Amèle Debey

mars 3127 Min

«La dictature de la majorité, c’est en fait la démocratie!»

Pascal Wagner-Egger est chercheur en psychologie sociale à l'Université de Fribourg. Depuis la crise Covid, il est «l’expert en complotisme» préféré des médias, jusqu’à être invité à tenir sa propre chronique dans un journal de boulevard romand. Pour L’Impertinent, il a accepté de livrer sa vision de la situation exceptionnelle que nous avons vécue, loin des analyses que nous avons l'habitude de publier. Mais ça tombe bien, puisque c'est précisément ce à quoi servent la liberté d'expression, l'ouverture au dialogue et le pluralisme des idées.

© David Marchon

Amèle Debey, pour L’Impertinent: Comment en êtes-vous arrivé à devenir spécialiste en complotisme?

 

Pascal Wagner-Egger: Par hasard, comme souvent dans la recherche. Je me suis toujours intéressé aux croyances diverses et variées et au raisonnement logique, scientifique ou rationnel, et j'avais participé en 2004 à une étude sur les croyances à propos des effets de la pleine lune sur l’être humain. Ce sont d'anciennes croyances toujours actuelles, même s'il n'y a pas de preuve scientifique. Il y a des effets du cycle lunaire sur les animaux, sur la croûte terrestre ou l’attraction gravitationnelle de la lune sur les marées et la croûte terrestre, mais rien de prouvé sur les êtres humains. Dans le cadre de cette recherche, je suis tombé par hasard sur la théorie du complot de la mission Apollo, que j'ai tout de suite trouvée assez fascinante.

 

En psychologie, on s'intéresse à qui croit plus ou moins, et pourquoi l’on croit à certaines choses, on ne prend pas position sur les croyances dans nos études, on peut les étudier sans déterminer si elles sont vraies ou fausses, car ce n'est pas le problème. Avec les croyances conspirationnistes, c'est différent, puisque ces croyances ont un impact fort sur la société, nous donnons donc dans ce cas aussi notre avis sur notre perception de leur plausibilité.

 

La première chose que l'on peut noter à propos de l'étiquette «complotiste», c'est que c'est un continuum comme «raciste» ou «extrémiste» ou «gauchiste»: cela va de zéro à cent pour cent. C’est délicat de dire d'une personne qu’elle est complotiste, en général on ne le dit que pour les derniers stades, les gens qui interprètent tout nouvel événement (pandémie, guerre en Ukraine, réchauffement climatique, etc.) comme un complot. Mais ce qualificatif vise plutôt un propos ou une hypothèse.

 

Nous observons dans les études qui ont commencé sur le sujet il y a une quinzaine d’années une tendance statistique nette: si vous croyez à un complot vous avez tendance à croire à d’ autres. Parce que, selon ma définition d'une théorie du complot, qui est une accusation de complot sans preuve suffisante, cela devient presque logique de croire à la plupart des théories du complot, vu qu’elles ne sont soutenues que par certains indices qui pourraient s’expliquer par un complot, mais qui ont presque toujours une explication plus simple (donc ce sont des preuves insuffisantes).

 

«Les complotistes sont donc des pseudo-enquêteurs du dimanche qui se croient de véritables lanceurs d’alerte»

 

Par exemple, pourquoi voit-on le drapeau américain de la mission Apollo flotter sur la lune alors qu’il n’y a pas d’atmosphère? Cela pourrait être un indice que les photos sont truquées et qu’elles ont été réalisées sur Terre, donc le signe d’un vaste complot. Le complotisme, l’adhésion aux théories du complot, désignent le fait de croire à l’existence d’un complot, à accuser les autorités d’un tel complot, sur la base de preuves insuffisantes (le drapeau qui semble flotter).

 

Pour prouver l’existence d’un complot lors de la mission Apollo (et pour tous les complots possibles et imaginables), il faudrait en fait une tout autre méthode que l’analyse des photos de la mission Apollo: enquêter professionnellement pendant des mois ou années, et tenter de rassembler des preuves directes de complot: des milliers de personnes auraient participé à ce complot (l’entier de la NASA, le gouvernement, etc.), et on sait qu’il suffit de quelques dizaines d’humains pour que des informations fuitent, surtout sur un sujet aussi délicat (il y a eu par exemple des fuites au sein même de la CIA pour avertir le procureur suisse Dick Marty à propos des prisons secrètes des USA et de la torture qui y était pratiquée).

 

Ainsi, des aveux, des documents devraient être réunis (et pas de vagues soupçons, comme le drapeau qui semble flotter) et présentés et validés devant un tribunal, qui lui-même statuera sur la culpabilité ou non des accusés. C’est ce qui s’est passé avec les vrais complots dans l’histoire, comme le Watergate ou le complot de l’industrie du tabac dans les années 90.

 

Les croyants aux théories du complot utilisent une tout autre méthode: ils n’«enquêtent» que depuis leur canapé, derrière leur écran en partageant des informations non vérifiées sur internet (est-il besoin de rappeler qu’une grande partie des informations qui y circulent est fausse?), et croient au complot sans preuves suffisantes. Le drapeau sur la lune ne flotte pas, il est immobile et tenu au-dessus par une barre en fer horizontale qui le maintient, comme l’a expliqué la NASA. Les complotistes sont donc des pseudo-enquêteurs du dimanche qui se croient de véritables lanceurs d’alerte, alors qu’il faudrait consacrer plusieurs années de sa vie à enquêter dans la réalité sur une seule affaire!

