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Article rédigé par :

Amèle Debey

L’histoire devra retenir ceux qui auront servi de caution morale au massacre des Palestiniens

Depuis le 7 octobre, il devient de plus en plus difficile de regarder les chaînes info sans être pris d’une envie compulsive de vomir. La couverture médiatique du massacre à Gaza révèle chaque jour un peu plus la faillite éthique et intellectuelle d'une partie de la presse occidentale sous influence. Entre silence complice, manipulation grossière et hystérie idéologique, certains journalistes auront servi de caution morale à l’indicible.

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«Ce n'est pas une guerre... À Gaza, nous vivons les horreurs du Jugement dernier, piégés dans un cycle sans fin entre la vie et la mort, où la mort est devenue la couleur de notre existence quotidienne. Combien de temps encore devrons-nous endurer cela?» © AbdulHakim Abu Riash

Face à l'horreur de la situation à Gaza, comment parvenir à trouver les mots justes? Longtemps, (trop?) les journalistes les ont cherchés, refusant de prendre position. Moi y compris. Jusqu'à devenir complices plus ou moins involontaires d'un scénario mortifère, en relatant le génocide en cours à l'aune d'une défense légitime d'un gouvernement criminel et déshumanisé. Ceci est une humble tentative personnelle de mettre des mots sur les maux, parce que le silence n'est plus une option.

Par souci d’équilibre intellectuel et pour échapper à un entre-soi confortable, mais délétère pour la réflexion, j’ai pris l'habitude, depuis la crise Covid, de regarder chaque matin L’Heure des pros, sur CNews. Un exercice initialement sain, qui impose la confrontation quotidienne avec des opinions et des considérations globalement éloignées des miennes.


Mais, depuis le 7 octobre, ce réflexe confère au sadomasochisme.


CNews, propriété du milliardaire Vincent Bolloré pas franchement soucieux des droits humains en Afrique se surpasse désormais dans la malhonnêteté intellectuelle. Chaque jour apporte son lot d'indécence: amalgames scandaleux, chantage à l'antisémitisme, inversion accusatoire, glorification implicite d'une violence disproportionnée. La frontière morale est franchie allégrement, jour après jour, sans la moindre hésitation.


Ainsi, aucun des faits majeurs éclairant la situation à Gaza n’est jamais mentionné. Rien sur la directive Hannibal, qui autorise l’armée israélienne à tuer ses propres soldats pour éviter qu'ils ne soient capturés par le Hamas (Haaretz via The Guardian). Rien non plus sur la politique coloniale agressive et violente menée en Cisjordanie depuis des décennies, clairement documentée par Louis Theroux dans son remarquable reportage The Settlers pour la BBC. Rien encore sur les documents publiés par le New York Times qui suggèrent que l’attaque du 7 octobre aurait été anticipée, voire facilitée par le gouvernement de Netanyahou comme justification d’un nettoyage ethnique programmé depuis longtemps. Cela ne serait pas la première fois de l'histoire que cette stratégie est employée.


Ces omissions délibérées révèlent la vraie nature de CNews, repaire de cathos en carton qui chantent les valeurs chrétiennes matin, midi et soir quand il s'agit d'immigration ou de mœurs, mais restent de marbre face au massacre d’enfants et d’innocents. Eux si enclins à brandir les «heures les plus sombres de notre histoire» à tout rompre semblent plutôt bien s’accommoder d’en voir s’en écrire d’autres avec la même encre putride.


Les nouveaux chiens de garde


Le 27 mai, la star de CNews, Laurence Ferrari, a reçu un prix des mains de la mère de l'ancienne otage Mia Schem, lors du gala de la Diaspora Defense Force (DDF) pour «son fervent soutien à Israël et son message de vérité au monde». Ce groupement, créé par le publicitaire Frank Tapiro régulièrement invité sur les ondes de la chaîne, s'est donné pour mission «d'éduquer, informer et habiliter nos membres à communiquer efficacement, à contrer la désinformation, et à soutenir la cause d'Israël et des Juifs en diaspora». Le meilleur moyen? «En répétant le même message comme on tape sur un clou».


