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«La CIA a une influence majeure sur le façonnement de l’opinion publique»

Dernière mise à jour : 14 mars

Depuis plus de dix ans, Stella Assange consacre sa vie à la défense de Julian Assange, qui devient son mari, en plus de son client, en 2022. Deux juges de la Haute Cour de Londres statuent actuellement sur le droit du fondateur de Wikileaks de faire ou non appel de la décision d’extradition aux Etats-Unis qui lui pend au nez. L’occasion pour L’Impertinent d’interroger l’avocate et défenseuse des droits humains à propos de l’état de santé de Julian Assange, du silence des médias et de l’influence de la CIA sur notre information.

Stella Assange
© DR

 

 

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Amèle Debey, pour L’Impertinent: Comment allez-vous et comment va Julian Assange?

 

Stella Assange: Les quelques semaines qui ont précédé l’audience et celles qui l'ont suivie ont suscité beaucoup d'attention. J’en suis ravie, car il s’agit d’une audition particulièrement décisive. Et si aucune décision n’a encore été rendue, cela accélère la compréhension et l'attention autour de l’affaire de Julian. En ce sens, cela me réconforte. Mais les enjeux sont cruciaux: si les juges tranchent en sa défaveur, Julian sera extradé manu militari par la Grande-Bretagne. Mes sentiments sont donc mitigés.

 

L’affaire n'avait pas progressé de manière significative jusqu’à l’année dernière. Et si cela signifie qu'il n'a pas été extradé pour des raisons de sécurité, cela implique également qu'il est toujours en prison. Cela dit, je constate des progrès en termes d'attention, de prise de conscience et de compréhension.

 

Quant à Julian, son état de santé se détériore. Il est détenu dans une prison de haute sécurité depuis près de cinq ans et est souvent isolé. Ses interactions avec les autres sont extrêmement limitées. Il est enfermé dans une cellule plus de 21 heures par jour. Sa santé physique et mentale décline, tant et si bien qu’il n’a même pas pu assister à sa propre audience.

 

Comment s’est-elle déroulée? Nourrissez-vous de l’espoir que les juges tranchent en sa faveur?

 

Je ne pense pas que l'issue dépende strictement de cette audience, parce qu'en fin de compte, le but est la libération de Julian pour de bon. S'il gagne cette manche, cela signifie qu’il pourra faire appel de sa sentence d’extradition auprès de la Haute Cour du Royaume-Uni. Mais il restera emprisonné pour un temps indéfinissable. En revanche, s’il perd, il sera mis dans un avion et envoyé aux États-Unis pour y être détenu dans des conditions d’isolement extrêmes.

 

N’y aura-t-il pas moyen, à ce moment-là, de faire recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)?

 

S’il perd au Royaume-Uni, il n'y a plus moyen de faire appel dans ce pays. Il y aurait en effet la possibilité de s'adresser à la CEDH pour demander non seulement que sa requête soit reçue et admise, mais aussi une injonction d'urgence. Une mesure de précaution en vertu de l’article 39 pour empêcher le Royaume-Uni de l'extrader. Mais c’est à la CEDH d'administrer cette mesure.

 

L'année dernière, soixante-trois requêtes ont été déposées auprès de cette Cour et une seule a été accordée. C’est donc quelque chose de rare. De plus, cette mesure n’est accordée que dans la situation où il y a un préjudice irréparable immédiat, ce qui est le cas de Julian. Mais il appartiendrait à la Cour européenne des droits de l'homme de déterminer dans quel cas agir ou non.

 

«Le Royaume-Uni viole ses obligations internationales»

 

Il ne s'agit donc pas d'un droit, mais d'une demande qui doit être faite et qui doit être respectée par le Royaume-Uni. S'il ne la respectait pas, il violerait ses obligations internationales. Or, ce ne serait pas la première fois: le Royaume uni a violé ses obligations internationales dans le cas de Julian, entre autres.

 

C'est en quelque sorte un pas vers l'inconnu. Bien sûr, j'espère que toutes ces garanties entreront en jeu et seront respectées, mais sachant qu'il s'agit d'une affaire politique dans laquelle des transgressions ont déjà été commises, je ne le prends pas pour acquis. Le cas de Julian est précaire et risqué.