 

Par contre, il y a aussi un usage abusif du terme de «complotiste», quand on l’utilise pour accuser de vrais enquêteurs ou tenter de détourner l’attention d’un vrai complot. Mais cela arrive rarement: un enquêteur professionnel ne va jamais poster ses preuves en ligne sur les réseaux sociaux avant la fin de l’enquête, il va les présenter devant un tribunal. Sinon cela permettrait aux accusés de détruire d’éventuelles preuves.

 

Les précautions oratoires que vous dites prendre avant de traiter les gens de complotistes ont-elles été prises pendant la crise sanitaire? Ou n’aurait-on pas un peu abusé de ce terme?

 

Il y a eu effectivement certains abus, d’autant plus quand on se dispute sur les réseaux sociaux! Il faut effectivement veiller à ne pas mal utiliser ce terme péjoratif: toute personne qui se méfie du vaccin n’est pas complotiste, on parlera plutôt d’hésitation vaccinale (pour différents motifs). Mais si vous pensez, sans preuves, que les autorités étaient au courant que les vaccins sont inutiles voire dangereux pour la santé, et qu’elles ont tout de même incité tout le monde à les prendre pour s’enrichir, pour supprimer une partie de la population, pour nous forcer à obéir, ou autres, alors c’est un propos complotiste parce que vous les accusez d’un acte très grave sans preuve.

 

Concernant l’hésitation vaccinale, le fait de penser qu’il y a eu plus de conséquences négatives que positives des vaccins n’est pas complotiste, c’est plutôt de mon point de vue une méconnaissance des chiffres officiels et de la majorité des études scientifiques qui concluent à une certaine efficacité  certes pas totale  du vaccin.

 

Le complotisme durant la pandémie est aussi apparu quand certains accusaient des médecins d’être corrompus et payés par Big Pharma pour mentir. Cela est arrivé dans l’histoire, comme par exemple l’affaire Rylander en Suisse (du nom de ce médecin qui a été payé par l’industrie du tabac pour faire de fausses études), mais heureusement rarement, et là encore, il faut enquêter et prouver au lieu de croire et accuser en ligne.

 

Notez aussi que l’accusation de «complotiste», toute péjorative qu’elle soit, est au niveau de l’intensité sans commune mesure avec les accusations complotistes qu’elle qualifie: on a entendu des gens réclamer la guillotine ou la prison (ou encore dessiner des moustaches hitlériennes) contre les responsables de la gestion de la pandémie, qui ont, oui, pu commettre des erreurs comme tout le monde, mais dont le but était quand même de trouver les moins mauvaises solutions pour épargner le plus de gens.

 

Afin de lever le voile sur vos intérêts, pourriez-vous nous dire ce que cela vous apporte d'avoir répondu à l'appel des médias qui avaient besoin d'un expert en complotisme pour décrédibiliser les différents mouvements de contestation qui existaient pendant la pandémie?

 

Je n’ai pas d’intérêt autre que celui de comprendre pourquoi certaines personnes croient ce qu’elles croient, et d’essayer de démêler le vrai du faux dans le domaine de la connaissance. Je suis payé par l’Université de Fribourg pour enseigner et travailler sur les sujets de mon choix. Je travaille aussi sur le racisme et le sexisme par exemple, et sur le complotisme uniquement parce que cela m’intéresse intellectuellement parlant.

 

J’ai été sollicité par les médias de plus en plus depuis 2008 environ pour comprendre pourquoi des gens étaient religieusement convaincus que les attentats du 11 septembre à New York, ceux de Paris ou Bruxelles, n’étaient pas de vrais attentats terroristes, mais de faux attentats créés par les services secrets occidentaux pour accuser les musulmans. J’ai ensuite été interrogé sur le complotisme dès 2016 avec Trump et les Qanons, et le feu d’artifice a été la pandémie de Covid.

 

«Trouver un bouc émissaire de façon irrationnelle permet de diminuer l’incertitude»

 

Les journaux, dont le Blick, m’ont sollicité pour tenter de comprendre d'où venaient certains propos délirants: Bill Gates ou Klaus Schwab du Forum économique mondial auraient provoqué la pandémie pour supprimer une partie de la population (dont certaines personnes de leurs propres familles, proches et amis!) pour s’enrichir de quelques milliards en plus, alors que le premier cité est déjà milliardaire?

 

En sciences sociales, on sait depuis longtemps déjà que de trouver un bouc émissaire de façon irrationnelle permet de diminuer l’incertitude en trouvant un (faux) coupable, et surmonter la peur ou les difficultés par la vengeance ou l’espoir de vengeance. Par le passé, on accusait par exemple en Europe les juifs d’avoir empoisonné les puits durant les épidémies de peste, et on les tuait en croyant éliminer la cause de la maladie.

 

Mais vous comprenez bien que vous écrivez une chronique sur le complotisme dans un média dont le patron est quand même suspecté de collusion avec les autorités sanitaires pendant la crise? On ne peut pas dire que ce soit le titre le plus objectif de toute cette histoire.

 

La question est effectivement: est-ce que j’ai été engagé en juin 2021 pour analyser les propos parfois délirants, les menaces de mort envers les autorités sanitaires, les théories farfelues de toutes sortes qui inondaient les réseaux sociaux, ou pour faire taire toute voix dissidente de celle des autorités?

 

Le fait que je distingue les vraies enquêtes professionnelles (par exemple l’enquête du Monde sur la vente du Remdesivir même après que sa relative inefficacité ait été démontrée) des croyances irrationnelles (on veut nous injecter des puces par le biais des vaccins) évite que l’on puisse me reprocher de vouloir faire taire toute critique des autorités. C’est même tout le contraire: critiquer la mauvaise critique sociale (par exemple accuser Macron d’être un pédophile sataniste) et valoriser la vraie critique sociale (les enquêtes professionnelles des procureurs, de la police, des journalistes d’investigation, des lanceurs d’alerte, etc.) améliore en fait la critique du «système»!

