top of page

Article rédigé par :

Thomas Rannou

Bruxelles sous influence: l’Europe peut-elle résister aux lobbies?

Depuis plusieurs semaines, un réseau d’influence de Huawei est visé par une enquête pour corruption au Parlement européen. Un lobbyisme commercial qui, par certains aspects, fait écho au scandale ‘Qatargate’, survenu en décembre 2022. Une affaire qui illustre une nouvelle fois que le Parlement européen est au carrefour de nombreuses sphères d’influence.

huawei
© DR

C’est une nouvelle esclandre qui touche le cœur du pouvoir de l’Union européenne. Le 13 mars dernier, la justice belge a lancé une série d’arrestations contre des lobbyistes, auprès du Parlement européen, liés à Huawei. Ces spécialistes des relations publiques, travaillant pour le géant chinois des télécoms, sont accusés d’avoir soudoyé des eurodéputés afin d’influencer la politique commerciale en faveur de l’entreprise. Quatre personnes ont été placées sous mandat d’arrêt et mises en examen pour corruption, blanchiment d’argent et appartenance à une organisation criminelle.


Lobbying: la loi face aux ‘zones grises’?


Il serait extrêmement naïf de penser que les lobbies ne sont pas omniprésents au sein de l'institution européenne. Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et politologue spécialisé dans les institutions européennes et le fonctionnement du Parlement européen, tient toutefois à expliquer que les pratiques illégales ne sont pas aussi fréquentes qu’on pourrait le penser: «les risques encourus, à la fois par les lobbyistes et les eurodéputés, sont considérables. Il y a beaucoup de lobbying, mais les limites de la loi sont rarement franchies»


Mais alors, que dit la loi? Le Code de conduite des députés européens interdit les cadeaux d’une valeur supérieure à 150 euros. Tout cadeau au-dessus de ce seuil doit être déclaré. Les invitations à des événements, repas ou voyages peuvent être acceptées, mais doivent également être transparentes et déclarées. Par ailleurs, le registre de transparence de l’UE oblige les lobbyistes à signaler leurs activités et interactions avec les élus.


Pourtant, selon Olivier Costa, ce règlement n’empêche pas les lobbyistes d’avoir une réelle influence sur les décisions prises au sein du Parlement: «le lobbying est structurant dans l’élaboration des politiques européennes. Le parlement travaille sur des sujets éminemment techniques, qui ont peu d’impact sur les citoyens lambdas, mais en ont un énorme sur les opérateurs économiques», explique-t-il. «Il a toujours été admis que les institutions européennes discutent avec les industriels qui veulent modifier les normes», précise-t-il. Cette porosité assumée entre institutions et industriels pose la question des limites à ne pas franchir: à partir de quand la consultation légitime devient-elle une influence démesurée, voire une emprise sur le processus législatif européen ?


Louis Colart, responsable du pôle “enquêtes» au média belge Le Soir, co-auteur d’un livre-enquête sur le Qatargate, déplore une ‘zone grise’ dans le règlement aujourd’hui en vigueur au sein du Parlement européen: «Est-ce qu’un cadeau inférieur à 150 euros pose problème? Est-ce qu’une invitation au restaurant pose problème? Tout est une question de degré. Ce n’est pas illégal, mais à partir de quand peut-on commencer à se dire que l’on devient redevable vis-à-vis de celui qui nous a invité?», s’interroge-t-il.


Huawei - Qatargate: une comparaison pleine de sens?


Ce dossier peut légitimement nous pousser à faire des parallèles avec celui du Qatargate. Cette affaire de corruption et de blanchiment d’argent, révélée en décembre 2022, impliquait des eurodéputés et des responsables du Parlement européen, qui auraient été rémunérés par le Qatar pour défendre les intérêts de l’émirat. L'enquête est toujours en cours.


Selon Louis Colart, ces deux cas présentent de réelles similitudes: «Dans les deux affaires, il y a de la corruption d'eurodéputés. L’une est faite directement par un État, l’autre via une entreprise privée, mais on peut légitimement se demander si la Chine n’est pas à la manœuvre. On sait que les entreprises chinoises sont toutes, du fait de la loi, liées au Parti communistes chinois». La question d’une potentielle ingérence étrangère a donc lieu d’être posée dans l’affaire Huawei. 


