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Article rédigé par :

Jean-Charles Biyo'o Ella

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Ces multinationales suisses qui polluent l’Afrique

Dernière mise à jour : 29 mars 2024

Les Suisses se prononcent le 29 novembre 2020 sur l’initiative «entreprises responsables pour protéger l’être humain et l’environnement», avec pour objectif d’obliger les sociétés sises en Suisse à examiner régulièrement les conséquences de leurs activités sur les droits de l’homme et l’environnement. Afin d’éviter de graves accusations qui pèsent régulièrement contre elles ou leurs filiales, et de répondre ou assumer leurs actes. La question ici est celle de savoir qui sont donc exactement ces multinationales qui font preuve d’irresponsabilité en Afrique et particulièrement au Cameroun, au sens donné par ce vote?

LafargeHolcim fait partie des entreprises visées par l'initiative du 29 novembre. © Greenpeace


Il y a quelques années, au Cameroun, avoir un membre de sa famille en suisse était synonyme de prestige au sein de la communauté. Aujourd’hui, c'est du passé. Les multinationales helvétiques installées ou représentées au Cameroun ont tôt fait d’écorner cette images à travers les graves accusations qui pèsent contre elles, aussi bien dans la gestion de l’environnement que dans le pillage des matières premières, dont le pétrole.


LafargeHolcim. Le groupe franco-suisse est représenté au Cameroun par Cimencam, sa filiale nationale créée en 1963 et spécialisée dans la production du ciment. Cimencam, qui se présente comme «le leader des matériaux de construction au Cameroun», mais officiellement deuxième en termes de chiffre d’affaire derrière le nigérian Dangoté, exploite plusieurs carrières, dont l’une contient de la pouzzolane, qui sert d’intrant dans la fabrication du ciment.


L’entreprise compte quatre usines, une station de broyage située à Bonaberi sur les berges du fleuve Wouri à Douala, une cimenterie intégrée à Figuil dans la région du Nord, une usine de broyage à Nnomayos et une centrale à béton située à Olembe, dans la région du Centre du Cameroun.


Aujourd’hui, le franco-suisse, qui pèse plus de 70 milliards de francs CFA, soit 106'801 millions d’Euros, en termes de chiffre d’affaires, pour une production annuelle de 1,5 millions de tonnes de ciment.


Mais derrière cette image de «sainteté», se cachent de vives critiques, tant de la part des populations locales, que des organisations de la société civile. Entre nuisances sonores, pollution de l’air et non prise en compte des besoins et réclamations des populations, la pilule est difficile à avaler pour les communautés et le ras-le-bol atteint parfois son paroxysme.


A Djoungo-Rails et Djoungo-Route, deux petits villages extrêmement pauvres situés à proximité de l’une des carrières, dans la commune de Mombo région du littoral, les communautés sont à bout de souffle. Elles ont perdu de la voix à force de crier pour se faire entendre, en vain! «Cela fait des années que cet enfer dur, nous sommes aujourd’hui fatigués, impuissants et nous ne tenons plus, qu'à un fil», témoigne un villageois sous couvert d'anonymat.


En fait, l’image quotidienne qui hante l’esprit des communautés, c’est celle des tourbillons incessants de poussières de qui s’élèvent dans le ciel à longueur de journée. En clair, dans ces villages, personne, pas même le nourrisson, n’échappe aux poussières de l’exploitation de ces carrières, qui fonctionnent 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Ces poussières sont soulevées essentiellement par des camions qui transportent la pouzzolane extraite, jusqu’à l’usine de ciment de Bonabéri, à Douala. Selon des témoignages, entre quinze et vingt camions défilent quotidiennement sur le site, chacun faisant environ trois voyages par jour entre Douala et la carrière. D’autres rapports font état d’une quarantaine de camions de 28 tonnes partant chaque jour de la carrière pour se rendre à Bonabéri. De plus, ces véhicules sont responsables de fortes nuisances sonores.


Les habitants de Djoungo-Rails et Djoungo-Route estiment que les poussières soulevées par les camions de Cimencam leur posent des «problèmes de santé», et en particulier des «maladies respiratoires». Une position que les chefs traditionnels de ces petits hameaux soulevaient déjà en 2015, lors d’une consultation publique en affirmant qu’ils souffraient «de maladies pulmonaires dues, selon eux, à ces poussières et particules inhalées, issues des carrières de Cimencam».


Selon les spécialistes de la santé, «ces particules fines sont très dangereuses, puisqu’elles entrent dans l’appareil respiratoire et se posent sur les poumons. Elles peuvent provoquer des rhinites, de l’asthme, des bronchites chroniques et être responsables d’affections oculaires. La silice qu’elles contiennent augmente par ailleurs le risque de tuberculose, de cancers et de maladies rénales». Et ces maladies sont en quelque sorte le quotidien des populations de ces localités.


Pollution à ciel ouvert


Selon un rapport publié par Greenpeace suisse le 4 novembre 2020, l’ONG de protection de l’environnement affirme qu’«à l’usine de Cimencam (à Figuil) dans le nord du Cameroun, il y a un défaut technique dans le système de filtrage de la cheminée. Il en résulte de grandes quantités de déchets de poussières, que la filiale du cimentier suisse répand sur un marché à ciel ouvert. Les gens se plaignent que la poussière est remuée par le vent, ce qui couvre leurs biens et provoque des irritations». Greenpeace ajoute que les analyses qu’elle a effectuée «montrent en effet des valeurs de pH très élevées et du chrome(VI) cancérigène hautement toxique dans ces déchets de poussières».


