top of page

Article rédigé par :

Michael Esfeld

Comment la science devient arbitraire

science
© DR

Dans l’article précédent, j’ai esquissé comment, à l’époque moderne, l’idée de liberté en tant qu’autodétermination dans la pensée et l’action remplace une vision fermée du monde et comment en découlent aussi bien la science libre que la reconnaissance de chaque être humain, en tant que personne qui possède des droits fondamentaux à la liberté, en vertu de sa nature comme être raisonnable, pensant et agissant. Ces droits ne dépendent donc d’aucun pouvoir politique. La justification du pouvoir politique coercitif devient ainsi précaire.


La question n’est pas de savoir quel est le meilleur système pour exercer un pouvoir politique coercitif – la monarchie, l’aristocratie ou la démocratie – mais de savoir si et comment le pouvoir politique peut être justifié. Dans une démocratie libérale, la majorité ne peut pas imposer n’importe quoi à la minorité. Le droit de chaque individu à l’autodétermination de sa propre vie ne doit pas être mis à la disposition des décisions de la majorité. La démocratie, dans son sens le plus profond, suppose de reconnaître chaque être humain en tant que personne avec des droits de liberté inaliénables. En bref, la liberté en tant qu’autodétermination s’oppose à la domination, quelle que soit sa forme.

(Re)lire la chronique précédente: Comment la science va de pair avec la liberté

La liberté en tant qu’autodétermination permet tout au plus de légitimer un État minimal qui, en tant qu’État de droit, se limite à garantir les droits fondamentaux. Un tel État ne laisse cependant que très peu de marge de manœuvre pour la politique. Ses organes ne peuvent pas établir de droit, mais seulement arbitrer les conflits sur la base du droit naturel à l’autodétermination de chaque être humain. L’État de droit est un État gardien de nuit: ses organes n’interviennent que pour régler des conflits, lorsque des personnes se montrent agressives envers d’autres personnes sur le territoire de l’État. Une fois que des hommes et des femmes politiques sont élus à des postes étatiques tels que les parlements et les gouvernements, une dynamique se met en place qui ne peut pas être stoppée: les politiciens ne sont pas élus pour ne rien faire de leur propre initiative et n’intervenir que lorsqu’ils sont appelés pour régler des conflits entre citoyens. Les politiciens sont élus pour créer quelque chose. La politique attire ainsi des personnes qui veulent obtenir le pouvoir pour imposer quelque chose aux autres.


Pour légitimer cette domination, une vision du monde entre à nouveau en jeu. Faute d’alternative – une légitimation religieuse n’entre pas en ligne de compte dans les conditions de l’époque moderne – la science est utilisée à cet effet. La première étape consiste à réinterpréter la notion de bien commun: le bien commun est la liberté en tant qu’autodétermination, c’est-à-dire la garantie pour tous et chacun du droit naturel à l’autodétermination sur sa propre vie. Le contenu n’est donc pas défini en ce qui concerne ce qu’est une vie bonne. La réinterprétation consiste alors à substituer au bien commun fondé sur le droit naturel un bien collectif de contenu particulier, qui doit être réalisé par l’exercice du pouvoir politique. La deuxième étape consiste à subordonner le droit naturel à l’autodétermination sur sa propre vie à la réalisation de ce bien collectif substantiel par la domination politique. Le bien collectif substantiel est à son tour fondé sur une prétendue science.


On prétend avoir identifié des lois naturelles selon lesquelles l’histoire mondiale tend vers un but précis

C’est dans le communisme que ce schéma apparaît le plus clairement. La doctrine marxiste transforme les lois de la nature découvertes par la science de manière à ce que ces lois s’appliquent également à la société humaine et définissent un but final de l’histoire, qui est le bien absolu: la société sans classes. On prétend avoir identifié des lois naturelles selon lesquelles l’histoire mondiale tend vers un but précis, à savoir la société sans classes. Ces lois naturelles fondent l’action politique vers cet objectif, et plus précisément l’action politique par-delà les droits naturels des êtres humains. Pour réaliser le but final de l’histoire, fondé sur la science, il est nécessaire et légitime d’agir contre ces personnes, le cas échéant jusqu'à leur destruction physique. L’appartenance à une classe qui va à l’encontre du cours de l’histoire mondiale dicté par la loi naturelle – comme par exemple les paysans indépendants en Russie au début des années 1920 – peut donc signifier de facto une condamnation à mort. Une vision du monde fermée est ici construite à partir de la science naturelle, qui contient des instructions d’action normatives pour la réalisation d’un objectif final de l’histoire.