 

«Le complotisme est lié à une vision excessivement pessimiste de l’humanité»

 

J’ai d’autre part été interrogé par des médias de tous bords politiques, de la gauche (Mediapart, l’Huma) à la droite (Le Figaro), je ne peux donc pas avoir été mandaté par tous les médias… Vous noterez que cette recherche constante de conflits d’intérêts, de liens et d’agenda caché là où il n’y en a le plus souvent pas (on m’a souvent demandé sur les réseaux sociaux si j’étais payé par le gouvernement ou les entreprises pharmaceutiques pour tenir le discours que je tenais) est elle-même… un peu paranoïaque!

 

La plupart des gens disent et croient des choses simplement parce qu’ils pensent que c’est plus près de la vérité... On sait par nos recherches que le complotisme est lié à une vision excessivement pessimiste de l’humanité.

 

Donc pour vous, le Covid a été une forme d’apothéose du sujet sur lequel vous travailliez depuis seize ans?

 

Oui, dans mes conférences je dis souvent pour plaisanter que la pandémie a été la meilleure période de ma vie, au niveau professionnel bien sûr, mais pas personnel!. Il y a eu une explosion de ces théories, de ces croyances, et c’était prévisible, parce que ça ressemblait beaucoup aux périodes de guerre durant lesquelles une certaine anxiété, normale, s’installe sur la durée, et les rumeurs les plus folles circulent.

 

Dans une pandémie, il y a des portes d'entrée à toutes sortes de théories du complot: l'origine du virus, les traitements, les vaccins, les masques, le confinement, etc.

 

N’est-ce pas un réflexe naturel que d'essayer de s'expliquer un tel événement?

 

Oui, on dit que certaines croyances sont là pour donner une réponse rapide à des phénomènes plus complexes. Pfizer a bel et bien été visé par plusieurs plaintes et condamné durant l’histoire. Il y a eu des scandales pharmaceutiques, mais cela ne prouve pas qu'il y en a un en cours... Comme déjà dit, il faut enquêter et prouver, comme cela a été fait dans l’affaire du Mediator par exemple. Je comprends que les gens y croient, mais on n'a pas d'autre moyen que d'enquêter sur ce qui s'est passé et de voir s'il y a eu complot ou pas. On ne peut pas se contenter de croyances, vu la gravité des accusations.

 

On ne pourra jamais ni prouver ni infirmer que les conséquences des mesures sanitaires ont été pires que le mal, parce que, scientifiquement, il faudrait pouvoir comparer la pandémie telle qu'elle s'est déroulée avec une même pandémie si on n'avait rien fait. Et sans doute que les conséquences auraient été encore plus catastrophiques, mais on ne peut pas le prouver.

 

L’exemple de la Suède tend à prouver le contraire.

 

Si vous voulez faire ces comparaisons, il faut contrôler tous les facteurs. Même dans un comparatif entre la Suède et la Norvège. Si vous avez, par exemple, des usines chinoises comme en Italie du nord en Norvège et pas en Suède, ça ne sert à rien de les comparer.

 

Il faudrait pouvoir comparer comment et en quelles quantités le virus est entré dans le pays, les voies de transport, le système de santé, les tests pratiqués, etc. Les seules études scientifiques possibles, ce sont des études qui comparent à l’intérieur de nombreux pays la situation avant et après l’introduction des mesures, ce qui contrôle les nombreuses variables parasites, et beaucoup de ces études que j’ai lues concluent à l’efficacité des mesures.

 

Peut-on encore faire confiance aux études scientifiques, sachant qu’elles sont financées par les industries la plupart du temps?

 

La plupart des études sont principalement faites par des gens payés par les hôpitaux universitaires, par l'université, des fonds publics. Il y a bien sûr parfois des projets de recherche avec l'industrie pharmaceutique. Mais dans le cas de la pandémie, tous les instituts de recherche s’y sont mis, et ont abouti environ aux mêmes conclusions.

 

Et surtout, c’est un peu facile de ranger toutes les études qui concluent à l’efficacité des mesures dans la catégorie «corrompues». C'est la baguette magique du conspirationniste, parce que ça lui permet de ne jamais changer d'avis: «si un article dit l'inverse de ce que je crois, c'est que l'article est corrompu, contrairement à tous ceux que je poste tous les jours qui vont dans le sens de mes propos». C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation.


(Re)lire notre reportage en Suède: Comment la Suède démontre l’inefficacité des principales mesures sanitaires


Comme pour les complots, si une étude semble entachée d’irrégularités, alors les spécialistes vont demander et réanalyser les données, pour prouver une éventuelle tricherie et non pas seulement la suspecter. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire du Lancetgate, mais des articles vantant des remèdes alternatifs (hydroxychloroquine ou ivermectine) ont aussi été rétractés!

 

Il faudrait que des scientifiques fassent maintenant le bilan de ce que les recherches ont montré depuis 2020, de façon objective et non partisane.

 

Justement, comment expliquez-vous qu’il n’y ait toujours pas de bilan?

 

En effet, je trouverais cela utile. On a dû réagir dans l'urgence. Il faudrait continuer d'avoir une Task Force qui étudie et mette en place les bonnes mesures à prendre pour la prochaine fois. Mais bien souvent, on rechigne à dépenser de l’argent quand le danger n’est plus là…

 

Dans l'échange de mails que l'on a eu cet été, vous m'avez dit notamment: «Je ne suis pas certain qu'il faille communiquer sur les incertitudes lorsqu'il y a une crise et que la moins mauvaise solution choisie requiert l'adhésion de la population.» N’est-on pas très loin du concept de consentement libre et éclairé dans ce cas-là?