En ce sens, cette affaire ne constitue pas un simple scandale de lobbying dévoyé, mais s’inscrit dans une dynamique géopolitique plus large, dans laquelle les démocraties européennes sont devenues des cibles stratégiques pour des puissances étrangères cherchant à infléchir leurs décisions. Cette hypothèse renforce le besoin d’une vigilance accrue et d’un renforcement des garde-fous institutionnels, alors même que l’image du Parlement européen a déjà été ternie par le précédent du Qatargate. Le parallèle entre les deux affaires montre que, malgré les alertes passées, les failles du système restent béantes.


Ce phénomène d’ingérence et de corruption ne se limite d’ailleurs pas seulement au Parlement européen. La Commission européenne, en charge de la gestion de l’UE, n’échappe pas aux accusations de manque de transparence et d’influences opaques, comme en témoigne l’affaire des SMS entre Ursula von der Leyen et Pfizer. Cet incident soulève de sérieuses questions sur les liens entre l’exécutif européen et les grandes entreprises, dans un contexte de crise sanitaire où des millions de doses de vaccins ont été négociées en toute discrétion. Ces préoccupations alimentent le sentiment général que l’Union européenne, malgré son rôle de régulation, n’est jamais à l’abri des influences externes.


Comment l’Union européenne peut-elle s’armer face au lobbyistes?


Face à cette multiplication de cas de lobbying, une question s’impose: comment le Parlement européen peut-il mieux se protéger? Pour Olivier Costa le registre de transparence de l’UE est insuffisant. 


Face à ce constat, il propose plusieurs solutions pour garantir davantage de transparence et diminuer l’influence des lobbies au sein de l’institution : «Il y a la question du caractère obligatoire du registre. On pourrait obliger tous les lobbyistes à être sur le registre de transparence. Techniquement, c’est déjà obligatoire, mais rien n’empêche un lobbyiste, non accrédité, de saisir un député qui ne s’occupe pas de son dossier et de l’inviter à prendre un café, explique-t-il. Il y a aussi la question de la sincérité des déclarations sur le registre. Il y a énormément de déclarations qui ne sont pas mises à jour, de lobbyistes qui ne disent pas exactement pour qui ils travaillent ou ne font pas état de conflits d'intérêt», ajoute-t-il. En 2019, le chercheur partageait dix propositions sur la transparence du parlement européen pour restaurer la confiance, dans lesquelles il préconisait notamment d’interdire aux députés d’exercer des activités privées en dehors de leur mandat, à quelques exceptions près, afin d’éviter toute possibilité de conflit d'intérêt. 


Louis Colart pointe de son côté un aveuglement de la part de l’institution européenne : «Il y a des règles qui existent, mais beaucoup d’entre elles ne sont pas appliquées, il n’y a aucune procédure de contrôle qui existe». Un manque de contrôle qui, selon lui, permet aux pratiques d’influence de prospérer en toute opacité, malgré l’apparente volonté de transparence affichée par les institutions européennes.


Ces nouvelles affaires de corruption et d’ingérence mettent une nouvelle fois en lumière la vulnérabilité du Parlement européen face aux pressions extérieures. Si le lobbying fait partie intégrante du processus décisionnel de l’UE, la porosité entre intérêts privés et action publique soulève des questions légitimes sur l’efficacité des mécanismes de contrôle en place. L’affaire Huawei, à l’instar du Qatargate, illustre les limites du cadre réglementaire actuel et la nécessité d’une réforme plus stricte pour garantir la transparence et l’intégrité des institutions européennes. 


Cette multiplication de scandales risque d’éroder encore davantage la confiance des citoyens envers leurs représentants et de nourrir un sentiment de défiance généralisée. La question, désormais, est de savoir si l’Union européenne prendra les mesures nécessaires pour sortir de sa naïveté et mieux encadrer les lobbies et renforcer sa résilience face aux ingérences étrangères.

Comments


Pop Up Trigger
L'Impertinent LOGO 24.jpg

Inscrivez-vous aux alertes de publication :

Merci pour votre envoi !

Faire un don

IBAN : CH52 0900 0000 1555 3871 0

Lausanne, VD

© 2020 L'Impertinent - L'information au service du public - Politique de confidentialité

bottom of page