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Article rédigé par :

Suzette Sandoz

Une votation totalement biaisée

impots
© DR

La votation du 28 septembre dernier relative à l’impôt immobilier cantonal sur les résidences secondaires est un véritable festival d’obscurité et je me demande, sur les 46% de votants, qui a vraiment compris de quoi il s’agissait. Le «petit livre rouge» explicatif était aussi obscur que bourré d’absurdités juridiques. Je vais essayer d’être plus claire que lui!

 

Une explication de vote totalement obscure à deux points de vue (les passages en italique sont des citations de la brochure).


1)(p. 4) «Le Parlement a décidé de modifier la loi pour abolir l’imposition de la valeur locative et limiter les déductions fiscales…. Or l’abolition de l’imposition de la valeur locative est liée juridiquement à la modification de la Constitution». (C’est moi qui ai souligné).


D’où vient ce «lien juridique»? Il est à nouveau invoqué dans l’encadré de la p. 8, avec une précision supplémentaire: «L’arrêté fédéral relatif à l’impôt immobilier cantonal sur les résidences secondaires est juridiquement lié à la loi fédérale relative au changement de système d’imposition de la propriété du logement. Les deux objets ne peuvent donc pas entrer en vigueur l’un sans l’autre.» (c’est à nouveau moi qui ai souligné).


Fort bien, mais quel est ce «lien juridique»?


Pas l’ombre d’une allusion à un lien juridique dans le texte mis au vote. Il faut aller chercher la loi fédérale relative au changement de système d’imposition… dans la Feuille fédérale, au moyen de la référence électronique donnée à la note 4 au bas de la page 10 du petit livre rouge – référence qui n’est au demeurant pas la ligne la plus directe et qui n’est probablement claire que pour des juristes.


Quand vous avez trouvé la loi, encore faut-il découvrir ce qui pourrait y correspondre au «lien juridique» (là encore, les non-juristes risquent de patauger un moment). C’est évidemment à la toute fin de la loi que l’on découvrira, sous ch II, la phrase suivante: La loi «n’entre en vigueur qu’avec l’arrêté fédéral du 20 décembre 2024 relatif à l’impôt immobilier cantonal sur les résidences secondaires. Le Conseil fédéral fixe la date de l’entrée en vigueur».


On aurait pu au moins citer ce passage de la loi dans le petit livre rouge, question d’honnêteté intellectuelle. Et peut-être que des esprits futés y auraient repéré l’erreur juridique grossière sur laquelle je vais revenir sous le point 3).

 

2) On constate, à la lecture du petit livre rouge, que les neuf dixièmes de l’argumentation concernent le contenu de la loi supprimant l’impôt locatif fictif – qui n’est pas l’objet soumis au vote –. Sur les 14 pages du petit livre rouge consacrées à la présentation de la votation, toutes sont consacrées à l’explication de la loi qui n’est pas soumise au vote et incluent simplement ci et là quelques allusions à l’objet de l’arrêté sur lequel porte le vote, créant ainsi la confusion. Par ex.: (p. 8, encadré. Début) «La votation porte sur une révision de la Constitution, mais elle implique aussi une modification législative». Mais rien, dans le texte soumis au vote, n’indique quoi que ce soit à propos de la modification législative. Et l’on peut affirmer que toute la campagne a porté sur le contenu de la loi que personne ne connaissait vraiment, et en tous les cas pas les citoyens ordinaires qui n’étaient pas parlementaires ou professionnels de l’immobilier. Personne ne mentionnait même que le délai référendaire dont elle était légitimement pourvue était valablement expiré depuis le 22 avril 2025, donc qu’elle ne pouvait pas être soumise au vote.


On aurait voulu créer une embrouille qu’on n’aurait pas trouvé mieux! C’est réellement à la limite de la malhonnêteté intellectuelle.


Ces arguments ne pouvaient que créer la confusion au sujet du vote.

