Requiem pour le journalisme
- Invité de la rédaction
- 27 avr.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 avr.

Ce billet, signé Serena Tinari, a initialement été publié sur le compte Substack de Tom Jefferson et Carl Heneghan. Il est traduit et republié ici avec l'autorisation des précités*.
Une vague irrépressible. Une armée de journalistes qui, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, s’improvisent experts en épidémiologie des maladies infectieuses, et pensent tout à coup être au fait du développement, de l’homologation, de l’efficacité et de la sécurité des médicaments et des vaccins. Du jour au lendemain, ils sont tous devenus des cracks en statistiques, capables d’interpréter la conception et les résultats d’essais cliniques, tout en étant conscients, bien entendu, de l’omniprésence des conflits d’intérêts dans le domaine médical. Acquérir une spécialité en un clin d'œil, a fortiori dans un climat de panique généralisé, est-ce possible? Non. Et trois ans de couverture médiatique le prouvent.
En 2010, j'ai moi-même couvert la grippe porcine (H1N1) pour la télévision suisse. Cela faisait plusieurs années que je travaillais comme journaliste d’enquête, spécialisée dans la santé publique et l'industrie pharmaceutique. Du jour au lendemain, mes collègues avaient développé une obsession pour la pandémie de grippe. Mon impression était celle d’un déjà-vu: les similitudes avec ce que l’on avait appelé la grippe aviaire (H5N1) étaient flagrantes. J'ai commencé à faire des recherches et j'ai réalisé que nous étions confrontés à un media spin retentissant. Cette enquête a donné deux documentaires: Le Fantôme de la pandémie et La grippe économique. La saga Tamiflu.
Une enquête qui a changé ma vie. J'ai rencontré les chercheurs de la Collaboration Cochrane qui travaillaient sur le Tamiflu, l'antiviral censé nous sauver de la grippe porcine. J'ai notamment rencontré Tom Jefferson, chercheur et médecin, qui m'a beaucoup appris. Je me suis mise à étudier la méthodologie des essais cliniques et la «cuisine des statistiques», que ces deux citations résument fort bien: «Grâce aux statistiques, on peut inventer tout ce qu’on veut», affirmait Darrell Huff en 1954. Alors que Ronald H. Coase, de son côté, nous en offre une sublime synthèse: «Si vous torturez les données suffisamment longtemps, elles avoueront n'importe quoi.»
Durant toutes ces années, j'ai eu l'occasion d'observer la dynamique du «journalisme de meute» et de me pencher sur le mécanisme qui donne naissance à un article d'actualité. Un communiqué de presse sert de base à la publication d’une dépêche d'agence, laquelle devient une «brève», un reportage télévisé et, souvent, un article. De la sorte, le communiqué de presse initial se mue en «fait», touche chaque foyer et influence profondément les individus et les institutions. J'approche de mes 30 ans de carrière, et les histoires que j'ai racontées m'ont laissé une perception aiguë du non-sens journalistique, ainsi qu'une attitude critique par rapport à la manipulation propagandiste et au phénomène d'excitation compulsive – ce qu’on appelle le hype – qui caractérise les médias.
Nous pensions que si nous transmettions des outils à nos confrères, ils feraient mieux. Nous avions tort
En 2015, avec Catherine Riva, j'ai fondé Re-Check, Investigating and Mapping Health Affairs, une organisation à but non lucratif à la croisée du journalisme d’enquête et de la médecine fondée sur des preuves. Aux débuts de Re-Check, nous nous sommes consacrées à la transmission de nos connaissances. Nous avons beaucoup enseigné, notamment lors des conférences du Global Investigative Journalism Network (GIJN). Nous étions parties d'un postulat: la couverture médiatique du domaine médical et de la santé publique reproduit des schémas toujours identiques.
Il y a les «news», qui sont en fait un simple «copier-coller» de communiqués de presse. Il y a des articles de presse triomphants qui célèbrent les prétendues avancées médicales miraculeuses (dont les professionnels du secteur savent qu’elles sont rares). Et puis, il y a les «journalistes scientifiques» qui traduisent les communiqués de presse des gouvernements, des entreprises et des universités dans un langage accessible au grand public. Nous observions un manque chronique de recul et d'esprit critique, notamment sur la justification des affirmations avancées par de prétendus «experts». Nous pensions que si nous transmettions des outils à nos confrères, ils feraient mieux. Nous avions tort. Des années d'efforts n'ont abouti à aucun résultat.
