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Article rédigé par :

Amèle Debey

«Le Hamas savait que Tsahal allait produire des images épouvantables à Gaza après le 7 octobre»

Journaliste de renom et ancien correspondant de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin analyse la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État palestinien et ses répercussions possibles. Dans cet entretien, il revient sur l’avenir de la solution à deux États, la dérive extrémiste de Netanyahu, l’état de la démocratie israélienne, mais aussi sur la montée de l’antisémitisme en Europe et les impasses d’un conflit qui alimente la haine des deux côtés.

charles enderlin
© DR

Amèle Debey, pour L'Impertinent: Que pensez-vous de la décision de Macron de reconnaître l’État Palestinien? À quoi ça sert?

 

Charles Enderlin: Selon moi, c’est une excellente initiative. C’est rappeler aux Israéliens que la solution à deux États  –  une Palestine indépendante aux côtés d’Israël – est la seule possibilité permettant d’aboutir à une paix régionale... et aussi d'assurer l’avenir d’Israël. Bien sûr, cela n’est pas faisable dans un avenir prévisible.


Surtout, cela confirme que la communauté internationale n’accepte toujours pas l’annexion des territoires palestiniens par Israël. Cela permet aussi de rappeler au Hamas – qui a toujours combattu la solution à deux États, qu’il devra accepter l’existence d’Israël. En parallèle, la diplomatie française a d’ailleurs obtenu une prise de position fondamentale des vingt-deux États de la Ligue Arabe: le Hamas doit renoncer à diriger Gaza et accepter de se désarmer.


L’existence même de la Palestine et des Palestiniens est-elle une remise en question du droit d’Israël à revendiquer cette terre?

 

Absolument pas. En 1993, dans la cadre des accords d’Oslo, Israël et l’OLP (L’Organisation de libération de la Palestine, ndlr) ont signé la reconnaissance mutuelle. La suite des négociations a permis la mise en place de l’autonomie pour les Palestiniens, à Gaza, et dans les grandes villes de Cisjordanie. Le Hamas et le Djihad islamique, opposés à tout accord avec Israël, ont alors déclenché une sanglante campagne d’attentats suicides en Israël. L’extrême droite et les sionistes religieux messianiques étaient également opposés à toutes concessions aux Palestiniens. Le processus a basculé après l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin par un jeune juif messianique, le 4 novembre 1995.


Apparemment, tous les Palestiniens qui ont choisi de rester sont de facto assimilés à des terroristes, est-ce bien le cas? Ce qualificatif ne veut donc plus rien dire?


Je ne comprends absolument pas votre question. La Nakba est le mot qui qualifie la tragédie subie par la nation palestinienne. Le drame des réfugiés, qui ont quitté leurs terres, les uns expulsés par l’armée israélienne, les autres fuyant les combats. Plus de 750'000 sont ainsi devenus des réfugiés. Près de 250'000, restés en Israël, en ont reçu la citoyenneté. Le terme «terroristes» est employé par les autorités israéliennes pour qualifier ceux qui combattent – par les armes – l’occupation des territoires palestiniens occupés en juin 1967. La Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.


D’après ce que j’ai compris, Netanyahu n’a pas toujours été aussi extrémiste. Il était plus modéré lors de sa première accession au pouvoir. Que s’est-il passé? 

 

Il ne s’est rien passé… C’est bien le même Benjamin Netanyahu. Après son élection surprise en mai 1996, il a su faire preuve de pragmatisme, pour éviter une crise gouvernementale majeure. Principal adversaire des accords d’Oslo, il a poursuivi cahin-caha les négociations avec Yasser Arafat, tout en relançant la colonisation. C’est cela qui lui a donné cette fausse image de modéré. Certains ambassadeurs de France le qualifiant «d’adulte responsable».


II a perdu les élections en 1999, et, lorsqu’il est revenu au pouvoir en 2009, la situation avait totalement changé: Yasser Arafat avait disparu, l’opinion publique israélienne n’était plus en faveur d’une paix avec les Palestiniens après les attentats suicides durant les années de la seconde Intifada et Netanyahu a pu tomber le masque. Suivre l’idéologie de son père, l’historien Benzion, opposé à tout accord avec les Palestiniens. Ce n’est pas par hasard qu’il forme, en 2022, la coalition gouvernementale la plus religieuse, la plus à droite, la plus annexionniste, la plus raciste.

 

Israël est-il toujours un État démocratique?

 

Bonne question. Selon moi, c’est une démocratie gravement malade. En septembre 2023, j’ai publié le livre Israël, L’agonie d’une démocratie. Il faut savoir que Benjamin Netanyahu a mis en place une agence gouvernementale pour promouvoir l’idéologie nationale juive. Que j’appelle le national-judaïsme.


Vous insistez sur la différence entre «suprémaciste» et «messianique». Pourquoi?

 

Il faut rappeler les définitions. Selon le Robert: un suprémaciste est partisan d'une idéologie qui postule la suprématie d'un groupe d'individus. Le messianisme juif est la théologie selon laquelle le monde est entré dans une période eschatologique. C'est-à-dire que pour eux, l’État d’Israël n’est que l’outil choisi par Dieu pour transformer le pays en théocratie, selon le principe que la terre d’Israël a été donnée au peuple juif. Les Palestiniens n’ont rien à y faire, s’ils n’acceptent pas de prêter allégeance à la direction juive.