Le document Antisèches contre les Anti-juifs disponible sur le site explique notamment comment diffuser efficacement leur réalité: il n'y aurait pas de colonies en Cisjordanie, Tsahal serait une armée éthique et morale qui défend les Gazaouis et se soucier du sort des Palestiniens, c'est être un terroriste antisémite. Entre autres.

ddf

Lors de ce gala, DDF a annoncé le lancement d'un «School Tour» dans des lycées et des écoles de France pour interroger les élèves sur leurs connaissances sur Israël, avec un voyage à Jérusalem à la clé:



Au cours de cette soirée, un quizz a été organisé, avec des questions aussi dramatiques que le nombre de morts civils à Gaza en guise de divertissement, dans une ambiance badine:

quizz

Aux côtés d'autres personnalités qui, elles, ne sont pas tenues de respecter la charte de Munich, telles que Celine Pina, Amine El Khatmi, Loay Al Shareef, Franz-Olivier Giesbert, Arthur, Bernard-Henri Levy et Philippe Lellouche ou encore Enrico Macias, Laurence Ferrari a accepté la distinction du rôle parfaitement tenu. Mais combien d'autres journalistes et de rédactions sont-ils pilotés par des réseaux d'influence israéliens, chargés de défendre l'image de l'état juif?


Le média Blast a récemment publié une enquête saisissante intitulée «ELNET, le réseau d’influence au service d’Israël et de Netanyahu». Cet article met en lumière le rôle d'ELNET (European Leadership Network) en tant que lobby pro-israélien influent en France, notamment auprès des institutions politiques et médiatiques. Plusieurs points sont mis en avant:


  • Stratégie d'influence: Inspiré des réseaux américains pro-Netanyahu, ELNET développe une stratégie médiatique agressive en fournissant des éléments de langage aux journalistes et aux politiques français, visant à minimiser les critiques envers le gouvernement israélien. 

  • Voyages organisés: Entre 2017 et 2024, ELNET a organisé des voyages en Israël pour plus d'une centaine de députés et sénateurs français, renforçant ainsi son réseau d'influence. 

  • Soutien politique: Le président d'ELNET revendique avoir contribué au soutien de «l’immense majorité» de l’Assemblée nationale et du Sénat envers Israël depuis le 7 octobre.


Inscrit comme lobby officiel du gouvernement israélien auprès de l’Assemblée nationale, ELNET s’inspire des réseaux américains pro Netanyahu pour influencer les journalistes et les politiques français. Il développe une stratégie médiatique de plus en plus agressive en offrant des éléments de langage clé en main, visant à taire toute critique de l’extrême droite au pouvoir à Jérusalem. Avec le soutien de nombreuses personnalités très conciliantes avec les massacres en cours à Gaza, nous apprend Blast. Sous le prête-nom Agir Ensemble, Elnet organise des réunions et des conférences auxquels participent des journalistes telles que Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk, une autre star de Cnews, ainsi que le philosophe Michel Onfray, qui officie également sur la chaîne. Sans oublier BHL et ses discours de «soutien inconditionnel» à la politique de l’État d’Israël.


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Elnet s’est directement inspiré du lobby américain pro-Likoud AIPAC (American Israel Public Affairs Committe), créé en 1963. Image compte X d’AIPAC, 22 mai 2024 © Blast

Malheureusement, ce dévoiement journalistique dépasse largement les frontières françaises. Même en Suisse, le choix des mots et des invités interroge. On voit fleurir des analyses grossières attribuant à la haine des Arabes le plébiscite instrumentalisé du public pour Israël à l'Eurovision. L'acrimonie des propagandistes infiltrés dans des rédactions et qui, sous couvert de commentaires, répandent leur haine et attribuent leurs vicissitudes à leur auditoire virtuel, en pataugeant dans la fange de l’histoire.


Sans parler du colonel Olivier Rafowicz, porte-parole francophone de Tsahal, (et parrain du gala de la DDF) invité sur les plateaux de BFM à Léman bleu sans la moindre contradiction pour venir expliquer qu'Israël ne fait que se défendre. L'armée «la plus morale du monde» serait victime de désinformation et d'une campagne de dénigrement mondiale qui vise à instaurer l'islamisme dans le monde tout en détruisant le peuple juif.


Quant à l'usage sélectif du mot «génocide», il témoigne d'une indécence à couper le souffle. Alors que ce terme est refusé avec indignation pour décrire la réalité de Gaza malgré les alertes constantes de nombreuses organisations internationales, dont Amnesty International et Human Rights Watch les suppôts médiatiques du gouvernement israélien l’utilisent à outrance pour décrire les attaques du 7 octobre. Y compris Rafowicz, dont la femme a monté une boîte de communication qui collabore avec de nombreux médias français, ce qui n'est évidemment jamais rappelé nulle part non plus.