En 2020, le GIJN nous a demandé de rédiger le guide Investigating Health and Medicine. Par un heureux hasard, il a été publié en pleine période COVID. Pour aider nos collègues à s'y retrouver dans la masse d'informations sur la pandémie, le GIJN a organisé des webinaires auxquels nous avons participé. J'ai donné des interviews et publié des articles sur le site web de Re-Check et dans le British Medical Journal. J'ai donné de nombreux cours, certains prestigieux. Résultat? Zéro. Jugez plutôt: durant les trois ans d'obsession médiatique pour le COVID, un média m'a donné carte blanche – à condition que je ne couvre pas les sujets médicaux. Un autre m'a rémunérée en tant que consultante pour un documentaire – qui s'est avéré un cortège d'erreurs méthodologiques flagrantes. Des collègues m'ont gardée au téléphone pendant des heures – pour finalement écrire le contraire de ce que j'avais dit. J'ai passé des jours et des nuits à faire des recherches. Pour en arriver à la conclusion que les médias, l'industrie et les gouvernements nous imposaient une situation qui présentait trop de similitudes avec l'époque de la grippe porcine. À quelques différences près, dont l’une est rapidement apparue comme une particularité du SARS-CoV-2: le fait que ce virus puisse être dangereux pour les personnes âgées, en particulier celles qui souffrent déjà d'autres maladies. Une différence intéressante par rapport aux virus grippaux classiques qui, eux, ne s'embarrassent pas de la démographie.
De chien de garde de la démocratie à caniche de salon
Maintenant que même l'OMS a cessé de nous harceler avec son hit-parade insensé de tests positifs, une conclusion s'impose: ces trois ans de crise incarnent le requiem du journalisme. De sa mission de raconter une histoire après l'avoir vérifiée. De son devoir de comparer différentes sources. De son impératif de poser des questions dérangeantes à ceux qui gouvernent et à ceux qui profitent de la crise.
Le journalisme était le chien de garde de la démocratie. Il s’est transformé en caniche de salon – ou en chien-chien, comme l'a écrit Martina Pastorelli. Finie la curiosité pour l'ombre; disparue la nécessité de garder un esprit critique; oubliée la mission de se tenir aux côtés de ceux qui ont moins de pouvoir. Les piliers de la profession ont été remplacés par des statistiques dénuées de contexte, des graphiques à lignes rouges anxiogènes et des phénomènes déroutants comme l'invention des «télévirologues».
Le COVID a principalement été couvert par des journalistes politiques et d'actualité, qui ont continué à «copier-coller» les déclarations du gouvernement et de l'industrie. Un malentendu tragique a pris le dessus: mes collègues se sont sentis investis de rôles qui n’ont rien à voir avec le journalisme. Comme appeler à davantage de répression («Ne devrait-on pas confiner davantage?»), et servir de porte-voix et de sténographes aux autorités, aux prétendus experts et aux laboratoires pharmaceutiques. La complexité de la santé publique a été réduite à un seul virus et à une seule maladie. Présentée conformément à un récit dénué de preuves, propagé par les gouvernements et l'industrie.
Les scientifiques qui n'étaient pas d'accord ont été exclus de l'antenne
Pendant ce temps, les véritables experts ont été réduits au silence. Il est faux de prétendre que les «scientifiques» étaient «tous d'accord». La vérité est que ceux qui ne l'étaient pas ont été exclus de l'antenne. Il est également erroné de prétendre qu'«il n'y avait pas de données». Une avalanche d'études et de connaissances se sont accumulées, pointant du doigt des failles cruciales dans le récit. Des études importantes, comme celles de Tanveer, Rowhani-Farid, Hong, Jefferson et Doshi sur le manque flagrant de preuves ayant conduit à l'approbation des vaccins contre le COVID-19, ont été ignorées.
