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Article rédigé par :

Fabrice Epelboin

La Suisse va-t-elle se suicider avec son identité numérique?

Le 28 septembre, les Suisses voteront pour accepter, ou non, l'identité électronique (e-ID). Nous avons soumis le petit livret rouge à notre expert numérique, Fabrice Epelboin. Son constat est sans appel: un projet d’identité numérique centralisé est une clé de voûte qui permettra, demain, de construire un crédit social. Selon lui, tout cela ne peut que mal se terminer.

e-id
© DR

Quand Seiko a débarqué avec le quartz, l'industrie horlogère et, à travers elle, l’image de la Suisse, a traversé une terrible tempête, qui aurait pu faire sombrer un morceau de PIB du pays, et une partie de ce qui fait son image à l’international. Il s’en est fallu de peu.

 

La Suisse ne serait pas la Suisse sans Audemars, Patek et Vacheron, tout comme la France ne serait pas la France sans Chanel, Dior et Hermès. Des maisons dont les valeurs se confondent avec l’image du pays qui les a vu naître, et qui font son image de marque aux quatre coins du monde.

 

Si Jaeger et les autres avaient disparu corps et bien au nom de la Science, du progrès et de la rationalité économique introduits par l’oscillateur à quartz, et que Rolex n’était pas plus connu qu’Universal Genève, l’image contemporaine de la Suisse serait fondamentalement différente. Dieu merci, Nicolas Hayek a sauvé l’industrie horlogère Suisse… et l’image du pays.


Une réputation d'excellence

 

La Suisse a connu d'autres catastrophes industrielles qu’elle a su affronter avec succès, comme la fin du secret bancaire, qui a longtemps été une marque de fabrique et que le pays a su transcender dans sa tech. Dans la tech, ce qui touche au secret relève de la vie privée (privacy), et ce n’est pas forcément évident pour ceux d’entre vous qui ne font pas partie du monde de la tech, mais la Suisse y a une réputation d’excellence et de sérieux pour tout ce qui touche à la privacy. Le sens du secret, qui hier propulsait l’industrie bancaire Suisse, cette privacy dont les racines sont à chercher dans une tradition de neutralité, de refuge et de discrétion, est aujourd’hui au cœur de l’identité de la tech Suisse.

 

L’exemple le plus frappant est sans doute la Crypto Valley, qui fait rayonner la Suisse à l’international, et dont la légitimité plonge ses racines dans les valeurs fondatrices du pays. La cryptographie est par essence l’Art de conserver un secret, est combinée ici à une autre valeur fondamentalement Suisse: la décentralisation, qui est l’essence de la blockchain. Culturellement, la Suisse était totalement alignée avec la crypto.

 

Mais cela ne se limite pas à la crypto, on retrouve ces valeurs fondamentalement Suisses dans une large gamme de produits tech Suisses. Un néophyte qui ne comprend pas grand chose aux VPN sait instinctivement que ProtonVPN sera bien plus sérieux que NordVPN, du simple fait que c’est du Swiss Made.

 

La saveur spécifique de la tech Suisse doit beaucoup aux valeurs du pays, et sans doute pas mal à la fin du secret bancaire et à l’impérieuse nécessité de perpétuer une tradition du secret et de la privacy, née avec l’accueil des huguenots persécutés à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, et venus se réfugier à Genève… où ils ont créé l’industrie horlogère Suisse!


Identité en danger

 

Pourtant, depuis quelque temps, il semble que la Suisse soit en train de détricoter ses valeurs avec sa régulation de la tech, au point de casser ce qui fait son identité.

 

La révision envisagée de l'Ordonnance sur la surveillance des télécommunications représente pour la tech Suisse l’équivalent de la fin du secret bancaire pour l’industrie bancaire helvétique. Sauf que les américains n’y sont pour rien cette fois-ci. Et, dans quinze jours, la loi sur l'e-ID centralisée sera soumise à votation en Suisse.

 

Dans l’Hexagone, de telles lois sont vues comme une fatalité dans une démocratie qui s’éteint à petit feu, mais au moins, elles sont cohérentes avec une tradition centralisatrice qui remonte au temps des rois de France. En Suisse, à en croire les sondages, vous êtes sur le point de voter pour cela. C’est sidérant.


Comment les Suisses peuvent-ils envisager un tel suicide identitaire?

 

Comment une nation qui s’est construite sur le secret et la décentralisation, qui a su préserver sa souveraineté des siècles durant au cœur d’une Europe régulièrement secouée de spasmes mortifères, peut-elle sérieusement envisager un tel suicide identitaire en cédant aux sirènes de la centralisation et de la surveillance?

 

Pour un observateur extérieur de la démocratie Suisse, qui regarde souvent ce qu’il se passe de l’autre côté des Alpes avec un mélange de curiosité et de jalousie, particulièrement lors de certaines votations, j’ai retrouvé dans le débat public Suisse les arguments que je pourrais trouver chez moi.


Le premier pas vers le crédit social

 

Du point de vue de la cybersécurité, cette approche est idiote, le monde de la cyber regorge d’anecdotes qui démontrent à quel point tout cela ne peut que mal se terminer. Du point de vue de la démocratie, c’est un risque mortifère tant ces systèmes centralisés de gestion de l’identité sont une clé de voûte qui permettra, demain, de construire un crédit social. En parcourant la brochure que chaque citoyen Suisse reçoit avant une votation, j’ai retrouvé les classiques autour des libertés individuelles et de la démocratie auxquels j’adhère totalement. Mais pourtant, curieusement, un élément spécifiquement Suisse me semble manquer au tableau.