Nous retrouvons le même schéma dans l’eugénisme qui, contrairement au communisme, a reçu un large soutien de la part des scientifiques au cours des premières décennies du 20 siècle. À la différence du bien général de la société sans classe du communisme, l’eugénisme ne postule pas un bien absolu et collectif. C’est plutôt l’évitement d’un prétendu danger pour la survie de l’humanité qui est mis en scène en tant que bien collectif substantiel, à savoir la disparition de l’humanité civilisée, inéluctable selon la loi naturelle, par la reproduction excessive d’êtres humains dotés de gènes inférieurs. De cette prétendue preuve scientifique est ensuite déduite l’exigence politique de stériliser les personnes concernées.


Le schéma eugéniste se répète à notre époque dans le régime du Covid-19 et le régime climatique. Il suffit d’échanger quelques termes. En particulier, les parallèles entre les mesures d’eugénisme prises il y a une centaine d’années et les pressions exercées pour que l’on consente aux traitements médicaux promus comme des vaccins contre le Covid-19 sont évidents. En ce qui concerne l’eugénisme, il a disparu sans autre après la fin de la Seconde guerre mondiale et face aux crimes du régime de terreur national-socialiste visant à réaliser une société génétiquement pure.


Dans la mesure où il existait un problème auquel l’eugénisme se référait, celui-ci s’est résolu de lui-même en permettant à tous les groupes sociaux de participer au progrès économique: Si l’amélioration des conditions de vie grâce au progrès technologique profite à tous les groupes sociaux, il n’y a pas de différences statistiquement significatives dans les taux de reproduction entre les membres de différents groupes ou classes sociaux. Le «déclin de l’humanité civilisée» a été et est toujours évité par le simple fait de progresser sur la voie de la civilisation. L’action politique qui va au-delà de la garantie d’un ordre juridique n’y contribue en rien, elle ne fait que l’entraver.


Il en va de même pour les thèmes actuels des virus et du changement climatique. Poursuivre simplement sur la voie du progrès technologique et économique, sans intervention politique, est le meilleur moyen de protéger la santé publique et de ménager l’environnement. Il existe une corrélation statistique claire entre le progrès technologique et économique et la protection de la santé (augmentation de l’espérance de vie) et de l’environnement.


Lorsque la science devient une vision du monde qui est employée pour légitimer l’action politique coercitive, la conséquence est le pur arbitraire. Tout d’abord, la science elle-même est ainsi détruite: afin de légitimer l’action politique coercitive, il faut suspendre la méthode scientifique de l’examen critique et présenter des connaissances scientifiques douteuses comme des vérités établies et contraignantes sur le plan normatif. À cette fin, les concepts clés sont arbitrairement réinterprétés.


Le régime du Covid-19 offre à cet égard de nombreux exemples: la condition nécessaire pour une pandémie n’est plus la surmortalité. Au lieu de la surmortalité, il suffit désormais d’infections pour qu’une vague de virus soit déclarée comme pandémie. Les infections sont définies par un résultat de test positif, indépendamment de la présence de symptômes d’infection. Le fait que le test correspondant, le test PCR, ne soit pas du tout approprié en soi comme diagnostic d’une maladie, ne joue aucun rôle. De même, quelque chose peut désormais être considéré comme une vaccination, bien que l’injection correspondante ne garantisse pas une autoprotection durable et n’empêche pas la transmission du virus.


De plus, des concepts normatifs subissent une réinterprétation arbitraire: la solidarité ne signifie plus s’engager pour que les autres puissent mener une vie aussi autodéterminée que possible dans les conditions qui leur sont spécifiques. La solidarité doit désormais consister à imposer à tous un certain mode de vie, et ce indépendamment de l’utilité démontrable de ce mode de vie et des dommages qu’il occasionne: on est solidaire avec ses proches âgés en les coupant de tout contact social direct et en les laissant mourir dans l’isolement. La liberté comme autodétermination est stigmatisée comme égoïsme et la conformité est présentée comme liberté responsable: on obtient la liberté par inoculation, à savoir par la soumission aux ordres arbitraires de l’État.


Il faut toujours trouver de nouveaux prétextes pour maintenir le régime

Enfin, le choix des cibles – ce qui est mis en avant comme un danger qu’il faut écarter dans le sens d’un bien collectif – est arbitraire. Les virus et le changement climatique existent toujours. Si on réinterprète de manière normative une science qui est purement factuelle – comme la science naturelle moderne – pour en déduire une légitimation de l’action politique coercitive qui fait fi des droits fondamentaux des êtres humains, alors la conséquence est l’arbitraire pur, car cette science n’est pas une vision du monde qui peut servir de guide normatif.


