Censure, misogynie, mutilation de mineurs… des homosexuels dénoncent les dérives de la communauté queer
- Amèle Debey
- il y a 3 jours
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La communauté LGBTQIA+ est en pleine scission. Des homosexuels et bisexuels du monde entier proclament leur indépendance du mouvement queer, dont ils dénoncent l’influence woke et les dérives initiées par le lobby trans auprès des enfants. La Suisse vient de rejoindre le mouvement auquel appartient également la France. Récit d’un divorce pas tout à fait amiable.

Le 22 octobre 2019, dans une salle du centre de Londres, se tient une réunion secrète de septante personnes. Ce soir-là, Bev Jackson et Kate Harris lanceront LGB Alliance (pour lesbiennes, gays et bisexuels), qui deviendra une organisation caritative officiellement reconnue de portée internationale quelques années plus tard. À l’origine de ce mouvement, le tournant idéologique de la plus grande association de défense des droits des homosexuels en Europe, Stonewall, et l’impossibilité pour ses membres de remettre en question ce qui est qualifié aujourd’hui, par certains, d’extrémisme trans.
«L’idée de nuire à ce qui avait été une formidable organisation nous était insupportable, mais nous fulminions de rage de voir ce qui arrivait au mouvement des droits des homosexuels, se souvient Kate Harris au micro de L’Impertinent. Avec d’autres membres partageant les mêmes conclusions, nous avons passé trois ans à rédiger des courriers afin d’obtenir une discussion sur le tournant pris par l’organisation. Il nous est finalement paru clair que le changement ne souffrait d’aucun débat.» Ce tournant, c’est celui de l’identité de genre.
«Après m’être penchée sur la question, j'ai compris que cette idéologie reposait sur des absurdités, qu’elle était totalement indéfendable, sans fondement factuel, qu'elle était anti-scientifique, anti-liberté d'expression, anti-Lumières, qui guident nos sociétés, et qu'elle constituait une menace non seulement pour les gays et les lesbiennes, mais aussi pour la démocratie libérale elle-même», explique la militante. S'ensuit une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, jusqu'aux bancs politiques britanniques. Kate Harris, aujourd'hui âgée de 71 ans, en garde un douloureux souvenir: «On a vu des photos de nous portant des brassards nazis, des photos de personnes armées venant nous chercher. Des menaces de viol, nous traitant de pédophiles, etc. C'était insupportable. Pour être honnête, je pense que je serais morte sous la pression si Bev ne m'avait pas soutenue. C'était l'enfer sur terre. Et vous commencez à douter de votre santé mentale, parce que les gens n'arrêtent pas de vous dire que vous êtes un nazi fanatique.»
Mi-septembre 2025, il y a quelques jours, LGB Alliance International est lancée. L’antenne Suisse est créée, aux côtés de dix-sept autres pays, tels que Taïwan, l'Australie, les États-Unis et la France. Le divorce est acté. Dans une vidéo diffusée sur le site internet de l’organisation, des homosexuels et bisexuels du monde entier expliquent l’importance de revenir aux combats originels de la communauté gay:
Dans un communiqué de presse envoyé le 20 septembre pour annoncer la création de l’antenne suisse et resté – pour le moment – lettre morte, ses fondateurs (une vaudoise et un zurichois) expliquent: «LGB Alliance Switzerland vise à représenter les intérêts des personnes LGB qui se sentent délaissées par les anciennes organisations gays, qui, elles, sont désormais entièrement dédiées aux questions 'transgenres'. Toutes les organisations qui représentaient autrefois les personnes homosexuelles sont aujourd’hui entièrement dévouées à l’idéologie de l’'identité de genre'. En Suisse romande comme en Suisse alémanique, les organisations homosexuelles (telles que Vogay, Lilith, Pinkapple Filmfestival, Queersicht) se sont renommées 'queer'. Elles favorisent un climat où aucune opinion dissidente n’est tolérée. Sous l’influence de l’idéologie de 'l’identité de genre', des hommes hétérosexuels se définissant comme lesbiennes ont été invités comme intervenants à des conférences lesbiennes ou sur des podcasts de la télévision suisse. Ces hommes revendiquent l’accès aux espaces des femmes lesbiennes et à leur corps. De nombreux jeunes LGB sont encouragés à penser qu’ils doivent être 'trans' – et avoir besoin de médicaments et d’opérations chirurgicales – au lieu d’accepter simplement leur attirance pour des personnes du même sexe qu’eux.»

