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Article rédigé par :

Komlanvi Ketohou

En Afrique de l’Ouest, les régimes politiques et militaires en veulent à la presse

En Afrique de l’Ouest, la liberté de presse est en sursis. De gré ou de force, les journalistes critiques sont réduits au silence. Dans cette région du monde, l’hostilité contre les médias est croissante. Un contexte de transitions et de tensions où le droit d’informer devient une ligne de fracture démocratique.

kiosque
Les kiosques à journaux se raréfient à Dakar (Sénégal). © DR

Komlanvi Ketohou est journaliste togolais et défenseur des droits humains diplomé

résidant au Luxembourg. Il a couvert plusieurs événements internationaux, dont les Assemblées

générales et les sessions de l’ONU ainsi que les élections en Afrique.

Trois journalistes aux crânes rasés, visiblement sous pression et vêtus de treillis, réapparaissent.  Dans une vidéo du 2 avril 2025, Guézouma Sanogo, Boukari Ouaba et Luc Pagbelgem, disparus au Burkina Faso deux semaines auparavant, y affirment: «Nous sommes arrivés ici dans des circonstances particulières, mais nous apprécions cette occasion de rendre compte de la réalité.» Une déclaration qui a surpris l’opinion, tant les journalistes en question sont connus comme critiques à l’endroit du pouvoir. Selon l’ONG Reporter Sans Frontières, ils font partie des six journalistes à être envoyés au front en l’espace d’un an. C’est l’inspiration d’Ibrahim Traore, le Chef de la junte au pouvoir: envoyer ses opposants sur le front combattre les djihadistes pour, selon lui, «vivre la réalité du combat contre les terroristes.»


Le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont solidaires, comme dans l’AES, l’Alliance des États du Sahel (qui les unit) dans la méthode de musellement de la presse. Enlèvements, détentions arbitraires et isolements est le mode opératoire. «Partout en Afrique de l'Ouest, les journalistes travaillent dans un contexte de menaces diverses pour leur sécurité et leur liberté. Au Burkina Fasodes journalistes ont été arrêtés à plusieurs reprises et contraints au service militaire à la suite de reportages ou de commentaires critiques, s’indigne Jonathan Rozen, coordinateur du programme Afrique du comité pour la Protection des Journalistes, CPJ. Des médias ont également été suspendus pour avoir couvert l'insécurité dans le pays. Les journalistes travaillant au Mali et au Niger, également dirigés par des gouvernements militaires, sont aussi menacés d'arrestation ou de suspension pour des reportages jugés indésirables».


Jonathan Rozen (Responsable Afrique CPJ)
Jonathan Rozen (Responsable Afrique CPJ). © DR

Ces régimes ont en commun la sauvegarde et la légitimité du pouvoir militaire issu de coup d’État. L’appel au retour à l’ordre constitutionnel, du respect des libertés fondamentales et de la bonne gouvernance par la presse libre est considéré comme une subversion antipatriotique. Depuis la prise de pouvoir, les nouveaux maîtres imposent un mot d’ordre implicite: obéir sans broncher. «Partout, dans la région, se répand un vent de populisme dont les acteurs disent mener des luttes révolutionnaires et s'en servent comme prétexte pour réprimer toute voix discordante, incluant les journalistes/médias indépendants. Le même phénomène se retrouve dans les pays sous régime militaire ou civil», explique Maxime Domegni, responsable Afrique du réseau des journalistes d’investigation (GIJN), qui craint le recul de ces pays dans le classement mondial sur la liberté de presse. Selon le rapport 2025 de RSF, la plupart des pays concernés ont reculé. Le Burkina Faso est 105ᵉ, contre 86ᵉ en 2024. Le Mali 119ᵉ contre 114, le Niger est 83ᵉ et le Togo perd 12 places: 121ᵉ contre 113 en 2024. Le recul est inquiétant.   


Régimes civils, même combat


Autant l’objectif consiste en la prédation de la presse, autant les formules sont variées. Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de Reporter Sans Frontières, fait observer que les journalistes dans les pays dirigés par des civils courbent l’échine sous l’asphyxie financière. Le renforcement des pouvoirs de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) et le vote des lois liberticides entraînent la fermeture des journaux et l’emprisonnement des journalistes. «Au Togo et au Bénin, la HAAC constituent l’épée de Damoclès sur la tête des journalistes et des médias. Elle a cette capacité extraordinaire de les écraser sur la base de suspension et de décisions assez liberticides et disproportionnées», confie Sadibou Marong. Depuis 2020, plusieurs journalistes et médias jugés critiques du pouvoir togolais ont subi suspension, fermeture, arrestations et exils. Le pouvoir togolais a mis les journalistes sous surveillance du logiciel d’espionnage Pegasus. Une opération coup de poings qui a pavé la voie aux autorités du Togo pour passer le cap de la suppression de l’élection présidentielle et de la mutation du pays en régime parlementaire.