Au silence s'est ajouté la «machine à boue». Consternée, j’ai vu des scientifiques universellement considérés comme des maîtres se faire lapider. L'ère du COVID a laissé le journalisme en difficulté: de quatrième pouvoir, il est devenu porte-parole. Avec des communiqués de presse d'entreprise à la Une, des PDG qui pontifiaient sur des politiques de santé complexes. Vérifier? Vous n'y pensez pas! Et tandis que la plupart de mes collègues se chargeaient d'amplifier les conférences de presse gouvernementales, les fact checkeurs se sont occupés du reste.
Le ministère orwellien «de la science véritable» est né
Comme si le fait d’analyser, de prouver et de vérifier ne constituait pas le sel du journalisme, ces figures saugrenues se sont vu confier la certification de la vérité. Alors que les journalistes se perdaient dans le culte de l'expert en blouse blanche, le ministère orwellien «de la science véritable» est né. Troublant mélange de journalistes scientifiques et d'experts improvisés, le monde des fact checkeurs pandémiques a vu collaborer gouvernements, ONG, célébrités du journalisme d’enquête, services de renseignement et réseaux sociaux. La liste des désastres causés par ce phénomène est interminable. Et il a profité exclusivement à une machine de propagande qui a créé, entretenu et dirigé la crise.
Soutenus par ces «vérificateurs de faits», les journalistes sont tombés dans des pièges orchestrés par les services de presse des entreprises et des gouvernements. Une société pharmaceutique, bien connue pour son obstruction systématique, a été métamorphosée en bienfaitrice de l'humanité. Des décennies de connaissances sur les maladies infectieuses et les moyens de les contenir ont disparu derrière un mur d'affirmations erronées, diffusées pourtant en prime time. Les médias ont réinventé la roue tout en se concentrant sur la «guerre des variants» et en présentant des médicaments douteux comme révolutionnaires.
Le vieux vice des formules accrocheuses a été fatal au journalisme et a enfanté des monstres: «antivax», «anti-masques» et «coronasceptiques». Des néologismes qui ont divisé la société et dont ont même été affublés des universitaires brillants. Des personnes, que les agences réglementaires avaient reconnues comme ayant été lésées par ces vaccins, ont été présentées comme des antivax radicaux. Le journalisme a abandonné sa mission de service public et s'est transformé en machine infernale de manipulation des masses, galvanisée par la haine d'autrui.
Tous les arguments qualifiés de complotistes étaient pourtant vrais...
Parmi les effets inquiétants du journalisme pandémique figure sa création de la catégorie des désobéissants qui peuvent se retrouver spoliés de leurs droits fondamentaux. Bras armé du pouvoir, il a diabolisé ceux qui posaient des questions ou exprimaient leur désaccord. Les journalistes se sont transformés en censeurs, en juges, en exécutants des jugements. De cette expérience, le journalisme a ramené un cortège d'erreurs. Certaines sont flagrantes, et nombre d'autres fort embarrassantes. Quant à la crise médiatique, elle en ressort accentuée, car un journalisme qui trahit sa mission suscite inévitablement la méfiance.
Jusqu'à présent, il n'y a eu ni autocritique, ni correction. Le titre serait pourtant magnifique: «Nous nous sommes trompés». Car tous les arguments qui ont été qualifiés de complotistes se sont révélés exacts. Du taux de létalité du virus à l'efficacité et à la sécurité des vaccins COVID; des méfaits des mesures non pharmaceutiques au confinement des personnes en bonne santé, en passant par la fermeture des écoles ou encore par le nombre de «décès COVID» dus en réalité à des traitements inappropriés …
Enquêtez sur les contrats à plusieurs milliards de dollars et redonnez la parole aux experts censurés.
Il est une chose que j'ai apprise et que je répète à ma nièce: en matière de médecine, de journalisme et de propagande, la vérité finit toujours par éclater. Même si, malheureusement, cela peut prendre des décennies.
