Trois étapes pour bâtir l'avenir
- Michael Esfeld
- 18 mai
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai

Dans les précédents articles de la présente trilogie sur la société ouverte, j'ai abordé les quatre fléaux qui rongent l'État de droit et notre société ouverte: le scientisme au lieu de la science. Le postmodernisme et le postmarxisme au lieu de l'usage universel de la raison avec les mêmes droits pour tous. L'État providence au lieu de l'État de droit. Et enfin, une économie dirigée par l'État au lieu de l'économie de marché basée sur les échanges volontaires entre les gens. Comment sortir de cette spirale infernale? C'est possible pour chacun d'entre nous d'agir.
Trois étapes au moins sont appropriées:
1) Employer sa faculté de jugement: la faculté de jugement est la capacité d'évaluer une situation de manière adéquate dans son contexte et d'y réagir de manière proportionnée. La faculté de jugement établit le lien entre la perception d'une situation donnée et la classification de cette situation, en appliquant des concepts. Les réactions politiques aux vagues de coronavirus et au changement climatique constituent un échec sans précédent du jugement. Nous ne devons pas nous laisser traiter comme des enfants par de prétendus experts. Chacun d'entre nous a la capacité et le pouvoir de se faire sa propre opinion sur la situation qui l'entoure et d'agir de manière appropriée. C'est ce que nous faisons tous, en permanence, dans notre vie quotidienne, et c'est ce que nous sommes capables de faire face aux défis de notre époque.
Lorsque le gouvernement enferme les gens chez eux et leur interdit les contacts sociaux, on constate qu'une prétendue situation extraordinaire et dangereuse, qui exige une action rapide de l'État et qui bafoue les droits fondamentaux de chacun d'entre nous, est biaisée. Car si un tel comportement était vraiment adapté à la situation, les gens le développeraient d'eux-mêmes. Lorsque nous voyons des personnes tomber malades, être hospitalisées et peut-être même mourir, nous n'attendons pas d'instructions de l'État, mais nous adaptons notre comportement de nous-mêmes. Si nous ne voyons pas cela, il n'y a pas de danger extraordinaire dans notre environnement. Ne vous laissez pas infantiliser par de prétendus experts désignés par l'État pour vous priver de vos droits. Appliquez votre propre jugement à la situation qui prévaut chez vous. Vous êtes capables de le faire.
2) Adopter du scepticisme à l'égard de la concentration du pouvoir: toute concentration de pouvoirs est sujette à des abus. Le plus grand danger vient de la concentration du pouvoir au sein de l'État. Seuls la police et l'armée, aux mains des pouvoirs politiques respectifs, peuvent nous contraindre à faire quelque chose. Les scientifiques, les intellectuels, les grandes entreprises et les organisations supranationales comme l'OMS ne peuvent qu'essayer de nous persuader. Ils ne peuvent rien nous imposer. Seul celui qui peut nous envoyer la police chez nous peut le faire. Il ne suffit donc pas de se débarrasser de la superstructure idéologique du scientisme, du postmodernisme et du postmarxisme. Nous devons également – et en premier lieu – nous attaquer au fondement politico-réel de l'État pléthorique. Pour cela, il faut trois choses:
(i) Pas d'état d'urgence: dans une démocratie, le peuple est souverain. Mais ce n'est pas vrai chez nous, malgré tout le discours sur la démocratie des élites dirigeantes. Car est souverain celui qui dispose de la prérogative d'imposer l'état d'exception (cette constatation est attribuée au juriste de droit public Carl Schmitt). En ce sens, le gouvernement est souverain: il peut, à sa guise et en toute légalité, décréter un état d'urgence dans lequel les droits fondamentaux sont suspendus. Les droits fondamentaux ne s'appliquent donc que sous réserve que le gouvernement ne déclare pas d'état d'urgence. Toutefois, il peut toujours trouver une raison de le faire: des vagues virales dont il était clair depuis le début qu'elles ne représentent pas un danger extraordinaire pour la population en général; le changement climatique auquel nous pouvons nous adapter sans problème (au cours des 100 dernières années, le nombre de décès dus à des événements météorologiques extrêmes a diminué de 90%, malgré le changement climatique, qui existe réellement). Le peuple n'est souverain que si les droits fondamentaux de chacun ne peuvent pas être suspendus par le gouvernement, c'est-à-dire s'ils sont inconditionnels, et donc absolus. Nous devons donc supprimer les possibilités légales correspondantes pour le gouvernement de déclarer légalement un état d'urgence à sa discrétion et de suspendre les droits fondamentaux.
(ii) Pas de monnaie fiduciaire: si le gouvernement dispose du monopole monétaire et peut simplement faire imprimer de l'argent (financé par l'endettement, le cas échéant, par la banque centrale), il peut alors tout acheter. Le monopole monétaire par l'argent fiduciaire doit donc tomber. Les coûts réels des mesures gouvernementales doivent être transparents. Le régime corona et le régime climatique n'auraient pas été possibles sans la possibilité pour les gouvernements de mettre de l'argent en circulation à volonté, car les citoyens auraient alors ressenti directement dans leur porte-monnaie les coûts de ces régimes.
