Free speech sur X: comment Musk rend la censure européenne inapplicable
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Article rédigé par :

Fabrice Epelboin

Free speech sur X: comment Musk rend la censure européenne inapplicable

Bruxelles croit tenir X par le col avec le DSA. Musk répond par une pirouette technique: confier l’algorithme à xAI – une boîte noire – et promettre qu’il ne pourra plus «invisibiliser» qui que ce soit pour ses opinions politiques. Pendant que l’UE régule, la droite américaine exporte le free speech au forceps. Bienvenue dans la nouvelle guerre du numérique.

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© DR

Toujours plus haut: Elon Musk a de nouveau franchi un cap dans l’art du clash sur Twitter en appelant, suite à l’annonce d’une amende de 120 millions d'euros infligée à X, au démantèlement de l’Union européenne. Ni plus ni moins.


Repris instantanément par l’ensemble de la presse, Elon a continué durant la semaine qui vient de s’écouler à dérouler tout le mal qu’il pensait de l’UE, de sa bureaucratie, de ses ONG et de ses réglementations, faisant la joie des salles de rédaction, avides de grain à moudre leur permettant, à leur tour, de dire tout le mal qu’ils pensent de Musk et de l’administration Trump.

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Bref, le bras de fer entamé depuis le retour des Républicains à la Maison Blanche autour de la législation européenne du numérique est encore monté d’un cran. Une fois de plus, un peu de contexte s’avère nécessaire pour comprendre ce qui est en train de se passer:


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Cette amende, même si elle reste sur le fond anodine au regard des ressources financières de Musk, n’en est pas moins significative à deux égards. D’une part, parce que c’est la première infligée au nom du Digital Service Act. Mais aussi et surtout, parce qu’elle fait écho à un autre tweet d’Elon Musk, passé, lui, totalement inaperçu et qui n’a pas fait l’objet du moindre affolement du côté de la presse. En juillet 2024, il expliquait que la Commission européenne lui avait proposé un accord secret consistant à censurer discrètement la parole de certains utilisateurs, en échange de quoi il échapperait à une amende. Accord qu’il dit avoir refusé, ajoutant que les autres plateformes, elles, l'avaient accepté.


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Chacun est libre de croire ou pas à ce que racontent von der Leyen ou Musk, mais certains indices laissent perplexes: les raisons invoquées par l’UE pour sanctionner Twitter sont au nombre de trois, et force est de reconnaître que si les problèmes pointés du doigt sont réels, ils ne sont pas sans interroger.


Le premier reproche fait à Musk est l’immense confusion qui a suivi le changement opéré sur les coches bleues de Twitter, qui du jour au lendemain sont passées des mains d’une aristocratie de l’information, où la coche bleue était l’apanage des journalistes, politiques et autres VIP du landernau des réseaux sociaux, pour se voir offertes à n’importe quel gueux susceptible de se payer la toute nouvelle option premium. Il faut convenir que ce changement brusque a lourdement perturbé la petite vie de Twitter, et a intensément frustré l’aristocratie qui s’y était établie – c'était le but – mais reste que Facebook propose la même option, tout comme Instagram, sans que cela ne suscite la moindre remarque, et que la base juridique pour sanctionner cette évolution qui remonte à 2022 semble… inexistante.


Le second reproche fait à Musk est son manque de transparence sur les publicités qui tournent sur la plateforme. Ce qui est, pour le coup, incontestable: les registres publics sont loin d’être clairs alors que le DSA l’exige. Un point noir, sans nul doute, mais qu’on pourrait tout aussi bien reprocher à Meta ou Tiktok, qui ne font pas mieux.


Le troisième point, enfin, est le refus de la part de Twitter de permettre un accès complet aux données de la plateforme aux chercheurs habilités à étudier le comportement de son algorithme. Là encore, un reproche qui remonte à 2022 où, à l’occasion de sa reprise en main de Twitter, Musk avait fortement réduit l’accès à la plateforme, au prétexte de faire des économies. Frustrant par la même occasion une quantité faramineuse de chercheurs et de bidouilleurs, qui proposaient moultes services parfois fort utiles. Là encore, un point incontestable: il n’est en effet plus possible depuis quelques années d’avoir accès aux données circulant sur Twitter, et étudier la façon dont la plateforme fonctionne est devenu très compliqué, voire impossible. Reste que là encore, Meta et Tiktok ne font pas mieux.