Sur son site, l’organisation va plus loin. «Aujourd’hui, un nouveau type d’homophobie se développe en Suisse, que les groupes LGBTQ+ établis peinent à combattre – et contribuent souvent à renforcer», peut-on y lire.
«Ils promeuvent l’idée que le 'genre', la façon dont vous vous sentez ou vous habillez, est plus important que le sexe biologique. En tant que lesbiennes, gays et bisexuel-le-s dont l’orientation est fondée sur le sexe, nous croyons que le remplacement du sexe biologique par le 'genre' signifie que nous ne pouvons plus nommer ou décrire la discrimination à laquelle nous sommes confrontés et, par conséquent, que nos droits durement acquis peuvent être démantelés, explique Catherine Jelk, la co-fondatrice romande de l'antenne suisse.»
«En tant qu’homosexuelle, on ne respecte pas ma sexualité, ajoute-t-elle. Quand je vais dans un espace lesbien et que la première personne qui m’ouvre la porte est un homme. D’abord je suis surprise, puis triste, puis en colère. Ne pas respecter cela, c’est une forme d’homophobie, non?»
Genèse d'une fracture «T»
«Au début, il s'agissait de la libération des lesbiennes et des gays. Le 'B' (de bisexuel, ndlr) est apparu après, se remémore Kate Harris. Mais comme le 'T' n'a rien à voir avec l’attirance sexuelle, il n'y a aucune raison de le relier.» Historiquement, l’acronyme LGBT s’impose pourtant dès les années 1990 et la revendication trans figure explicitement dans la plateforme de la grande marche de Washington de 1993. Des organisations nationales l’intègrent dès la fin des années 1990, et certaines législations protègent l’identité de genre depuis 1993. Les Principes de Yogyakarta (2006–2007) viendront ensuite consolider, au niveau international, l’association entre orientation sexuelle et identité de genre.
«Il existe des communautés LGBTQ+ dans plusieurs villes de Suisse et des organisations trans – comme Agnodis ou TGNS – qui font du lobbyisme, dénonce Catherine Jelk. L’idéologie des transactivistes a pénétré les écoles. Dans plusieurs cantons, des politiques d’'affirmation' des élèves se disant trans ou non binaires ont été mises en place. Ces politiques valident positivement ces identités. Or, souvent, ces enfants sont – ou deviendront – lesbienne, bi ou gay. On exerce sur eux une pression pour changer de corps, de pronom, de personnalité, afin de se conformer à des stéréotypes de genre. Une fille 'garçon manqué' ou un garçon plutôt féminin devient fréquemment LGB à l’âge adulte; il n’a pas besoin d’hormones ni de chirurgie: il est parfait tel qu’il est. Nous demandons un débat public sur ces sujets. En Suisse, un pays de démocratie, champion de la discussion, il n’est pas normal qu’on ne puisse pas débattre de ces politiques, car cela concerne toute la population: tout le monde a des enfants ou connaît des jeunes.»
Pour LGB Alliance Switzerland, la mission est donc de rétablir le débat public, mais également de recréer une communauté sans les autres lettres: organiser des activités (randonnées, groupes de lecture, cafés) et reprendre la main sur la culture et la littérature LGB, considérées comme «hijackées par les queers et les trans».
Diviser pour mieux régner?
Arnaud Abel est président de Fiertés Citoyennes, une association LGBT+ française qui ne fait aucune distinction entre l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Selon lui, ces deux aspects relèvent des mêmes logiques: celles des minorités sexuelles. Il voit donc la création de LGB Alliance comme «un cadeau fait aux réactionnaires».
«Il y a beaucoup d’exagération dans le diagnostic selon lequel les mouvements LGBT+ auraient 'oublié' la cause homosexuelle, explique-t-il. Je reconnais des dérives, des interrogations traitées avec mépris, parfois même de façon insultante, alors que des questions sont légitimes. Je suis tout à fait d’accord pour que l’on s’interroge sur l’encadrement des parcours de transition de genre des mineurs, la place des personnes trans dans le sport ou en prison: on doit pouvoir en débattre sans passion. Là-dessus, aucun problème. Mais on peine parfois à fixer la limite entre questions légitimes (auxquelles il faut répondre) et rejet viscéral de la transidentité et des personnes trans. Cela existe aussi.»
