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Article rédigé par :

Martin Delavenne, Normandie

La face cachée des eaux en bouteille qui menacent la fertilité

Dernière mise à jour : 8 juin

Le 19 mai 2025, le Sénat a révélé une vaste tromperie sur la pureté des eaux minérales: nappes surexploitées, traitements interdits, silences d’État. Au-delà de la fraude, un danger plus insidieux inquiète les scientifiques: l’impact sur la fertilité humaine.

nestlé waters
© DR/ChatGPT/Canva

C’est un geste si familier qu’on n’y pense plus: saisir une bouteille d’eau, dévisser son bouchon. Chaque gorgée évoque la montagne, les glaciers, la nature intacte. Evian, Henniez, Vittel, Cristaline… Ces marques sont devenues des symboles de pureté, de santé. L’illusion est puissante, car elle s’appuie sur des décennies de marketing et un imaginaire collectif profondément ancré.


Mais cette confiance s’effrite. Depuis 2021, les révélations se succèdent, confirmant ce que certains scientifiques et militants redoutaient depuis longtemps: les eaux minérales «naturelles» ne sont plus si naturelles. À huis clos, lors d’une réunion au ministère de la Santé, Nestlé a fini par l’admettre: ses usines de Vittel, Henniez, Hépar et Perrier utilisent des procédés de traitement normalement interdits pour ce type de produit. Rayons UV, charbon actif, microfiltration… Des technologies réservées, en théorie, à l’eau du robinet.

 

Derrière l’étiquette, une désinfection illégale


Pourquoi recourir à de tels procédés? «Parce que les nappes sont contaminées. Parce que les forages vieillissent. Parce qu’il faut maintenir l’image de pureté coûte que coûte», explique Bernard Schmitt, du collectif Eau 88. Il dénonce une situation connue depuis longtemps sur le terrain: à Vittel, par exemple, «on pompe plus d’eau que la nappe ne peut se renouveler, et forcément, la qualité baisse.»


Or, selon la réglementation européenne, une eau minérale naturelle ne peut subir aucun traitement désinfectant. La composition chimique et bactériologique de l’eau doit être stable, bénéfique pour la santé et préservée depuis la source jusqu’à la bouteille. Toute intervention humaine en altère le statut.


Pourtant, les inspections de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) ont montré que des filtres sont parfois cachés sous des carters en inox, intégrés discrètement dans les lignes de production. «On a prélevé les échantillons à l’aval des traitements», a confié un inspecteur devant la commission sénatoriale. Cela revient à mentir sur la qualité de la source.»


Une pureté empoisonnée


En janvier 2025, la RTS publie une enquête révélant que dix bouteilles sur treize testées en Suisse contiennent des PFAS, des «polluants éternels». Parmi les marques contaminées: San Pellegrino, Swiss Alpina, Henniez. Le Dr Andrea Keller, chimiste à Lausanne, rappelle que «ce n’est pas la concentration à l’instant T qui inquiète, mais l’accumulation dans le corps sur le long terme».


Le TFA, un dérivé du PFAS à chaîne courte, est particulièrement répandu. Or, ces molécules ne sont pas encore encadrées et testées en Europe. La directive européenne n’imposera des seuils qu’à partir de janvier 2026. D’ici là, les consommateurs restent dans l’ignorance.

 

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Le plastique trahit la source


Même lorsqu’elle est captée pure, l’eau peut être altérée par la bouteille elle-même. Les bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate), omniprésentes depuis les années 1990, libèrent sous l’effet du temps et de la chaleur de l’antimoine, un métal potentiellement cancérogène, mais aussi des phtalates, plastifiants aux propriétés œstrogéniques. Des études publiées dès 2006 dans le Journal of Environmental Monitoring ont retrouvé ces composés dans 45 marques européennes.


Ces substances imitent les hormones naturelles, perturbant la puberté, la fertilité, et même le développement neurologique. Leur effet cocktail — interaction entre différents polluants à faibles doses — reste largement sous-estimé par la réglementation.


L’ombre des œstrogènes synthétiques


Dans un rapport de l’OCDE, les experts pointent les résidus pharmaceutiques retrouvés dans certaines eaux de surfaces, notamment l’éthynylestradiol, un œstrogène artificiel utilisé dans les contraceptifs. Ce perturbateur endocrinien est extrêmement actif à faibles doses, et résiste aux traitements classiques.


Des eaux de surfaces, comme l’ont admis les minéraliers lors de leurs auditions, peuvent polluer les captages des eaux de source. Or, en 2016, une étude canadienne a montré qu’à des concentrations de seulement 5 ng/L, ce composé avait suffi à féminiser des populations entières de poissons, provoquant leur effondrement reproductif.


PFAS et reproduction: un lien de plus en plus clair


Dernier suspect: le TFA (acide trifluoroacétique), un sous-produit des PFAS à chaîne courte retrouvé dans 10 bouteilles sur 13 en Suisse. Si leur toxicité semblait moindre que celle des PFAS longue chaîne, des études animales ont montré qu’une exposition chronique pouvait altérer les capacités reproductives, notamment chez les mammifères. Des troubles de la spermatogenèse, des modifications hormonales et des perturbations du cycle menstruel ont été documentés chez les animaux exposés.

 

Une règle réécrite dans l’ombre


Face aux révélations, l’exécutif n’a pas puni. Il a modifié les règles. En février 2023, une réunion interministérielle aboutit à un assouplissement discret de la doctrine sanitaire. Les préfets peuvent désormais autoriser l’usage de microfiltres inférieurs à 0,8 micron – seuil en dessous duquel un traitement est considéré comme désinfectant.