 

C’est pour moi le point le plus délicat de la pandémie. Dès le moment où on choisit la vaccination, on doit convaincre les gens. Sachant que nous sommes psychologiquement plus sensibles aux risques qu’aux bénéfices, fallait-il exposer les incertitudes scientifiques? Il s’agissait de prendre une décision face à deux risques, les dégâts qu’on a un peu facilement oubliés du virus en Chine ou en Italie du Nord, et l’incertitude au sujet des nouveaux vaccins.


(Re)lire notre article: Blick est-il encore crédible dans son traitement du Covid? 


Et n’oublions pas que cette incertitude au sujet des vaccins semblait ténue: nous avions les propos des chercheuses et chercheurs qui travaillaient depuis plus de 20 ans sur les vaccins ARN (dont le Suisse Steve Pascolo), qui nous assuraient que leur problème avait été par le passé leur manque d’efficacité et pas leur dangerosité, ensuite les données des fabricants qui étaient aussi rassurantes (il est arrivé par le passé que certains trichent, mais là avec la pharmacovigilance mondiale, c’eût été du suicide), et enfin les premières études en Israël.

 

Tout cela a poussé les autorités à tenir à des propos rassurants. Même si bien sûr il demeurait une incertitude, ces vaccins n’ayant jamais été distribués à grande échelle. Notez qu’il faut bien commencer un jour. Tous les vaccins ont un jour ou l’autre connu cette étape, même si à moins grande échelle, effectivement.

 

Finalement, quand on regarde les chiffres de l’OFSP, leurs graphiques indiquent 30% de vaccinés dans les hospitalisations et 20% de vaccinés dans les décès. Donc même si l’efficacité n’était pas aussi élevée qu'on l’espérait, elle était quand même là. De plus, une bonne dizaine d’études indique que contrairement à ce qu’on lit sur les réseaux sociaux, les vaccins ont bel et bien diminué la charge virale et la transmission, y compris pour Omicron.

 

N’a-t-on pas également cherché à obtenir l'adhésion des intellectuels, tels que les profs d'université qui s'expriment dans les médias, en faisant croire à un prétendu consensus scientifique sur les mesures?

 

Non, je ne crois pas. Le consensus scientifique était présent dans la Task Force. Et penser que quatre-vingt personnes en Suisse étaient toutes corrompues par deux entreprises pharmaceutiques au point de recommander des mesures qu’ils savaient être inutiles voire dangereuses, pour moi c'est impossible.

Peter C. Gøtzsche, qui a fait des enquêtes fouillées sur les scandales pharmaceutiques dans le monde, indiquait qu’entre dix et vingt pour cent des médecins dans son pays, le Danemark, étaient payés par l’industrie pharmaceutique.

 

Toujours dans cet échange de mails, vous disiez à l'époque qu’on ne pouvait pas savoir quels seraient les effets économiques, psychologiques et sociaux du confinement, par exemple. Pensez-vous vraiment qu'il n’y avait aucun moyen d'anticiper les drames humains qu'entraîneraient ces mesures?

 

On ne peut savoir exactement qu'après coup. Il paraît évident que diminuer les contacts sociaux va diminuer la transmission d’un virus qui se propage par la respiration ou les mains! Et il faudrait encore une fois comparer les effets négatifs des mesures avec les effets négatifs qu’on aurait eus sans ces mesures: combien de victimes en plus, de séquelles du covid, de dépressions dues au covid (un article paru ces derniers jours fait état d’effets négatif du covid sur la dopamine, qui compte parmi les «hormones du bonheur»)?

 

«La cause primordiale de tous les problèmes était bel et bien le virus»

 

Il ne faut pas oublier que les effets psychologiques et sociaux effectivement négatifs de la pandémie sont dus au confinement, aux restrictions sociales, mais aussi aux décès de proches du covid, aux covids longs, à la peur de la mort, à la peur du virus, etc.!

 

Les critiques des mesures sanitaires oublient que la cause primordiale de tous les problèmes était bel et bien le virus, et pas les mesures sanitaires  même si bien sûr celles-ci ont pu causer des problèmes inattendus ou sous-estimés, à établir par une nouvelle Task Force  qui visaient à tenter de régler au mieux, ou plus exactement le moins mal possible, le problème.

 

Vous ne pensez pas que c’est une question de bon sens de se dire que de masquer des enfants, de leur interdire de sortir, de voir du monde et de les enfermer à l’intérieur pendant des mois ça va avoir des conséquences?

 

Comme précédemment, la question, c'est toujours le bilan: est-ce que ce qu'on a fait a sauvé plus de vies que créé de problèmes? Même si le risque pour les enfants était faible, il y a eu des décès parmi eux, combien en plus sans aucune mesure autre que l’immunité naturelle et la vitamine D?

 

Certaines études tentent de chiffrer le nombre de victimes sans les mesures, ce qui est évidemment très difficile à faire, mais ces estimations aboutissent à 15-20 millions de personnes dans le monde. C’est un chiffre évidemment très discuté, parce qu'on ne peut pas le calculer de façon sûre. Mais cela aide à envisager les ordres de grandeur qu’il faut comparer avec les victimes des mesures sanitaires. 


