Amèle Debey

29 sept. 20209 Min

Masques à l’école: quelles conséquences pour les enfants?

Mis à jour : mars 29

Vu la rapidité avec laquelle les consignes sanitaires sont modifiées, il est plutôt risqué de s’aventurer à faire un constat. Le nombre d’informations contradictoires concernant la pandémie de Covid, d’un pays à l’autre, y compris dans les milieux spécialisés, démontre à quel point les différents gouvernements naviguent à vue. Que peut-on affirmer avec certitude concernant notre Etat fédéral? Que les masques sont obligatoires dans les écoles de la plupart des cantons suisses, alors que les enfants ont une charge virale moindre et sont donc moins sensibles au virus. Comment se déroule l’application de cette nouvelle directive, incompréhensible pour les uns et nécessaire pour les autres? Et ces mesures ne sont-elles pas contreproductives sur le plan sanitaire? Sans parler de la dimension pédagogique…

© DR

Samedi 12 septembre, entre deux et trois milliers de personnes se sont rassemblés à Genève, afin de manifester contre les mesures sanitaires, et notamment l’obligation du port du masque.

Contrairement à ce qui a été largement relayé dans la presse à propos de ce rassemblement, qu’on a parfois préféré dépeindre comme une réunion de complotistes-populistes pro-Trump, les manifestants affirment ne pas être contre le port du masque, mais pour la liberté de ne pas le porter. Pour une gestion responsable de cette crise. Une nuance traitée avec légèreté, mais qui a pourtant son importance.

Afin de clarifier leur discours, ils ont créé un comité d’action et rédigé un manifeste disponible sur tous.ch, qui comptabilise aujourd’hui près de 6500 signatures. «Ils», ce sont «des citoyens de toutes catégories», qui forment un «mouvement apolitique» et qui souhaitent «simplement de la transparence et de la proportionnalité dans les mesures imposées vis-à-vis de la situation actuelle».

Le fait est que certains des participants les plus légitimes et audibles dans le contexte de cette manifestation ont renoncé à y participer, à l’instar d’un médecin généraliste genevois, qu’on a dissuadé de prendre la parole afin de ne pas s’exposer à l’opprobre. Contacté, ce dernier affirme qu’il ne s’est pas rendu à la manifestation pour des raisons personnelles, mais qu’il a préféré anonymiser le discours qu’il a rédigé à cette occasion et transmis aux organisateurs, pour ne pas se faire «tomber dessus par le médecin cantonal». Et il n’est pas le seul dans ce cas. Ce qui expliquerait l’absence de certains opposants modérés dans ces rassemblements.

Des «cas d’école»

Aurélie* est maîtresse d’école enfantine depuis une trentaine d’années, quelque part dans le canton de Vaud. Depuis la reprise de l’école, elle refuse de se soumettre à l’obligation du port du masque, qui n’a, pour elle, aucun sens pédagogique. Elle a donc averti les parents de ses élèves, âgés de 4 à 6 ans, de sa décision et n’a pas eu de retour désapprobateur de leur part pour l’instant. Aurélie fait de la résistance. Et le durcissement des mesures décidé le 15 septembre dernier n’est pas parvenu à la faire flancher. Pas même concernant les gâteaux d’anniversaire, annulés dans les classes, qu’elle a décidé de faire elle-même, car «c’est un moment important pour les enfants». En revanche, Aurélie et sa collègue directe sont très rigoureuses concernant le lavage des mains, qui, selon elles, fait sens.

«On ne comprend pas pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt. Aujourd’hui, ça n’a plus de sens.»

Sa direction a déjà rappelé la rebelle à l'ordre à deux reprises, sans succès. Il faut dire que les enseignants ne poussent pas sur les arbres et que les arguments d’Aurélie pour refuser de porter un masque sont nombreux: aspect émotionnel, nécessité des expressions du visage, sentiment de décrédibilisation, enfants allophones qui lisent sur les lèvres, vision hygiéniste de la société, entrave des mouvements nécessaires constants. «S’il y avait un sens pédagogique à ces mesures, s’il s’agissait de ne pas engorger les hôpitaux, je m’y soumettrais, explique Aurélie. On ne comprend pas pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt. Aujourd’hui, ça n’a plus de sens.»