«Nous appartenons toutes et tous à la même histoire, nous avons les mêmes ennemis, les mêmes détracteurs. La même haine nous vise. Celles et ceux qui détestent les personnes homosexuelles et les personnes trans ne font généralement pas la distinction entre une personne trans et une personne gay ou lesbienne. Les principaux dangers pour les homosexuels, ce ne sont certainement pas les transactivistes. Quand des personnes se font tabasser, piéger, insulter dans la rue, ce n’est pas à cause d’eux. Quand une enseignante ou un élève sont harcelés en raison de leur orientation sexuelle, au point de se donner la mort, ce n’est certainement pas à cause de 'militants du genre'. Remettons les priorités dans l’ordre et regardons les choses de façon dépassionnée.»
«Les organisations LGBT ont manqué de pédagogie ces dernières années»
Nous avons demandé à ce parisien, «militant de la raison», s'il voyait dans la création de LGB Alliance une des conséquences d'un progressisme débridé, qui bascule parfois dans la censure: «Oui. Il y a eu des réactions trop radicales qui laissent peu de place au doute chez certains militants, prompts à l’invective et à l’anathème, admet-il. Traiter systématiquement quelqu’un de transphobe sans prendre le temps de lire ou d’écouter ce qu’il ou elle a à dire, c’est contre-productif. Oui, il y a des gens vraiment opposés à la transidentité; mais il y a aussi des questions légitimes et des peurs auxquelles il faut savoir répondre. Nous avons manqué de pédagogie au sein des organisations LGBT ces dernières années. Nous sommes allés trop vite, parfois en réagissant de façon épidermique, en faisant de la transidentité le combat ultime, presque sacré. Il faut naturellement protéger les personnes trans et il y a aussi plein d’autres sujets que nous devons porter ensemble, car si nous ne sommes pas solidaires et unis, ces sujets de société n’avanceront pas.»
Arnaud Abel voit dans ce fractionnement des luttes une fragilisation des combats qui unissent la communauté dans son ensemble. «Je suis inquiet: nous perdons en force et en vigueur au moment même où nous devrions nous serrer les coudes. Nous, ce pourquoi on plaide, c’est réparer les fractures et recommencer à discuter. Les personnes trans sont devenues le bouc émissaire des mouvements réactionnaires. Et, en miroir, certains militants très radicalisés profitent de cette polarisation pour faire avancer d’autres agendas.»
La seule solution à ses yeux? «Réapprendre à se parler sans mépriser ceux avec qui on peut ne pas être d’accord. Recoller les morceaux, recréer une dynamique commune et des combats qui fédèrent, plutôt que de fracturer.»

Vous avez dit progressisme?
Parmi les dérives dénoncées par LGB Alliance, on retrouve la tendance à repasser les femmes au second plan. «Je pense qu'il y a énormément de misogynie dans toute cette théorie queer, tonne Kate Harris. L'hypocrisie est hors norme. En fait, on leur a donné carte blanche pour être aussi misogynes qu'ils le souhaitent sous couvert d'être progressistes et cool». Selon elle, le fétichisme sexuel de certains est désormais brandi comme la norme. Elle en veut pour preuve les études du psychologue Ray Blanchard, auteur du terme autogynéphilie, qui décrit un homme attiré sexuellement par lui-même en tant que femme. Ce concept reste rarement documenté dans la littérature scientifique actuelle et les statistiques de santé, car il est considéré comme une catégorie spécifique de l'incongruence de genre.
«Nous avons vu tant de garçons qui ont été castrés et dont le corps est ruiné, dont la vie est foutue. Tant de filles qui ont subi une ablation des seins, alors qu'elles sont simplement lesbiennes, ajoute la fondatrice. Ce sont juste des enfants à qui on a raconté une histoire, à qui on a raconté un tas de mensonges, et qui ont vu leur vie détruite après avoir été brutalisés. J'en tiens pour responsables les partisans de l'idéologie de l'identité de genre.
