Selon l’Unicef, environ 13% des filles camerounaises sont mariées avant l’âge de15 ans et 38% à avant 18 ans. Et parmi ces jeunes filles mariées précocement, certaines ont subi des excisions et d’autres ont été victimes du repassage de seins. Des pratiques ancestrales et culturelles encore bien rependues au Cameroun, malgré leur interdiction.

Image prétexte. © PxHere
«J’ai été mariée à l’âge de 12 ans. Mon père a négocié avec un homme qui avait presque son âge. Le monsieur lui a donné de l’argent. Et un matin, on m’a dit 'Salamatou il faut t’apprêter, tu vas chez cet homme'. Toute naïve, j’étais très fière parce que je croyais aller en vacances. Mais c’est un an plus tard, à 13 ans, que j’ai su que c’était le mariage, puisqu’il fallait désormais assumer mon devoir conjugal». L’histoire de Salamatou est celle de nombreuses jeunes filles au Cameroun. Elles sont envoyées en mariage avant l’âge de 15 ans et sans leur consentement.
Les mariages précoces et forcés restent une préoccupation majeure au Cameroun. Et selon les chiffres du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, au moins 41% des adolescentes camerounaises sont forcées à se marier, généralement avec des hommes beaucoup plus âgés. «Depuis 15 ans que je suis mariée, je n’ai jamais été heureuse. J’aurais souhaité aller moi aussi à l’école comme les jeunes filles de mon âge à l’époque. J’aurais souhaité jouir de ma jeunesse, mais je n’ai pas eu cette occasion. On m’a volé ma jeunesse», clame Salamatou.
La situation est plus préoccupante dans les régions septentrionales du pays, où environ 80% des femmes se marient prématurément. Pourtant, en théorie, selon les lois en vigueur au Cameroun, le mariage avant l’âge de 18 ans est une violation des droits de l’homme. Mais malgré ce cadre juridique, cette pratique reste répandue avec son corolaire de souffrances. Les filles qui se marient avant 18 ans sont moins susceptibles de rester à l’école et plus susceptibles de subir des violences domestiques.
«Dans certaines régions du Cameroun, les jeunes filles sont promises en mariage et leur dot consommée avant même leur naissance»
Dans certaines régions du Cameroun, les mariages forcés et précoces ont pris des formes spécifiques, et l’expression la plus rependue ici est la «Money Woman». En effet, le terme est utilisé pour désigner une enfant qui n’a pas encore vu le jour, mais qui est déjà promise en mariage par ses parents à un homme forcément plus âgé, pour des raisons essentiellement liées à la tradition et à l’argent.
Ici, les parents offrent leur fille en mariage dans le but de se soustraire au coût de l’éducation scolaire de cette dernière, ou dans l’optique d’améliorer leur niveau de vie. Une fois l’enfant ayant atteint l'âge de 7 ans, elle rejoint «sa» famille adoptive dans laquelle se trouve l’homme âgé à qui elle a été promise en mariage. Le plus souvent, le père a perçu la dot et, si la fille s’y oppose, il reviendra à ses parents de rembourser la dot au prétendant. Or, c'est ici que survient le chantage. La fille n'a que deux choix: rembourser sa dot ou accepter l'union forcée. Par ailleurs, refuser un mariage forcé n’est pas sans danger. Car la «Money Woman» risque le rejet de sa famille ou de sa communauté.
A la briqueterie, un quartier populeux de Yaoundé à forte dominance musulmane, Hassana, la tête couverte d’une burqa, ce voile quasi-intégral, vend des beignets en bordure de route. Lorsqu’elle est ramenée de son village natal en 2011, elle n’a que 10 ans. Pourtant, ses parents avaient déjà reçu sa dot avant sa naissance. Mais il fallait bien qu’elle naisse, grandisse un peu, avant d’être remise au «propriétaire». Elle n’aura donc pas eu le temps d’aller à l’école.
La jeune fille estime avoir été «vendue» auprès d’un adulte qui la tient pour épouse depuis ce temps. Pour rompre son cordon ombilical avec sa famille, elle a été déplacée du village pour Yaoundé afin rejoindre son foyer conjugal. «On a voyagé toute la nuit» dit-elle en fulfulde, le dialecte de la région. «J’avais peur de demander à mon mari où nous allions. J’ai souvent envie de fuir parce que je ne l’aime pas, il est vieux. Je le vois comme mon père, mais malheureusement, c’est mon mari», déplore la jeune fille.
Le phénomène de «Money Woman» ainsi que les mariages forcés et précoces conditionnent les enfants, bafouent leur consentement, les jettent en pâture sans filet de secours. Ils sont contraints, bon gré mal gré, de subir les vicissitudes de l’homme âgé sans possibilité de recourir ni à leurs parents qui les ont «livrés», ni à la société qui semble banaliser le phénomène.
Le Repassage de seins
Tout comme les mariages précoces ou forcés, le repassage de seins au Cameroun est l’une des coutumes très rependues dans les dix régions du pays. La pratique consiste à masser les seins naissants des jeunes filles en pleine croissance afin de freiner le développement de leurs poitrines. Aujourd’hui encore, cette pratique est utilisée dans de nombreux foyers. Selon une étude menée en 2013 par le RENATA, le réseau National des Tantines, en collaboration avec l’Agence de coopération internationale allemande (GIZ), 24% des Camerounaises auraient déjà subi cette mutilation.
«Ma mère a massé mes seins quand j’avais 10 ans. Mais il fallait supporter en silence: la tradition veut que seules les sorcières pleurent»
Archaïque, la technique consiste à se servir d’objets préalablement chauffés au cœur d’un brasier, tels que la pierre à écraser utilisée en cuisine, le pilon, la louche, la spatule ou encore des noyaux de cerises. Masser les seins pour les faire disparaître. Une opération douloureuse qui se réalise dans l’intimité familiale, en ville comme à la campagne, chez les plus défavorisées comme chez les plus aisées. Ce qui explique en partie le silence qui entoure cette coutume.
Selon Cathy Aba Fouda, ancienne victime de cette pratique, aujourd’hui fervente activiste contre le repassage de seins au Cameroun: «La croyance populaire camerounaise voudrait que lorsque la poitrine d’une jeune fille commence à se former, elle est sexuellement mûre, et aussi, pour réduire les risques de viol et de grossesse précoce, car près d’une adolescente camerounaise sur 5 a déjà été enceinte, les mères pratiquent donc ce repassage des seins. Les séquelles physiques telles que les risques d’abcès, hausse du taux de cancer du sein, impossibilité d’allaiter et les risques psychologiques, à l’instar des traumatismes, des comportements sexuels négatifs sont importante».