 

N’était-ce pas possible de passer un marché (plea deal, en droit américain) avec les Etats-Unis?

 

Ce type de marché doit venir des États-Unis. Là-bas, moins de 5% des affaires aboutissent à un procès, car ils s'appuient effectivement sur ce système de marché. C'est ainsi qu'ils obtiennent des condamnations et qu'ils procèdent à des inculpations.

 

Dans le cas de Julian. Ils ont porté dix-huit accusations équivalant à 175 ans de prison. C’est de la coercition et c'est ainsi que le système de justice pénale américain fonctionne, ce qui est un abus de langage. C’est un peu comme avoir affaire à la mafia qui vous met un pistolet sur la tempe.

 

Du point de vue de la liberté de la presse, les charges contre Julian devraient être abandonnées. Toute autre décision est un cataclysme et crée un précédent pour la presse en général.

 

«Julian a défié les médias traditionnels de manière très significative depuis le début»

 

Cette affaire, intentée par les États-Unis, criminalise le fait de recevoir des informations, de les posséder et de les communiquer au public, y compris des informations de la plus haute importance publique. En l’occurrence, impliquant des crimes de guerre et le meurtre de dizaines de milliers d'innocents en Irak et en Afghanistan, mais également de la torture et de la complicité dans la torture.

 

Il ne peut y avoir une affaire aussi clairement d’intérêt public. Pourtant, elle a été criminalisée.

 

Les journalistes ne sont pas unanimes dans leur soutien à Julian Assange. Comment expliquez-vous cela?

 

Julian a défié les médias traditionnels de manière très significative depuis le début. Il a un modèle de journalisme différent, qu’il appelle le journalisme scientifique, et qui implique un aspect bibliographique à la publication de documents officiels initialement supprimés parallèlement à l'analyse. Le modèle du journalisme traditionnel est de publier des analyses, mais celles-ci sont susceptibles d’être corrompues ou influencées par différents biais. On y supprime certains aspects de la vérité tout en en soulignant ou renforçant d’autres.

 

Julian vient d'un milieu scientifique, il pense donc que les articles journalistiques devraient être évalués par les pairs, comme dans le cas des revues scientifiques ou académiques, et bien sûr, cela remet en question le modèle de journalisme qui revêt une fonction de gardien de l’autorité.

 

Cette fonction est assumée par la plupart des médias mainstream, regardez par exemple le dîner annuel des correspondants de la Maison-Blanche: si vous avez une relation d'opposition avec le gouvernement en place, il n’est pas possible d’être invité à un grand banquet et que tout se passe bien. Il y a un certain degré de proximité entre le pouvoir et une grande partie de la presse que Julian a défiée, discréditée et exposée de manière très directe.

 

«Julian représentait un inconvénient majeur pour tous les journalistes puissants et influents du paysage médiatique»

 

Julian représentait un inconvénient majeur pour tous ces journalistes puissants – ou anciennement puissants – et influents du paysage médiatique. Bill Keller, le rédacteur en chef du New York Times de l’époque, avait notamment déclaré que Julian Assange n’était pas «son type de journaliste». Il n’en restait pas moins un journaliste quand même. Je dois dire que, même si Julian ne l’a jamais articulé à haute voix, Bill Keller n’est pas son type de journaliste non plus.

 

Cela dit, je pense que les débats qui opposent ceux qui pensent que Julian est journaliste et ceux qui pensent le contraire sont dépassés. Cette discussion est hors de propos depuis que les Etats-Unis ont décidé de criminaliser le journalisme par le biais de Julian. En décrivant les activités journalistiques traditionnelles comme criminelles et en rendant obsolète l’intérêt public. Leur propos est de dire que les informations révélées par Wikileaks leur appartiennent et n’ont rien à faire dans le domaine public, même si elles exposent des crimes de guerre et des activités criminelles de l’Etat. C’est la position du gouvernement américain.

