Amèle Debey

20 juin 20218 Min

Premiers vaccinés, derniers libérés: la double peine des EMS

Mis à jour : mars 29

Le danger que représente le Covid pour nos aînés a motivé un enchaînement de mesures liberticides depuis une année et demi. Aujourd’hui pourtant, qui s’intéresse encore de savoir ce que nos personnes âgées deviennent, enfermées dans leurs EMS, puisqu’on les aurait sauvées de la mort à défaut de pouvoir leur faciliter la vie. S’ils sont très nombreux à avoir été vaccinés considérés comme prioritaires – les résidents d’établissement médico-sociaux en Suisse n’ont pas retrouvé une existence normale pour autant. A qui la faute? Et surtout: qu’est-ce que cela nous dit sur les perspectives post-vaccinatoires de retour à «la vie d’avant»?

© Pixabay

Quelque part à Fribourg, la famille Dupuis* est révoltée. Elle n’en peut plus du traitement réservé à la matriarche, résidente d’EMS, depuis plus d’une année et demi. Car l’arrivée du vaccin n’a pas pour autant relâché la pression sur les aînés des établissements médico-sociaux de Suisse.


 
Fin février, et alors que la vaccination allait bon train dans les EMS, la famille Dupuis est prévenue des mesures d’allégement progressives pour les personnes vaccinées dans l’établissement où réside leur mère. Seul problème: cette dernière ne peut pas, pour des raisons médicales, recevoir de piqure. Une solide inquiétude quant à la discrimination que cette «exclusion involontaire» pourrait avoir s’installe dans la famille.


 
Le 26 mars, les directives cantonales sont mises à jour suite aux premières mesures d’assouplissement. Si les résidents intégralement vaccinés peuvent à nouveau sortir ou recevoir des proches, des restrictions sont toujours présentes: les visites sont limitées à deux personnes, seule la famille peut se rendre dans les chambres, la distanciation sociale reste de mise lors des collations et les câlins sont «fortement déconseillés». En bref, le retour à la vie normale en EMS est bien plus lent qu’à l’extérieur, où même les personnes dites «à risques» peuvent recevoir et embrasser qui bon leur semble.
 


 
Quant aux résidents non-vaccinés, ils doivent se soumettre à un test PCR à chaque sortie de l’établissement, même pour quelques heures, ainsi qu’à des quarantaines lorsque la situation le requiert. «Ce courrier contient des mensonges, affirme l’une des membres de la famille Dupuis. Celui de dire que tous les proches ont été informés des risques et bénéfices relatifs à la vaccination, par exemple. On ne nous a pas avertis des risques du vaccin, mais on nous a bien fait comprendre que si les résidents ne se vaccinaient pas, ils seraient punis. Et je ne parle même pas de ce langage détestable, paternaliste et culpabilisant qui est insupportable.»

Petit tour d'horizon


 
La plupart des EMS sont régis par des organes cantonaux, s’ils ne sont pas privatisés. L’Impertinent a tâté le pouls en Suisse romande, afin de se rendre compte de la situation de chacun et de les interroger sur ces mesures qui sont toujours d’actualité alors même que les résidents sont majoritairement vaccinés.


 
A Neuchâtel, le médecin cantonal adjoint estime que «la levée des mesures ne peut être prise qu’avec une grande prudence et une période d’observation globale, mais des allègements très significatifs ont été proposés aux EMS ayant un taux de vaccination d’environ 80% de leurs résidents». Il précise que «les contacts physiques entre les résidents et leurs proches sont maintenant permis, mais avec le respect du port du masque pour tous.»


 
Quant à la vague de contaminations qui peut avoir lieu juste après la vaccination, comme cela a été observé dans un établissement neuchâtelois, il explique: «Après une dose de vaccin, l’immunité s’acquiert progressivement après plusieurs jours. La protection n’est ni totale ni immédiate. Des contaminations observées durant les deux premières semaines après la première dose n’ont pas été exceptionnelles. Une réelle flambée s’est même produite dans un EMS neuchâtelois peu de temps après la vaccination. Plus aucune flambée n’a été observée après deux doses de vaccination. Les rares cas individuels Covid positifs après deux doses de vaccin s’expliquent par le taux reconnu de 95% d’efficacité vaccinale.»