La spatule est chauffée. © J-C. B-E
«C’est une pratique très violente qui fait extrêmement mal», se rappelle Cathy Aba Fouda. «Elle influe sur le corps et l’esprit, comme toute violence faite à un être humain», ajoute-t-elle. «On m’a massé les seins quand j’avais 10 ans. Un jour, nous étions à la rivière pour nous laver, j’ai enlevé mon vêtement. Ma cousine m’a dit: 'Cathy, tu as déjà des seins? Mais ce n’est pas normal! Tes deux grandes sœurs n’en ont pas encore. C’est toi que les garçons vont regarder'. En fait, j’avais honte et j’étais d’accord pour qu’on m’en débarrasse».
«Pendant des mois, pour aller à l’école, je portais un serre-seins, c’est-à-dire, une bande élastique très serrée, censée empêcher la poitrine de pousser. Le buste était régulièrement passé à la pierre brûlante. Mais il faut supporter en silence, ne surtout pas se plaindre: la tradition veut que seules les sorcières pleurent», lance l’activiste en souriant.
Mais l’histoire de Cathy ne s’est pas arrêtée là. En classe de quatrième, elle tombe enceinte. «Le garçon m’a lâchée, mes parents étaient fâchés, j’ai dû abandonner mes études. Apres mon accouchement, il fallait allaiter. Sauf que le lait n’est jamais venu. Les médecins se sont aperçus que mes seins étaient gâtés. On a failli m’amputer. Il a fallu les ouvrir et poser des compresses pour retirer le pus, ça me faisait très mal».

Cathy Aba Fouda se bat contre cette pratique © DR
Au ministère camerounais de la Promotion de la femme et de la famille, on se défend autant qu’on peut en brandissant l’arsenal juridique contre les violences faites aux femmes: «Au cours de ces dernières années, le Gouvernement de la République a démontré sa volonté de trouver une solution globale et durable aux phénomènes des violences faites aux femmes. L’on peut citer, sans être exhaustif: la ratification des instruments juridiques de protection des droits de la femme et de l’enfant. Sur la longue liste de ces instruments, figure le plus récemment ratifié, à savoir le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, relatif aux droits des femmes. Son article 1er inscrit au rang des violences tous actes perpétrés contre les femmes causant ou pouvant causer à celles-ci un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques. Alors que l’article 5 prévoit des mesures contre les pratiques culturelles néfastes portant atteinte aux droits humains des femmes et contraires aux normes internationales», justifie Marie Thérèse Abena Ondoua, en charge de ce département ministériel, dans une tribune publiée sur le site de ce ministère.
Excision
C’est une gangrène dont souffrent en silence plusieurs femmes au Cameroun. Elles n’ont jamais connu le plaisir sexuel. La raison est toute simple: elles ont été victimes de l’excision depuis leur plus jeune âge. Les mutilations génitales féminines, autrement connues comme la «circoncision» féminine, impliquent des procédures qui comprennent l’ablation partielle ou totale des organes génitaux féminins externes pour des raisons culturelles ou autres buts non-médicaux. Elles sont généralement pratiquées sur les filles dont l’âge varie entre 4 et 10 ans.
En termes plus simples, les mutilations génitales comme le repassage des seins sont des pratiques barbares menées par les mères exciseuses sur les parties intimes de leurs filles. Elles impliquent l’utilisation des objets tranchants à la stérilité douteuse pour couper le clitoris de la jeune fille, pour recoudre et permettant juste un petit passage pour les urines et le sang menstruel. L’objectif principal étant de s’assurer que la jeune fille n’aura pas d'envie sexuelle ni d’anxiété. Afin d’empêcher toute promiscuité amoureuse avant ou pendant le mariage. Une pratique qui entraîne de réelles douleurs, des traumatismes et des risques pour la santé des petites filles. Mais au-delà, elle prive aussi les femmes qui en ont été victimes de l’accès au plaisir sexuel. Elles se traduisent par la coupe ou l’ablation des tissus autour du vagin qui donnent du plaisir aux femmes.
Dans des régions de l’Adamaoua, le Nord et l’extrême-Nord du pays, où elles sont pratiquées, la raison principale pour les familles de s'y plier est que la jeune fille ne puisse apporter la honte à sa communauté en étant sexuellement active et qu’elle tombe alors enceinte avant le mariage. Ensuite, dans certaines cultures où la circoncision féminine est une tradition depuis des siècles, cette procédure est considérée comme un rite de passage pour les jeunes filles. Les familles craignent alors que si leurs filles sont laissées incirconcises, elles ne puissent pas être en mesure de se marier. Enfin, cette pratique manifeste une volonté de contrôle social et culturel de la sexualité des femmes. L’excision est donc un acte social, non médical, et une injustice imposée au corps féminin.
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