 

Mais il y a plus inquiétant: c’est ce qui concerne l’élément juridique, celui qui dépend exclusivement des juristes de la couronne (et aussi un peu des parlementaires-juristes).

 

Une triple erreur juridique grossière


Première aberration juridique


Outre l’absence de clarté de l’objet réel du vote, on doit relever une erreur juridique vraiment grossière: Contrairement à ce qui est dit à la page 20 du petit livre rouge et à la toute fin de la fameuse «loi fédérale relative au changement de système d’imposition de la propriété du logement», ce n’est pas l’arrêté fédéral qui est le texte soumis au vote, c’est exclusivement la modification constitutionnelle qu’il contient. L’arrêté proprement dit est la décision du Parlement de soumettre au vote une modification constitutionnelle. Cette modification est contenue dans l’arrêté fédéral qui décide de la soumettre au vote et, parce que c’est un texte constitutionnel, elle doit être soumise au vote du peuple et des cantons.


L’arrêté fédéral lui-même n’est que la décision souveraine de l’Assemblée fédérale de soumettre au vote un texte qui doit l’être avant de pouvoir entrer en vigueur parce que c’est un texte constitutionnel, in casu, la modification de l’art. 127 de la constitution fédérale décidée par le Parlement. En règle générale, le Parlement laisse au Conseil fédéral le soin de fixer la date de la votation, donc de l’exécution de l’arrêté, mais il pourrait aussi la fixer lui-même. S’il ne dit rien, c’est le Conseil fédéral qui décide. Ici, l’arrêté fédéral précise «Le Conseil fédéral fixe la date de l’entrée en vigueur». La date de la votation n’est pas une date «d’entrée en vigueur de l’arrêté fédéral», mais simplement la date d’exécution du mandat de mettre au vote, mandat qui est efficace dès que l’arrêté a été voté par le Parlement. Les citoyens n’ont pas le pouvoir de décider si la modification constitutionnelle doit ou non être leur être soumise au vote, ni la date de la votation. Ils ne se prononcent pas sur l’arrêté, mais strictement sur le texte constitutionnel que l’arrêté contient, qu’ils peuvent accepter ou refuser. Ils peuvent aussi naturellement s’abstenir de voter. Le problème, c’est qu’on ne sait pas, au cas où ils s’abstiendraient, si c’est simplement par paresse, ignorance ou indifférence ou si c’est pour manifester publiquement leur incompréhension.


Seconde aberration juridique:


Selon le fameux «lien juridique» existant entre la loi fédérale et l’arrêté fédéral («la loi fédérale n’entre en vigueur qu’avec l’arrêté du 20 décembre 2024») la loi serait entrée en vigueur au plus tard lors de la fixation de la date du vote par le Conseil fédéral. Or, ce que la loi aurait dû dire c’est: «La loi fédérale n’entre en vigueur qu’avec la modification constitutionnelle».


Dès lors apparaît une troisième aberration juridique


Selon l’art. 195 de la constitution fédérale «La Constitution révisée totalement ou partiellement entre en vigueur dès que le peuple et les cantons l’ont acceptée» contrairement à ce que disent l’arrêté fédéral soumis au vote et la loi fédérale non soumise au vote à laquelle il est lié, à savoir «Le Conseil fédéral fixe la date de l’entrée en vigueur». Si on voulait que, comme pour la loi, l’article constitutionnel n’entre en vigueur que lorsque le Conseil fédéral l’aurait décidé, il fallait le préciser dans une disposition transitoire rattachée à l’art. 127 al. 2bis de la Constitution. Comme cela n’a pas été fait, la modification de l’art. 127 al. 2bis est entrée en vigueur lundi 29 septembre 2025, alors que la loi n’est pas encore en vigueur. Le citoyen peut donc s’estimer trompé.


On notera toutefois qu’en pratique cette erreur juridique stupide pourrait n’avoir que peu de conséquences dans la mesure où le nouvel impôt cantonal éventuel sur les résidences secondaires ne peut être prélevé que s’il n’y a plus d’impôt fédéral ou cantonal sur la valeur locative des résidences secondaires, donc si la loi est entrée en vigueur.


