Ce que la violence des jeunes nous dit du traumatisme Covid
- Amèle Debey
- il y a 1 jour
- 4 min de lecture
Alors que les agressions à l’arme blanche se multiplient parmi les adolescents français, le lien avec la crise sanitaire est de plus en plus évident. Et pourtant, silence radio chez les autorités. Un aveuglement coupable, nourri par l’orgueil et la peur d’assumer ses erreurs. Pareil pour les journalistes, qui tiennent une responsabilité capitale dans le traumatisme Covid.

Cinq ans après la crise du Covid, et alors que le bilan des mesures sanitaires n’a toujours pas été dressé ni débattu sérieusement, l’actualité nous ramène brutalement à la réalité: celle d’une jeunesse fracturée. Ils n’étaient qu’une poignée à alerter, dès 2020, sur les conséquences de cette mise sous cloche de toute une génération: enseignants, psys, pédiatres… Peu ont été écoutés.
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Aujourd’hui, les faits leur donnent raison. L’explosion de la violence juvénile – en particulier des attaques au couteau – en est l’un des symptômes les plus criants. Mais reconnaître ce lien, c’est aussi admettre une responsabilité politique tant que médiatique. Et l’humilité n’a jamais été la spécialité du gouvernement Macron, ni de nos confrères journalistes.
Des chiffres glaçants
Les faits se multiplient. Rien que dans les écoles parisiennes, 92 attaques ont été recensées dans lors de l’année scolaire 2023–2024, avec 94 couteaux saisis juste en un mois via des inspections aléatoires.
Le 24 avril 2025, à Nantes, une lycéenne de 15 ans est tuée et trois autres blessées lors d’une attaque au couteau perpétrée par un camarade
Le 10 juin 2025, un élève de 14 ans poignarde à mort une assistante d’éducation à Nogent-sur-Marne, un acte qualifié de «vague de violence insensée» par le président Macron
Ces cas dessinent une tendance: celle d’un mal-être généralisé qui déborde, faute de prise en charge. Le ministère de la Santé lui-même reconnaît une augmentation massive des troubles psychiatriques chez les moins de 25 ans.
Sur Europe1, Catherine Vautrin, la ministre de la Famille, a déclaré: «Tous les experts signalent une recrudescence de la violence post-Covid». Mais la ministre ne va pas jusqu'à en tirer les leçons, ni engager la responsabilité du gouvernement dans cet état de faits.
Pendant le premier confinement en 2020, les hospitalisations pour violences physiques sur les enfants ont augmenté de 50%, et les interventions policières pour violences intrafamiliales de 42%. Depuis la crise sanitaire, 62% des 18–24 ans en France se sentent régulièrement seuls, un marqueur d’une «épidémie de solitude» qui fragilise leur santé mentale. Des études indiquent que les jeunes exposés à des situations de crise (comme le Covid) ont globalement un mal-être accru, phénomènes auto-agressifs plus fréquents, et un risque dépressif élevé.
Le Covid, catalyseur du mal-être adolescent
Selon une étude Ipsos de 2025, les jeunes Français sont désormais la classe d’âge la plus exposée à la dépression sévère, loin devant les personnes âgées. Près de 40% des 18–24 ans présentent aujourd’hui des symptômes dépressifs modérés à graves, contre 26% avant la pandémie.
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Confinement, isolement social, interruption brutale de la scolarité, ambiance anxiogène, culpabilisation collective… autant de facteurs qui ont sapé les fondations psychiques des adolescents. Pour certains, la violence devient un exutoire face à un monde qu’ils perçoivent comme hostile, sans avenir ni repères. Sans parler de la perte de confiance dans les autorités et les figures parentales censées les protéger. La trahison de cette confiance ne pouvait pas rester sans réponse.
Dans une interview donnée à BFMTV juste après le drame de Nogent, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik explique: «Le confinement a été une agression neurologique importante, parce que le cerveau n'a pas été stimulé. C'est le moment où il y a un élagage des synapses chez les adolescents. Cette période sensible du développement du cerveau des jeunes a été ratée. Ils n'ont pas appris à maîtriser leurs pulsions, à exprimer leurs émotions, ils sont restés centrés sur eux-mêmes. Il n'y avait pas d'altérité. C'est un trouble de la relation qui s'est mis en place.»
«Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir»
Bien sûr, la gestion du Covid n'est pas responsable de tous les maux de la société à elle-seule. La montée de la violence des jeunes est multifactorielle. Nous avons déjà abordé ici la baisse du niveau de langage, qui restreint les capacités de communication des ados. Mais l'absence de bilan sérieux de la politique sanitaire menée entre 2020 et 2022 manque cruellement à une meilleure appréhension de ses conséquences directes et indirectes.
Admettre que la gestion du Covid a pu fragiliser les jeunes, c’est remettre en question un récit d’unité nationale et de rationalité scientifique. C’est affronter le fait que certaines décisions ont été prises à la va-vite, dans la peur, au détriment de l’équilibre psychique d’une génération entière.
En niant le lien entre Covid et violence juvénile, les autorités se rendent doublement responsables: d’avoir blessé, puis d’avoir ignoré les blessés. Il est temps de regarder les choses en face. Parce qu’à force de refuser de faire le bilan qui aboutirait forcément aux excuses publiques que ces enfants méritent, ce sont les lames qui prennent la parole.
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