Amèle Debey

31 janv. 20238 Min

Vaccin Covid: les raisons du silence de la presse

Mis à jour : 8 févr. 2023

Les effets secondaires du vaccin Covid ne sont-ils un sujet que pour les victimes et les «antivax»? Pourquoi les médias n’enquêtent-ils pas sur les causes de la surmortalité des jeunes? Les journalistes font-ils la sourde oreille ou n’y a-t-il tout simplement rien à voir? Voici le second et dernier volet de notre enquête sur ce vaste sujet aux nombreuses ramifications.

© Pixabay/Pexels

Mise à jour du 8 février: Arte vient de diffuser un reportage sur les victimes de la vaccination Covid, qui se sentent abandonnées par les autorités. Il est disponible ICI.


31 janvier: «Pourquoi les médias ne parlent-ils pas des effets secondaires de la vaccination Covid?», ai-je demandé sur un groupe Facebook rassemblant les journalistes romands. «Peut-être parce que nos collègues journalistes scientifiques savent distinguer les études sérieuses de celles qui bricolent allègrement leurs données pour obtenir le résultat souhaité?», m’a-t-on répondu.

Cependant, comme L’Impertinent l’avait déjà exposé dans un article sur le service public, il y a une carence manifeste des journalistes scientifiques à la RTS. Du côté de 24heures, «la rédaction compte sur trois à quatre journalistes qui suivent de près les thématiques scientifiques» selon le rédacteur en chef, Claude Ansermoz, qui précise toutefois qu’il «n'y a plus de journalistes qui ne font qu'une discipline, sauf dans les rubriques dédiées (sport et culture)». Chez Heidi.news, ils sont deux, dont une basée à l’étranger.

En outre, il subsiste un désaccord scientifique profond sur ce thème, ce qui rend difficile la moindre conclusion univoque. Le concept même «d’étude sérieuse» est devenu subjectif, en particulier parce que les données manquent et que les officines responsables de les obtenir ne semblent pas très pressées de le faire. Albert Bourla, PDG de Pfizer, est loin d’œuvrer pour rétablir la confiance des sceptiques, puisqu’il refuse de répondre aux questions des députés européens. Ce silence, comme celui de la presse face à la surmortalité inexpliquée chez les jeunes européens interroge.


(Re)lire le premier volet de notre enquête: Vaccin Covid: «On voit des données qui devraient nous hérisser les cheveux sur la tête»


Yvan Pandelé, journaliste science et santé chez Heidi.news, estime que le sujet des effets secondaires a été largement traité par son média (exemples ici et ). Il explique: «Le choix de traiter un sujet est discuté collégialement au sein de la rédaction. Il dépend d'au moins quatre facteurs: sa compatibilité avec notre ligne éditoriale, son caractère concernant pour les lecteurs, la disponibilité des journalistes compétents, son importance perçue. Le sujet des effets indésirables des vaccins Covid a longtemps coché toutes les cases, et c'est pourquoi nous en avons souvent parlé. Puis l'importance du sujet a diminué au fur et à mesure que les études de pharmacovigilance confirmaient, les unes après les autres, que la balance bénéfices-risques était excellente. On peut le dire une ou deux fois, cela n'a aucun intérêt de le répéter 20 fois. Au fur et à mesure que nous avons allégé notre couverture des sujets Covid, nous avons donc cessé d'évoquer les effets indésirables. Rien d'irrévocable: nous y reviendrons si la situation évolue.»
 

Et d'ajouter: «Heidi.news essaie d'adopter sur ces questions une focale fondée sur l'expertise scientifique, ce qui implique notamment de ne pas donner corps à des assertions aux fondements incertains. Dieu sait qu'il y en a eu et qu'il y en a encore beaucoup concernant les vaccins.»

Pour Serena Tinari, journaliste d’investigation et co-fondatrice de Re-check, spécialisé dans les affaires de santé, il existe une littérature luxuriante sur les effets indésirables du vaccin Covid. Elle attribue le silence des médias à «l’ignorance, la peur, ou l’effet tunnel». Celui-ci dénote métaphoriquement la réticence à envisager des alternatives à sa ligne de pensée préférée.

«Le vrai problème réside au niveau des autorités de régulation, qui continuent à minimiser, explique l'enquêtrice, spécialisée en médecine et en soins. Et des journalistes, bien sûr, qui continuent à se cacher et ne prennent pas au sérieux leur responsabilité.»

Au-delà des études, l’expérience de terrain

Le journalisme, c’est avant tout la rencontre de l’autre, selon Jacques Pilet. Etre à l’écoute de son environnement. Nul besoin donc d’être doté d’un doctorat pour se faire une idée de la situation, il suffit parfois de tendre l’oreille. Depuis le début de la vaccination Covid, de nombreuses associations de victimes supposées d’effets secondaires se sont formées. Parmi elles, postvac.ch qui, en plus de citer un certain nombre de faits inquiétants, propose une série de témoignages de victimes via le projet unerwuenscht.ch.