(Re)lire notre article: «Les enfants nés pendant la crise sanitaire ont moins d'empathie et plus d'agressivité»


Un autre indice de l’utilité des mesures (ou du moins, du choix des moins mauvaises mesures) est pour moi le consensus scientifique: toutes les Task Force, les institutions scientifiques comme le CNRS, les associations de médecins ont opté pour plus ou moins les mêmes, à quelques exceptions près, dont on ne peut tirer aucune certitude. Donc s'il y a eu un gigantesque complot mondial, tout le monde est coupable!

 

N’est-ce pas plutôt que tout le monde a suivi?

 

Ce sont des experts qui ont décidé, ils n’étaient pas tous d'accord comme on a pu l’entendre au sein de la Task Force suisse. Ils ont décidé à la majorité, la procédure démocratique. On était dans une situation d'urgence, ils ont choisi telle ou telle solution en pensant que c'est la moins mauvaise. Je peux m’imaginer que ça a dérouté les gens que, par exemple, la vaccination a été moins efficace que prévu avec les variants qui sont apparus, mais ça faisait partie de l’incertitude que toute mesure ou absence de mesure allait provoquer…

 

Il ne faut pas oublier, comme je l’ai déjà rappelé, que l’on voyait des gens qui mouraient dans la rue en Chine, qui étaient emmurés vivants, ou encore des cortèges de corbillards en Italie. Il faut s’en rappeler lorsqu’on estime avoir pris des décisions un peu violentes, un peu rapides, mais quand même à la majorité des Task Forces et avec des indices assez solides.

 

Dans vos conversations avec vos détracteurs sur les réseaux sociaux, on constate que, vous aussi, vous défendez votre propre vision de la réalité. Qu’est-ce qui vous différencie donc d'une personne qui aurait quitté la raison pour le dogme et l'idéologie?

 

J’ai par exemple cherché les articles scientifiques sur le confinement. J'en ai pris une vingtaine, une trentaine, sans sélectionner les pour et les contre, et je les ai analysés. La majorité disait que le confinement était efficace, une minorité disait le contraire. C'est donc comme ça que j'ai pu confirmer la confiance que je mettais dans la décision majoritaire des 80 spécialistes de la Task Force.

 

Je n'avais pas d'idéologie particulière, contrairement à ceux qui se sont mis à prétendre savoir ce qu’il fallait faire au printemps 2020 déjà. C’est notamment ce que je n’ai pas apprécié chez Didier Raoult. En janvier, il disait qu’on faisait une panique mondiale de trois Chinois qui meurent; en mars que c’était l’infection respiration la plus facile à traiter et en été 2020 qu’une deuxième vague était de la fantaisie. Les médecins «officiels» se sont aussi trompés, mais jamais aussi magistralement! Je me suis méfié des gens qui savaient tout de suite quoi faire et le claironnaient de façon narcissique. Qui, en plus, contrairement au moins à Didier Raoult, n’étaient même pas du domaine médical (comme des anthropologues ou des musiciens).

 

«L’avis majoritaire reste le moins mauvais»

 

Je préfère écouter l’avis de la majorité des experts parce que – même s’ils peuvent se tromper – c’est un moins mauvais avis que celui d’un expert isolé, ou bien sûr de demi-experts ou de non-experts. On le voit sur le sujet du réchauffement climatique: il y aura toujours un climatologue pour nous dire que le réchauffement n’existe pas, ou qu’il n’est pas d'origine humaine. Mais ce n’est pas l’avis de la majorité. Il y a donc simplement moins de risque que ce soit faux quand une majorité d’experts le dit, et ce dans tous les domaines (sinon cela voudrait dire que l’expertise ne sert à rien).

 

Même si les consensus scientifiques sont bien sûr parfois amenés à changer, surtout sur les sujets de recherche actuels. Parfois ce n’est plus le cas (comme l’évolution des espèces), on ne peut pas le savoir à l’avance, et donc l’avis majoritaire reste le moins mauvais.

Concernant le Covid, j’ai cru au consensus scientifique, tout en gardant à l’esprit que « Big Pharma » peut peut-être corrompre certains scientifiques, certaines études, mais certainement pas la majorité. Il y a eu et il y a toujours des contestations minoritaires (les membres de la Déclaration de Barrington par exemple), et si ces minorités ont finalement raison, elles devront modifier le consensus scientifique à l’aide de données répétées et sans ambiguïtés dans les prochaines années.

 

La différence est que l’on voit les conséquences du réchauffement climatique. Or, on a très peu vu les conséquences du virus.

 

Les critiques des mesures oublient le fait crucial que c’est sans doute en grande partie grâce aux mesures! Du moins on ne peut pas l’exclure, vu les études qui l’affirment. D'ailleurs pour les autorités sanitaires et politiques, c’était une situation très difficile: certains leur reprochent maintenant d’avoir pris trop de mesures, ou des mesures trop fortes, mais si à l’inverse ils n’en avaient pas assez prises et que cela avait provoqué une catastrophe avec des dizaines, centaines ou millions de milliers de morts en plus dans le monde, ils risqueraient tout simplement la prison.

 

Le principe de précaution fait qu’il est plus rationnel ou raisonnable, dans les situations d’urgence et d’incertitude, de prendre des mesures plus fortes que pas assez fortes.

 

Un principe de précaution que l’on a totalement oublié concernant le vaccin, par contre. On a pu constater un deux poids deux mesures assez flagrant.

 

Pas totalement oublié, vu ce qu’on savait sur ces vaccins et que j’ai rappelé plus haut. On avait donc pas de certitudes, mais de bonnes raisons de penser que le vaccin allait sauver des vies, alors qu'on voyait que le virus avait déjà tué environ deux millions de personnes dans le monde à fin 2020 (chiffres ourworldindata.org).