 

La Fédération internationale des journalistes, ainsi qu’une vingtaine d’organisations représentant les médias en Europe – en plus de l'Australian Unions – comptent Julian comme l’un d’entre eux. De nombreux groupes œuvrant pour la liberté de la presse ont alarmé l’opinion publique à propos du fait que cette affaire est une attaque contre le journalisme en général.

 

Qu’avez-vous à répondre à ceux qui affirment que les actes de Julian ont causé du tort, mis des vies en danger et qu’il est loin d’être «tout blanc»?

 

Que ce sont des gens mal informés qui reprennent à leur compte la propagande du Pentagone, sans tenter de la remettre en question. Les Etats-Unis ont admis sous serment n’avoir pas trouvé une seule preuve que quiconque a subi un préjudice à cause des révélations de Julian. Cet argument, soulevé depuis le début de l’affaire, est une sorte de généralisation si vague qu'il n'est pas possible de l'interroger et c'est délibéré.

 

C’est pourquoi mentionner cet argument démontre une mauvaise connaissance de l’affaire. Car cela a été mentionné lors de l’audience de Chelsea Manning devant la Cour martiale en 2013 et à nouveau à l’audience de Julian récemment. La seule preuve de préjudice qui ressort de ces révélations est celle des attaques américaines qui ont fait des dizaines de milliers de victimes et pour lesquelles personne n’a été tenu pour responsable. Tout le reste n’est que tentative de distraction du véritable mal qui a été causé par les Etats-Unis et qu’ils essaient de couvrir.

 
 

Lorsque l'on n'enquête pas, que l'on ne poursuit pas, que l'on ne met pas en prison des personnes qui ont blessé et tué des innocents, il s'agit d'une dissimulation. Et ici nous avons affaire à des tentatives systématiques d’étouffer ces crimes. Par l'emprisonnement de Julian, les responsables tentent de garantir leur impunité, parce que les révélations de Wikileaks exigeraient qu’ils aient à rendre des comptes.

 

Si l'on permet à ces crimes, qui ont été démontrés par les preuves publiées par Wikileaks, de se poursuivre sans que personne n'ait à en répondre, sans que personne ne soit traduit en justice, on est en droit de se poser des questions. La vendetta contre Julian permet donc de changer de sujet et de continuer à laisser les véritables criminels s’en sortir.

 

Julian Assange se sent-il trahi par le système médiatique? En particulier par les journaux qui ont utilisé son travail, comme Le Monde, The Guardian, El Pais, Der Spiegel et d'autres?

 

Julian, tout comme Nelson Mandela à son époque (la comparaison a été faite et je crois qu’il est effectivement important de comprendre les similitudes entre les deux affaires) n’en avait plus rien à faire d’en vouloir à qui que ce soit. L’idée était de regarder vers l’avenir. Je ne peux pas parler pour Julian, mais en ce qui me concerne je suis au-delà de l’étape du reproche.

 

«Je tiens plus à la liberté de Julian qu’à reprocher son emprisonnement à quiconque»

 

Cependant, je crois en effet que si la plupart des journaux n’avaient pas failli à questionner et rapporter la persécution dont Julian a été la cible de façon critique, il ne serait pas en prison à l’heure actuelle. Le fait est que je tiens plus à la liberté de Julian qu’à reprocher son emprisonnement à quiconque. Sa survie est la seule chose qui compte.

 

Vous savez, d’une certaine manière, se soucier des éventuelles trahisons est un luxe qu’une personne dont la vie est en jeu ne peut pas se payer. Ce qui compte est que certains appellent désormais à sa libération. D’autres gens pourront écrire les détails de l’histoire qui ont mené à tout cela, mais tout ce que je veux, c'est que Julian soit libéré.

 

Vous avez évoqué à plusieurs reprises une tentative de meurtre fomentée par la CIA à l’encontre d’Assange. Quelles preuves avez-vous de cela?

 

C’est assez extraordinaire, parce que lorsque nous étions à l’ambassade (Julian Assange s’est réfugié à l’ambassade d’Équateur de Londres de 2012 à 2019, ndlr), j’avais le sentiment que la vie de Julian était en danger. Je n’avais bien entendu aucune raison de le penser à ce moment-là, mais cette impression ne me quittait pas: nous étions tous en danger et Julian en particulier.