*POLI-COVID-22 devait être le premier événement universitaire italien consacré à COVID-19. Des mois de préparation lui avaient été consacrés, placés sous le patronage du Politecnico de Turin. Un comité scientifique avait travaillé pendant des mois à composer le panel international d'orateurs et était en dialogue constant avec les autorités de santé publique, qui devaient faire appel à leurs propres «experts». Le programme s’articulait autour de cinq thématiques: biologie, médecine, droit, bioéthique, droit biologique (biolaw) et biopolitique, sociologie et communication. Des universitaires d'institutions italiennes et étrangères devaient présenter l'état de la recherche dans les divers domaines scientifiques et participer au débat ouvert sur les preuves sous-tendant les politiques de lutte anti-pandémique, qui avait jusqu'alors fait cruellement défaut. Quelques jours avant l'événement, l'Istituto Superiore di Sanità – l'équivalent italien des NIH – et le groupe de travail sur la pandémie (Comitato Tecnico Scientifico) se sont retirés. Le Politecnico a retiré son patronage. Les locaux n'étaient plus disponibles. L'événement a néanmoins eu lieu, dans un centre sportif délabré, et les enregistrements sont disponibles ici. Cette expérience douce-amère a donné un livre, qui a également dû surmonter des difficultés et des résistances pour être publié. Critique de la logique pandémique, 770 pages avec, entre autres, des contributions en anglais de Peter Doshi, John Ioannidis, Sunetra Gupta, et al. La journaliste d’enquête médicale Serena Tinari (Re-Check.ch) a participé au congrès et ce texte est un extrait de sa contribution au livre, adapté pour Trust The Evidence.
Bonjour,
Bravo pour cet article magnifique. Je fais partie des "désobéissants qui ont été spoliés de certains droits fondamentaux". Cinq ans après, il est toujours quasiment impossible d'avoir des conversations sereines avec des personnes qui ont eu des responsabilités durant cette période. L' autocritique semble inexistante, et je me demande comment un tel déni est possible. Serait-ce proportionnel aux monstruosités commises? Sinon pourquoi serait -il si impossible d' avouer, même partiellement et sur des aspects mineurs, quelques erreurs ?
Nous avons droit au mur du silence, à l' omerta médiatique et politique sur cette crise, aucune remise en question. C'est tout de même fascinant.
Merci à re-check, dont j' avais lu les articles. Je me demande comment un tel travail…
Je vous remercie pour cet article qui ne fait que rappeler l'évidence en matière de journalisme : esprit critique, questionner et restituer au public qui se fera son avis.Cependant, il est terrible, après coup, de se dire qu'il faille faire un tel article; c'est une preuve de plus du niveau abyssal desdits journalistes. D'ailleurs, "grâce" au covid, je n'ai plus allumé la TV et je n'ai plus lu un journal traditionnel.
Encore merci pour votre travail.
Depuis cette pandémie qui a bien servi certains pouvoirs en place et permis à des acteurs de l'ombre d'avancer leurs pions totalitaires, les principales victimes ont été la démocratie et les médias dits mainstream, ainsi que les relations autrefois de confiance avec la médecine, soumise aux multinationales pharmaceutiques.
Ainsi, je ne me rends désormais chez mon médecin (qui m'avait conjuré de me faire vacciner, ce que je n'ai pas fait fort heureusement) que pour renouveler mon ordonnance pour un léger diabète type 2 (sous contrôle) et je me suis détourné des journaux tenus en laisse par les oligarques, de la télévision et de la radio. Mes sources, désormais, se limitent à des médias réellement indépendants, de tous bords... et je…
Je me souviens d'une connaissance médecin, une femme de moins de 50 ans, toute contente un jour de m'annoncer qu'elle a réussi à se faire vacciner contre le covid. C'était au début de la vaccination, qui était alors réservée aux personnes âgées.
S'il y a un inventaire à faire des faits et gestes des journalistes et des médias durant la" pandémie", il y aurait aussi un inventaire concernant nos médecins: entre les rares corrompus et achetés de longue date par ce monstre froid Big-pharma, les rares qui ont exprimé leurs doutes sur la doxa officielle, la masse qui a suivi docilement les consignes de "sécurité", un nombre statistiquement décelable de médecins qui se sont soignés et ont fait semblant de…
Merci pour ce magnifique article qui confirme ce qu'une minorité tant maltraitée a pensé et pense encore, à savoir que les mainstreams étaient lobotisés. Heureusement, quelques médias, dont l'Impertinent, étaient là. Je vous en suis infiniment reconnaissante, vous m'avez permis de préserver ma santé mentale tant j'étais en colère contre ces journaleux sans scrupules.