La conséquence pratique de cela est ce que Hannah Arendt a décrit comme une terreur permanente dans son analyse des régimes socialistes totalitaires de type communiste et national-socialiste (édition française: Les origines du totalitarisme, éditions Seuil 1972): comme le bien collectif est une chimère, il faut toujours trouver de nouveaux prétextes pour maintenir le régime; sinon, il s’effondrerait tout simplement (ou se réduirait à un régime policier et militaire purement autoritaire). Il en va de même pour les virus et le changement climatique: comme une société sans virus ou neutre en termes d’émissions de COest une chimère, il faut soit mettre fin au régime, soit trouver sans fin d’autres prétextes pour de nouvelles mesures politiques coercitives. Après la phase pseudoscientifique, nous vivons maintenant en Europe la phase répressive avec la tentative d’étouffer la liberté d’expression et la liberté scientifique sur ces sujets, en instrumentalisant politiquement les organes de l’État de droit jusqu’aux Cours suprêmes.


Nous pouvons nous opposer à cette évolution fatale en revenant aux fondements de notre civilisation. Aux récits pseudoscientifiques de la peur pour légitimer une domination globale, nous pouvons opposer l’autodétermination comme récit positif. Sur la base des penseurs de l’Antiquité grecque et romaine et de la doctrine judéo-chrétienne de la création des êtres humains à l’image de Dieu et donc comme êtres libres, et de sa sécularisation au siècle des Lumières, la civilisation occidentale a réalisé des buts qui sont importants pour toute l’humanité:


  • Elle a aboli l’esclavage.

  • Elle a imposé la validité universelle des droits de l’homme au sens des droits fondamentaux de défense contre les interventions extérieures dans la détermination de sa propre vie. Les gens peuvent réclamer ces droits partout dans le monde, quel que soit le prétexte d’idéologie, de pseudoscience ou de religion sous lequel ils sont opprimés. Il s’agit notamment de la liberté d’expression ainsi que de la liberté de la science, de l’art, de la religion et, en général, de la liberté de s’associer avec qui l’on veut.

  • Grâce à la science, à la technologie et à la garantie des droits de propriété, elle a permis une amélioration sans précédent des conditions de vie, qui profite à tous.

  • L'idéal de liberté a conduit à l’épanouissement de l'individu, y compris de sa créativité, et donc à des réalisations exceptionnelles dans les domaines de la science, de l’art et de la culture.


Ceci est la base qui nous donne de la matière pour opposer aux récits corrosifs légitimant une domination étatique illimitée un récit positif et constructif, mettant en œuvre l’autodétermination des individus sur leur vie. L’État, qui intervient dans l’organisation de la vie des gens avec des mesures coercitives, est tributaire de récits de peur pour mettre les gens sous tutelle et les empêcher de s’autodéterminer.


Pourtant, ce n’est pas la domination, mais l’ordre spontané qui résulte des interactions volontaires des gens et de leurs liens sociaux, lorsque tous les êtres humains peuvent développer librement leurs capacités, qui est l’étoffe dont est tricotée l’histoire du succès de notre civilisation. Nous pouvons reprendre ce chemin et construire un avenir positif dans la liberté, la justice et la paix.

1 commentaire


henrigendre
il y a 3 jours

Parfaite coïncidence orwellienne que la parution de cette excellente analyse de Michael Esfeld et de cette image montrant Alain Berset recevant le titre de docteur honoris causa de la Faculté des sciences et de médecine de l’Université de Fribourg. Au temps du Covid, il était à la manœuvre comme chef du Département fédéral de l’Intérieur pour imposer des mesures fortement attentatoires aux droits fondamentaux, révélées inefficaces, absurdes et dangereuses. La science avait erré et lui avec. Au lieu de faire amende honorable, chacun ayant droit à l’erreur, on se congratule parmi en se lançant des fleurs. Exemplaire déni de réalité. Celles et ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme des effets secondaires de ces expérimentations à la…

J'aime
Pop Up Trigger
00:00 / 01:04
L'Impertinent - Logo 25 (1).jpg

Inscrivez-vous aux alertes de publication :

Merci pour votre envoi !

Faire un don

IBAN : CH52 0900 0000 1555 3871 0

Lausanne, VD

© 2020 L'Impertinent - L'information au service du public - Politique de confidentialité

bottom of page