 

Il y a eu un changement de gouvernement en Équateur, puis ils ont changé tout le personnel diplomatique et les remplaçants ont été, de leurs propres aveux devant les tribunaux équatoriens, engagés en relation avec l’affaire judiciaire en cours concernant Julian. Ils ont créé un environnement hostile à Julian afin de le pousser vers la sortie. Je ne savais alors pas si la menace que je sentais consistait à le jeter dehors, le contraindre ou le tuer. Mais connaissant l'environnement à l'intérieur de l'ambassade, j'étais consciente que s'il s’agissait d’intenter à sa vie, cela pourrait se faire sans réelle possibilité d’enquête indépendante, puisqu’il peut se passer n’importe quoi dans une ambassade. Tout dépend de la volonté du pays concerné d'enquêter.

 

Dans ce cas, il s’agissait d’un gouvernement hostile à Julian qui avait fait plusieurs déclarations assez extraordinaires à l’époque, annonçant notamment conclure une alliance stratégique sans précédent avec les États-Unis, alors même qu’il était censé protéger Julian de la persécution dont il était victime.

 

Deux événements se sont déroulés depuis, qui ont non seulement corroboré mon impression alors subjective de danger, mais également fourni des preuves irréfutables d’un complot contre Julian.

 

«Un plan très sérieux a été mis au point pour kidnapper et assassiner Julian»

 

La première, c’est le témoignage de plusieurs personnes travaillant pour la société de sécurité espagnole à l’intérieur de l’ambassade au moment de l’arrestation de Julian. Ces personnes sont devenues lanceuses d’alerte, car elles ne s'attendaient pas à ce que Julian soit arrêté et mis en prison pour être ensuite menacé d'extradition et n’étaient pas à l’aise avec leur propre position et le sentiment d’avoir été complices de cette arrestation. Elles sont allées voir El Pais et ont révélé avoir espionné Julian et ses avocats, ainsi qu’avoir été impliquées dans diverses activités ordonnées par des responsables américains de la CIA.

 

Il s’agissait notamment d’espionner les conversations entre Julian et ses avocats, de recueillir l’ADN de notre bébé de six mois à l’époque, d’enregistrer les échanges, d’installer des caméras et des micros et de ramener les disques durs aux Etats-Unis. C’est El Pais qui a révélé l’affaire au début, puis ces lanceurs d'alerte sont allés voir la police espagnole et ont fourni des preuves matérielles de leur dire, car au moins l'un d'entre eux avait sauvegardé certains des enregistrements en question.

 

La police espagnole a ouvert une enquête, puis a perquisitionné les bureaux du directeur de cette société de sécurité et a obtenu encore plus de preuves de ces activités d'espionnage, y compris des e-mails venant des États-Unis montrant que l'Équateur n'était pas au courant de l’implication de cet intermédiaire.

 

L'une des choses que ces e-mails ont exposé étaient des discussions autour d’un empoisonnement de Julian. Il était également question de laisser la porte ouverte à l'ambassade pour qu'il puisse être enlevé discrètement, d’une façon qui aurait pu être réfutable. Il s’agissait de la première indication de l’existence d’un plan très sérieux pour kidnapper et assassiner Julian, venant des employés internes de l'ambassade. L’affaire est sortie en 2019 et n’a pas eu beaucoup d’échos en dehors de l’Espagne.

 

Quelques années plus tard, Yahoo news a sorti une enquête majeure sur les responsables de cette opération: les Etats-Unis. Elle était signée de la plume de trois journalistes avec de longue réputation d'enquêteurs très sérieux en matière de sécurité nationale, qui n'ont publié leurs trouvailles qu'après une corroboration très, très solide. Ils ont attendu d’avoir plus d’une trentaine de sources, dont certaines ont été citées nommément et sont de très haut rang, tant au sein de la CIA que du Conseil de sécurité nationale.