En effet, les enquêtes sur ce sujet se font rares et les anomalies soulevées par les milieux consacrés ne semblent pas prises au sérieux. Par exemple, l’hypothèse selon laquelle le vaccin créerait des caillots sanguins n’a pas été envisagée en Suisse romande. Lorsque L’Impertinent a contacté les thanatopractrices de la région francophone du pays, c’était la première fois que celles-ci étaient interrogées sur la question par un journaliste.

Il arrive néanmoins que les agences de presse abordent la question des effets secondaires. Leurs dépêches sont alors reprises comme de coutume par les médias. En revanche, si la parole est parfois donnée aux victimes supposées dans les principales rédactions, ces occurrences sont rarissimes en regard du nombre de témoignages publiés sur les réseaux sociaux.

«Je pense que c'est propre à la géométrie des réseaux sociaux, vecteurs très égocentrés, explique Christophe Ungar, journaliste scientifique à la RTS. Personne ou presque ne va raconter en selfie sur son smartphone que le vaccin n'a pas eu d'effet étrange sur lui. (...) Vu le nombre de doses de vaccin administrées en si peu de temps, je ne suis pas du tout étonné du nombre de personnes avec des effets secondaires. C'est proportionnel. Toute substance ayant un effet "premier" a forcément des effets "secondaires". Jusqu'à preuve du contraire, la majorité des effets secondaires rapportés concernant les vaccins à ARN contre le COVID, sont rares et peu graves. Mais, à nouveau, il y en a beaucoup vu le nombre de personnes vaccinées et il ne faudrait pas les nier.»

Un traitement partial de l’information

Si l’on reproche souvent aux médias indépendants de flirter avec le militantisme, la presse conventionnelle n’est pas en reste sur ce sujet.

Les articles abordant les effets secondaires de la vaccination Covid sont souvent construits de façon à atténuer le doute sur le vaccin, comme s’il fallait sans arrêt convaincre ou ne surtout pas dissuader quiconque de sauter le pas. Un peu comme les bandeaux gouvernementaux au bas des programmes pour prévenir d'une menace. Pour exemple, le dernier article en date sur le sujet publié par nos médias francophones (après avoir été repris de la presse alémanique) est titré «Malade après le vaccin anti-Covid: Je veux qu’on nous prenne enfin au sérieux». S'il aborde le «syndrome postvac», il affirme que celui-ci ne concerne que «0,01% à 0,02% de toutes les personnes vaccinées dans le monde», précise que le Covid long est beaucoup plus fréquent et cite un médecin des Grisons qui déclare «Il ne faut surtout pas donner l’impression qu’il vaut mieux ne pas se faire vacciner.» Dans cet article, on trouve nombre de témoignages, principalement issus de unerwuenscht.ch.

Dans un choix de titrage, on peut également constater le parti pris d'une rédaction. Ainsi, la récente conférence de presse de Christoph Berger, président de la Commission pour les vaccinations, était intitulée Le président de la commission de vaccination tire un bilan positif par l’ATS et Le patron suisse de la vaccination admet les dommages causés par le vaccin Covid 19. Il agit comme si cela avait toujours été clair. On nous a dit: «La vaccination est sûre», par la Weltwoche.

Sans parler des qualificatifs invalidants tels que «complotistes» ou «antivax», qui ont souvent été utilisés de manière excessive, selon Christophe Ungar: «A nouveau, sur ce sujet, beaucoup (médias y compris) aiment les cases définies: vax ou antivax. Or quand on questionne ces personnes préjugées comme "vax" et "antivax", on remarque de nombreuses nuances. Je ne connais personnellement pas beaucoup de personnes pro ou antivax au final. Beaucoup sont sur ce long continuum entre les deux, explique l'ancien producteur éditorial à 36°9. Et à nouveau, tout dépend du vaccin, de la maladie. On peut être, concernant son enfant, pour le vaccin antipolio et contre le vaccin anti-varicelle... Etre radicalement pour ou contre la vaccination, c'est finalement aussi absurde qu'être pour ou contre les médicaments. Bref, les nuances... »

De journaliste à influenceur

Là où on peut se demander si le journaliste sort ou non de son rôle, c’est lorsqu’il intervient directement pour entraver la liberté d’expression des opposants aux mesures Covid et à la vaccination. L’année dernière, le site Rue89, média diffusé sur le site du Nouvel Obs, dénonçait la diffusion d’un «documentaire anti-vaccins réalisé par un complotiste» au Salon Bio&Co. Il s’agissait du film Effets secondaires: la face cachée des vaccins qui n’aborde aucune théorie du complot, ni même le principe de la vaccination en général.