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HévivA, l’Association vaudoise des institutions médico-psycho-sociales, est dans le flou: «Nombre de vos questions rejoignent les nôtres et je ne peux que vous inviter à contacter l’OFSP et HPCI (au niveau cantonal).»


 
Mais le directeur de la Fondation des Beaumettes, à Renens, se montre plus loquace: «Il est difficile de différencier dans les activités quotidiennes les résidants dits 'immuns' (vaccinés ou ayant eu le Covid-19) et les 'non immuns'. Il est aussi nécessaire de protéger ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu se faire vacciner, explique-t-il. Les résidants 'immuns' ont des facilités pour se rendre à l’extérieur dans leur famille et éviter une quarantaine au retour. La plupart des familles sont plutôt rassurées des mesures sanitaires mises en place. Les visites en EMS peuvent se faire de manière fréquente, les sorties ne sont pas limitées pour les résidants immuns. Ici, comme à l’extérieur, nous sommes soumis à des directives restrictives depuis des mois. C’est pesant pour tout le monde.»

«La vaccination n'a pas de bénéfice en terme de liberté»


 
Lorsqu’on lui demande pourquoi la vaccination totale n’a pas entraîné de retour à la normale, comme on nous l’avait fait miroiter pendant des mois, ce directeur déclare: «Il en est de même à l’extérieur des EMS, à part le fait d’être un peu rassuré ou moins angoissé d’être vacciné, il n’y a pas de bénéfice en terme de liberté.»
 

 
Et c’est bien le problème. A part pour voyager, on peine à comprendre quels sont les bénéfices réels de la vaccination – considérations sanitaires mises à part –, puisque la levée des mesures dans la population découle d’une baisse des «cas» également observée l’année dernière, à la même période. Si la plupart des dirigeants, relayés ensuite sans le moindre recul par la majorité des médias, affirment que la «guerre» touche à sa fin grâce à la vaccination, c’est parce qu’ils omettent de prendre en compte la saisonnalité du virus.
 

 
En Valais, on est pragmatique: «A notre demande, les directives ont été adaptées en mars déjà. Il n’y a pas de restriction du nombre, ni du lieu de visite, explique Arnaud Schaller, directeur d’AVALEMS, l’Association valaisanne des EMS. Les câlins sont déconseillés car les visiteurs ne sont pas vaccinés (ou pas tous) et vous savez sans doute que le vaccin est inefficace sur environ 5% des personnes vaccinées. En Valais et dans les EMS, la distanciation entre les résidents vaccinées n’est plus obligatoire également.


 
Les mesures sont presque les mêmes pour les personnes non vaccinées, à part la distanciation sociale, ajoute-t-il. Hors les murs de l’institution, les mêmes questions se posent et les mêmes règles s’appliquent. Nous attendons donc que la situation évolue hors institution pour ce cas spécifique. Précisons encore qu’il s’agit d’un extrême faible pourcentage de résidents non vaccinées.»


 
A Fribourg, la Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS) nous explique: «On estime que la vaccination protège contre une infection pendant au moins six mois. Cette durée pourra être estimée plus précisément avec l’expérience. Il faut continuer à appliquer les règles générales d’hygiène et de conduite avant, pendant et après la vaccination. Les mesures d’assouplissement progressives proposées tiennent compte de la sécurité et de la qualité de vie des résident-e-s. Chaque mois, les connaissances évoluent et permettent d’adapter les règles de fonctionnement. Ce qui est valable aujourd’hui, ne le sera pas forcément demain.»