Les intégristes islamistes et les colons orthodoxes ne sont-ils pas deux faces d’une même pièce? Y a-t-il des liens entre eux? (À l’image des mouvements politiques opposés en apparence).


Il n' y a aucun lien entre eux. Mais, tout en étant ennemis, ils se sont retrouvés pour combattre les accords d’Oslo. Les sionistes religieux – les colons – pour refuser toute concession territoriale aux Palestiniens. Le Hamas et le Djihad islamique pour rejeter toute forme de reconnaissance d’Israël, l’État juif, qu’ils entendent détruire.

 

Vous dites que seule la solution à deux états permettra la survie d’Israël. Pourquoi?


Seul un accord de paix portant sur la création d’un État palestinien démilitarisé aux côtés d’Israël permettra d’arrêter le cycle de guerres qui empêche le développement de la région. 


Comment est-ce que la situation est perçue dans la société israélienne? Il semble que l'argument des otages pour justifier la riposte soit désormais de l'histoire ancienne. Est-ce qu'une révolution pourrait venir par le peuple?


L'argument des otages, comme vous dites, n'est certainement pas «de l'histoire ancienne»  Selon tous les sondages, une immense majorité au sein du public israélien est en faveur de l'arrêt de la guerre et de la libération des otages. Cela se reflète dans les rassemblements organisés par les familles d'otages, à Tel Aviv et dans d'autres localités du pays.


Cela, sans parler des manifestations de la gauche contre la souffrance des Gazaouis, qui prennent de l'ampleur et rassemblent tout de même quelques milliers de manifestants. Elles sont réprimées par la police du ministre de la Sécurité intérieure, le kahaniste, Itamar ben Gvir. 


En discutant avec l'un de mes amis juif, il me disait sa crainte face à la montée de l'antisémitisme et sa lassitude que tous les juifs soient automatiquement assimilés au gouvernement d'Israël. Prenant l'exemple des Américains qui ne sont pas haïs à travers le monde (notamment lorsqu'ils voyagent) à cause des actions de leur gouvernement. Que vous inspirent ces réflexions et ce point de vue?


Effectivement, depuis plus d’une dizaine d’années, après chaque opération israéliennes à Gaza, on assiste à une montée de l’antisémitisme un peu partout dans le monde. Il faut savoir qu’en 2014, lors de l’opération «bordure protectrice», Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas, a refusé les propositions de cessez-le-feu de Netanyahu à neuf reprises. Il avait compris que, de jour en jour, les images très dures des victimes civiles des bombardements israéliens amplifient les manifestations anti-israéliennes en Europe. Le soutien au Hamas en sortait renforcé.


Tout indique que, le 7 octobre 2023, en parallèle à l’offensive terrestre, aux massacres dans les localités israéliennes situées autour de Gaza, Yayhya Sinwar, le chef du Hamas avait prévu un volet cyber sur les réseaux sociaux. Grand connaisseur d’Israël, de sa société et de son armée, il savait que Tsahal allait produire des images épouvantables de victimes civiles en bombardant Gaza. Et, quelques jours à peine après les massacres commis par les terroristes du Hamas et du Djihad islamique, est apparue l’accusation selon laquelle Israël commet un génocide dans des manifestations propalestiniennes.


Pour répondre à votre question, le problème va plus loin, et concerne le soutien d’organisations juives en Europe et aux États-Unis au gouvernement Netanyahu, je le répète: le plus annexionniste, le plus à droite, le plus religieux, et le plus raciste de l’Histoire d’Israël.


Les images épouvantables des victimes civiles à Gaza viennent, dans cette situation, renforcer le sentiment non seulement anti-israélien, mais aussi souvent réveillent l’antisémitisme le plus primaire.


En plus de créer des générations de terroristes, Netanyahou met en danger les juifs du monde entier. La haine appelle la haine, la violence appelle la violence. Comment va-t-on pouvoir se sortir de ce marasme?


Je ne vois pas quoi répondre à votre question.

Charles Enderlin est l'auteur d'une série passionnante pour France télévision, intitulée Israël-Palestine, l'impossible coexistence, disponible en cliquant ICI!

le grand aveuglement
Son livre Le grand aveuglement a également été réédité récemment

2 commentaires


guy.coste
31 août

" Seul un accord de paix portant sur la création d’un État palestinien démilitarisé aux côtés d’Israël permettra d’arrêter le cycle de guerres qui empêche le développement de la région. "


Enderlin fait pitié en écrivant une telle bêtise.

On ne peut pas faire coexister un état sans défense avec état un colonial hyper-militarisé dans lequel le "national-judaïsme " est l'idéologie dominante.

Quand à démilitariser symétriquement Israël, eh bien bon courage.


Facteur aggravant : Enderlin, pas plus que Debey, ne mentionne le pilier évangélique qui pourrait être le principal obstacle à quelque solution que ce soit. Ces gens-là non seulement croient en l'Armaguédon mais ils le veulent à n'importe quel prix.

Il doit y avoir au moins dix évangéliques pour chaque…

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Daemarys
24 août

« Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas, a refusé les propositions de cessez-le-feu de Netanyahu à neuf reprises. Il avait compris que, de jour en jour, les images très dures des victimes civiles des bombardements israéliens amplifient les manifestations anti-israéliennes en Europe. Le soutien au Hamas en sortait renforcé. »

Pour moi, tout est dit dans cette simple phrase…

Les bourreaux passent pour des victimes et les victimes pour des sauveurs…


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