L'accord UE-USA sur l'énergie est physiquement impossible
- Invité de la rédaction
- 3 août
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Ce billet, signé par l'ingénieur français pronucléaire Jean-Marc Jancovici (président du Shift Project), est reposté ici avec l'autorisation de son auteur.
C'est la nouvelle du jour: l'Europe se serait engagée, selon les media, à acheter pour 750 milliards de dollars d'énergie, sur trois ans, aux USA, pour éviter des droits de douane supérieurs à 15% sur ses exportations aux USA.
Commençons par remarquer que la violence, la brutalité, et l'outrance paient. Beaucoup de monde s'est moqué de Trump, président grossier, inconstant, excessif en apparence. Mais le résultat est là: il a obtenu de l'Europe ce qu'il voulait.
Nous n'avions pas de droits de douane significatifs, et désormais nous en avons, et en prime, nous devrions acheter des quantités très significatives d'hydrocarbures aux USA.
750 milliards sur 3 ans, cela représente donc 250 milliards par an. Or, depuis l'après-Covid, il se trouve que les importations européennes de pétrole, de gaz et de charbon – tous fournisseurs confondus – représentent entre 300 et 400 milliards de dollars par an.
Les USA n'ont pas assez de capacité d'exportations pour nous vendre ces quantités
L'accord conclu devrait donc nous conduire à acheter entre 75% et 100% de notre consommation aux USA! Et cela, c'est physiquement impossible. Prenons l'exemple du pétrole: l'Union consomme actuellement environ 10 millions de barils par jour de pétrole, importés à 97%.
Les USA produisent un peu plus de 19 millions de barils/jour, et en consomment... un peu moins de 19. Comment se fait-il qu'ils exportent beaucoup, alors? C'est simple: ils exportent le pétrole qu'ils importent du Canada, lequel a trouvé plus simple de se connecter au réseau de pipelines américain plutôt que de construire les siens propres, et les terminaux pétroliers qui vont avec.
Il n'empêche: importer au moins 75% du pétrole européen des USA supposerait que ces derniers nous vendraient un gros tiers de leur production... que pour le moment, ils consomment.
La Commission européenne n’a pas de pouvoirs réels dans ces domaines
On peut faire le même raisonnement pour le gaz: les USA produisent environ 900 millions de tonnes par an, en consomment 750, et l'Europe en utilise un peu moins de 300 millions, importées à 90%. Ils n'ont donc pas assez de capacité d'exportations pour nous vendre ces quantités.
De toute façon, la Commission européenne n’a pas de pouvoirs réels dans ces domaines. Elle ne peut pas passer de commandes sur les marchés pétroliers et gaziers. Même les gouvernements européens directement ne peuvent pas passer de commandes en énergie: ce sont les entreprises, privées pour l'immense majorité des cas, qui achètent selon leur bon vouloir.
De même, la Commission ne peut pas non plus effectuer des investissements en lieu et place des entreprises. Les investisseurs privés décident où ils investissent.
Seuls les droits de douane se réaliseront, a priori.
Enfin, pour le moment, il n'y a rien de légalement contraignant à l'accord. L'UE pourrait donc avoir obtenu un apaisement sur la base de promesses vides.
Un peu comme l'engagement de l'OTAN à augmenter les dépenses militaires. Il plaît à Trump et peut ensuite être vidé de sa substance par une comptabilité créative.
Est-ce si facile d'argumenter que l'Amérique de Trump incarne mieux ce qui nous est cher que la Russie de Poutine?
L'Europe semble avoir trouvé une façon intéressante de traiter avec Trump: lui donner une victoire de façade, puis peaufiner les détails, dont il ne se soucie pas, à leur avantage.
Deux questions viennent immanquablement à l'esprit au vu de cette annonce:
Pour commencer, sur le terrain des valeurs, qui était la raison initiale de ne plus rien acheter aux Russes, est-ce si facile d'argumenter que l'Amérique de Trump incarne mieux ce qui nous est cher que la Russie de Poutine?
Ensuite, l'Europe se soucie actuellement à la fois de souveraineté et de décarbonation. Mais, en s'engageant à acheter de telles quantités d'hydrocarbures à des USA qui nous traitent comme des vassaux, et qui deviendraient un fournisseur ultra-dominant, peut-on dire que l'on progresse sur l'un ou l'autre de ces deux plans?
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