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Article rédigé par :

Amèle Debey

Genève: une fusion dans les services du canton sème «inquiétude» et «souffrance» parmi des employés

Dernière mise à jour : 9 déc. 2024

A l’image d’autres cantons, Genève s’apprête à fusionner son Service de probation et d’insertion (SPI) et son Service de l'application des peines et mesures (SAPEM). Des employés dénoncent une absence d’accompagnement au changement, une organisation floue et des perspectives de travail inquiétantes.

Fusion SAPEM/SPI
© Canva

Il était l’un des deux derniers cantons à ne pas avoir franchi le pas, ce sera désormais corrigé dans le courant de l’année prochaine: Genève va fusionner son SPI et son SAPEM. Le but? «Augmenter les synergies et avoir une meilleure cohérence dans la prise en charge afin de la rendre encore plus efficace», expliquait la directrice des deux entités, Zeinab Aouamri, au Temps l’année dernière.


Dans le canton de Fribourg, par exemple, la fusion est effective depuis 2018 et le bilan est plutôt «très positif», selon Xavier Orsini, chef du Service de l’exécution des sanctions pénales et de la probation, fervent défenseur de cette démarche: «C’était très stressant et assez compliqué, car chacun essaie de défendre son bout de steak. Mais on a procédé en douceur et les craintes ont rapidement été levées. Aujourd’hui, nous avons une meilleure sécurisation de la prise en charge et une meilleure communication.»


En revanche, cela semble être une tout autre histoire à Genève, si on en croit plusieurs employés qui se sont confiés à L’Impertinent. Après les phases de consultations avec les services concernés, il a été décidé de que ce projet serait mis en œuvre dans un mode participatif dès juin 2023. Ce qui a impliqué beaucoup de séances de consultation et de suivi dans l'accompagnement au changement, du moins sur le papier...


«Comment on se sent, comment on va, personne ne nous le demande jamais»

«Personne n’est venu nous voir, à part la directrice qui vient discuter de l’aménagement des bureaux, pour leur donner un nom de rivière ou de montagne, confie un intervenant socio-judiciaire passablement agacé. Mais nous, comment on se sent, comment on va, personne ne nous l’a demandé et ne nous le demande jamais. On veut faire mieux avec moins et la souffrance des collaborateurs n’est pas prise en compte. Personne ne nous accompagne.»


A la source des inquiétudes, le manque apparent de vision claire et le sentiment de naviguer à vue. Et surtout, les annonces des nombreux changements déjà connus qui vont impacter le quotidien des employés: par exemple, la suppression des bureaux attitrés, puisque les employés devront désormais être mobiles et seront attribués à des «pétales» en fonction de leur activité. Ils seront regroupés à l’Office cantonal de la détention des Acacias, mais devront graviter dans les autres établissements, comme Champs Dollon ou la Brenaz. Pour l’heure et depuis plus d’un an, ils ne savent ni avec qui ils vont travailler, ni où, ni qui seront leurs supérieurs.


Contexte bancal et mises en arrêt


«Les intervenants sociaux judiciaires, les référents juristes et gestionnaires du SAPEM sont dans l’attente de savoir qui seront leurs collègues et quelles seront leurs tâches. Ils ont peur de perdre certaines de leurs fonctions et droits, explique notre témoin. Les chefs n’auront plus les mêmes postes, donc ils ont dû repostuler à des places pour lesquelles ils n’ont pas les qualifications. Il y a des gens qui vont rester sur le carreau ou qui seront recasés dans des jobs qui ne conviennent pas à leurs compétences.»


Selon l’un des témoins, l’encadrement manquerait cruellement dans un contexte parfois bancal. La directrice actuelle a pris ses fonctions en mars 2023, mais le SPI et le SAPEM ont fonctionnés sans direction durant plusieurs mois, après le départ de leurs directions respectives. Le SAPEM a vu plusieurs personnes se succéder à sa tête depuis le drame de l’affaire Adeline, survenu en 2013. Cette fusion ne semble pas avoir apaisé les esprits, puisque la directrice adjointe a été plusieurs fois mise en arrêt ces derniers temps. Tout comme un chef de secteur du SAPEM.