La monnaie fiduciaire n'est pas gravée dans le marbre. Elle n'existe que depuis 1971, lorsque le président américain Richard Nixon a suspendu le lien entre le dollar américain et l'or afin de financer la guerre à l'extérieur (guerre du Vietnam) et l'État-providence à l'intérieur (la «grande société»). Depuis lors, les monnaies fiduciaires comme le dollar américain et le Deutschmark/euro ont perdu plus de 98% de leur valeur en or: en 1971, une once d'or coûtait 35 dollars américains. Aujourd'hui, elle vaut plus de 3000 dollars américains. Si elle vaut 3500 dollars, alors le dollar aura perdu 99% de sa valeur par rapport à l'or en 54 ans. L'euro est une très bonne invention – mais pas en tant que monnaie fiduciaire à la disposition arbitraire des gouvernements, mais en tant que monnaie commune liée à une valeur réelle que personne ne peut manipuler, comme autrefois l'étalon-or.
(iii) Pas de nouveau service obligatoire: si le gouvernement peut imposer un service militaire obligatoire, comme il est envisagé de l'introduire dans plusieurs pays européens dont l'Allemagne, il peut alors participer à volonté à des guerres à l'extérieur («service militaire obligatoire») et maintenir sa tutelle sur les gens à l'intérieur («service civil»). Même si l'État-providence devait s'effondrer sous sa montagne de dettes: ce qui est annoncé sous des noms aussi ronflants que «service civil» ou «année sociale» n'est en réalité rien d'autre que du travail forcé ordonné par l'État pour maintenir l'appareil du pouvoir étatique. Le débat ravivé dans plusieurs pays européens sur un prétendu service militaire obligatoire face à une prétendue menace militaire des pays européens de la part du régime russe est donc totalement déplacé: il s'agit ici uniquement d'étendre le pouvoir de l'État, envahissant encore plus loin que le porte-monnaie et le règlement de la vie des citoyens pour disposer de leur temps de vie.
Cela montre clairement que s'attaquer uniquement aux idéologies Covid, du changement climatique et du wokisme ne mènera tout au plus qu'à une victoire à la Pyrrhus. Pour retrouver nos droits fondamentaux à l'auto-détermination de nos vies, nous devons diminuer le pouvoir de l'État sur nos vies.
3) Le courage d'utiliser la raison en public: Dans son célèbre essai «Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?» (1784), Emmanuel Kant fait une distinction entre l'usage privé et l'usage public de la raison. L'usage privé est limité, par exemple, par les contrats de travail. L'usage public, en revanche, est toujours libre. Ainsi – c'est l'exemple de Kant à son époque – le pasteur employé par une église doit, dans l'exercice de ses fonctions, prêcher aux fidèles la doctrine de cette église. Dans son usage public de la raison, il est cependant libre, en tant que citoyen, de critiquer publiquement cette même doctrine. Transposé à notre époque: en tant que citoyen, on peut critiquer publiquement les lois en vigueur (comme la loi covid), les autorités et même les tribunaux comme agissant contre les droits fondamentaux des gens, sans pour autant enfreindre d'une quelconque manière ses devoirs de citoyen et donner lieu à une surveillance par le service secret intérieur (comme c'est, par exemple, le cas en Allemagne). C'est même un devoir de citoyen d'exposer publiquement les abus de pouvoir des autorités contre les droits naturels des gens. Selon Kant, seul le libre usage public de la raison permet d'éclairer et de faire progresser la sécurité juridique. Nous, en revanche, avons perdu la signification du libre usage public de la raison.
Ce n'est que si suffisamment de personnes ont le courage de faire un usage public libre de leur raison, malgré les tentatives d'intimidation de l'appareil d'État, que nous pourrons réaliser une société ouverte basée sur les interactions volontaires des gens, au lieu de la coercition exercée par l'État. L'avenir est ouvert. Il ne tient qu'à nous de retrouver la boussole de notre civilisation. Comme l'a montré l'effondrement du socialisme réellement existant, aucun régime coercitif ne peut se maintenir durablement contre le courage des citoyens de défendre publiquement leurs droits.
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre contribution, d’une grande pertinence. Je partage très largement votre point de vue. Il convient toutefois de souligner qu’exercer publiquement sa liberté n’est jamais chose aisée : cela a un coût personnel, comme vous le savez mieux que quiconque. Voir ce que l’on voit, et oser le dire, relève aujourd’hui presque de l’acte subversif. Et pourtant, c’est nécessaire — non seulement comme forme de contrepouvoir face à un État toujours plus intrusif, mais aussi pour préserver une forme d’hygiène mentale. Il nous faut demeurer cet enfant qui, avec une lucidité désarmante, constate que le roi est nu. En tous les ca, votre réflexion entre résonance avec ceux du philosophe Giorgio Agamben sur les règles…
Chapeau bas et merci! A la fois riche, précis et synthétique!
C'est un vrai manifeste, véritablement... libérateur! Et, un rappel, à cette occasion : la vie sans la liberté ne vaut à peu près rien, l'homme, sans elle, devenant une chose... plus ou moins végétative mais sans grand intérêt.
Monsieur Michael Esfeld, j’ai un profond respect pour qui vous êtes. Car, non seulement ce que vous écrivez est d’une rare intelligence et d’une immense lucidité, mais c’est aussi, d’un bout à l’autre, pétri d’humanité.
En effet, vous vivez vous- mêne plubliquement ce que vous prônez dans vos discours. Vous faites preuve d’une rare cohérence dans les milieux universitaires ce qui donne à votre discours une très grande autorité.
Merci.
Michel Pétermann-Pellaz