Amèle Debey

10 janv. 202310 Min

Loi Covid: les amendes illégales de l’Etat

Mis à jour : 23 janv. 2023

La crise Covid et son cortège de mesures sanitaires ne sont pas de l’histoire ancienne pour tout le monde. De nombreux citoyens ont toujours maille à partir avec la justice, notamment pour des masques mal portés, ou des rassemblements illicites. Ces procédures ont un coût et la loi n’a pas toujours été respectée pour sanctionner les récalcitrants.

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Mise à jour du 23 janvier 2023: Le ministère public genevois a retiré son recours à cause d'une jurisprudence du Tribunal fédéral dans une affaire analogue, selon l'une des manifestantes.


«En Suisse, il n'y a plus d'obligation de certificat. L'obligation générale de porter un masque a également été supprimée». Ce fut la première réponse de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), interrogé au sujet des poursuites pénales dont continuent à faire l’objet de nombreux citoyens. Car si ces deux obligations ont bien été levées en février dernier, certaines autorités cantonales continuent à dépenser de l’argent pour récupérer celui des amendes. Parfois pour des montants dérisoires et surtout bien au-dessous de ceux investis dans ces démarches.

C’est le cas à Genève, où le Ministère public (MPGe) vient de décider de faire recours de l’acquittement des manifestants sévèrement amendés le 26 février 2021. Dix-sept d’entre eux avaient décidé de faire opposition à l’amende de 650 francs reçue. La juge leur avait donné raison, mais le MPGe ne l’entend pas de cette oreille. Ils sont tous rappelés devant la justice le 23 janvier prochain, «pour un nouvel épisode de cette saga visant à nous intimider» témoigne une manifestante. «Nous sommes dans l’incompréhension, car il n’y a aucun élément nouveau, on a l’impression que Mauro Poggia (le ministre genevois de la Santé, ndlr) fait un caprice. Cette histoire date de près de deux ans!»


(Re)lire l'article: La justice genevoise désavoue la police face à des manifestants anti-mesures Covid


Cette fois-ci, les manifestants en question (dont une large majorité de personnes âgées) sont dans l’obligation de prendre un avocat. En fonction du dénouement, les amendes et les frais de justice seront à la charge des contrevenants, ou du contribuable.

Contacté, le Ministère public genevois «ne fait aucun commentaire».

Chasse aux sorcières

Berne, printemps 2021. Catherine* est arrêtée pour un pique-nique sur l’Helvetiaplatz où elle ne portait pas son masque. Elle fait opposition et doit venir se défendre dans la capitale pendant trois heures d’audience lors de laquelle on l’interroge également sur les pétitions qu’elle a signées contre la loi Covid, bien que celles-ci n’aient pas de rapport avec l’infraction dont on l’accuse. Est-on passible de poursuites pour nos opinions en plus de nos délits? Interrogé, le Tribunal bernois n’a pas daigné répondre à cette question.

Alors qu’elle s’espérait sortie d’affaire, Catherine va devoir repasser une demi-journée à Berne lors d’une nouvelle audience en février, pour «infraction à la loi Covid». «Le théâtre de l’absurde», comme elle l’appelle, n’est donc pas terminé. «J’avais un moyen très simple de faire arrêter tout ça. C’était de payer. Mais si nous ne résistons pas, ça veut dire qu’on accepte, explique Catherine. Nous avons le droit, en tant que citoyen, de désobéir à un ordre qui n’est pas correct. Si je suis reconnue coupable, je paierai. Mais au moins j’aurai été jusqu’au bout.»

«J’attendais depuis mars et le confinement de pouvoir exprimer mon désaccord avec ce qui se passait»

Genève, fin 2020. La manifestation à laquelle Sophie* avait prévu de se rendre n’a finalement pas reçu l’autorisation des autorités. Elle décide d’y aller quand même: «J’attendais depuis mars et le confinement de pouvoir exprimer mon désaccord avec ce qui se passait. Dire que j’étais offusquée que l’on enferme les gens, qu’on les empêche de travailler, de faire du sport. Que l’on empêche tout le monde de vivre tout d’un coup, raconte-t-elle.» Dotée d’une formation scientifique, Sophie est devenue psychologue scolaire. Elle craint notamment les conséquences très graves de la fermeture des écoles.