 

«Une des fonctions premières de la CIA est de façonner l’opinion publique»

 

Il en est ressorti que, pendant la période où Mike Pompeo était à la tête de la CIA, il était obsédé par l’idée de faire tomber Julian et Wikileaks. C’était juste après que le site a publié la plus grande fuite touchant la CIA depuis environ 20 ans, appelée Vault 7.


Mike Pompeo avait discuté de l'assassinat de Julian aux plus hauts niveaux de la Maison-Blanche et avait également chargé son agence de mettre au point des plans élaborés pour se débarrasser de Julian.

 

Les deux articles, autant celui qui relaie les témoignages des employés de l’ambassade, que celui qui évoque la planification de l’assassinat, se rejoignent. Dans l’enquête publiée par Yahoo news, il n’y a pas de référence à celle d’El Pais. Nous disposons donc de deux sources indépendantes pour vérifier que cela s'est produit au même moment.

 

Le fait est que la CIA n’a pas nié ces informations et que Mike Pompeo a demandé à ce que les sources soient poursuivies en justice en vertu de la loi sur l'espionnage, à savoir pour divulgation de secrets d'État, non pas pour mensonge, ni pour diffamation.

 

Pensez-vous que la CIA a une influence sur les médias mainstream?

 

Il ne fait aucun doute que la CIA a une influence majeure sur le façonnement de l’opinion publique. C’est d’ailleurs une de ses fonctions premières et ce depuis le début. La CIA a été fondée pendant la guerre froide et un certain nombre de lanceurs d’alerte qui y ont travaillé ont été impliqués dans ce contrôle via les médias. Mais il y a aussi un problème structurel. Si on prend, par exemple, cet article récent du New York Times sur les six bases espionnes de la CIA dans l'est de l'Ukraine, c'est une histoire importante. Des journalistes ont été invités sur ces bases afin d’écrire leur papier.

 

Il existe une relation étroite entre la CIA et la presse. Dans de nombreux cas, par exemple au sein du New York Times, la CIA est considérée comme un partenaire sûr. Le problème, évidemment, c'est que les soi-disant «fuites» provenant des agences de renseignement vers les médias mainstream sont souvent autorisées par les agences elles-mêmes afin de servir à affecter la politique, à la façonner, à la construire. Comme lorsqu’ils savent que quelque chose de préjudiciable va sortir et qu’ils veulent forger le récit et préparer le terrain avant que cela ne sorte.

 

«La relation de codépendance entre les agences de renseignement et les médias pose de sérieux problèmes éthiques»

 

La relation de longue date qu’entretient la CIA avec les médias mainstream est très bien documentée au fil du temps. Et puis bien sûr, à partir du moment où la CIA fait partie de vos ennemis, croyez bien qu’ils ont les moyens d’utiliser les médias comme des armes pour saper votre réputation. C’est ce qui s’est passé pour Julian au fil des années et qui a conduit à son arrestation en 2019.

 

De nombreuses histoires fabriquées, montées de toutes pièces, ont été diffusées pour nuire à sa réputation. L'enquête de Yahoo News mentionne d’ailleurs que l'un des aspects, outre l'enlèvement et l'assassinat, consistait également à ce travail de sape dans les médias. Il existe des liens préexistants entre certains journalistes et les agences de renseignement. Il s'agit d'une relation codépendante qui est très difficile à gérer et qui pose de sérieux problèmes éthiques aux médias, en termes de responsabilités vis-à-vis du public.

 

Si jamais Julian Assange finit par mourir en prison, il deviendra un martyr. N’est-ce donc pas un mauvais calcul de la part de ceux qui essaient d’étouffer son travail et l’esprit de son action?

 

Je pense que vous devez comprendre la fonction que l'emprisonnement de Julian revêt exactement, du point de vue de ces agences de renseignement:

 

En premier lieu, ils veulent stopper les fuites. Empêcher les lanceurs d’alerte de fournir des informations aux journalistes, ainsi qu’empêcher les journalistes de publier ces informations. Que Julian devienne un martyr n'a donc pas d'importance, parce qu'aucun autre journaliste ne voudra d’un tel destin. C’est là que se situe leur logique. Ne plus avoir à rendre de comptes et mettre fin à la surveillance du type d'activités auxquelles ils se livrent. En particulier celles qui sont illégales et contraires à la démocratie.

