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Article rédigé par :

Fabrice Epelboin

La privatisation de la guerre version GAFAM est en marche

Pour nous protéger des virus informatiques, on a coutume de s’abonner à des solutions de cybersécurité pour quelques euros par mois, mais ce qui se prépare aux USA va beaucoup, beaucoup plus loin. La dernière idée loufoque et diaboliquement géniale d’Elon Musk consiste à proposer au gouvernement américain – et demain à ses alliés – de s'abonner à une solution de protection des missiles intercontinentaux imaginée par SpaceX et Palantir. La société fondée par un pilier du Trumpisme et son ancien associé dans Paypal, Peter Thiel.

gafam
© Flickr/Canva

Brillants et richissimes, Peter Thiel et Elon Musk sont deux des personnages les plus iconiques de la célèbre Paypal Mafia, ces anciens de Paypal qui, fortune faite, ont créé par la suite une série impressionnante de startups à succès, telles Youtube, Linkedin ou encore… SpaceX et Tesla.


Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car Peter Thiel n’est pas seulement un entrepreneur libertarien, il est aussi le tout premier seigneur de la Silicon Valley à avoir publiquement soutenu Donald Trump, dès 2015, quand celui-ci passait encore pour une blague vulgaire. Visionnaire? Disons plutôt que Thiel, fin lecteur de Carl Schmitt et obsédé par l’idée que – sic – la démocratie et la liberté ne sont plus compatibles, avait vu en Trump une faille dans le système. Il a tout misé sur l'orange et compte bien engranger des plus-values spectaculaires.


Pour la seconde élection de Trump, il a doublé sa mise sous la forme de JD Vance, son poulain devenu vice-président des Etats Unis et successeur désigné de l’agent Orange. L’auteur de Hillbilly Elegy devenu vice-président des États-Unis, une trajectoire digne d’un roman de Philip Roth écrit par une IA générative qui, contrairement à son patron, est doté d’une colonne vertébrale idéologique solide et croit, comme son parrain, à la fin de la démocratie et à la privatisation quasi intégrale de l’État, au nom de la liberté. Une approche que semble partager de façon plus élusive Elon Musk.

C’est dans ce marigot techno-idéologique que naît le projet Golden Dome. L’idée, largement soufflée par Musk au président Trump 2.0, consiste à construire un gigantesque bouclier spatial antimissile. La guerre des étoiles telle que l’avait fantasmée Ronald Reagan. À ceci près qu’entre temps, elle est devenue techniquement réaliste. Surtout quand elle est portée par celui dont la compagnie, SpaceX, a réalisé la mise en orbite de près de 80% des satellites en orbite aujourd’hui.


SpaceX se chargerait de lancer les satellites, Palantir, la société de Peter Thiel, de les relier en un réseau d’alerte précoce. Et Anduril, la startup militaro-techno d’un autre enfant terrible de la Silicon Valley, de leur donner des yeux et des griffes. Mais ce qui fait le sel libertarien du projet est ailleurs: il ne s’agit pas d’une offre qui consisterait à fabriquer des technologies militaires pour le compte du Pentagone, comme l'ont fait avant eux une kyrielle de contractants tels que Boeing ou Lockheed Martin. Mais d’un système privé proposé au Pentagone sous la forme d’un abonnement, de la même façon que vous pouvez souscrire à un abonnement internet via StarLink. Oui, oui, une offre sur abonnement, mais réservée aux États. Enfin, pas tous a priori. Un modèle SaaS (Shield as a Service), qui sera sans nul doute proposé, une fois le beta test réalisé aux USA, à un large éventail de nations. Une privatisation de la Défense, un secteur qu’on imaginait tous jusqu’ici comme parfaitement régalien. Un outil qui s’avèrera rapidement indispensable au regard des tensions grandissantes un peu partout dans le monde, et que les anciens de la Paypal Mafia sont les seuls à pouvoir construire. Sauf à ce que Thierry Breton innove et se lance dans un projet rival, qui est sûr de connaître le même sort qu’Atos.


Ce que Musk et Thiel ont compris, bien avant les autres, c’est que l’État freine l’innovation, même aux USA. Pourquoi s’encombrer de contrôles parlementaires, de chaînes de commandement et de procédures quand on peut tout simplement proposer à la Maison Blanche un «package» de sécurité façon NordVPN, avec un décret présidentiel en guise de souscription?


Les premiers tests orbitaux sont déjà planifiés. Le Pentagone est sur le point d’être court-circuité. Certains sénateurs démocrates s’inquiètent, certes, de l’influence croissante de Musk, mais d’ici aux mid-terms ils n’ont pas le moindre pouvoir. Et le contrat de près de 30 milliards de dollars semble très raisonnable à côté des emplettes habituelles du Pentagone, dont les trous dans la comptabilité annuelle se comptent en centaines de milliards chaque année.


