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Article rédigé par :

Abdoulaye Penda Ndiaye

Des éleveurs dénoncent «une mise en scène morbide et inacceptable» pour lutter contre le loup

Depuis l’hiver 2023/24, la Suisse a élargi la régulation préventive du loup, tout en conditionnant les indemnisations à des «mesures raisonnables», dont des chiens de protection reconnus via des tests standardisés. Ironie: on autorise à tirer plus vite sur les loups, mais l’aide aux troupeaux dépend d’épreuves qui peuvent exposer brebis et chiens… et priver d’indemnités ceux qui refusent ce crash-test. Une cohabitation exigée, sans moyens sûrs réellement garantis.

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© DR

Dévolus à la défense des animaux de rente contre les grands prédateurs comme les loups, les chiens de protection des troupeaux (CPT) doivent réussir des tests d’aptitude pour avoir une reconnaissance officielle des autorités. C’est seulement après ce feu vert que les éleveurs peuvent recevoir des indemnisations après une attaque de loup sur le bétail et des aides de la part des autorités fédérales et cantonales.


Sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), c’est l'Association suisse de développement agricole (Agridea) qui gère les tests d’aptitude. Mais, depuis plusieurs mois, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les «conditions scandaleuses» dans lesquelles se déroulent ces tests. «Je devais présenter trois de mes chiens afin de faire valider leur aptitude à protéger un troupeau. Je suis tombée des nues quand j’ai découvert que chaque chien devait rester avec cinq moutons pendant vingt-quatre heures, sans avoir ni à manger, ni à boire, dans un nouvel environnement inconnu, sans clôture ni berger et en étant particulièrement exposé. De surcroît, les animaux sont à la merci des attaques du loup», s’indigne Chantal*, une éleveuse romande.


Ayant appris qu’un prédateur avait tué une brebis dix jours plus tôt à proximité du lieu du test, Chantal a décidé d'y renoncer le mois passé.


«Effectivement, une de mes brebis a été tuée par le loup lors d’un test d’aptitude mené par Agridea», confirme un éleveur des Diablerets (VD) contacté par L’Impertinent. Selon nos informations, il y a eu une autre attaque mortelle du loup lors d’un autre test ayant eu lieu cet automne. «Depuis quand une simulation justifie-t-elle la mort d’animaux? Depuis quand un test doit-il exposer les chiens et les brebis à un danger de mort qui est largement évitable? Ces pratiques sont inadmissibles. Le bon sens voudrait que des évaluations rigoureuses aient lieu sans prise de risque inutile», s’insurge Valérie*, une éleveuse valaisanne. Elle s’étonne aussi de l’incohérence entre les directives de l’OFEV qui exigent au minimum un tandem de chiens et les tests qui sont menés avec l'un d'eux en solo.


«Aujourd’hui, dans la réalité du terrain, la tendance est de faire appel à un berger en plus des chiens de protection. Les troupeaux sont regroupés la nuit dans des parcs. Toutes ces précautions n’ont qu’un seul objectif: minimiser les risques. Malheureusement, les tests Agridea prennent complètement le chemin inverse», constate un éleveur ayant requis l’anonymat.

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© DR

Jacques*, un autre éleveur valaisan, dénonce «des pratiques d’un autre âge consistant à jeter des animaux de rente dans la gueule du loup». Stéphanie* et Marc*, un couple d’éleveurs, refusent de faire participer leurs chiens aux tests. Les protestataires mettent en exergue plusieurs paradoxes: «D’après les directives de l’OFEV, il faut avoir au minimum deux chiens pour une reconnaissance officielle, alors que les tests Agridea ont lieu avec un animal en solo, sur un terrain inconnu, avec cinq brebis, dans une zone où un loup, voire plusieurs, ont déjà attaqué. C’est une mise en scène morbide et inacceptable», peste Virginie*. «Une autre incohérence résulte du fait que, pour passer ces tests, des éleveurs n’ont d’autre choix que de laisser le reste de leur troupeau sans chiens de protection durant vingt-quatre heures», critique Océane*, une éleveuse valaisanne. «Il est temps de poser la question: à quoi sert un test qui sacrifie des brebis, expose des chiens à des traumatismes, ignore les évolutions du monde agricole et les recommandations des professionnels? Mon refus de participer aux tests s’explique par ces conditions qui ne garantissent pas la sécurité de mes animaux», poursuit-elle.