 

Personne ne semble avoir noté à quel point un projet d’identité numérique centralisé est en opposition frontale avec les valeurs fondatrices de la nation Suisse que sont la décentralisation et le secret.

 

En France, nous avons mis en place les bases technologiques qui pourront d’ici peu faire du pays tout autre chose qu’une démocratie. Mais nul bulletin de vote ne peut nous éviter cela. Aux USA, le DOGE a interconnecté les principales administrations du pays à une IA et on devrait voir émerger rapidement un projet techno-politique qui n’a plus grand-chose à voir avec une démocratie, mais le projet des Démocrates n’était pas si différent et les Américains ne pourront pas échapper à leurs propres démons technologiques. Mais en Suisse, vous êtes sur le point de voter pour cela?

 

C’est sidérant.

13 commentaires


harrylin
14 sept.

L'expert a oublié d'expliquer que cet "e-ID Suisse" est en réalité un e-ID de l'UE. Il pourra (sera ?) effectivement être imposé par l'UE à tout utilisateur en Europe - inclus la Suisse - si nous votons Oui. Brave IA: "La loi sur les services numériques (DSA), entrée en vigueur en novembre 2022, établit un cadre complet pour la responsabilité des services numériques et la modération des contenus [...] dans toute l'UE.

En complément de la DSA, le règlement européen sur l'identité numérique (EUDI) établit un cadre pour un portefeuille d'identité numérique européen universel. Ce règlement modifie le cadre eIDAS de 2014 afin de garantir un accès universel à une identification numérique sécurisée pour les citoyens, les résidents et les entreprises…

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harrylin
14 sept.

Je ne comprends pas ces commentaires de l'expert. En particulier: « un projet d'identité numérique centralisé ». Le vote porte spécifiquement sur un projet d'identité numérique décentralisé, n'est-ce pas ?

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guy.coste
16 sept.
En réponse à

Cela implique l'obligation d'avoir un ordiphone, objet encombrant, énergivore et fragile incompatible avec le cyclisme hivernal (parce que trop fragile).

Quand on est dépendant du 112, rien ne vaut un vieux Nokia GSM increvable qu'on recharge tous les 15 jours.

Il n'y a pas le GPS : tant mieux, car ce bidule détruit le sens de l'orientation et la faculté à lire un plan et à mémoriser une carte. En plus, il détruit les interactions découlant de l'aide que l'on sollicite de son prochain lorsqu'on se perd. (Un père aubergiste avait supprimé tous les écriteaux afin d'obliger les jeunes timides à se parler.)

Il n'y a aucun réseau asocial, aucun objectif, " rien " en fait. On peut donc regarder…


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henrigendre
14 sept.

Dans une trappe à souris, c’est un bout de Gruyère que l’on crochette au mécanisme de fermeture pour que se referme brusquement sur l’animal la porte qu’il n’imaginait même pas. L’e-ID n’est rien d’autre qu’une trappe et le bout de Gruyère la simplification gratuite et volontaire de prouver son identité. Mais le système pieusement dénommé légalement «  infrastructure de confiance « (!) capturera non seulement l’identité, mais comprendra «  d’autres moyens de preuves électroniques « ( article 1 al.1. lit.c ). Ainsi et entre autres le discriminant certificat sanitaire du temps du Covid maintenant intronisé dans le projet de modification de la législation sur les épidémies deviendra le nouveau passeport mondial de santé . Au fil du temps qui file, ainsi qu…

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la télévision a déjà fait depuis longtemps son oeuvre de décérébration; avec l'envahissement par les écrans, de plus en plus de gens et surtout des jeunes ne lisent plus du tout, scotchés sur leur mobile à regarder des vidéos et s'envoyer des sms entre copains. Des études scientifiques sérieuses démontrent la baisse du niveau intellectuel et la baisse des connaissances permettant d'analyser les sujets. Qui lit encore aujourd'hui la brochure explicative se trouvant dans l'enveloppe de vote ? Si le oui passe, on a vraiment beaucoup de souci à se faire pour l'avenir de la démocratie dans ce pays, mais il semble que la majorité ne s'en rend même pas compte. La Suisse était une démocratie exemplaire, unique dans un…

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Bonjour. Je suis très sensible aux arguments libertaires et décentralisateurs. Pourtant, je me pose une question : si nous refusons de réguler la question de e-ID par l'état (dans une perspective régalienne), quel espace non-régulé laissons-nous à des initiatives privées qui créé des modèles de "e-ID" alternatifs - GAFAM et autres "communautés/écosystèmes/états" numériques ? N'est-il pas plus dangereux de voir un identifiant numérique privé et non-régulé prendre le pas sur une solution étatique sur lequel justement la démocratie directe à un minimum d'emprise pour éviter dérives et autoritarisme ? La perte de confiance en nos institutions étatiques suite au Covid induit une prise de distance critique qui parait bien salutaire ; le risque pourrait être de glisser dans un scepticisme excessif…

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En réponse à

vous rêvez un peu; quelle assurance avez-vous qu'une fois le vote acquis, la gestion ne sera pas confiée à une entité privée, aux US par exemple (cf la gestion de l'AVS qui est véritablement un scandale)

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