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Article rédigé par :

Georges Martin

Donald au pays des merveilles

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Le lundi 13 octobre fut un grand jour pour les derniers otages du Hamas et leurs familles, ainsi que pour les Gazaouis victimes du génocide israélien depuis deux ans. Pour autant, pendant les jours, les semaines et les mois d’après se posent et se poseront les questions fondamentales que cette opération révèle sur l’état général du monde.


Tout a été organisé comme dans un show télévisé à l’américaine dont le modérateur est roi. Aucune institution internationale multilatérale existante, comme les Nations-Unies qui offrent généralement le cadre de telles opérations, n’a joué de rôle dans ce dénouement de conte de fées. Un seul homme, Donald Trump, a imaginé, élaboré et exécuté le show. À une différence près: à la Knesset comme à Sharm El Sheikh, il n’a même pas été nécessaire, comme autrefois dans The Apprentice, de lever des panneaux pour inciter un public acquis à applaudir la star!



Avant toute chose, il est légitime pour un tel one-man-show de s’interroger sur ses motivations. La proximité des dates des annonces du lancement de l’opération et du lauréat du Prix Nobel de la Paix fournit un bon indice, même si Trump ne l’a finalement pas obtenu. Les intérêts financiers de son gendre Jared Kushner et de la famille Trump ont aussi joué leur rôle. S’il ne s’agit pas de faire la fine bouche concernant la libération des otages et l’arrêt des bombardements, en revanche, pour la suite, il est nécessaire de s’interroger sur la méthode.


Nos journalistes détestent en général que les peuples prennent la liberté d’élire d’autres candidats que leurs favoris

 

Nombreux sont ceux qui auraient aimé dire que tout est à jeter dans ce show trumpien. Les mêmes commentateurs qui n’ont cessé de déclarer sur les ondes ou d’écrire dans leurs gazettes pis que pendre sur le nouveau locataire de la Maison Blanche depuis son élection – qu'ils n’avaient pas vu venir, ayant voté Kamala Harris. Nos journalistes détestent en général que les peuples prennent la liberté d’élire d’autres candidats que leurs favoris, comme en Roumanie, en Slovaquie, en Tchéquie ou même en Allemagne ou en France. Ils n’avaient pas apprécié la rencontre d’Anchorage avec Vladimir Poutine et ne cessaient depuis de se réjouir des frictions qu’ils avaient cru déceler entre les deux hommes. Manque de chance, l’annonce d’une nouvelle rencontre à Budapest dans les semaines qui viennent semble anéantir les espoirs des rédactions zurichoises et genevoises que Zelensky puisse enfin envoyer des Tomahawk sur le Kremlin.


Accessoirement, la rencontre de Budapest est autant un grand succès diplomatique pour le «paria» Orban qu’une gifle géopolitique à l’UE de Mesdames von der Leyen et Kallas – les majorettes de la campagne de Russie – et aux «Napoléon» de la «coalition des volontaires», Macron, Merz et Starmer. Mais aussi à la Suisse de la médiation, qui est allée jusqu’à faire disparaitre le nom de Vladimir Poutine sur le siège qu’il a occupé lors de ses entretiens de Genève de 2021 avec Biden.


Qu’on le veuille ou non, Donald Trump est pour l’heure le roi du monde!

Les mêmes commentateurs avaient déjà dû ravaler leur bile le 13 octobre et convenir que le coup fut une réussite. «Jusqu’ici», avaient-ils ajouté, peut-être avec le secret espoir qu’un grain de sable vienne perturber le déroulé. Pour ce cas, la Schadenfreude était toute prête et à peine dissimulée. Plus grave encore pour leur égo, s’ils sont honnêtes, ils devront reconnaitre que personne d’autre que Trump n’aurait été en mesure de réussir ce pari fou. Tout simplement parce qu’il fallait être fou pour le tenter et qu’il est le seul à l’être dans le cercle de la bien-pensance des roitelets Macron, Merz et Starmer. Qu’on le veuille ou non, Donald Trump est pour l’heure le roi du monde! Qui l’aurait cru dans nos salles de rédaction?

 

L’«opération spéciale» de Trump au Moyen-Orient a réussi pour quatre raisons: son timing, le poids des États-Unis, la folie de son président et la collaboration avec un criminel de guerre israélien inculpé. Concernant le timing, il me rappelle celui d’Aceh après le tsunami de 2004, que j’ai bien connu puisque j’étais ambassadeur de Suisse à Jakarta.


Zelinsky semble se complaire dans le rôle de sa vie

À Aceh, les 100'000 victimes du tsunami n’avaient pas laissé d’autre choix à l’organisation de libération de la province du nord de Sumatra (GAM) que d’accepter de réduire ses exigences d’indépendance et de se contenter d’une solution d’autonomie au sein de l’État indonésien. En Israël et à Gaza, les otages et les 100'000 morts du génocide ont probablement aidé à convaincre Netanyahou et les responsables du Hamas que le jusqu’au-boutisme n’avait plus lieu d’être et n’était en tout cas plus soutenu par leurs peuples. On dit souvent, avec raison, que la solution à une crise a le plus de chances de réussir lorsque ses acteurs sont fatigués. C’est probablement ce qui repousse à plus tard toute solution en Ukraine. Zelinsky semble se complaire dans le rôle de sa vie et Poutine n’a pas encore conquis Odessa!

