un niveau européen» puisque «seul véritable cadre de protection contre la mondialisation, pour résister aux grands ensembles russes, chinois ou américains».


Le «populisme»? «Un [dangereux] courant de pensée politique» qui considère que «la démocratie en général est structurellement corrompue par les politiciens et que la seule forme réelle de démocratie serait l’appel au peuple par le référendum […] Il remet en cause l’indépendance et la séparation des pouvoirs, de la justice, les droits fondamentaux comme le droit à l’avortement, le droit d’asile, la liberté de la presse.»


Cette «idéologie» peut être «de droite, de gauche» mais a pour «traits communs l’autoritarisme, la croyance en un peuple pur, le culte d’un leader soutenu par la volonté générale» et la «détestation des contrepouvoirs». Dès lors, ce type de discours relèverait d’un fantasme fondé sur «un ressenti de discrimination, d’inégalités… et c’est comme pour le complotisme: ça marche, parce que ça part comme quelque chose qui est vécu comme une série d’injustices […] ».


Voilà qui n’est pas sans rappeler une rhétorique très proche de celle de Rudy Reichstadt… à raison? On ne sera pas surpris de retrouver dans les partenaires associés du groupe Antidox un certain Philippe Guibert, membre de la Fondation Jean Jaurès… qui dirige – encore une coïncidence – une mission du ministère de la Santé et de la Protection sociale sur «la désinformation en santé publique». Les réseaux que constituent tous ces «think tanks» néolibéraux seraient-ils au coeur d’une instrumentalisation politique à travers ce Fonds Marianne? C’est ce que nous essaierons de comprendre dans la troisième partie de cette enquête.

 
(1) Propos recueillis dans une vidéo de la chaîne Xerfi Canal où Xavier Desmaison est interviewé en tant qu’expert en «communication et influence».
 

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