«Un arbitrage fautif au sommet de l’État», tranche le sénateur Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête. Il déplore que cette modification n’ait jamais été notifiée à Bruxelles, violant ainsi la directive 2009/54/CE. Une faute grave, d’autant plus que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) recommandait la suspension immédiate de la commercialisation.


La justice entre en scène


Le 13 février 2025, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour «tromperie». Elle vise Nestlé Waters, mais aussi le groupe Sources Alma, propriétaire de Cristaline et St-Yorre. Les industriels sont accusés d’avoir vendu, sous l’étiquette «eau minérale naturelle», des eaux ayant subi des traitements illicites.


«Les producteurs savaient qu’ils enfreignaient la réglementation, et l’État aussi», affirme Maitre François Lafforgue, avocat de Foodwatch, qui a déposé plainte. À ses yeux, cette affaire n’est pas une simple fraude, mais «une organisation systémique de la dissimulation.»

 

Le Sénat livre son verdict


Après six mois d’enquête, 72 auditions et 1800 pages de documents, le Sénat a livré ses conclusions. «On a édulcoré des rapports, validé des traitements interdits, protégé des intérêts économiques au détriment du droit sanitaire», résume Alexandre Ouizille. Le président de la commission, Laurent Burgoa, réclame des sanctions. Ronan Le Fanic, directeur industriel de Nestlé Waters, est visé pour faux témoignage, et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, pour avoir refusé de comparaître.

 

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Vers une reconquête?


Pour restaurer la confiance, la commission sénatoriale formule 28 recommandations: interdiction des filtres sous 0,45 micron, étiquetage obligatoire des traitements, surveillance renforcée des PFAS et des microplastiques, restrictions agricoles autour des captages. Mais surtout, elle exige que toute eau prétendant au statut «minéral naturel» soit exempte de tout traitement.


«L’industriel ne peut être à la fois juge, partie et inspecteur de ses propres pratiques», tranche Alexandre Ouizille. Il réclame des inspections inopinées, des sanctions pénales, et la fin des rapports corédigés entre entreprises et Agences Régionales de Santé.


Le 21 mai dernier, la ministre déléguée chargée du Commerce, Véronique Louwagie, s’est dit favorable à une révision de la législation. Les auteurs du rapport se sont engagés à lancer un travail «transpartisan» pour inscrire leurs préconisations dans une proposition de loi, et d’ajouter «nous sommes tout à fait engagés en ce sens».


La fin d’une illusion


Tout semblait limpide: les sommets enneigés, les publicités remplies d’enfants et de sources cristallines. Mais, derrière cette imagerie, l’eau minérale industrielle n’a plus grand-chose de naturel. Les révélations sur Nestlé et d’autres groupes montrent une industrie prête à tout pour préserver ses marges, quitte à tordre la loi et filtrer la vérité.


Dans une société assoiffée de transparence, il est temps que l’eau retrouve ce qu’elle promettait: la clarté. Sans filtres invisibles. Sans fables marketing. Et surtout, sans trahison de la confiance publique.

8 Comments


Lou24
il y a 5 jours

Excellent article, merci beaucoup à l'Impertinent média!

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Lou24
il y a 5 jours

A savoir que les nouvelles STEP sont conçues pour filtrer les micropolluants, à defaut d'une telle installation une taxe fédérale de CHF 9.00 / habitant et par an est perçue. Cette taxe sert à financer la mise en place de ces mesures dans les STEP. De quoi sont constitués les micropolluants? pour plus de 90% ce sont de résidus médicamenteux, éliminés dans les urines des habitants...

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Dans un pays comme le nôtre, avec des robinets dans chaque maison, avoir réussi à vendre de l'eau en bouteille (plastique en plus) me semble pure folie marketing. Compte tenu des produits utilisés pour traiter l'eau du robinet et la tuyauterie, je peux comprendre les éventuelles préoccupations. Si nous remontons à la source, peut-être y a-t-il des procédés inspirés de la nature comme celles découvertes par Viktor Shauberger qui pourrait nous permettre d'avoir de l'eau de qualité, sans produits chimiques au robinet. Je pense en particulier à l'usage des vortex dans les lieux de conservation de l'eau. Merci pour cet article, je suis heureux de lire que certaines personnes sont prêtes à nommer les choses, nous donnant ainsi un de…

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Il existe en effet des principes de dynamisation reprenant la philosophie de Shauberger "Observer, comprendre et copier la nature". Le Biodynamizer est à ce titre le plus complet avec 21 principes de dynamisation en synergie. Pas grand chose que l'on puisse faire par contre en amont (avant les kilomètres de tuyauterie en plus ou moins bon état), c'est une responsabilité individuelle, en attendant une première fontaine d'eau biocompatible à Genève...

https://www.solutionsbio.ch/post/dynamiser-l-eau

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suzette.s
Jun 01

Quel chagrin! A qui faire confiance?

Par chance, je ne bois pas d'eau en bouteille, dans la vie de tous les jours. Mais au restaurant, oui, quand je ne prends pas de vin, pour compenser un peu le manque à gagner du restaurateur.

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mais alors : que boire ? j'imagine que notre eau du robinet a elle aussi ses résidus médicamenteux. alors, comment faire ?

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Eh bien on peut heureusement filtrer et redynamiser son eau! L'eau du robinet "potabilisée"est pour cela une excellente base de travail. Benoît Saint Girons, Auteur du livre La qualité de l'eau (sans plastique et sans risques)

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