 

Que l’emprisonnement de Julian soit mauvais pour l’image publique des Etats-Unis n’a pas d’importance, puisqu’il remplit toujours sa fonction première, à savoir dissuader la publication de nouvelles informations. Différents intérêts sont en jeu.

 

Plusieurs appels aux dons sont faits régulièrement au nom de Julian et je me demandais comment l’argent reçu était utilisé.

 

Il y a différents fonds. Ceux réservés à la campagne et ceux attribués à la défense légale.

 

Les Etats-Unis ont des fonds illimités pour attaquer Julian, que ce soit pour répandre des fausses informations dans les médias, espionner ses conversations ou le poursuivre sur des années. Nous avons un fonds en Grande-Bretagne strictement consacré au dossier d’extradition qui paie les frais d’avocats. Les frais de campagne sont évidemment séparés des frais légaux.


Il y a la fondation Vow Holland, qui est une fondation caritative allemande qui fait l'objet d'un audit indépendant et qui est financée par des dons. Il existe la Courage Foundation aux États-Unis, qui reçoit également des dons là-bas, et il y a une campagne en Australie, ainsi qu’un financement participatif. Il s'agit donc d'une campagne mondiale avec différents acteurs. Ce n'est pas trop centralisé non plus, parce que c'est international et qu’il y a différentes juridictions.

 

Mais les organisations font un travail extraordinaire. En Italie, par exemple, de nombreuses villes ont accordé à Julian la citoyenneté d'honneur, comme Rome, Naples, Reggio Emilia et un certain nombre d'autres villes.

 

Oui, j’ai vu cela. Il y a également le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui s’est récemment positionné pour sa libération. S’agit-il plutôt d’actions symboliques ou peuvent-elles véritablement avoir un impact sur la situation de Julian?

 

Il ne faut pas sous-estimer l’importance du symbole dans une affaire aussi politique. Il s’agit pour eux de se positionner.

 

N’oublions pas que l’emprisonnement et la persécution de Julian ne peut continuer que tant que ceux qui le gardent enfermé pensent qu’ils peuvent s’en tirer sans problème. Donc si vous avez de plus en plus de soutien de la part de chefs d’Etat, comme Lula ou Scholtz, de gouvernements comme l’Australie et l’Albanie, ou encore de l’ONU, cela devient de moins en moins tenable pour eux.

 

Il ne s'agit pas que de simples déclarations, il s'agit d'une formation du consensus et de la compréhension générale de la légitimité de ce qui a été fait à Julian. Et ces éléments s'additionnent au fil du temps.

 

Une citation attribuée à Julian tourne sur internet. Il aurait dit «Oubliez la Russie, la véritable menace pour les Etats-Unis vient d’Israël et du lobby israélien». Que savez-vous sur l’origine véritable de cette phrase? A-t-il vraiment dit cela?

 

Pas à ma connaissance. J’ai vu cette déclaration passer également, sans aucune source datée, ni référence à un discours en particulier. Je suis donc assez sceptique. Ce qui ne veut pas dire que Julian n’a pas son avis sur la situation actuelle au Moyen-Orient. Je dis juste qu’il existe une certaine tendance à lui attribuer des déclarations. Tant qu’il n’y a pas de vidéo ou une signature de sa part, j’aurais tendance à considérer ces citations avec scepticisme.


Votre vie est désormais dédiée à la défense de votre mari. Avez-vous parfois l’impression qu’elle ne vous appartient plus?

Non, parce que c’est devenu ma mission. Rien n’est plus important pour moi que de libérer Julian et de le ramener à la maison, auprès de nos enfants.

Mais il y a, en plus, le fait de savoir qui est Julian, ce qu'il représente et ce que sa liberté représente, ce qui est quelque chose d'important pour tout le monde. Il n'y a pas de sacrifice de ma part, parce que je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit que je puisse faire de plus important que ce que je fais en ce moment.

 

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