Selon cette enseignante, les mesures sanitaires sont devenues un moyen pour certains de se complaire dans l’abus d’autorité, comme le concierge qui peut désormais sermonner les professeurs. Ce qui l’agace particulièrement, c’est le phénomène de culpabilisation qui s’installe lorsqu’on refuse d’abdiquer: «On m’a dit que je mettais en danger l’établissement. C’est ça qui est véritablement pervers, car on nous pousse à suivre les ordres par solidarité.»

Pervers, mais surtout potentiellement contre-productif sur le plan sanitaire. A l’instar des contrôleurs de la SCNF, en France, qui auraient préféré taire leur contamination pour éviter la quarantaine, qu’est-ce qui empêcherait les directeurs d’école d'en faire de même afin de ne pas risquer la fermeture de l’établissement?

Des choix lourds de conséquences

Selon le responsable de la communication du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), seules six classes ont dû fermer dans le canton de Vaud, sur plusieurs milliers, et ce pour une durée de trois à cinq jours. Quant à Aurélie, et aux autres enseignants dans son cas, elle s’expose à des représailles: «Les directives sont claires et font partie du cadre légal qui entoure la profession. Ne pas suivre ces directives est avant tout clairement irresponsable car cela met en danger les collègues et potentiellement son propre entourage, prévient le DFJC. C’est une faute professionnelle.»
 

Les petites classes ne bénéficieront pas d’adaptation particulière, comme on a pu l'entendre ici ou là, et tout le monde est logé à la même enseigne en fonction de l’évolution de la situation épidémique, selon Cesla Amarelle, cheffe du DFJC, qui se défend d’être soumise à des pressions: «Vous trouverez toujours des personnes pour vous dire que vous en faites trop ou que vous n’en faites pas assez. Mais je ne parlerai pas de pression et je rappellerai ici que nous vivons une situation complètement inédite, que nous prenons des décisions avec humilité, en concertation avec nos voisins et nos partenaires et en nous appuyant sur des personnes qualifiées et des données vérifiées. J’ai pleinement confiance dans le fait que nous saurons faire face et que nous saurons vivre avec ce virus le temps qu’il faudra.»

«On est en train de vivre l’histoire»

Claire Javet, enseignante depuis plusieurs dizaines d’années à l’école obligatoire de Grandson, préfère faire contre mauvaise fortune bon cœur. Puisqu’elle est «proche aidante» de sa mère, il est important pour elle de respecter les mesures sanitaires à la lettre. Elle a pris le parti de vivre tout cela comme une expérience et c’est ainsi qu’elle le présente à ses élèves qui sont, selon elle, désormais beaucoup plus attentifs aux parties de son visage auxquelles ils ont accès.

Si l’enseignante reconnaît que le port du masque est très fatigant et qu’il lui faut parler beaucoup plus fort pour se faire entendre, elle se dit en revanche admirative du comportement des enfants, qui se sont investis de la mission de protéger les adultes. «‘On est en train de vivre l’histoire’, me disent-ils. Pour eux, c’est une période incroyable».

Quant aux conséquences psychologiques du principe de précaution sur les enfants, Claire Javet estime qu’elles sont plutôt positives. «Le fait qu’ils soient confrontés à la peur, qu’ils développent une capacité de résilience, etc. Les enfants qui vivent cette expérience-là seront plus forts.»

Quid des besoins spéciaux?

«Les enfants ont de grandes capacités d’adaptation à l’environnement. Du moment que le masque est inscrit dans le quotidien, les transports publics et les magasins et que leurs parents le portent également occasionnellement, les enfants ne réagissent plus à l’adulte masqué dans le milieu scolaire», affirme la Docteure Olga Sidiropoulou, du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du CHUV.

Elle ajoute: «Le refus du câlin par l’adulte est pour nous la restriction la plus compliquée. Il y a des manières de faire (enfant assis dans les bras avec son dos contre l’adulte masqué, par exemple) pour ne pas refuser le contact, pour lui éviter le sentiment de rejet.»