La jeune femme se rend à Genève munie d’une banderole «Tous unis! Liberté!». Elle finit par être arrêtée, menottée et emmenée au poste où on lui prend ses empreintes. Placée en garde à vue, elle y passera plus d’une heure sans pouvoir contacter ses proches et sans être informée des griefs retenus à son encontre.

Plus tard, Sophie reçoit une amende de 100 francs pour non-port du masque. Elle fait opposition. Dans le procès-verbal, elle apprend qu’on la soupçonne d’être l’organisatrice de la manifestation. Sur l’amende, elle découvre qu’elle risque la prison, mais que la procédure s’arrête en cas de paiement. «Il était hors de question que je paie une amende non justifiée», s’exclame Sophie qui prend un avocat. Au tribunal, on lui reproche de ne pas avoir porté plainte contre la police qui, représentée par un officier, affirme que Sophie était bien l’organisatrice puisqu’elle était en tête du cortège. Enième incompréhension.

«Combien est-ce que ces plaisanteries coûtent au contribuable?»

Sophie est finalement acquittée pour faute de preuve. Elle n’obtiendra pas de dommages et intérêts, malgré le fait qu’elle ait dû consulter un spécialiste à la suite de l’interpellation, qui l’a particulièrement remuée. «Aujourd’hui j’attends la preuve qu’ils ont supprimé toutes mes données, explique-t-elle, ainsi que des excuses.» Elle est en discussion avec son avocat afin de déterminer s’ils déposent plainte ou non contre la police.

«Dix policiers ont interpellé une femme seule pour une suspicion de contravention. Ces moyens sont totalement disproportionnés, tempête Me Youri Widmer. Il faut se rappeler que les policiers sont payés par le contribuable genevois.» Pour ce dernier, il est clair que le canton ne rentre pas dans ses frais avec ces amendes: «Combien est-ce que ces plaisanteries coûtent au contribuable, je n’en sais rien. Mais plus que 100 francs».

Pourquoi la justice genevoise a-t-elle renoncé aussi facilement dans cette affaire? Me Widmer a sa petite idée: «Une jurisprudence du tribunal fédéral a déclaré que la base légale cantonale bernoise, édictée en pleine pandémie, en lien avec la limitation des rassemblements à cinq personnes était anticonstitutionnelle, explique-t-il. Ils ne pouvaient donc pas utiliser une base légale restreignant la liberté de réunion pour amender les gens pour manifestation non autorisée. C’est pour ça que la police genevoise a biffé ce chef d’accusation dans son rapport: il était impossible de retenir ce grief.»

Escroquerie d’Etat

L’avocat, devenu un expert de la défense des opposants aux mesures sanitaires, explique encore qu’il faut distinguer deux périodes: avant et après le 1er février 2021, qui correspond à la modification de l’ordonnance Covid-19 et à l’ancrage dans cette dernière des amendes pour les personnes qui ne portaient pas de masque facial alors qu’elles avaient l’obligation de le faire dans les endroits concernés. «C’est très important au niveau de la base légale, car toutes les amendes qui ont été perçues par l’Etat avant le 1er février 2021 sont illégales. Je peux le démontrer dans une dizaine de dossiers. C’est pourquoi il n’y a eu que des acquittements pour cause de défaut de base légale.»

«Sauf qu’il y a plein de personnes qui n’ont pas fait opposition et qui ont payé ces amendes, qui peuvent aller jusqu’à plusieurs centaines de francs. Ils se sont fait prendre de l’argent par l’Etat alors que celui-ci n’avait pas le droit de le faire. Si cette façon de procéder était le fait d’un privé, on pourrait parler d’escroquerie», fait remarquer Youri Widmer. Maintenant, le délai pour que le justiciable se retourne contre l’Etat pour tenter de récupérer ce montant payé est passé, le délai de prescription étant échu. Ces gens, qui ont payé leur amende, ne récupéreront donc jamais leur argent

Où sont les chiffres?