«Dans une entreprise privée, cela ne se passe pas comme ça»

Contacté, le Directeur de la communication du Département des institutions genevois, Laurent Paoliello, confirme la mise en arrêt actuelle de deux collaborateurs sur 130. Selon lui, «il est normal que certaines personnes aient des questions ou des doutes et il s'agit d'y répondre, surtout dans le cadre de la réorganisation des équipes. L’État est particulièrement respectueux des processus de changements. Dans une entreprise privée, cela ne se passe pas comme ça.»


Mais, si on en croit une autre de nos témoins, ce n’est actuellement pas le cas: «Il y a beaucoup d’inquiétude qui n’est pas prise en considération, nous explique-t-elle. A aucun moment les RH n’ont essayé de rassurer le personnel. Le message est clair: le changement arrive et ceux qui ne sont pas contents n’ont qu’à démissionner. C’est violent.»


Si elle reconnaît l’utilité de ce projet sur le fond, car «il y a besoin de plus de communication entre les services», c’est la forme qui lui pose problème: «Je n’ai jamais signé pour aller travailler dans un autre établissement», souffle-t-elle. Son collègue, au contraire, ne comprend pas en quoi cette fusion va bénéficier aux détenus et s’inquiète des répercussions de ce qu’il perçoit comme un dangereux mélange des genres: «Nous n’avons pas le même but. Il y a un antagonisme entre les deux missions. Cette fusion est donc assez difficile à comprendre. Le Service d’application des peines et mesure applique, et prend des décisions qui ne sont pas très populaires auprès des détenus. Nous sommes le service social. Nous travaillons à leur réinsertion. Cela va nous mettre en porte-à-faux avec les détenus. Cela va saper le lien de confiance.»


«C’est extrêmement difficile à vivre»

«Toutes ces interrogations, ces incompréhensions et ces changements génèrent beaucoup de souffrance, ajoute ce dernier. On n’a aucun accompagnement au changement depuis le début de l’année. On doit se baser sur les bruits de couloir. C’est extrêmement difficile à vivre. A chaque groupe de travail, tout est remis en question. Les décisions ne sont clairement pas prises. On n’a pas pris la peine de consulter les directions des établissements. Ils ont déjà dit non à certaines choses.»


Contactés, les directeurs des deux prisons de Champ-Dollon et La Brenaz nous ont renvoyé au porte-parole, Laurent Paoliello, «en raison du secret de fonction» auquel ils sont soumis.

Parmi les employés, «peu sont syndiqués à ma connaissance, nous confie l’un de nos témoins. Justement on va s'y (re)mettre avec un collègue.» La perspective de démissionner, si elle effraie encore, est également envisagée.


La «date de bascule» a été officiellement fixée au 1er février 2025. Mais Laurent Paoliello de préciser: «Pour paraphraser partiellement un homme célèbre, il a été décidé que nous irions aussi vite que possible mais impérativement aussi lentement que nécessaire.»

2 Comments


suzette.s
Dec 08, 2024

Il y a deux sortes de restructurations: celles qui sont opérées par des responsables intelligents, préoccupés autant du succès humain que du succès "pratique" de l'opération et celles qui sont opérées par des technocrates vaniteux.

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info
Dec 08, 2024

Pour subir moi-même dans mon domaine privé, des changements imposés par l'Etat, je rigole. Quand le fonctionnaire arrive, il est le roi qui impose, il ne vient jamais me demander comment je me sens de devoir faire des procédures à la con totalement inutiles et chronophage, par contre, les menace de procédures pénales fuses comme "avertissement". Permettez-moi de ne pas verser de larmes pour ces ronds de cuir enfoncé dans leur fauteuil. Merci de leur tendre un miroir. Il verront la bête.

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