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Article rédigé par :

Amèle Debey

E-ID: qui a fait basculer les votes vers le «oui»?

Adoptée de justesse, l’e-ID a profité de 163'000 francs d’encarts offerts par Ringier et TX Group. Pratique «courante», indépendance éditoriale revendiquée et cadre légal nuancé, mais transparence et éthique demeurent en question. Quand la frontière entre communication et influence se joue à 50,4%.

e-ID

© DR



Le week-end dernier, le peuple suisse votait pour l’adoption de l’identité numérique (e-ID) à un très court 50,4% de «oui». Quelques jours avant la votation, des publicités en faveur de l’acceptation ont été publiées dans la plupart des grands journaux du pays: Le Matin Dimanche, SonntagsZeitung, Basler Zeitung, Berner Zeitung / Der Bund Gesamtausgabe, Tages-AnzeigerBeobachter, Blick, HZ et Schweizer Illustriert, ainsi que l'ensemble du réseau numérique de Ringier et TX Group.

 

Selon le Contrôle fédéral des finances (CFC), les deux plus grands éditeurs de Suisse ont offert des encarts publicitaires à Allianz pro-eID d’une valeur de 85'000 francs pour l’un et 78'000 francs pour l’autre. Soit, un don de 163'000 francs pour la campagne en faveur du «oui».


CFC

 

Du côté des deux groupes, on confirme cette information. On évoque une «pratique courante» et une séparation stricte entre activités éditoriales et marketing. Autant les communicants de TX Group que de Ringier nous ont cité leur couverture diversifiée de cet objet pour preuve de l’indépendance journalistique préservée. Mais les résultats serrés soulèvent des questions: ces interventions ont-elles pu faire basculer l'issue du vote?


encadré 2

Intérêt commercial

 

Tant Ringier que TX Group assument pourtant officiellement leur soutien à l’identité numérique. Pour Philippe Amez-Droz, chargé de cours au Médialab de l'Université de Genève et spécialiste de l'économie des médias, cela se justifie sur le plan commercial. Il situe l’e-ID dans la trajectoire de la pub en ligne: «la native advertising est une technique de marketing digital très éprouvée.» Le modèle bascule du display (devenu dissuasif sur mobile, car il coupe la consommation des contenus) vers le placement intégré: «Le placement de contenu, l’ad, produit l’effet inverse: vous avez le sentiment qu’il s’agit d’un contenu “désiré”, donc en lien avec vos goûts et vos préférences.» L’IA «va accélérer ce placement de contenu» grâce à la «rapidité d’analyse des flux», ce qui relève d’«économies d’envergure».


Dans ce contexte, il «comprend» l’attitude des groupes suisses face aux géants américains: «TX Group et Ringier sont en concurrence avec les acteurs des réseaux sociaux américains, lesquels disposent déjà de la proximité de OpenAI, de TIT, Metload aussi… » D’où «l’intérêt de deux groupes suisses à favoriser l’e-Identity… ; cela ne me choque pas.» Reste que l’Europe part avec un handicap: «Le gros problème aujourd’hui, c’est que la plupart des entreprises de médias européens ont du retard en compétences algorithmiques.» Le marché est tenu par des multinationales, à l’exception de TikTok», qui «négocie actuellement avec le gouvernement américain la cession de la gestion de sa plateforme aux États-Unis.»


Dès lors, «les enjeux ne sont pas seulement économiques, mais ils sont géostratégiques, explique encore Philippe Amez-Droz, puisque un des soupçons que les Canadiens d'abord, puis les Américains ont eu vis-à-vis de TikTok, c'est qu'il s'agissait d'un cheval de Troie par rapport notamment à l'exploitation des données personnelles de gens travaillant pour l'armée, ou d'autres entreprises sensibles des États-Unis d'Amérique. Donc on voit que les enjeux dépassent des questions de pure économie, d'affaires. Il s'agit d'enjeux géostratégiques en lien avec la maîtrise algorithmique de vos données personnelles. Pour du placement de produits, mais du point de vue de l'analyse des données, on peut aller bien plus loin. Et cela devient des enjeux de cybersécurité économique ou militaire.»


Et l’éthique dans tout ça?


encadré

Sur le plan normatif, ces publicités à la veille des votations «posent un problème d’éthique, sans l’ombre d’un doute», tranche Philippe Amez-Droz. Reste à savoir «si cette pratique est régulée, si elle est contrôlée par un service étatique… Il existe aussi l’autorégulation. En France, par exemple, un organisme vérifie que la publicité politique réponde à des normes d’intérêt public compatibles avec le calendrier des votations. Est-ce éthique d’intervenir dans une campagne de votation sur une initiative où l’enjeu est assez important? La question reste franchement ouverte.»


Enfin, sur le rôle des éditeurs, notre expert est lucide: «Je pense, en effet, que le “cadeau” fait par TX Group et Ringier à la campagne du oui n’est peut-être pas aussi innocent ou neutre que cela. Il y a donc une question d’ordre démocratique et éthique sur l’influence de deux grands groupes de formation de l’opinion, qui ont peut-être contribué à faire basculer le résultat – surtout si tout s’est joué à quelques centaines de voix.»