Il n’en demeure pas moins qu’il vaudrait mieux que les juristes de la couronne revoient la formule avant d’éventuelles nouvelles votations où leur erreur pourrait être catastrophique: on ne peut déroger à l’art. 195 actuel de la Constitution que par une disposition de la Constitution, soit une disposition transitoire, soit une modification ou une abrogation de l’art. 195 lui-même, mais jamais simplement par l’arrêt fédéral de mise en votation.

 

En résumé


La démocratie directe, plus que toute autre forme de démocratie, exige de la clarté dans l’énoncé de l’objet des votes. La votation du 28 septembre 2025 au sujet de la suppression de l’impôt locatif fictif a manifestement violé ce principe, probablement plus par «fanatisme» politique sur le sujet que par incompétence juridique. Ce sont toutefois de telles manœuvres qui incitent peu à peu les citoyens à s’abstenir de voter, car ils n’y comprennent plus rien. La maladie est très grave à une époque où la tentation totalitaire reprend de la vigueur.

4 commentaires


Bonjour,


C'est très intéressant de voir que de nombreuses personnes étaient contre l' avis du gouvernement, mais pour des raisons fort diverses.


Ce qui m'a énormément gêné, c'est cette tendance à faire des paquets pour faire avaler la pilule au peuple. Comme si nos représentants cherchaient toujours la possibilité, le soi-disant "compromis" qui permette de faire passer leurs objectifs politiques en l' accompagnant d' autres choses qui soit n' ont rien à voir avec l' objet, soit qui rendent la majorité réceptive à leur propagande détestable.


On dirait vraiment que leur questionnement est : "comment faire passer des lois inacceptables en les accompagnant d' autres éléments qui feront qu' on aura, à coup de propagande médiatique éhontée, une majorité dans…


Modifié
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Oui chère Madame Sandoz, les juristes de la couronne fédérale ont concocté une salade russe d’anthologie. On parlait à l’origine de « macédoine à la paysanne « , la Macédoine étant connue pour ses salades composites. C’est à Lucien Olivier ( 1838-1883 ), chef russe d’origine franco-belge ayant œuvré au restaurant l’Ermitage à Moscou, que l’on doit le glissement sémantique en « salade russe «. Elle est devenue universelle au propre et au figuré surtout. Les entourloupeursde tout acabit en raffolent !

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Daemarys
05 oct.

il est vrai que cette votation était bien compliqué, tous ce que j’ai compris c’est ;

  • la taxation de la valeur locative avait été introduite « provisoirement » dans les année 30 pour soutenir les personnes en location par les personnes en propriété après les guerres.

  • Elle a fini (comme par hasard, merci la Suisse) par devenir permanente.

  • La Suisse est le seul pays à taxer les propriétaires d’un loyer sur leur propre habitation (quel folie, on pourrait faire pareil avec les véhicules pour soutenir ceux qui privilégient les transports publics).

  • Il reviendra aux cantons de taxer la valeur locative sur les résidences secondaires (les propriétaires les plus riche).

  • L’abolition de cette taxe va diminuer les impôts de beaucoup de propriétaires retraités…

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En réponse à

Ça me rassure de voir qu’il n’y a pas que pour moi que cette votation était difficile à comprendre… Cela dit, en tant que propriétaire de mon logement, ce que je comprends c’est plutôt que je vais payer plus d’impôts finalement, puisqu’on ne pourra plus déduire les travaux d’entretien, qui représentent des sommes considérables surtout quand le logement vieillit… Alors que l’impôt sur la valeur locative est relativement peu élevé (selon le bien j’imagine). Donc il me semble que les gagnants ne seront pas les petits propriétaires qui ont juste leur logement, mais les plus gros dont je ne suis pas sûre qu’ils aient besoin de soutien financier… J’ai l’impression que le peuple s’est encore fait rouler dans la farine,…

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