Glencore. Plus connu en République démocratique du Congo par ses multiples scandales de violation des droits humains dans l’exploitation du cobalt, minerais indispensable dans la fabrication des téléphones portables, le géant Suisse dicte aussi sa loi au Cameroun dans l’extraction du pétrole brut. En 2019, il a décroché du gouvernement camerounais, un contrat d’exploitation de l’or noir pour une durée de 20 ans, renouvelable.


Le champ pétrolier en question s'étend sur une superficie de 70 kilomètres carré, et une hauteur totale de 13,7 mètres dans un réservoir principal, dont 6,2 mètres de hauteur nette d'huile. Le champ a été découvert en novembre 2012 par Glencore Exploration Cameroun, filiale locale de Glencore. La société avait alors indiqué que «l'échantillonnage a révélé un très bon débit, ainsi qu'une bonne quantité d'huile et de réservoir». A l’époque, elle avait mentionné que les travaux desdits puits avaient été suspendus dans l'attente de tests de production à proprement parler, ainsi que la possible utilisation du site comme «puits profondeur».


Les intérêts tirés de l'exploitation du champ reviendront à 75% à la filiale locale de l'opérateur suisse, tandis que les 25% restants iront à la SNH, la société nationale des hydrocarbures, structure camerounaise.


Toutefois, il faut rappeler qu’entre l’Etat du Cameroun et la société Glencore, c’est un «amour» de longue date. Le suisse est l’un des livreurs du pétrole du pays. En septembre 2020, il a trainé en justice la Sonara, la Société Nationale de Raffinage du Cameroun pour une affaire d’impayés, s’élevant à près de 15 millions d'euros. Ce montant représentait les intérêts dus pour la livraison d’un peu plus de 1,6 millions de barils de pétrole brut entre novembre 2012 et janvier 2015.


«Des compagnies suisses vendent du carburant toxique en Afrique. Elles produisent en Europe des carburants qui ne pourraient jamais y être vendus sur le sol européen»

Selon une enquête réalisée en 2016 par Public Eye sur la façon dont les négociants suisses inondent l’Afrique de carburants toxiques, l’association indépendante révèle que les compagnies helvétiques profitent des faibles standards en Afrique pour coproduire, livrer et vendre des carburants à haute teneur en soufre, interdits en Europe. Par ces pratiques «ces sociétés contribuent à l’explosion de la pollution de l’air dans les villes africaines et nuisent à la santé de millions de personnes». D’après Public Eye, qui affirme avoir prélevé des échantillons à la pompe dans huit pays africains, «les carburants analysés présentent jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe. Ils contiennent d’autres substances très nocives, comme du benzène et des aromatiques polycycliques, à des niveaux également interdits par les normes européennes. En Afrique de l’Ouest notamment, les négociants Vitol, Trafigura ou encore Addax & Oryx profitent de la faiblesse des standards pour vendre des carburants de mauvaise qualité et réaliser des profits au détriment de la santé de la population africaine».


De plus, «les négociants suisses ne se contentent pas de vendre du diesel et de l’essence toxiques; ils les fabriquent à dessein, en mélangeant divers produits pétroliers semi-finis à d’autres substances pétrochimiques afin de créer ce que l’industrie appelle «la qualité africaine». Ces carburants très polluants sont principalement produits et exportés depuis la zone ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), où les négociants suisses disposent d’importantes infrastructures, telles que des raffineries et des entrepôts. Les sociétés suisses produisent en Europe des carburants qui ne pourraient jamais y être vendus. Ils sont par ailleurs responsables d’une part importante des exportations de diesel et d’essence à haute teneur en soufre».


«Les entreprises Suisses vendent en Afrique des cigarettes plus toxiques que celles fumées en Europe»

Une autre étude réalisée par Public Eye intitulée «Les cigarettes suisses font un tabac en Afrique» et publiée en janvier 2019 démontre que la Suisse exporte plus de cigarettes que de chocolat en Afrique. L’association fait remarquer que ces multinationales pratiquent le deux poids deux mesures. Les cigarettes vendues en Afrique sont plus toxiques que celles fumées en Europe, indique cette publication. Et ces marques sont pourtant les mêmes ou quasiment: Winston, Camel et Marlboro, entre autres.


Au moment où les Suisses s’apprêtent donc à voter pour exiger aux multinationales helvétiques d’être plus responsables dans leurs actions, aussi bien dans la gestion de l’environnement, dans la protection de la santé de leurs consommateurs africains que dans la prise en compte des droits des communautés locales victimes des activités de ces compagnies, Samuel NGUIFFO, le secrétaire exécutif du CED (Centre pour l’Environnement et le Développement), une ONG nationale très active dans la protection de l’environnement et la santé des communautés, a une attente pour son pays, le Cameroun:


«Que ce vote permette à chaque multinationale Suisse installée en Afrique, ou représentée en Afrique, de respecter dans ses opérations à l’étranger, au minimum les mêmes standards qu’elle respecte dans son pays d’origine. Ce que les Suisses devraient aussi savoir, c’est qu'entre les Etats africains, il y a des équilibres évidents des pouvoirs. Il y a des multinationales qui sont plus puissantes que certains de nos Etats et donc, on ne peut pas attendre des Etats ou des communautés, qu’ils disciplinent des multinationales. Par contre, il n’y a que des Etats d’origine qui peuvent amener ces entreprises internationales à changer leur ligne de conduite en respectant des exigences locales. C’est ce que nous attendons de la Suisse, c’est ce que nous attendons de ce vote du 29 novembre 2020».

 

Les précédentes enquêtes de Jean-Charles Biyo'o Ella:




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