La privatisation de la guerre est en marche, et elle a l’élégance désinvolte d’un pitch de startup.


De notre côté de l’Atlantique, l’affaire ne fait pas le moindre remous. Étonnant quand on connaît l’appétit de la presse pour tout ce qui peut lui permettre de taper sur Musk. Il faut dire que, contrairement aux apparences, les journalistes ne sont pas tous idiots, et que peu d’entre eux prennent les promesses d’un StarLink européen pour argent comptant. Sans jamais l’admettre, tous savent que, sans StarLink, Poutine aurait sans doute atteint Kiev en une semaine, comme il l’avait initialement prévu. Si ces satanés drones n’avaient pas transformé ses colonnes de chars en tas de ferraille et si les Ukrainiens n’avaient pas pu profiter de StarLink une fois leurs infrastructures télécom détruites par l’armée russe.


L’Europe, qui a copieusement vendu sa souveraineté technologique aux Américains depuis des décennies, n’a pas plus de SpaceX que de Palantir. Le retard est tel qu’il est assez invraisemblable, surtout au regard de l’imminence des différents conflits qui couvent, qu’elle puisse se construire un équivalent au Golden Dome de Musk en quelques années.

Cela n’empêche nullement Bruxelles de parler de souveraineté stratégique, de «Readiness 2030» et d’une «European Sky Shield Initiative». On organise des sommets, on publie des livres blancs, on planifie des dépenses (800 milliards d’euros sur dix ans, une paille!). Mais, pendant que le Vieux Continent se tâte, que les Chinois préparent l’invasion de Taïwan, que la menace d’un conflit nucléaire entre l’Inde et le Pakistan gronde et que la France se pose en leader du camp occidental face aux méchants Russes, le réalisme pousse à croire qu’on ira sous peu s’abonner aux services proposés par Elon Musk, histoire d’éviter de se prendre des missiles russes sur la tête.


Dans ce nouveau monde que dessinent sous nos yeux les Américains, la guerre n’est plus l’apanage d’États souverains, elle devient un produit, une prestation, une promesse de paix vendue avec un plan marketing. L’ennemi n’est plus un autre pays, mais une opportunité commerciale. Le champ de bataille est un rapport annuel. Le champ d’honneur, une réunion d’investisseurs.


Le cynisme est total, assumé, esthétisé. Musk, Thiel et leurs acolytes construisent un monde où l’on peut, pour un prix raisonnable, devenir à la fois invincible et scalable et où, bien sûr, les conflits seront traités en conformité avec des conditions générales d’utilisation qui restent à définir et qui, comme il est d’usage avec les offres de souscription, peuvent changer à tout moment.


Une dystopie sécuritaire en orbite basse, où les missiles intercontinentaux qui ont modelé les équilibres depuis près d’un siècle laissent place aux attaques de drones – un autre marché sur lequel Palantir est un acteur de poids – et où la protection s'obtient sur abonnement. Avec, sans doute, une option premium qu’on a hâte de découvrir.


Tout cela ressemble de plus en plus au Skynet de Terminator. La paix sur abonnement. Un abonnement à la sérénité. Résiliable à tout moment.

3 comentarios


Lou24
30 may

Ne nous reste plus qu'à croire en un monde meilleur... Bonne journée!

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aline
18 may

La privatisation de la guerre numérique représente un phénomène inquiétant qui s'intensifie sous nos yeux.


Les grandes entreprises technologiques ne se contentent plus de dominer le marché, elles s'immiscent désormais dans des domaines traditionnellement réservés aux États.

Cette nouvelle forme de guerre hybride combine cyberattaques, propagande numérique et exploitation des données personnelles à grande échelle. Alors que les gouvernements peinent à réguler ces activités, les GAFAM développent des infrastructures parallèles qui échappent au contrôle démocratique.

Le pouvoir économique comme arme géopolitique

Un aspect souvent négligé est l'utilisation du pouvoir économique comme levier d'influence internationale. Les plateformes numériques peuvent désormais bloquer l'accès à des services essentiels dans certains pays, créant des pressions géopolitiques sans précédent. Ces décisions, prises par des conseils…

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Au niveau du cynisme de ces néo-criminels que sont Trump, Thiel, Musk et bien d'autres, nous n'en sommes à mon avis, hélas, qu'au tout début de leur entreprise totalitaire...

Je ne doute pas qu'un Trump soit enchanté de la "solution" proposée par ces dangereux milliardaires qui l'ont porté au pouvoir et avec lesquels il s'acoquine pour les pires projets (d'ailleurs, y'a-t-il eu vraiment des milliardaires qui ont fait progresser notre société humaine, la question est posée et la réponse est malheureusement prévisible...).

Et après? Cela permettra d'asservir encore plus facilement les états nations qui auraient signé pour ce type de pseudo défense. Que ces états se rebellent contre les abus de ces milliardaires et hop, plus de couverture. Plus grave,…

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