 

Dans la sphère coronasceptique, on nous disait que les vaccins étaient expérimentaux, tout nouveaux, alors que cela fait vingt ans qu’ils sont étudiés. Donc non, à mon avis, un certain principe de précaution a été respecté pour les vaccins, et avec succès: si ces vaccins étaient vraiment dangereux, on verrait une monstrueuse surmortalité dans tous les pays du monde, je rappelle que cinq milliards de personnes sur huit ont été vaccinées!

 

Oui il y a des effets secondaires parfois graves, comme pour tout médicament ou vaccin, mais sur cinq milliards de personnes c’est extrêmement peu. Notez aussi que si les covidosceptiques nous disaient en début de pandémie que les chiffres des victimes étaient surestimés, parce que mourir avec le covid n’est pas mourir du covid, ces mêmes personnes font maintenant exactement l’inverse en affirmant que mourir avec le vaccin est mourir du vaccin…

 

Pensez-vous qu'il y a des éléments sur lesquels vous vous êtes trompé pendant cette crise?

 

Ce qu’on a pu mesurer, c’est que le confinement strict a eu de grands effets économiques, sociaux et psychologiques. Il faudra donc être très prudent à l’avenir quand on l’utilise, car c'est une mesure radicale, même si selon la majorité des études que j’ai pu voir, elle a été efficace. Il faudra être sûr que le virus est très dangereux, mais encore une fois, dans l’urgence c’est un «calcul» très difficile à faire: il faut toujours essayer de mettre dans la balance les effets positifs et négatifs, le fameux bilan bénéfices/risques, mais celui-ci doit être estimé dans l’urgence et l’incertitude.

 

Il faut aussi bien analyser la situation après coup pour prendre de meilleures décisions dans le futur. Par exemple: est-ce qu'il faut vacciner tout le monde ou seulement les personnes à risques? J’ai vu des études que le vaccin a quand même un impact sur la transmission, donc c’est plutôt en faveur de la vaccination pour tous, mais après il faut discuter en fonction des (heureusement légers et rares) effets secondaires possibles.

 

Y a-t-il un avant et un après covid, selon vous?

 

Oui, c'était la première fois qu'on avait une pandémie qui a eu un impact mondial, même si ça a failli arriver dans les années 2000 avec les grippes aviaire, porcine ou le SRAS. On voyait d’ailleurs apparaître les mêmes angoisses sur les vaccins. C'est intéressant, au niveau des croyances. En 2008, j'ai reçu pendant un mois des e-mails qui disaient: «attention, ne vous vaccinez pas, la moitié de la population va mourir», «il y a des micropuces dans les vaccins», «Bill Gates est à la manœuvre», etc. On les retrouvera dans toute future pandémie.

 

Pour revenir à l’avant et l’après Covid, on constate que cette division entre pros et antis mesures a laissé des traces. La difficulté de la situation  encore une fois, due principalement à la pandémie et moins aux mesures qui tentaient d’en atténuer les effets  et la polarisation des propos sur les réseaux sociaux ont créé un climat de forte agressivité. D’abord chez les opposants aux mesures qui se fâchaient de devoir faire des choses qu’ils ne voulaient pas faire.

 

On voit que les gens deviennent fous quand on restreint, même temporairement, leur liberté. C’est humain, mais quand même on peut restreindre sa vie sociale pendant quelques mois décision prise selon les institutions démocratiques sans croire qu’on est sous Staline, Mao ou 1984 d’Orwell!

 

Nous avons voté trois fois sur la loi Covid, les lois Covid ne s’appliquent plus, alors crier à la dictature sanitaire est tout simplement stupide. La dictature de la majorité, c’est en fait la démocratie!

 

Ces gens sont allés jusqu’à menacer parfois de mort les médecins, les autorités sanitaires et les ministres de la santé, et en faisant des comparaisons scandaleuses avec l’étoile jaune nazie: la comparaisons était que le pass créait deux catégories de population, mais la première et la deuxième classe des trains crée aussi deux catégories de population, et on n’a pas entendu cette comparaison dans les manifestations! Et le pass sanitaire n’a heureusement pas mené à mettre les non vaccinés dans des ghettos, les déporter dans des camps de travail, et finalement les gazer en guise de solution finale.

 

Ensuite, et sans doute aussi en partie en réaction, il y a eu une certaine agressivité de la part des vaccinés: une étude montrait qu’il y a eu plus d'agressivité des vaccinés envers les non vaccinés que l'inverse, ce qui est sans doute à déplorer, comme d’ailleurs la violence inverse, mais peut s’expliquer outre par la réaction, par le fait que pour que le vaccin soit efficace, il faut que tout le monde le fasse, sinon l'effort qu'on a fait ne sert à rien.

 

Il y a eu des guerres internes dans les familles et c'est vrai qu’il y a des gens qui n’ont plus du tout confiance dans les autorités sanitaires. Mais cela reste une petite minorité selon les recherches, et la confiance dans la science est restée forte en Suisse.

 

Cette posture est un peu contradictoire, parce que nul doute qu’en cas de maladie grave, la majorité de ces gens ne vont pas se fier uniquement à leur immunité naturelle ni boire du jus de carotte, mais sans doute opter pour les traitements de Big Pharma et ils auront le plus souvent bien raison de le faire! Peut-être qu’une Task Force qui répondrait aux critiques et ferait une synthèse et un état des lieux de la recherche permettrait de restaurer cette confiance.

 

On note également une perte de confiance dans les médias, me semble-t-il.