Combien les amendes en lien avec la loi Covid ont-elles rapporté aux différents cantons? Combien ceux-ci – et donc le contribuable – ont-ils déboursé pour poursuivre les opposants aux mesures sanitaires? Un acquittement coûte déjà entre 2000 et 4000 francs de frais d’avocat. L’Impertinent a tenté de définir ces coûts, mais l’exercice s’est révélé plus ardu que prévu. Et pas seulement parce que les «tarifs» diffèrent d'un canton à l'autre.

D’abord, la plupart des autorités cantonales ont affirmé ne pas tenir de statistiques sur les infractions à la loi Covid: «Après consultation, nous pouvons vous informer qu'aucune statistique n'est collectée dans ce contexte pour la loi Covid-19», nous communique par exemple le canton du Valais. Pareil pour Berne: «Les services répressifs du canton de Berne ne tiennent que les statistiques suivantes: Rapport d'activité des autorités judiciaires et du parquet du canton de Berne, Statistiques criminelles de la police du canton de Berne. Le parquet – comme la police cantonale – ne tient pas de statistiques supplémentaires ventilées par délit, et donc pas sur les frais de procédure associés.»

Ensuite, elles ne communiquent pas non plus sur les coûts que représentent les procédures judiciaires: «Le pouvoir judiciaire ne donne jamais d'estimation du coût de telle ou telle procédure, qui serait difficile à établir dès lors que les dépenses de la justice sont essentiellement des dépenses fixes (frais de personnel)», explique Olivier Francey, chargé de relations médias au Pouvoir judiciaire de Genève.

«Chaque procédure est particulière et varie dans sa durée et les actes d’instruction mis en œuvre, notamment lorsqu’elle vise plusieurs autres infractions», ajoute le responsable de la communication au Ministère public du canton de Vaud. A Berne, on se renvoie la balle et personne ne veut communiquer sur ces coûts.

Pas possible non plus de connaître le montant des frais entraînés par la mobilisation des agents lors d’une manifestation, «pour des raisons de sécurité évidentes».

Impossible également de savoir combien d’acquittements ont été prononcés à Berne, puisqu’il n'y a pas de statistiques sur les «acquittements en lien avec la loi Covid».

Quant aux amendes, si le porte-parole du Département de la sécurité, de la population et de la santé (DSPS) articule le chiffre de 3416 amendes d’ordre pour un montant de 415'622 francs, et celui de la police cantonale bernoise évoque 3600 pour 350'000 francs, ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose. En effet, du côté de la police on nous précise que si le montant n’est pas payé dans les 30 jours, cela passe en contravention. A savoir 250 francs pour non-port du masque pour Genève, par exemple, puis c’est exponentiel. Comme certaines amendes n’ont pas été payées tout de suite, il n’est donc pas possible de déterminer un montant.

«Tout ceci a clairement coûté beaucoup plus que ça n’a rapporté»

«Concernant les amendes pour non-port du masque, il y a des cas où j’ai dû aller plus loin que la première instance pour faire acquitter mes clients, alors qu’il était clair que la base légale était absente, explique Me Widmer. Tout cela coûte au contribuable.»

Dans ce contexte, l’avocat lausannois a obtenu une quinzaine d’acquittements entre Genève, Vaud et Neuchâtel. Ce qui a coûté au contribuable entre 2000 et 4000 francs par cas, puisque la personne acquittée se fait rembourser ses frais d’avocat.

«Tout ceci a clairement coûté beaucoup plus que ça n’a rapporté», conclut Youri Widmer.