Le mythe délirant d'un «peuple élu», titulaire d'un acte de propriété biblique, victime éternelle du monde entier, n’est désormais plus audible. Netanyahou, par son extrémisme criminel, aura réussi l'exploit morbide d'anéantir le véritable bouclier dont disposait jusqu’ici Israël: celui de l'opinion publique. Désormais, la compassion a changé de camp.


En voulant détruire le Hamas par une violence aveugle et disproportionnée, Netanyahou lui a offert sa plus éclatante victoire politique et morale. Non content de créer des générations de terroristes, le premier ministre israélien a également offert un boulevard aux antisémites.


L’honneur revient avec Le Temps

 

Il aura fallu plus d'une année et demie aux médias dominants pour comprendre la véritable motivation de Netanyahou et la rapporter comme telle. Sortir du lexique de défense légitime pour enfin s'interroger sur le silence assourdissant des dirigeants occidentaux à l'indignation sélective et à la crédibilité moribonde.


En Suisse, le quotidien Le Temps a décidé de sortir de sa réserve pour documenter consciencieusement les violations des Conventions de Genève perpétrées par Israël. Dans un édito, sa rédactrice en cheffe, Madeleine von Holzen, affirme: «Alors que le droit international humanitaire devrait protéger civils, blessés et humanitaires, il est piétiné par le gouvernement israélien à Gaza où la population meurt sous les bombardements et par la faim. Cette situation est intolérable (...) Les crimes de guerre ne sont pas nouveaux. Mais qu’un Etat assume pareillement de bafouer le droit humanitaire est inédit et vertigineux. Ces valeurs dont Genève est la gardienne sont pourtant le fondement de notre humanité. C’est ce que Le Temps réaffirme aujourd’hui avec force.»


Le quotidien n'hésite plus à employer le terme de «génocide». Et peut-être que tout commence par là.


En tant que journaliste, il est difficile de tenir l'équilibre entre transmission de l'information et prise de position. La remise en question et le doute perpétuels sont des réflexes qui font trembler la plume. Mais le temps est venu de prendre ses responsabilités et de regarder la réalité en face. En espérant que ce ne soit pas trop tard pour l'Humanité. Globale autant qu'individuelle.

4 Comments


Merci pour votre excellent article. Je dois dire que la position de certaines personnalités politiques de notre pays m'interpelle et surtout me révolte. J'attends avec impatience mais peut-être suis-je naïve ? le moment où les journalistes pourront se rendre sur place. D'autre part, Je ne comprends pas le point de vue pro gouvernement de M. Netanyahu largement majoritaire auprès de nos compatriotes de Suisse Alémanique. Pour ce qui est des médias et notamment de certaines chaînes de télévision, il ne faudrait pas oublier que l'on peut cesser de les écouter ou de les visionner car sans audimat, ils ne sont plus rien.

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Ce qui, peut-être, nous paralyse le plus dans ce qui se passe depuis le 7 octobre 23 dans la "frange de Gaza", c'est que ses habitants puissent être représentés par une faction terroriste quasiment dépourvue de toute humanité (et qui l'a démontré dans les faits) comme le Hamas : c'est une tragédie sans nom. De fait, il semble qu'on a affaire ici à la lutte entre deux machiavélismes cyniques tout aussi "potentiellement génocidaires" (c'est une litote...) l'un que l'autre et dont on ne parvient pas à savoir lequel est le pire. Donc, si je résume, il n'y a pas un seul génocide en gestation sur la terre de Palestine, mais deux...

Conséquemment la question la plus importante, ici, me paraît…


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suzette.s
Jun 01

Excellent article, chère Amèle, merci! La situation à Gaza est vraiment révoltante.

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ffk159
ffk159
Jun 01

Votre article démontre combien leur narratif, leur bien-pensance, représente l'inverse de l'honnêteté !

Depuis 2020 je ne regarde plus du tout la télé, d'ailleurs, m'en suis débarrassé. Plus de radio audible non plus ! Ce n'est pas à moi de payer la transition du DAB+ mais à l'Etat ! Je me passerai bien de leur redevance obligatoire !

Après lecture de votre article, je ne regrette en rien de ne plus avoir accès à des informations mainstream sur les "gros événements internationaux" Pour ma part, je n'ai aucun doute que les israéliens avaient laissé faire les actions du 7 octobre, les opérations sous faux drapeau sont devenues prétexte: "Dent pour dent" ou à diverses actions de réduction de nos libertés. Pourtan…

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