L'Europe renie ses valeurs fondatrices et menace son héritage démocratique
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Article rédigé par :

Robert Habel

L'Europe renie ses valeurs fondatrices et menace son héritage démocratique

Dénoncé pour ses écrits et ses analyses comme «propagandiste du Kremlin», le colonel genevois Jacques Baud a été condamné sans instruction ni jugement, par décision d’une commissaire européenne non élue, Kaja Kallas, à une interdiction de séjour dans les pays de l’Union européenne et au séquestre de ses comptes bancaires. La philosophe française Simone Weil parlait de «la justice, cette fugitive du camp des vainqueurs». Malmenée mais résiliente depuis des années, la liberté d’expression sera-t-elle, en Europe, la fugitive du camp des vaincus en Ukraine?

jacques baud
© DR

La décision de l’Union européenne a la froideur administrative et la violence de cette justice qu’on appellera, par-delà les différences d’époques et de styles, «la justice kafkaïenne». Comme le personnage de Kafka qui apprend sa condamnation à mort par courrier, pour une raison que le tribunal ne prend pas la peine de lui donner, le colonel Jacques Baud a appris un beau matin, sans avoir jamais été contacté par personne, qu’il était déclaré agent de la propagande prorusse. Un délit ou un crime qui, tel quel, ne figure pourtant pas dans un quelconque code juridique. Et qu’il était condamné, ou plutôt «sanctionné», pour reprendre ce terme sorti tout droit du jardin d’enfants ou de l’école primaire, au bannissement des pays de l’Union européenne, y compris de Bruxelles où il vit depuis des années. Et au séquestre de ses comptes bancaires, c’est-à-dire de ses moyens de subsistance.

De quoi le colonel Jacques Baud, militaire et analyste respecté de 70 ans, auteur de nombreux livres sur les conflits en Ukraine et à Gaza, s’est-il donc rendu coupable? Et comment l’Union européenne, qui se targue de respecter la démocratie et les droits de l’Homme, peut-elle pratiquer une telle justice sommaire?


La décision de la Commission européenne aura, sans surprise, ravi les milieux et les médias favorables au régime de Kiev et à l’OTAN, qui n’ont pas esquissé la plus petite réserve ni le moindre sursaut d’esprit critique. Ceux-ci attendent et espèrent peut-être, après cette première atteinte historique et presque inconcevable contre la liberté d’expression, de nouvelles «sanctions» contre d’autres analystes et journalistes qualifiés pour l’occasion de «propagandistes du Kremlin».


Le vice-président américain J.D. Vance avait dénoncé en février dernier, dans son discours de Munich, le déclin de la démocratie et de son principe cardinal, la liberté d’expression, dans les pays européens. L’administration américaine a manifesté la même inquiétude il y a deux semaines, dans un document dénonçant «l’effacement civilisationnel» de l’Europe. En sanctionnant le colonel Jacques Baud sur la seule base de ses analyses et de ses ouvrages, comme elle le revendique elle-même, la Commission européenne renie ses valeurs fondatrices.



Il faut citer in extenso la décision de la Commission européenne, car les mots et le ton utilisés, d’une suffisance hautaine envers le travail d’un homme, n’évoquent en rien les normes et les usages de la justice européenne. Nommée haute commissaire aux Affaires étrangères, la Lituanienne Kaja Kallas n’a pas été élue lors d’un scrutin populaire et elle ne dispose à ce titre d’aucune légitimité électorale.


«Jacques Baud, écrit-elle, ancien colonel de l’armée suisse et analyste stratégique, est régulièrement invité à des émissions de télévision et de radio prorusses. Il agit comme porte-parole de la propagande prorusse et formule des théories du complot, en accusant par exemple l’Ukraine d’avoir orchestré sa propre invasion pour adhérer à l’OTAN. Par conséquent, Jacques Baud est responsable de mettre en œuvre ou de soutenir des actions ou des politiques imputables au gouvernement de la fédération de Russie qui compromettent ou menacent la stabilité ou la sécurité d’un pays tiers (Ukraine) en recourant à la manipulation de l’information et à l’ingérence.»


