Médias et pharmas: une grande et belle famille
- Amèle Debey

- 21 sept.
- 4 min de lecture
Vous le savez, chez L’Impertinent, on n’a pas pour vocation à se faire des amis. Une indépendance d’esprit et de ton qui peut coûter cher, mais qui nous distingue dans un paysage médiatique vérolé où les liens d’intérêt sont parfois glissés sous le tapis. Avec plus ou moins de succès...

Lundi 15 septembre, André Hoffmann était l’invité du Club suisse de la presse pour y parler de «prospérité durable», le titre de son nouveau livre. «Un manuel de direction qui cherche à réconcilier résultats et régénération du vivant, en fournissant des repères opérationnels pour passer d’un capitalisme de l’extraction à un capitalisme régénératif et inclusif», nous dit-on. Des termes pompeux pour désigner les penchants écolos de l’un des héritiers de la «famille Roche», qui est également vice-président du World Economic Forum (WEF).
Quel rapport avec les médias, me direz-vous? «Il s’agit d’une rencontre pour marquer la sortie de son livre en français, comme nous le faisons régulièrement pour des sorties de livres avec un lien avec la Genève internationale, les questions économiques, écologiques et sociales, nous explique Isabelle Falconnier, directrice sortante du Club suisse de la presse. Nos activités ont deux volets: presse et médias d’un côté, actualité internationale de l’autre.»
Mais, en creusant un peu, on voit apparaître une explication un peu plus parlante: le livre du sympathique et chaleureux André Hoffmann (Pour une prospérité durable) est publié chez Buchet-Chastel, maison appartenant au groupe Libella… présidé par sa sœur, l’éditrice Vera Michalski-Hoffmann.
Vera Michalski est très présente dans les médias, via la fondation du nom de feu son mari, Jan Michalski. Cette fondation et celle de Hans Wilsdorf font partie des bailleurs qui ont lancé et financent Aventinus, fondation dédiée à la presse en Suisse romande. Aventinus a repris Le Temps (2020–2021) et a investi dans Heidi.news (entrée dès 2019).
Pendant 40 minutes, André Hoffmann a donc pu se répandre en vœux pieux sur l’écologie et la décroissance. Comme il l’avait fait le 30 novembre dernier, au micro d’Helvetica, une émission de la RTS. «Le but de l’entreprise n’est pas de faire de l’argent, mais de contribuer à la société, au bien commun, a-t-il notamment asséné depuis le Domaine de Penthes. Nous, c’est la santé des patients.»
«L'idée que le cash amène le bonheur est révolue»
André Hoffmann, Helvetica (30.11.24)
Sans vouloir tomber dans la démagogie de bas étage, il est assez piquant d’entendre un milliardaire nous expliquer qu’il faut revoir nos valeurs et cesser de courir après le confort. D’autant qu'aucun de ses interlocuteurs ne remet jamais le Monsieur face à ses contradictions.
Nous avons bien essayé de lui demander son revenu, mais l’homme n’a pas l’air très disposé à aborder le sujet. Et pour cause: selon nos estimations, il toucherait entre 896'000 et 4,35 millions de francs par mois. Rien qu’avec son salaire fixe et ses dividendes de Roche, auxquels il conviendrait d’ajouter les éventuelles rémunérations de ses nombreuses autres activités.
Loué soit le remarquable écologisme de Roche
S’il n’est pas question non plus de diaboliser tous les milliardaires de ce monde – a fortiori quand ils doivent leur richesse à la mauvaise santé des autres – il serait bon de remettre les choses à leur place. Laissons de côté un instant l’empreinte carbone d’un sommet de Davos (auquel André Hoffmann ne se rend vraisemblablement pas en vélo électrique, ni en cheval) pour nous intéresser à l’impact des pharmas sur l’écologie.
Un article publié en mars dernier explique que si la pharma suisse affiche des engagements climatiques, son empreinte «cachée» reste surtout dans la chaîne d’approvisionnement mondiale: en 2023, le secteur aurait émis environ 27 millions de tonnes de CO₂ à l’échelle du globe – soit près des deux tiers des émissions annuelles de toute la Suisse – et environ 7,6% de cette empreinte (~2 Mt CO₂) proviendrait des sous-traitants en Chine, illustrant le poids écrasant des émissions amont (scope 3). Le papier, basé sur une analyse de SRF Data, souligne que «verdir» la pharma exige de décarboner les fournisseurs, l’énergie des sites de production à l’étranger et la logistique, faute de quoi les progrès internes des groupes restent éclipsés par ces émissions externes.
(Re)lire notre article: «Les élites du WEF orchestrent la précarisation des individus via des réformes économiques et sociales»
André Hoffmann ne serait-il pas plus utile pour la planète en mettant son argent au service d’actions concrètes, plutôt que son temps à se faire cajoler dans des médias pour un livre que personne ne prend au sérieux? Ne serait-il pas plus crédible en allant élever des chèvres dans le Vercors qu'à la tête de groupes constitués d'individus qui représentent les plus grands dommages pour la planète? En effet, les travaux de l'économiste Lucas Chancel montraient, en 2022, que les 10% les plus fortunés ont émis 48% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2019, tandis que les 50% les plus pauvres n'étaient responsables que de 12% de ces émissions, rappelle le journal Les Echos.
En novembre 2024, le Club suisse de la presse avait invité Etienne Jornod, président exécutif et copropriétaire de OM Pharma, mais également président de la NZZ de 2013 à 2023. L’homme avait donc dirigé une entreprise pharmaceutique en même temps qu’un grand quotidien national en pleine pandémie. Un mélange des genres qui, là non plus, n’avait choqué personne.




Merci, en sus d'être mieux informée j'ai bien ri à la lecture de ce billet!
Il est navrant que l'Impertinant promeuve encore la foutaise carbonique. Le gaz carbonique n'est pas un polluant et l'AR6 (pas le résumé pour décideurs et enfumeurs médiatiques) enterre l'impact climatique de sa part anthropique.
L'industrie pharmaceutique pollue, surtout en Inde, et elle fait des profits indécents mais il est grand temps d'abandonner l'arnaque inventée par le Club de Rome et promue par Maurice Strong pour s'atteler aux vrais problèmes. La pollution chimique et nucléaire, par exemple.