Agriculteurs inquiets: «À propos de la DNC, on ne nous dit pas toute la vérité»
- Amèle Debey
- il y a 18 heures
- 9 min de lecture
Alors que la tension monte entre le gouvernement et les agriculteurs en France, qu’en est-il du côté suisse de la frontière? Le spectre de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) plane sur nos alpages et nombre d’éleveurs sont inquiets. Ils demandent une prise en main plus active des autorités, dont la gestion n’est pas sans nous rappeler une précédente crise sanitaire. Témoignages.

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Un nouveau virus sème la panique en Europe. La DNC, pour dermatose nodulaire contagieuse, est apparue en France il y a environ six mois. Cette maladie des bovins a déjà entraîné l’abattage d’environ 3300 bêtes depuis l’été, touchant des élevages dans onze départements, de la Savoie aux Hautes-Pyrénées, en passant par le Doubs et le Jura. Cette épizootie est peu meurtrière, mais provoque notamment des nodules (gonflements) sur la peau, ainsi que de la fièvre et une perte d’appétit. En revanche, elle ne présente aucun risque pour l’homme: selon des spécialistes, ce virus n’est pas une zoonose et l’être humain n’y est pas sensible.
Bien qu'elle ne soit pas encore présente en Suisse, la DNC se propage surtout par des piqures d’insectes (mouches, moustiques, taons, tiques) qui véhiculent mécaniquement le virus d’un bovin infecté à un autre. Elle ne s’arrête donc pas aux frontières. Pas plus que les images bouleversantes de troupeaux euthanasiés, même lorsqu'ils sont sains. Plutôt que d'ergoter sur des suppositions, nous avons décidé de donner la parole aux premiers concernés: les agriculteurs.
«Nous sommes très inquiets de cette situation, nous confie une agricultrice du canton de Vaud, qui possède entre 60 et 70 animaux par année, avec les veaux. Toutes les tentatives de dialogue engagées avec le vétérinaire cantonal sont impossibles. Aucune réponse par e-mail, que par téléphone. Personne n’ose prendre ses responsabilités, ils changent d’avis presque toutes les semaines, tonne-t-elle. Au vu de la situation qui continue de progresser en France, leur théorie c’est qu’il faut attendre l’hiver et le froid pour que ça s’arrête. Les vétérinaires cantonaux sont complètement incapables de comprendre la peur des agriculteurs en Suisse, car eux-mêmes ne sont pas affectés par la situation. Leur salaire tombe tous les mois, quoi qu’il arrive.»
«L’agriculture suisse, c’est une mafia»
Sabine*, agricultrice
Cette agricultrice souhaiterait vacciner son troupeau, mais n’en a pas l’autorisation. «Ils m’ont expliqué que la vaccination dépendait de plusieurs facteurs. Les problèmes d'exportation et les différences de souche, notamment. Même si on pouvait vacciner nos vaches, ce ne serait peut-être pas avec la bonne souche.»
«Un de mes amis avait ses vaches à la montagne en France. Il était bloqué, impossible de les descendre chez lui. Il devenait fou de vous voir ses bêtes dans la boue, car il avait interdiction de les déplacer. D'autres, qui étaient dans la zone de surveillance, ont reçu l’autorisation de déplacer leurs vaches, comme par magie. L'agriculture, c'est une mafia en Suisse.»
Considérations économiques

«L’objectif de la stratégie suisse est d’empêcher l’introduction du virus sur le territoire national, nous a répondu l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). La vaccination est donc ciblée et limitée aux zones de surveillance afin de créer une ceinture de protection autour des régions à risque. Étendre la vaccination à l’ensemble du territoire entraînerait des coûts importants, des restrictions sévères de mouvements d’animaux ainsi que des conséquences commerciales potentielles, notamment à l’export. Cette stratégie est en outre alignée sur les bases légales et la pratique de l’Union européenne. Les autorités suisses appliquent donc une stratégie ciblée, ajustée en permanence en fonction de l’évolution épidémiologique.»
Du côté du vétérinaire cantonal vaudois, le Dr Giovanni Peduto, on nous explique: «Les problèmes que pose la DNC sont extrêmement ciblés. À ce stade, étendre des mesures à large échelle avec les conséquences que cela aurait sur les échanges commerciaux, ce n’est absolument pas opportun. Voilà pourquoi on ne vaccine pas partout de manière élargie, en fonction du souhait d’un éleveur. On veut créer un bouclier vaccinal et conserver un statut indemne. L'hiver est un avantage: on va pouvoir stopper la chaîne d'infection grâce à la diminution d'activité du vecteur.»
Il concède par ailleurs que la plupart des décisions prises en santé publique vétérinaire sont en lien avec une question économique: «On veut préserver la santé animale pour travailler avec des animaux sains et avoir une production efficiente», explique Giovanni Peduto.
Une stratégie qui laisse Vincent Wasser, agriculteur à Ependes, pour le moins sur sa faim. Plus qu’inquiet, notre homme fait partie des éleveurs qui pensent qu’il faut organiser une concertation le plus rapidement possible entre les agriculteurs et les autorités sanitaires, pour anticiper l'arrivée de la maladie en Suisse.