Une forme de justice qui n’obéit qu’à elle-même


De quels délits ou crimes avérés Jacques Baud est-il donc coupable? Sur quelle base légale et selon quelle procédure, et avec quels moyens de recours, tout cela se passe-t-il? Autant de questions sans objet, en fait, car on se situe désormais dans un univers qui n’est plus vraiment juridique: on est entré de plain-pied dans une forme de justice très particulière qui agit par elle-même, n’obéit qu’à elle-même et n’assouvit que ses propres impératifs.


Conseiller national pendant seize ans, de 2007 à 2023, l’avocat genevois Yves Nidegger observe avec effroi la dérive de la Commission européenne. «La pluralité des opinions, sans laquelle il n'y a pas de démocratie, vient de se prendre un missile dans l’indifférence quasi générale, pire avec l’approbation des bien-pensants. On a l'impression que la Commission européenne cherche à imiter le locataire de la Maison-Blanche, l'onction populaire en moins, lorsqu'il édicte des executive orders ou qu'il fait bombarder un navire de prétendus narco-trafiquants: pas de droit d'être entendu, pas d'instruction contradictoire et une motivation si évanescente qu'il n'est pas possible de la critiquer dans le cadre d'un recours, par ailleurs dénué d'effet suspensif, qui resterait théoriquement ouvert par devant le Tribunal de l’Union européenne.


«Une Comission en pleine dérive totalitaire»

On peut attaquer une décision individuelle, concrète et dûment motivée, on ne peut pas attaquer une liste, acte matériel fermé par nature à toute révision. Ce cas jette une lumière crue sur les dérives totalitaires de la Commission européenne: instituée au départ par le droit, elle a aujourd'hui déserté ce terrain au profit de celui des valeurs et est en mesure de désigner ses ennemis intérieurs comme extérieurs en tout arbitraire et sans contrepouvoir.»


Et, maintenant quoi? Que va-t-il se passer pour le colonel Jacques Baud comme pour l’ensemble des pays européens, y compris le nôtre, la Suisse, qui est si fortement liée à l’Union européenne? La jurisprudence Jacques Baud, c’est-à-dire la condamnation sans preuves et sans appel, deviendra-t-elle l’épée de Damoclès pesant sur toutes les têtes? Le titre d’une libre opinion parue récemment dans le quotidien français Le Monde avait ainsi un aspect involontairement comique: «Faut-il limiter la liberté pour mieux la défendre?"


La Commission européenne défendra-t-elle désormais la liberté en interdisant toute contradiction et toute voix discordante?


Un héritage démocratique menacé


Le colonel Jacques Baud se retrouve donc condamné pour ses analyses du conflit en Ukraine qui ne correspondent pas à celles des actuels dirigeants de l’Union européenne. Mais il n’est pas le seul à développer ces analyses qui, loin d’être «prorusses», comme le prétend Kaja Kallas, sont certes subjectives mais nuancées et ancrées dans une connaissance profonde de l’histoire européenne. La Commission européenne essaiera-t-elle, après cette première attaque contre un citoyen suisse, d’élargir son action contre tous ceux qui ne pensent pas comme elle et ne répètent pas son narratif sur le conflit en Ukraine?


Les journalistes et les médias indépendants seront-ils à leur tour inquiétés? L’Impertinent, par exemple, qui cultive par-dessus tout la liberté de penser, sur le dossier ukrainien comme sur tous les autres, sera-t-il bientôt dénoncé et interdit, ses comptes gelés comme les comptes de Jacques Baud?


Amèle Debey, qui a fondé et dirige L’Impertinent, sera-t-elle bientôt dénoncée, à son tour, comme une agente du Kremlin, pour la simple et unique raison qu’elle défend la liberté d’expression?


C’est tout l’édifice culturel et politique de l’Europe, c’est tout son héritage démocratique qui se retrouve aujourd’hui menacé. Que faire?, demandait le camarade Lénine en son temps. Eh bien, il faut soutenir les derniers refuges de la pensée en liberté, encourager les voix libres, s’abonner aux médias indépendants, être actif sur les réseaux sociaux.


La liberté ne se divise pas!

 

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