«Il y a une pesée d’intérêts qu’il n’y avait pas il y a une année»


 
A la FEGEMS (Fédération Genevoise des Etablissements Médico-Sociaux), le porte-parole affirme qu’il y a tout de même eu certains assouplissements depuis la vaccination. Selon lui, plus de 80% des résidents des EMS de Genève sont vaccinés. Il reconnaît cependant que la levée des restrictions a pris du temps, le point ayant été soulevé à de nombreuses reprises à l’attention des autorités par le biais de la Task-Force EMS: «À partir du moment où le taux de couverture vaccinale s’est élevé à 70%, les demandes de levées des restrictions ont été entendues. Tout le monde a beaucoup appris en une année, il y a une pesée d’intérêts qu’il n’y avait pas il y a un an», souffle-t-il. Il nous renvoie, lui aussi, à l’idée d’immunité collective qu’il faudrait atteindre dans la population avant de pouvoir retrouver une vie complètement normale dans les EMS.

Où est donc le bout du tunnel?


 
Mais à combien de pourcentage d’immunisation pourrons-nous nous débarrasser de ces mesures? Interrogé sur la question, l’OFSP nous renvoie au processus en trois phases édicté par le Conseil fédéral. Ce dernier ne donne pas de chiffre clair, dans sa phase de «normalisation» dans la quelle nous sommes actuellement et qui implique que «toute la population adulte a eu accès à une vaccination complète (vers fin juillet)».
 

 
Seulement, les EMS sont un bon exemple de ce qui nous attend lorsque 80% de la population sera vaccinée: à savoir, pas grand chose. Comme ils l’ont été depuis le début de cette crise, ces refuges pour personnes âgées sont les porte-drapeaux d’une politique du risque-zéro, pour être ensuite totalement ignorés des autorités. On peut donc se demander si les décisions prises depuis le début de la crise l’ont véritablement été pour protéger les personnes âgées, comme on a cessé de nous le répéter, alors que l'analyse de la situation actuelle plaide le contraire.


 
En France, l'organe gouvernemental Défenseur des droits a reçu 900 réclamations dont 80% concernaient des EMS (EHPAD en France), depuis le début de la crise. «L’examen de ces réclamations montre, de manière récurrente, des atteintes aux droits fondamentaux, au respect de la dignité et de l’intégrité des personnes accueillies en EHPAD. Ces saisines questionnent en particulier l’effectivité:

  • du principe du libre choix, du consentement éclairé et du droit à l’information de la personne accueillie

  • du droit à une prise en charge et à un accompagnement adaptés

  • du droit à la santé

  • de la liberté d’aller et venir

  • du droit à la vie privée, à l’intimité et au maintien des liens familiaux

  • du droit à la propriété

  • du droit au recours effectif et à la protection


 
En Suisse, Bea Heim, présidente de la VASOS (Association des seniors actifs) et co-présidente du SSR (Conseil suisse des aînés), résume la situation en ces termes: «Pour les résidents, de telles restrictions sont regrettables et difficiles à comprendre. En revanche, il reste des incertitudes, apparemment des infections par des mutations du virus, même chez les personnes vaccinées, sur lesquelles on en sait encore trop peu. De plus, il n’est toujours pas sûr que les personnes vaccinées puissent être porteuses du virus et donc une source d'infection. (...) Tant que de sérieuses questions subsisteront sur le risque de transmission, certaines précautions seront nécessaires. Mais probablement plus pour très longtemps. J'espère que l'on en saura plus bientôt, et que la vie normale, avec proximité et informalité, pourra recommencer dans les foyers.»


 
Récemment, l’OMS prévenait cependant que les cas pourraient repartir à la hausse en automne. Le début de psychose déclenchée par le variant delta laisse présager que le bout du tunnel est encore loin et que cette pause estivale ne pourrait bien n'être que cela.


 
En conclusion: nos aînés vont devoir encore patienter avant de pouvoir retrouver une vie normale. Un comble pour ces résidents qui n’ont plus tout à fait le temps d’attendre, puisqu’on estime en moyenne à trois ans la durée de vie dans ces établissements. Mais peu importe, puisque c'est pour leur bien!

*identité connue de la rédaction


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