Cette posture de rejet des tests, de plus en plus adoptée par des éleveurs, est susceptible d’entraîner des répercussions financières pouvant être fatales à certaines exploitations en cas de suppression des subsides et indemnités des autorités. «Il est inacceptable que nous, les éleveurs, soyons pénalisés pour avoir refusé un test inadéquat, alors que nos chiens, même sans la validation officielle des autorités, assurent depuis des années la protection de nos troupeaux de manière plus qu’efficace», a poursuivi le couple.



Les tests Agridea se concentrent principalement sur deux races: le berger de Maremme et d’Abruzzes (ou berger d’Abruzzes) et le berger des Pyrénées (ou montagne des Pyrénées), adaptées aux zones alpines. En 2024, plus de 500 chiens reconnus étaient en service en Suisse, avec un taux de réussite d’environ 88% (72 chiens sur 82 formés).


Stéphanie déplore ce qu’elle appelle un mauvais scénario. «Pour évaluer le comportement du CPT, on introduit au bout de 24 heures un chien de compagnie dans le test. Imaginez le stress et la réaction du chien de protection, confronté toute la nuit à un prédateur. Comment ose-t-on parler de test standardisé alors que l’environnement est complètement instable et que le CPT a été mis dans un chaos émotionnel énorme. C’est la porte ouverte aux conclusions biaisées», analyse Marc.


La réponse des autorités


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Contacté par L’Impertinent, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) rappelle que lors des tests, «une situation standardisée est créée dans la mesure du possible afin d’évaluer l’aptitude du chien de protection des troupeaux à garder de manière autonome les animaux de rente et à repousser de manière différenciée les animaux étrangers et les humains». Selon l’organe fédéral, cette standardisation permet d’évaluer les qualités de l’individu et de comparer les chiens entre eux.


Selon les autorités fédérales, Agridea a testé 870 chiens au cours des dix dernières années. «Sur un total de 4350 moutons, dix moutons ont été tués par les prédateurs», a relevé l’OFEV. De son côté, Agridea a explicité sa méthodologie. «Lors des évaluations d’aptitude au travail, cinq moutons, respectivement cinq chèvres, sont placés sur un pâturage avec un chien de protection des troupeaux en quête de reconnaissance afin notamment d’évaluer la relation entre le chien et son troupeau. Pour démontrer que cette relation est bien présente pour un chien individuel, il faut un terrain neutre, sans clôture et sans berger. Cette relation entre le chien et son troupeau est la base pour que le chien s’engage à protéger son troupeau lors d’une attaque d’un grand prédateur», déclare François Meyer, expert chez Agridea.


Selon lui, «cette année, sur 174 tests, un mouton a été prédaté par un loup». Il déplore un problème de communication avec les éleveurs. «Dans le cadre des évaluations du printemps prochain, nous allons mieux informer les détenteurs de CPT sur la situation actuelle des grands prédateurs dans l’environnement direct des alpages utilisés pour les examens», indique-t-il. Mais, nuance-t-il, «le loup peut arriver n’importe où à n’importe quel moment». L’expert rappelle le principal objectif des tests: «maintenir une qualité de chiens de protection des troupeaux en Suisse qui permette de limiter au plus bas niveau possible le nombre d’animaux de rente attaqués par des loups».


C’est dans ce contexte tendu entre éleveurs et autorités qu’évolue l’Organisation pour la protection des alpages (Oppal). «Nous travaillons en soutien à la protection des troupeaux en plaçant des équipes de veilleurs de nuit en urgence sur les troupeaux vulnérables, à la demande des agriculteurs ou des autorités. En 2025, nous avons eu 524 volontaires et 31 civilistes qui ont travaillé dans ce projet. Nous avons formé plus de 1000 volontaires à la surveillance des troupeaux et à l’effarouchement des loups ces dernières années», souligne Jérémie Moulin, directeur d’Oppal.

1 commentaire


baka
il y a 2 jours

Pourquoi, est-ce qu'on n'utilise pas des ânes pour protéger le troupeau ? Ils ont l'avantage de manger la même nourriture que les moutons et semblent assez efficace pour se défendre contre les loups avec de puissants cris aussi. Voir : https://reporterre.net/Face-au-loup-ils-protegent-leurs-troupeaux-avec-un-ane

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