 

Oui, cette crise de confiance est certainement due à la désinformation qui circule depuis l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, mais il est clair que la crise du Covid a encore accentué cet effet. Il est vrai que les médias se concentrent de plus en plus, et sont soumis à des impératifs économiques, alors que la presse devrait être plus libre des intérêts financiers (mais quand elle est subventionnée et libre, les gens ne sont tout de même pas contents), et que les journalistes commettent parfois des erreurs.

 

Mais les sites de soi-disant «réinformation» sont encore pires, ils vérifient encore moins l’information, et sont parfois subventionnés par des millionnaires poursuivant un agenda idéologique bien plus marqué que les médias traditionnels! On a accusé la presse de pensée unique, mais je ne suis pas d’accord. Il y a eu un certain nombre d’articles donnant la parole aux opposants aux mesures (je pense par exemple à L’Illustré), un conseiller fédéral, les propos de certains experts comme Daniel Koch, plusieurs débats sur le covid à Infrarouge qui donnaient la parole aux voix dissidentes.

 

Si celles-ci n’ont pas eu autant d’écho pour celles et ceux qui les défendent, c’est aussi et avant tout parce qu’elles étaient minoritaires, et que les journalistes les trouvaient moins fondées que les autres analyses. A moins de faire l’hypothèse paranoïaque sans preuves suffisantes, vraie seulement pour une minorité, que la plupart des journalistes sont corrompus, manipulés, etc.

 

Pour revenir à votre texte, Comment confondre un pseudo-expert complotiste, dans lequel vous concluez à la bêtise d’Idriss Aberkane et de Jean-Dominique Michel, n’est-ce pas manquer de la fameuse «prudence dont brille tout expert», selon vos propres dires?

 

Ce serait un manque de prudence si mon avis était uniquement dû à mon idéologie ou le degré de sympathie que j’ai pour ces gens. Mais j’applique la méthode rationnelle que je défends pour les théories du complot (et pour toute forme de connaissance en fait): j’affirme cela parce que j’ai trouvé des preuves dans mon domaine de compétence.

 

Idriss Aberkane conclut le contraire d’une étude en psychologie sociale et d’autres spécialistes ont noté qu’il fait de même dans leur domaine d’expertise, puisqu’en fait il n’est expert d’aucun domaine. On parle quand même de quelqu’un qui n’est pas mathématicien (il a seulement pris des cours sur le sujet), prétend avoir résolu une conjecture mathématique vieille de plusieurs siècles que les plus grands génies mathématiques actuels n'arrivent pas à résoudre, qui écrit un bout d'article qu’aucun mathématicien ne prend en compte, parce que c'est juste n'importe quoi, et en conclut sur les réseaux sociaux qu’il est un génie et qu’il a résolu la conjecture.

 

C’est juste une immense n'importe quoi, doublé d’un narcissisme aussi élevé que l’étendue de son imposture. Et ce type a des millions de vues et d’admirateurs sur les réseaux sociaux, qui avalent sa désinformation et son incompétence comme de bons petits moutons.

 

L’erreur que Jean-Dominique Michel cherche à minimiser dans son entretien pour L’Impertinent est bien plus grave qu’une simple «erreur de guillemets» sur une diapositive. Mais sa réponse a le mérite de montrer qu’il n’a pas le temps de lire les critiques, puisqu’il poste chaque jour ou presque, fanatiquement, des informations tout aussi discutables les unes que les autres.

 

Jean-Dominique Michel dénonce la désinformation d’une vidéo de Rudy Reichstadt sur les vaccins qui fait état du consensus scientifique, tout en inventant totalement une citation qui ne figure pas dans le livre qu’il cite (et qu’il n’a visiblement pas lu non plus). Mais de façon bien plus problématique, les extraits du livre qu’il cite (dont un inventé) sont tirés du livre de Daniel Kahneman. Si Jean-Dominique Michel avait lu le livre qu’il cite, il aurait vu quelques lignes plus haut que l’analyse qu’il reprend est en fait celle d’un philosophe, Cass Sunstein, dont Daniel Kahneman dit être un ami qu’il admire. Et trois minutes plus tard, Jean-Dominique Michel dénonce les propos d’un philosophe pour lui dangereux, un «individu peu recommandable», un sbire de Barak Obama, qui n’est autre que… le même Cass Sunstein!


(Re)lire notre article: «On a colonisé les esprits d'une manière terriblement préoccupante pour l'avenir» 


C’est pour moi le degré zéro de la réflexion et de l’analyse. Cet extrait démontre une méthode intellectuelle complètement invalide où l’on prend des idées à droite à gauche sans les analyser, juste parce qu’elles semblent être conformes à son idéologie.

 

Son analyse de la crise sanitaire ne peut ainsi, selon moi, qu’être biaisée également, puisqu’il ne fait que reprendre les articles à charge et évacue les plus nombreux articles à décharge, du fait que leurs auteurs seraient corrompus (la fameuse baguette magique du complotiste).

 

C’est une méthode qui ne peut amener aucune conclusion rationnelle et raisonnable, parce que c’est le contraire de la méthode scientifique. Celle-ci revient à tester et faire plus tard des synthèses des études et des avis des experts, alors que Jean-Dominique Michel savait dès le printemps 2020 (il l’a posté) qu’il ne fallait pas confiner, pas vacciner, etc., et maintenant ne reprend que les articles et experts qui vont dans son sens et pas les plus nombreux qui vont dans le sens inverse.

 

Dans ses vidéos, il affirme que la communauté LGBT est un cheval de Troie pour autoriser la pédophilie, ce qui confine tout simplement à un délire paranoïaque dangereux qui montre le désastre de son mode de pensée. Lui pense sans doute qu’il est l’un des plus utiles lanceurs d’alerte de la planète, une telle illusion est assez impressionnante.