«Ce n’est pas un problème français, c’est un problème sanitaire global»
Vincent Wasser, agriculteur
«Il y a une sous-estimation du problème. On considère que cela ne nous concerne pas encore. Un peu comme avec le Covid, estime-t-il. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas encore eu de réunions. L’Union suisse des paysans (USP) sous-estime complètement le problème. Pourtant, on a l’exemple sous nos yeux, à quelques kilomètres de nos exploitations, il faut qu’on en tire les conséquences: on a beaucoup plus de risques d’être concernés en Suisse qu’un éleveur breton.»

S’il est satisfait des autorités vaudoises qui ont été réactives lorsque son alpage a été bloqué en montagne, Vincent Wasser estime qu’il faut vacciner rapidement toute la chaîne du Jura jusqu’aux montagnes neuchâteloises «pour faire barrage». «Je suis un partisan de la vaccination hors zone. Ce ne sont pas les autorités sanitaires qui butent, c'est plutôt politique. Cela risque de nous empêcher de démarcher à l'exportation, notamment pour les produits à haute valeur ajoutée tels que les fromages AOP. J'en suis bien conscient, mais rester les bras croisés et regarder la maladie arriver, c’est une grave erreur.»
Confrontée à ces allégations, l’USP nous a doctement renvoyés vers son communiqué de presse générique, dans lequel elle prend position, par le biais de son porte-parole, Michel Darbellay. Tout en comprenant la colère des éleveurs, l’USP plaide pour que la France et l’UE assouplissent leurs règles afin de pouvoir, en cas de troupeau intégralement vacciné, n’abattre que les animaux malades – à l’image de dispositions suisses jugées moins strictes. Enfin, elle met en garde contre l’illusion d’une vaccination généralisée (vaccins disponibles, délais de production, temps de montée en immunité) et contre les effets collatéraux sur l’export, notamment laitier. Elle défend une réponse «au plus efficace»: agir vite dès l’émergence, vacciner dans le périmètre et verrouiller strictement les mouvements d’animaux.
Samedi 20 décembre, sur LCI, l'un des membres directeurs de la Confédération paysanne déclarait, au sortir de Matignon: «Ils ont préservé le libre-échange au détriment de la vie des agricultrices et des agriculteurs.» Même son de cloche en Suisse, où Vincent Wasser ne décolère pas: «La classification de la maladie est la même qu’en France, donc si un cheptel a un animal positif, c’est l’abattage. Il faut en être conscient. En Suisse, on ne connait pas les conditions d’indemnité, doit-on attendre le premier cas pour en parler? Il faut crever l’abcès. On doit se rencontrer pour se pencher sur ces questions!»
«Aujourd’hui en Suisse, on n’a pas de plan!»
Vincent Wasser, agriculteur
La stratégie du gouvernement dissimule-t-elle une pénurie de vaccin? Comme ce fut le cas avec les masques pendant le Covid? Si les autorités nous assurent que non, plusieurs témoignages récoltés contredisent cette version. Quant à Vincent Wasser, il souhaiterait simplement que l'on éclaircisse la situation afin de pouvoir avancer dans la bonne direction: «Depuis le mois de juin qu’on est sur cette crise sur les Savoies, il y aurait eu le temps de faire des vaccins! S’il en manque, il faudrait qu’on nous le prouve. Mais, on vaccine des animaux pour des choses beaucoup moins graves! Cela s'appelle faire du préventif», ajoute-t-il.
«À propos de la DNC, on ne nous dit pas toute la vérité et ça me gêne beaucoup, souffle-t-il. On nous a raconté beaucoup de choses contradictoires: au début c’était 1 à 2% de mortalité, maintenant c’est 15%. On nous a d'abord parlé de 10 à 20% de morbidité, maintenant on nous parle de 30 à 40%... on ne prend pas le temps d’étudier la maladie. En France, ç'a été l'abattage total. On ne doit pas sous-estimer cette maladie, mais on ne la connaît pas. On se base sur des pays qui n’ont pas les mêmes conduites d’élevage, ni les mêmes climats. Aujourd’hui en Suisse, on n’a pas de plan!»
«On ne sait même pas si nos animaux, s’ils sont vaccinés, devront quand même être abattus en cas de nodules provoqués par le vaccin, insiste l'éleveur, qui a dû s'assurer personnellement contre les pertes d'exploitation, pour près de 10'000 francs par an. Pour l’instant, ce n’est pas clair. En Suisse, dans le même cheptel, on peut avoir une partie des bêtes vaccinées et pas l’autre, parce qu’elles l’ont été en France. On doit absolument structurer cette crise comme si elle était chez nous.»