Tout ce que nous essayons de dire, c'est que nous avons besoin de limites claires à l'avenir. Parce que la prochaine à être supprimée pourrait bien être l'âge. Beaucoup de militants queer sont également impliqués auprès de personnes attirées par les mineurs et essaient de faire changer les lois pour permettre aux hommes d'avoir des relations sexuelles avec des enfants. C'est donc une autre chose dont nous devons nous méfier. Nous avons eu de nombreux cas au Royaume-Uni où des personnes impliquées dans la communauté queer se sont par la suite révélées être des pédophiles. Encore récemment, un homme a été condamné à 30 ans de prison pour avoir violé un garçon de 12 ans. Il était à la tête d'une organisation de la fierté.»
Inversion des valeurs
Face à ces différents points de vue, une question demeure: pourquoi donc la question du genre a-t-elle supplanté les considérations originelles de la communauté gay? Jusqu'où va le véritable pouvoir du lobby trans? Puisque les personnes concernées par un changement de sexe sont moins nombreuses que les LGB (voir encadré), comment expliquer leur prépondérance au sein des mouvements communautaires? La réponse inclusive semble un peu courte.
Si elle admet se poser la même question tous les jours, Kate Harris avance une explication: «Je pense que les organisations LGB comme Stonewall avaient atteint tous leurs objectifs. Elles avaient obtenu l'égalité dans des domaines tels que l'adoption, le service dans les forces armées, le mariage pour tous... Que pouvaient-elles faire de plus? Les transsexuels y ont vu une opportunité: s'ils s'accrochaient au mouvement LGB, qui marchait si bien aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Europe, etc., cela leur donnerait un pouvoir qu'ils n'avaient pas. Je pense que beaucoup de gens ont confondu l'ajout du 'T' avec une nouvelle étape dans le progrès humain.»
Depuis 2022, l’OMS ne classe plus «l’incongruence de genre» comme un trouble mental dans sa grande liste médicale. Cela a servi d’appui à plusieurs pays pour changer leurs lois ou leurs règles (état civil, accès aux soins, remboursements). Ensuite, des classements comme la Rainbow Map d’ILGA-Europe comparent les pays et mettent la pression pour «faire mieux». Enfin, les polémiques sur le sport féminin, l’école ou la santé font beaucoup d’audience: les algorithmes et les médias amplifient ces sujets très clivants, ce qui leur donne une visibilité bien plus grande que le nombre réel de personnes concernées.
Enfin, l’influence des réseaux de plaidoyer est réelle, mais discutée: certaines institutions ont ajusté leurs partenariats (par ex. la BBC quittant le programme Stonewall), signe que le débat sur méthodes et périmètre est ouvert. Résultat: la «question trans» occupe aujourd’hui un espace considérable, non pas parce que la communauté serait majoritaire, mais parce que ses enjeux sont récents, normés au niveau international et hautement conflictogènes – donc médiatiquement saillants.
Pour Kate Harris, la question du bénéfice des entreprises pharmaceutiques entre également en ligne de compte: «Si vous commencez par prendre des bloqueurs de puberté quand vous êtes enfant, puis que vous passez aux hormones du sexe opposé, puis que vous subissez une opération chirurgicale, vous devez prendre des médicaments toute votre vie», explique-t-elle.
En pleine croissance
Pour se faire une idée de la portée de LGB Alliance, on peut citer le montant d'un demi-million de livres sterling de dons récoltés cette année. L'organisation se veut apolitique. «Notre seul point commun est le fait que nous sommes attirés par les personnes de même sexe. Nous n'avons rien en commun avec les personnes qui veulent faire toutes sortes de choses étranges à leur corps, qui croient qu'on peut changer de sexe et qu'un enfant peut naître dans le mauvais corps», conclut Kate Harris. Je ne pense pas que nous ayons jamais dit des choses horribles sur les personnes transsexuelles. Ce à quoi nous nous opposons, c'est l'idéologie promue par des personnes trans et hétéros selon laquelle le genre est plus important que la biologie.»
Dans le cadre de cette enquête, nous avons tenté d’obtenir des réactions de Voqueer (anciennement Vogay), de Lestime, de la Fédération des associations LGBTIQ+ et de l’Organisation des lesbiennes en Suisse (LOS). Personne n’a trouvé le temps de nous répondre. Je suis donc, bien malgré moi, condamnée à demeurer dans l'ignorance (voir encadré).
Merci Voqueer (anciennement Vogay), de Lestime, de la Fédération des associations LGBTIQ+ et de l’Organisation des lesbiennes en Suisse (LOS) !