Sadibou Marong
Sadibou Marong (responsable Afrique de l'Ouest RSF). © DR

Selon le CPJ qui confirme, le journalisme en ligne est criminalisé au Togo et au Bénin. «Les délits de presse au Togo sont régis par le code de la presse, mais dans certaines circonstances, les journalistes peuvent être poursuivis en vertu du code pénal. De même, le code numérique béninois a été utilisé pour emprisonner des journalistes en raison de leur travail», conclut Jonathan Rozen.


Selon le rapport de RSF, le Sénégal a enregistré huit arrestations et soixante atteintes de violation à la liberté de la presse avant les élections de 2024. Aujourd’hui, les autorités exigent la transparence dans la gestion des entreprises de presse. Cette surveillance a pour conséquences la perte de contrats publicitaires et la fermeture de certains médias, selon l’officiel de RSF. Les journalistes qui osent s’exprimer dans ce contexte sont ceux qui ont réussi à s’échapper. Ceux qui résident dans le pays sont méfiants: «Je ne pus échanger avec vous sur ce sujet délicat, je parie que mon téléphone est sur écoute et je risque d’aller au front si les autorités savent que je communique à l’étranger», nous a confié un journaliste, responsable d’organisation de presse du Burkina Faso, sous couvert d'anonymat. La chape de plomb imposée par la peur mine la liberté de la presse et sabote les fondements de la démocratie, s’inquiète ce journaliste engagé. Pour lui, la censure et l’autocensure sont les seuls gages pour «s’éviter les représailles.»


Négationnisme et prétextes


«Nous ne savons pas où ils sont». C’est la rhétorique des autorités militaires lorsqu’elles sont interpellées sur les cas des journalistes portés disparus. Les civils, tout en refusant de s’exprimer sur le fond, évoquent les diffamations, les atteintes à l’honneur, la diffusion de fausses nouvelles et l’atteinte à la sûreté de l’État. Les organisations de presse, souvent divisée par les pressions politiques, préfèrent rester neutres, ajoutant à la confusion dans la défense de la liberté de presse. Et pourtant, du Niger en Guinée, du Burkina au Mali, plusieurs cas de journalistes kidnappés découverts dans les mailles des pouvoirs ont été signalés par les organisations internationales.  


Mission de dénonciation et de protection


Les organisations internationales de défense des droits de l’Homme et de la liberté de la presse sont impuissantes à faire arracher aux dirigeants le droit d’exercer des journalistes. À défaut, leurs actions sont limitées: la dénonciation à travers les communiqués, les rapports et le soutien aux victimes.


Maxime Domegni
Maxime Domegni, responsable réseau journalistes d'investigations en Afrique. © DR

Selon le rapport 2023 d’Amnesty International, la Guinée s’est rendue coupable des violations de la liberté d’expression: «Le ministre des Postes, des télécommunications et de l'économie numérique a déclaré le 30 novembre que l’Internet n’est pas un droit. Le site d’actualité Guinéematin.com a été inaccessible du 15 août au 5 novembre. La Haute Autorité de la Communication a adressé des courriers les 6 et 9 décembre à Canal+ Guinée, pour lui demander de cesser la diffusion de Djema FM et Djema TV, d’Espace FM et Espace TV, d’Évasion FM et d’Évasion TV. Star Times, un autre distributeur, a annoncé qu’il retirait Djema TV, Espace TV et Évasion TV de son offre pour les mêmes raisons», publie l’organisation. Sur la protection des journalistes, les ONG préconisent la protection, la relocalisation en cas d’exil, les formations sur la protection des données et la sécurité digitale. «Le CPJ fournit également une assistance d'urgence aux journalistes menacés et propose des conseils et des ressources de sécurité pour les aider à se préparer à des missions dangereuses et à tout mettre en œuvre pour assurer leur sécurité au travail», clarifie le responsable Afrique du comité basé aux États-Unis.


À l’épreuve de la crédibilité et de la transparence


Selon RSF, la Gambie et le Cap vert se démarquent et font observer une embellie en matière de liberté de la presse. En Côte d’Ivoire, on retient son souffle à la veille de l’élection présidentielle où la liberté de presse est souvent mise à rude épreuve. Les défenseurs de la liberté de la presse invitent les États liberticides à emboiter le pas à ces pays sur la bonne voie et à prendre leur responsabilité: «Comprendre que la presse n’est pas leur ennemie. La criminalisation du journalisme n’est pas la solution pour une société plus juste et inclusive. La solution, c'est de mettre fin à l'impunité pour les crimes, assassinats, arrestations, censure et toute forme d'exactions contre les journalistes, qui jouent, dans la société, un rôle vital, précieux, et qui parfois, sauvent des vies», conclut Kossi Balao, directeur du Forum francophone du Centre International pour les Journalistes (ICFJ). Un appel fort rappelé aux dirigeants le 3 mai dernier, la journée mondiale de la liberté de presse

1 comentario


suzette.s
01 jun

Merci de dénoncer ces situations, mais que peut-on faire ici pour les éviter ou y remédier?

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