La Suisse prévoit-elle des gardes fous pour éviter l’ingérence de la publicité en période de votation? Nous avons posé la question à Nicolas Capt, avocat spécialisé dans le droit des médias: «Le fait pour un éditeur de presse écrite d’offrir des encarts publicitaires ne me paraît pas tomber, en droit suisse, sous le coup d’une interdiction générale. L’autonomie contractuelle prime et je ne vois pas ce qui prohiberait d’offrir des conditions de faveur à un annonceur et pas à un autre, nous a-t-il expliqué. Par contraste, je relève que la latitude, en matière publicitaire comme éditoriale, est, en revanche, beaucoup plus restreinte à la radio et à la télévision: la publicité pour des objets soumis au vote y est interdite dès le moment où les autorités compétentes publient la date de la votation et jusqu’à cette dernière et le traitement éditorial des questions politiques est soumis à un régime exigeant le reflet de la pluralité des opinions».


Contacté, le Conseil suisse de la presse s'est contenté de rappeler l'article 10 de la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes. À savoir, «S’interdire de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs publicitaires.» Et la directive 10.1 (séparation entre partie rédactionnelle et publicité) y relative: «Une nette séparation entre la partie rédactionnelle, respectivement le programme, et la publicité ainsi que tout contenu payé ou fourni par des tiers est impérative pour la crédibilité des médias. Les annonces, émissions publicitaires et contenus payés ou fournis par des tiers doivent se distinguer de façon claire et visible des contributions rédactionnelles. Elles doivent pouvoir être clairement reconnues optiquement/acoustiquement de façon univoque et être désignées explicitement comme de la publicité. Les journalistes s’abstiennent de transgresser cette séparation en intégrant de la publicité clandestine dans leurs articles ou émissions.»


On nous a donc indiqué la possibilité de porter plainte, sans répondre à nos questions précises sur ce cas en particulier. Ni sur sa fréquence.


Un éditeur privé aurait-il le droit de faire ce qu’il veut dans ses pages? Soit, mais qu’en est-il d’une entreprise détenue majoritairement par l’État? Car, «selon le comité référendaire contre l’e-ID, Swisscom a fait un don de 30'000 francs à un comité favorable à l'e-ID et a demandé à un cadre supérieur de faire publiquement la promotion du projet, expliquait la RTS dans un article daté du 28 octobre. Il y a eu en outre un don de 150'000 francs au comité du oui de la part de la fondation Digitalswitzerland, la faîtière de la numérisation en Suisse, qui compte dans sa direction le PDG de Swisscom». Et TX Group.

 

Deux recours ont été déposés afin que la votation soit annulée.

9 commentaires


Madame Amèle Debey, bonjour,


J'ai déjà quelques remarques sur le journal (puis je donnerai celles sur l'article) :

1)

Vos articles sont payants, soit, mais ne sous-intitulez pas "l'information au service du public"; c'est mensonger, car l'information payante est au service des privés.

2)

CHF 4.- l'article numérique, c'est plus qu'un seul journal complet en papier.

3)

Il semble que depuis ma complainte TripAdvisor d'hier, vos prix ont été ajustés pour CHF 9.-/mois, car, j'ai souvenir qu'hier, la politique de prix était douteuse:

1 an d'un coup coûtant CHF 100.-, il était plus cher que 12 mois de CHF 8.- (quand c'était 8, si ma mémoire est bonne).

4)

L'entreprise de votre journal pseudo-"suisse" est wix.com en Floride.

5)

Difficile…


ree

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Intéressant, merci Amèle. Je me demande une chose : dans le livret officiel il est mentionné que l'UDC est pour l'e-ID. Or il me semble que l'UDC était contre. Est-ce que je me trompe ?

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Vous ne pensez pas que quelqu'un aurait téléphoné à la RTS en 10 jours, si on avait commuté le conseil de l'UDC?

C'est vrai que ça m'a surpris que l'UDC conseille ça, mais rassuré.

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Bonjour,


Merci pour cet article.


A titre personnel, je n' ai tellement plus confiance dans le système suisse que je pense sincèrement que cette votation est entachée d' irrégularités qui ont fait basculer le résultat dans le sens souhaité par les autorités.


Je sais que ça peut paraître extrême, et moi-même je n' aurais jamais pensé écrire ça un jour, mais ça me semble évident, en fait.

Je n' ai aucune preuve formelle, concrète.

Mais j' ai constaté que de très nombreuses personnes refusent d'envisager cette hypothèse sérieusement. Comme si la Suisse était trop propre, trop moralement supérieure pour que des fraudes, qui ont eu lieu dans d' autres pays comparables, soient intrinsèquement impossibles dans notre pays.


Avec le vote…


Modifié
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En réponse à

Bonjour,


Je suis un homme, si jamais, mais c'est égal de nos jours 🙂


Et je n' ai commis aucune faute de syntaxe.

Relisez calmement, s.v.p., merci. J' ai écrit "des fraudes", je ne sais pas où vous avez vu "ses"...

Par contre je ne connais pas le mot "équvaut"...


Arroseur arrosé, paille et poutre, tout ça...

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Daemarys
05 oct.

Je suis peut être « désabusée », mais du moment que vous utilisez un smartphone ET que vous êtes sur les réseaux sociaux, vos données ne vous appartiennent plus…


J’ai l’impression que certaines personnes se réveille soudainement?!


Sans entrée dans les détails, ce futur a été prophétisée il y a plus de 2000ans.

Alors allons-y gaiement (ironie).

Et au lieu de pleurnicher, préparons-nous à cette persepective : « nous ne pourrons plus ni acheter, ni vendre, sans une marque sur le front ou la main. » Apocalypse 13:17


Ce qui etait impensable, se réalise aujourd’hui…

Après, chacun est libre de croire ou pas…

Merci pour cet article

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En réponse à

Vous n'avez pas besoin de vérifier, puisque vous avez la citation et que vous l'avez reconnue.

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