Il serait hasardeux cependant de crier au complot contre Musk et à l’arbitraire de la part de l'UE, tant il est tout à fait possible que des amendes similaires sanctionnent dans les semaines à venir Meta et Tiktok. Mais si d’ici quelques mois ce n’était pas le cas, alors on pourra légitimement réévaluer à la hausse la crédibilité des accusations de censure illégale portées l’an dernier par Musk à l'encontre de la Commission européenne. Du reste, certains députés du Parlement n’ont pas eu la patience d’attendre aussi longtemps et ont écrit à la Commission pour lui demander des éclaircissements.


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Reste que Musk, lors de sa prise de contrôle de Twitter, avait promis plus de transparence et avait même poussé jusqu’à publier publiquement une large partie du code de Twitter… mais sans le mettre à jour. Ce qui, après quelques mois, suscitait des doutes légitimes sur la sincérité de sa démarche. Une démarche désormais caduque: il y a quelques jours, l’un des patrons de l’ingénierie de Twitter annonçait un changement majeur dans l'algorithme de Twitter. Il sera sous peu piloté par xAI, l’intelligence artificielle maison, qui est par nature une boite noire. Et qui devrait, à l’en croire, être désormais incapable d’invisibiliser qui que ce soit sur la base de ses opinions politiques.


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Face au DSA, dont le but est précisément de dicter la visibilité des contenus et des utilisateurs aux plateformes, cette annonce consiste à expliquer que les régulations européennes ne pourront tout simplement plus être appliquées techniquement. Ça parait fou, mais en même temps, c’est Elon Musk, et on va finir par s’y habituer.


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Pire encore: dans l'État du Wyoming, où Trump atteint 72% des suffrages, une loi nommée Granite Act est sur le point de passer, et permettra à n’importe quel citoyen ou entreprise opérant localement de traîner devant les tribunaux un gouvernement ou un législateur étranger qui tenterait d’imposer une censure à une plateforme. Y compris sur un utilisateur qui ne serait pas un ressortissant américain. Dans l’absolu, Twitter n’a pas d’activité dans le Wyoming. Mais il leur suffirait de louer un serveur dans un datacenter présent sur ce territoire pour être en mesure de traîner l’Union européenne devant les tribunaux.


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Exporter le free speech au forceps est devenu le nouveau soft power de la droite américaine la plus dure. Une douce ironie quand on se souvient que cette idée, aujourd’hui qualifiée de réactionnaire, était (déjà) au cœur de la doctrine américaine il y a moins de vingt ans, quand les Démocrates étaient aux commandes. D’abord pour soutenir le mouvement pro-démocratie de 2008 en Iran avec Twitter, puis pour faciliter ce qui deviendra le Printemps Arabe, dont Facebook fut le fer de lance. Cela laisse songeur quant aux intentions américaines vis-à-vis de l’Europe.



La lawfare américaine ne s’arrête pas là. Trump a, de son côté, mis en place des restrictions de visa pour tous les fact checkeurs et les organisations luttant contre les fake news, telles que Newsguard, une ONG qui propose à l’international le même principe de labellisation des médias que celui qu’Emmanuel Macron a confié, pour son édition régionale, à Reporter Sans Frontières, et qui défraie la chronique ces dernières semaines en France. Ajoutez à cela que le même Donald Trump a annoncé il y a quelques mois déjà des sanctions à l'encontre de tous les responsables politiques ayant participé à des lois de censure telles que le DSA, et vous imaginez l’ambiance à Bruxelles.


De l’aveu même d’un haut fonctionnaire européen qui se confiait récemment, sur le ton de la plaisanterie, au média Euractive: «Je n’ai certainement pas l’intention de faire mes achats de Noël à New York». Thierry Breton, qui était invité à témoigner devant la Chambre des représentants américaine à propos du DSA il y a quelques mois, avait prudemment décliné l’invitation. Il avait sans doute jugé, à juste titre, qu’il était déraisonnable de mettre les pieds sur le sol américain, et que les protestations, s’il venait à être arrêté, sembleraient un peu ridicules au regard de la situation de Pavel Durov en France.


Bref, les temps à venir s'annoncent agités. Et 2026 sera explosif.


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