 

Lorsque j’étais en poste à l’ambassade de Suisse de Tel-Aviv en 1991, à l’époque de la Guerre du Golfe, je me souviens avoir rencontré un étudiant juif-américain de Harvard qui préparait son master portant sur une solution au conflit israélo-palestinien. Sa thèse, qui m’a convaincu jusqu’à aujourd’hui, consistait à dire qu’aucune solution ne serait possible sans une parole forte, voire brutale, du seul pays qui a de l’influence sur Israël: les États-Unis d’Amérique. Le seul président américain qui s’est approché du rôle souhaité par cet étudiant fut le président George Bush père, après la Guerre du Golfe.


Je me souviens de la politique prometteuse de la carotte et du bâton portée par son secrétaire d’État James Baker qui a été très proche de pousser Israël à une solution avec les Palestiniens. Quelques années plus tard, Bill Clinton n’a pas eu le courage de forcer Israël à mettre complètement en œuvre les Accords d’Oslo, qui ont en fait permis l’accélération de la colonisation juive en Cisjordanie. La suite fut à vau-l’eau jusqu’à Biden, dont les bombes ont permis le génocide à Gaza. Avec Trump, pour la première fois, un président américain exerce les pressions suffisantes pour faire plier un Premier ministre israélien. Il n’y a aucun doute en effet que Netanyahou aurait plutôt souhaité finir le travail à Gaza jusqu’au dernier combattant du Hamas.


Ce n’est pas un hasard si l’ONU a été écartée du processus

 

Comme dans un deal immobilier new-yorkais, Trump n’aurait pas pu réussir sans un complice local particulièrement roué. Il l’a trouvé dans la personne de Netanyahou. Un repris de justice inculpé dans son pays, un criminel de guerre et contre l’humanité inculpé par les tribunaux internationaux, qui doit slalomer avec son avion lorsqu’il quitte son pays, pour éviter un arraisonnement, et qui vide la grande salle des Nations Unies à New-York lorsqu’il monte à la tribune.


Le 13 octobre a été un spectacle organisé et présenté par un duo de parias qui violent le Droit international et ont abandonné le multilatéralisme. Mais, paradoxalement, sans eux l’opération n’aurait pas réussi. Ce n’est pas un hasard si l’ONU a été écartée du processus. L’ONU signifie le droit international et la justice. Or, Trump et Netanyahou détestent la justice. Je me souviens de mes échanges avec le premier président de Timor-Leste au début des années 2000, le charismatique Xanana Gusmão, le Mandela timorais.


Son pays, que des milliers de collaborateurs de l’ONU aidaient à naître, sortait d’une guerre d’indépendance sanglante avec l’Indonésie. Il se plaignait discrètement des juristes de l’ONU qui, estimait-il, voulaient qu’il redéclare la guerre à l’Indonésie pour que «justice soit faite». Paix et justice, l’éternel conflit que les Sud-Africains ont résolu en y rajoutant la réconciliation. Israël et la Palestine ne sont certes pas encore prêts à la réconciliation, mais pour le moins ont-ils trouvé, via le Hamas, le trou de souris qui leur a permis de conclure un cessez-le-feu, voire une sorte de paix sans la paix, le 13 octobre dernier.


Au Moyen-Orient chaque nouvelle étape est la plus difficile

 

Que tout reste fragile est une évidence. En attendant, Trump a tordu le bras à la fois du Hamas et de Netanyahou pour réussir la première étape d’un long chemin. Le plus difficile reste incontestablement à faire. Cependant, je serais tenté de dire qu’au Moyen-Orient, chaque nouvelle étape est la plus difficile. Cette étape l’était tout autant que celles qui doivent suivre vers une solution durable. Sans la libération des otages et l’arrêt du génocide à Gaza, il n’y en aurait aucune autre. «Vers l’Orient compliqué je volais avec des idées simples» aurait dit le Général de Gaulle lorsqu’il s’est rendu en Syrie en 1941. Même si le Général pensait à cette époque plutôt à la France occupée qu’à la situation moyen-orientale, la phrase est devenue emblématique.


Trump est certainement le premier leader américain à voler vers «l’Orient compliqué avec des idées simples» et avec la volonté de les imposer à tous avec sa brutalité coutumière. Donald au pays des merveilles n’est finalement pas un conte de fées, mais il a réussi avec sa baguette magique à obtenir ce que personne avant lui n’avait réussi. L’avenir dira si cette baguette continuera à exercer sa magie. Après cette première étape, il en faudra de la magie pour établir cette «paix éternelle» qu’il souhaite.


Comme avec lui rien ne semble impossible, il ne serait pas surprenant que Trump réussisse aussi à permettre la création d’un État palestinien, tant sa folie échappe aux contingences historiques et bibliques. Le plus grand obstacle est sans doute le mitage de la Cisjordanie par les colons israéliens. Mais lorsque Trump veut, Trump peut. Le voudra-t-il? Pour l’instant, Donald semble se plaire aux pays des merveilles. Même si nombreux sont ceux qui rappellent qu’il n’est pas Peter Pan, mais un baron de l’immobilier brutal et intéressé.

 

Les otages ont été libérés et les Gazaouis peuvent à nouveau se nourrir et regarder le ciel sans mourir. Pour l’État palestinien et le retour au respect du Droit international, du multilatéralisme et des Nations Unies on attendra… Comme attendra encore dans les geôles israéliennes le leader Marwan Barghouti. Car sa libération aurait signifié qu’Israël était prêt à négocier de bonne foi une solution qui mettrait un terme à l’occupation. Ce qui n’est visiblement pas le cas.


Un autre État paria, l’Afrique du Sud de l’apartheid, avait montré la voie en libérant Nelson Mandela, après avoir tonné haut et fort pendant des décennies que cela serait impossible! Au Moyen-Orient, tout est possible, à condition d’y aller avec des idées simples et la volonté de les imposer. Gardons la foi! La région nous y invite.

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