 

Comment se fait-il que l’on entende pas les spécialistes dont vous parlez dénoncer ce genre de charlatanisme, si tant est qu’il s’agisse de cela?

 

Ils le font, mais ils ont beaucoup moins d’audience, avec les exceptions du physicien et philosophe Etienne Klein, ou du physicien Julien Bobroff, ou encore de l’astronaute Thomas Pesquet contraint de déboulonner les théories du complot sur la mission Apollo. Jean-Dominique Michel a d’ailleurs été exclu d’un congrès scientifique à Paris en 2021.

 

Et sachez qu’Idriss Aberkane, Jean-Dominique Michel et Didier Raoult se sont complètement discrédités dans la plupart des milieux scientifiques et intellectuels et ne font d’audience que sur internet et les réseaux sociaux auprès de leurs supporters et de non spécialistes qui ne peuvent pas vérifier leurs contrevérités. Il y a toujours eu des bonimenteurs, même parfois dans le domaine de la science. Les réseaux sociaux leur donnent désormais l’audience disproportionnée de celles et ceux qui veulent absolument croire ce qu’ils disent.

 

Vous avez estimé comme «dangereuse» l’hypothèse que le Covid soit issu d’une fuite de laboratoire. Or, cette hypothèse est désormais validée. Ne serait-ce pas de nature à vous discréditer également?

 

J’aime bien cette anecdote, parce qu’elle démontre encore une fois le manque de sérieux et de compréhension des critiques des mesures sanitaires. Le titre complet de mon article est «Pourquoi il est inutile, contre-productif voire dangereux de croire que le virus s'est échappé du laboratoire P4 de Wuhan (et pourquoi, au lieu de croire, il faudrait enquêter et ne rien croire avant la fin de l'enquête et du procès)».

 

Le Blick a jugé trop long et a mis comme chapeau: «Cette semaine, il explique pourquoi il est inutile, contre-productif voire dangereux de croire que le Covid-19 s'est échappé d'un laboratoire». Juste en-dessous, en lisant l’article, on peut lire la phrase entière. Mais c’est bien sûr la phrase incomplète que l’on ressort sur les réseaux sociaux pour se moquer de moi, y compris Jean-Dominique Michel.

 

Comme je le développe dans l’article, toutes les accusations sans preuves suffisantes (donc les théories du complot) sont inutiles, contreproductives, voire dangereuses.


(Re)lire notre article: «L’OMS a retenu la mauvaise leçon du Covid en continuant les recherches qui pourraient avoir causé la pandémie» 


Inutiles parce qu’accuser quelqu’un sans preuves suffisantes ne servira jamais à rien. Il ne faut pas accuser mais enquêter et déposer les preuves devant un tribunal. Contreproductives parce que si l’accusé est coupable, il pourra ainsi facilement faire disparaître d’éventuelles preuves restantes. Et dangereux parce qu’accuser tout le monde sans preuve finit par miner la confiance minimale nécessaire dans une démocratie, comme on l’a vu avec l’assaut du Capitole. Donc il ne faut pas croire à la culpabilité de qui que ce soit, il faut la prouver. Cela me paraît tellement évident que je ne comprends même pas qu’on puisse en discuter…

 

Mais ce débat sur l’origine du virus est intéressant: contrairement à ce que vous dites, aucune hypothèse n’est validée! L’idée de l’accident de laboratoire était bel et bien «complotiste» au début de la pandémie, parce qu’il s’agissait d’une accusation grave qu’on faisait sans preuve. Il est en fait plutôt question d’un «demi complot» que d’une théorie du complot à proprement parler, parce que le complot est une action volontaire d’un petit groupe de personne dans un but de nuire, or il n’y a pas de volonté dans l'accident. Dans le fait de cacher l’accident qui devrait être déclaré, oui.

«En sciences et en droit, on privilégie les hypothèses les plus parcimonieuses et moins accusatoires»

 

Actuellement, il y a des arguments et des articles scientifiques en faveur des deux hypothèses. Il faut noter que Raoult pense qu’il est très peu probable qu’un tel virus ait pu être créé en laboratoire, ce qui n’est de façon révélatrice jamais relevé par ses supporters.

 

Le raisonnement rationnel en sciences et en droit veut que l’on privilégie les hypothèses les plus parcimonieuses et moins accusatoires (présomption d’innocence, rasoir d’Ockham et fardeau de la preuve). Il faudra des preuves définitives pour l’accident de laboratoire et pas seulement les indices actuels en faveur de l’hypothèse, parce que ce n’est pas le cas de la majorité des épidémies qui se sont le plus souvent propagées des animaux aux humains, et parce que cela implique des responsabilités graves de la part des gens du laboratoire. Alors qu’accuser à tort des pangolins ou des chauves-souris aura moins d’implications dans les tribunaux.

 

En attendant ces éventuelles preuves, la pensée rationnelle veut qu’on garde plutôt l’hypothèse la plus simple et la moins accusatoire. Il est vrai que rater le fait qu’un accident de laboratoire ait eu lieu est grave aussi, mais, en droit, la présomption d’innocence fait que l’on préfère ne pas condamner des innocents plutôt que d’innocenter des coupables. C’est pour cela qu’il faut bien sûr continuer l’enquête et trouver de vraies preuves si elles existent. Si accident il y a eu, on trouvera des emails, certaines personnes avoueront, etc.

 

Donc cette hypothèse reste un peu complotiste au sens d’accusation grave sans preuves suffisantes, mais comme tous les scientifiques, je suis prêt à changer d’avis si des preuves définitives sont apportées. 

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