Si les organisateurs du salon avaient tenu bon malgré les questions des auteurs de l’article, ce n’est pas toujours le cas. En Suisse, l’association Planet positive avait régulièrement des conférences de personnalités boudées par les médias principaux aux Ateliers de la Côte à Etoy. Jusqu’à ce que le site Heidi.news mette un terme à l’aventure sur ce lieu. Pour les besoins de l’article intitulé La venue d’un conspirationniste d’extrême droite fait fuir les partenaires d’un théâtre à Etoy, le média de Serge Michel a contacté les partenaires des Ateliers de la Côte, leur demandant s’ils cautionnaient le choix de cet invité ainsi présenté.

Un sujet tabou?

La polémique concernant la vaccination Covid illustre le débat qui a lieu depuis longtemps concernant les vaccins en général. Mais, pour Christophe Ungar, le sujet n’est pas tabou, même s’il est extrêmement polarisé. Celui des effets secondaires non plus: «J'ai pu facilement par exemple réaliser un reportage pour le 19h30 de la RTS sur les effets secondaires chez les femmes des vaccins à ARN contre le COVID: seins qui gonflent, perturbation des règles. Il faut toutefois, rester honnête intellectuellement, le rapport bénéfice/risque reste très en faveur de nombreux vaccins et donc, il faut proportionnellement parler davantage des bénéfices que des risques.»

Pourtant, il semblerait bien que les tensions survenues pendant et après la pandémie aient ravivé les inquiétudes des scientifiques pro-vaccination en général. En octobre dernier, un documentaire intitulé Des vaccins et des hommes, diffusé à la fois sur Arte et sur la RTS a mis le feu aux poudres dans la communauté scientifique romande.

De nombreuses figures de la crise sont montées au créneau pour fustiger le choix du service public de diffuser un programme osant remettre ainsi en question cette avancée médicale. Et s’interrogeant sur le bien-fondé d’une campagne de vaccination sur la population générale, entre autres questions. Si bien que la RTS a dû organiser en catastrophe une émission de radio spéciale pour calmer le jeu, mettant en scène le virologue de l’EPFL Didier Trono dans le rôle du médiateur.

Pourtant, ce documentaire n'était pas si scandaleux, selon Christophe Ungar, lui-même auteur d’un opus sur les doutes relatifs à la vaccination: «Toute question est par définition scientifiquement légitime! La science, en tant qu'ensemble de connaissances et études à valeur universelle, ne se construit ni se précise que grâce à un questionnement libre. Reste ensuite à confirmer ou infirmer les différentes hypothèses et c'est là que le bât blesse souvent. Car il faut bien bosser pour arriver à des preuves. Bref, questionner et évaluer par exemple la contribution de tel ou tel vaccin à l'éradication (ou diminution du nombre de cas) de telle ou telle maladie infectieuse est une interrogation légitime. La réponse n'est toutefois pas évidente, et en aucun cas tranchée. On sait aujourd'hui que tous les vaccins ne se valent pas. Certains ont été et sont encore très efficaces et d'autres beaucoup moins.»

Malgré tout, les réseaux sociaux continuent à censurer toute information – crédible ou non – qui écornerait l’image de la vaccination Covid. Celle-ci étant considérée d’office comme de la désinformation.

A Toulouse l’année dernière, une campagne de prévention à la vaccination Covid signée par le «Comité scientifique indépendant», «Reinfo Covid» et «Reinfo Liberté». La campagne a été interdite par le préfet de la Haute-Garonne car jugée «antivax».

Paresse intellectuelle?

«Trois cas sur 40'000 journalistes accrédités, ce n’est pas vraiment révélateur», me confiait un collègue au sujet des reporters décédés lors de la Coupe du monde au Qatar. Peu importe les causes de ces morts, cette déclaration est significative: à partir de combien de cas suspects convient-il de se poser des questions qui débouchent sur une enquête sérieuse?

Une étude publiée dans The National Library of Medicine et intitulée The pharmaceutical industry is dangerous to health. Further proof with COVID-19, conclut la chose suivante: «En soutenant et en sélectionnant uniquement un côté de l'information scientifique tout en supprimant les points de vue alternatifs, et avec des conflits d'intérêts évidents révélés par cette étude, les gouvernements et les médias désinforment constamment le public. En conséquence, les lois sur la vaccination validées de manière non scientifique, issues de la science médicale contrôlée par l'industrie, ont conduit à l'adoption de mesures sociales pour la protection supposée du public, mais qui sont devenues de graves menaces pour la santé et les libertés de la population.»


Articles en lien:

Vaccin Covid: «On voit des données qui devraient nous hérisser les cheveux sur la tête»

Vaccination: les raisons de la méfiance

Vaccins Covid: voici les contrats signés avec les pharmas

Vaccin Covid-19: la méfiance de l'Afrique

    733421
    21