Le cas des faux pass sanitaires

Les infractions à la loi Covid les plus sérieuses sont certainement celles qui sont en rapport avec les trafics de pass sanitaire. Les premières condamnations sont tombées à Genève et plusieurs enquêtes sont en cours dans le canton de Vaud. Que l’on soit utilisateur ou trafiquant, le simple fait de posséder un de ces faux sésames est une infraction: faux dans les titres. Sujette à une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

Selon Me Widmer, qui défend une quinzaine d’accusés, il y en aurait environ 400 sur Vaud et le même nombre sur Genève. En tant qu’avocat de la défense, le jeune homme estime que la détresse de ses clients peut justifier leur geste: «Pour moi l’idée dans ce genre de cas est de renverser la responsabilité. De faire un procès de rupture. De démontrer que l’Etat a failli, que c’est lui qui pousse le citoyen à commettre un acte illicite, explique-t-il. Si cela fait jurisprudence, c’est le château de cartes qui s’effondre.»

Et de poursuivre: «On est face à des gens qui avaient peur de perdre leur travail (un des motifs le plus fréquemment invoqué). Qui ne n’avaient plus le droit de se joindre aux collègues lors de la pause de midi et même lors de la pause-café, n’avaient plus de vie sociale. D’autres perdaient tous leurs contacts sociaux, ils n’allaient plus au fitness, au théâtre, au cinéma, au restaurant etc. L’Etat les place dans une telle situation qu’ils n’ont pas d’autre choix que de rentrer dans l’illégalité. Alors que ce sont des citoyens lambda, qui n’ont jamais eu de problème avec les autorités pénales, des gens qui paient leurs impôts, leur assurance maladie, qui n’ont pas de poursuite, des sortes de citoyens modèles… ils sont tellement aux pieds du mur qu’ils entrent dans l’illégalité. Ils décident de commander un faux certificat Covid en payant 2 ou 300 francs pour retrouver cette vie sociale. Pour ne plus avoir peur de perdre leur travail.

J’ai reçu des gens à mon bureau qui pleuraient quand il se remémorait ce qui leur est arrivé à cette période de leur vie, ils étaient en larmes. Tout le monde a vécu cette période de manière différente, mais certains en gardent un trauma psychologique. C’est inquiétant, une année après, de voir des gens pleurer dans mon bureau.»

Principe de proportionnalité

Deux articles de la Constitution fédérale rappellent que les décisions prises doivent l’être selon le principe de proportionnalité (l’art. 5 al. 2: «l’activité de l’Etat doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé»; l’art. 36 al. 3: «Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé».)

Peut-on donc s’appuyer sur ce principe pour justifier une «entorse» à la loi? Nous avons posé la question à Suzette Sandoz, juriste et professeure du droit de la famille et des successions. Selon elle, le principe de proportionnalité n’a pas pour but d’autoriser la violation de la loi par les individus, mais d’en fixer les limites pour l’Etat: «C’est en un sens, à mon avis, la consécration constitutionnelle du principe selon lequel «la fin ne justifie pas les moyens», explique-t-elle. Autrement dit, même le but de l’intérêt public ne permet pas toute et n'importe quelle activité de l’Etat ou toute et n’importe quelle restriction des droits fondamentaux par l’Etat. Le principe de proportionnalité tel qu’énoncé dans la constitution n’est pas soumis à l’appréciation de chaque citoyen individuellement, c’est une valeur collective. Il pourrait justifier l’annulation de l’acte étatique violant cette valeur, et, une fois cet acte étatique annulé, il ne pourrait plus y avoir de faux s’appuyant sur cet acte. C’est alors la qualité ou la nature de «titre» ou de «certification» qui serait supprimée, rendant le «faux» impossible, mais non pas «légitime».»

Ce sera donc à la justice de trancher. Le fait est que certains citoyens, qui ne pouvaient être vaccinés pour des raisons médicales, auraient pu se voir délivrer des certificats Covid de dérogation, comme le prévoyait la loi Covid.

D’après Me Widmer, ces personnes attendent toujours ce fameux certificat. Et pour cause: selon l’OFSP, seuls 113 de ces sésames ont été délivrés dans tout le pays jusqu’à aujourd’hui.


*Identité connue de la rédaction

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