«On ne vit pas dans le même monde»
Stéphane Buffat, agriculteur
Face au drame de devoir perdre son troupeau – souvent le fruit du travail de plusieurs générations – des agriculteurs pourraient être tentés de dissimuler des cas, nous a-t-on déclaré. Une très mauvaise idée, si on en croit le vétérinaire cantonal vaudois: «Derrière chaque règle, il peut y avoir des resquilleurs, qui font perdre du temps à la lutte, répond-il. On retrouvera les animaux malades, donc les éleveurs resquilleurs, qui risqueraient d’impacter les troupeaux alentour. On a vu en France que les sauts de puce ont valu à d’autres troupeaux d’être abattus à cause d’une légèreté. L’option de cacher un cas est une mauvaise option qui risque de se payer très cher.»
«Il ne s’agit pas seulement de l’affection que nous portons aux bêtes, mais si on nous remplace nos animaux, on doit recommencer à zéro avec des animaux que l’on ne connaît pas, renchérit Stéphane Buffat, agriculteur dans le Nord vaudois, qui se dit également très inquiet. Les décisions politiques ne tiennent pas compte de l’outil de travail que c’est sur le terrain. On ne vit pas dans le même monde.»
«On est tous des soldats de milice, je peux vous dire qu’on va savoir les recevoir!»
Michel*, agriculteur
Mais l'inquiétude cède parfois la place à la colère, comme à Genève, où un autre agriculteur a décidé de laisser ses vaches en dehors de la zone de vaccination, pour éviter ce que d'autres espèrent. Nous l'appellerons Michel. «Je suis totalement contre la vaccination, car j’ai des souches de race indemnes de toute modification de l’humain et je n’ai pas envie d’entrer dans ce schéma, nous explique-t-il. On sait très bien que des vaccins ont eu des répercussions néfastes sur l’ADN et sur les vêlages. Il y a une baisse de lait, mais ce n’est pas tout. Tout cela va beaucoup trop loin.»
«Au moment où la DNC a été déclarée en Savoie, je n’arrivais pas à comprendre l’action de mise en abattage, ajoute-t-il. Au Maroc, dans le Piémont et en Pologne, les cas ont pu être gérés sans aucun abattage. C’est comme pour nous: on ne s’euthanasie pas pour une grippe. Je crois qu’il y a une monstre arnaque derrière tout ça. L’agriculteur est devenu un mouton qui n’ose pas s’exprimer.»

Michel se dit prêt à prendre les armes, pour défendre ses vaches coûte que coûte: «Tant que le vaccin est obligatoire à Genève, je ne redescendrai pas mes bêtes. Je ne me soumettrai ni au vaccin, ni à l’abattage. Si j’ai une bête positive, je ne la signalerai pas. Je ne me soumettrai pas à leur dictature. Je ne me laisserai pas faire. Je suis un Suisse, on est souverains, on est tous des soldats de milice, je peux vous dire qu’on va savoir les recevoir! Je ne me soumettrai pas aux diktats européens. On tue l’agriculteur à travers des intérêts financiers et économiques pour un moucheron tout à fait gérable avec de la fumigation. Pour moi, c’est juste une grosse arnaque.»
Par ailleurs, il est à noter que le vaccin contre la DNC n'est pas «homologué» au sens classique en Suisse, mais «utilisable légalement» via une autorisation exceptionnelle de l’OSAV dans le cadre de la lutte contre l’épizootie.
«On a l’impression d’une situation incontrôlable»
Vincent Roten, agriculteur et vice président de la chambre valaisanne d'agriculture
Du côté du Valais, on n'est pas plus rassuré, comme l'exprime Vincent Roten, agriculteur et vice-président de la chambre valaisanne d’agriculture: «Nous sommes inquiets de cette situation, surtout dans les cantons limitrophes. On suit cela de très près, nous explique-t-il. C’est une épizootie de plus qui s’ajoute à la langue bleue et à d’autres que l’on a eues ces dernières années. Lorsque l’on regarde ce qu’il se passe en France, on a l’impression d’une situation incontrôlable. Lorsqu'on a un troupeau vacciné, comme il y a eu le cas en France, l’abattage complet est incompréhensible pour nous. C'est surréaliste, on est dans une situation de folie.»
Tous nos interlocuteurs ont été profondément choqués de voir comment les choses se déroulaient dans l'Hexagone, avec l'abattage d'animaux sains. Selon l'OSAV, il existe des dérogations au cas par cas pour éviter d'avoir à abattre l'entier d'un troupeau. D’un côté, lorsque les animaux sont correctement vaccinés, le vétérinaire cantonal peut décider de ne faire abattre que les bêtes infectées, à condition que cela se fasse selon des critères stricts et sans créer de risque de transmission. Ce dispositif serait appelé à être harmonisé sur l’ensemble du territoire suisse.
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De l’autre, dans un scénario beaucoup plus grave où l’abattage ne parviendrait plus à contenir la propagation, l’OSAV peut ordonner de ne pas mettre à mort ni éliminer les animaux d’un troupeau contaminé: une disposition explicitement exceptionnelle, réservée aux situations où la lutte contre la maladie est déjà en passe d’échapper au contrôle. Il subsiste donc un espoir de ne pas voir se répéter les mêmes erreurs de notre côté de la frontière.
«Si on appliquait les mêmes mesures que la France, ce serait la catastrophe. On doit tirer les leçons de ce qui se déroule sous nos yeux», conclut Vincent Wasser.