«Le port du masque peut interférer dans le développement du langage et de la communication»

Selon la Cheffe de filière Centres de jour, «le port du masque peut interférer dans le développement du langage et de la communication du jeune enfant en âge préscolaire. Pour les enfants avec des troubles du neurodéveloppement et du langage persistants en âge scolaire, nous avons trouvé que les masques transparents et les plexiglas sont des outils satisfaisants pour la thérapie du langage et quelques situations de testing psychologique que nous avons appliquées dans nos structures.»
 

Pour autant, il y a des cas où le masque nuit incontestablement à l’apprentissage. En particulier pour les enfants malentendants, qui ont besoin de lire sur les lèvres. Dans le canton de Vaud, les logopédistes peuvent travailler sans masque pour autant qu’ils soient séparés des enfants par des parois en plexiglas. Selon Anne Lavanchy, directrice de l’Ecole cantonale pour Enfants Sourds, des masques transparents ont été commandés, mais prennent du temps à arriver. Quant aux visières, elles n’offrent pas une protection suffisante.
 

Certains membres du personnel d’une institution spécialisée en surdité dans le canton de Genève tiennent un discours encourageant quant à l’adaptabilité des enfants malentendants. Certaines classes ont été divisées en deux et les élèves semblent bien se faire à la situation, puisque la communication reste garantie lorsque les distances sont respectées. «C’est pour nos collègues sourds que c’est plus difficile, témoigne l’une d’entre elles, mais nous nous assurons simplement d’être à distance réglementaire lors des réunions et nous pouvons alors retirer le masque.»

Au début de la crise, la difficulté résidait plutôt dans les informations contradictoires du gouvernement. L’institution a commandé des masques transparents en France, car ceux de l’EPFL ne seront pas homologués avant 2021. Si elle devait s’étendre sur la durée, cette mesure de précaution poserait surtout des problèmes financiers, rapporte une seconde responsable de soins: «Dans ce cas-là, on devrait se reposer sur notre direction, parce que ces masques inclusifs ont un coût important. Mais on imagine qu’elle débloquerait les budgets adéquats».

De nouvelles habitudes à prendre

Au début de la pandémie, on nous avait certifié que le virus ne pouvait se transmettre qu’après un contact rapproché de plus de 15 minutes avec une personne atteinte. Qu’en est-il aujourd’hui?

«Il y a un risque de transmission quand on se tient à moins de 1,5 mètre d’une personne infectée, sans protection (par exemple: paroi de séparation ou masque porté par les deux personnes). Plus le contact est long et rapproché, plus le risque d'infection est probable, explique l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La limite de 15 minutes est arbitraire. On estime en effet que lors d’un contact de cette durée, il est probable qu’il y ait transmission. Mais il y a donc déjà un risque de transmission lors d’un contact de moins de 15 minutes, surtout si la personne infectée est symptomatique. Des contacts plus courts mais répétés (par exemple avec un collègue de travail durant les pauses) augmentent aussi le risque de transmission.»

Selon l’OFSP, à qui nous avons demandé si nous allions devoir apprendre à vivre avec le masque, puisque nous apprenons à vivre avec le virus: «Ceci ne peut pas être exclu.»

«L’obligation du port du masque dans les espaces intérieurs accessibles au public, là où le respect des distances ne peut pas être garanti, fait partie des mesures que les cantons peuvent prendre pour contrôler la propagation du virus, détaille l’Office. Le port du masque est recommandé lorsque la distance ne peut pas être respectée.

Si la recommandation n’est pas respectée, une obligation est un moyen d’obtenir son respect (une restriction d’une liberté est justifiée s’il existe une base légale, s’il y a un intérêt public prédominant et si elle est proportionnée). La grande proportion d’infections dont la source ne peut pas être identifiée suggère que des transmissions ont lieu lors de contacts entre personnes qui ne se connaissent pas, donc les lieux publics.»

Reste à savoir si l’intérêt public, dans ce cas, est une notion objective ou pas.

*Identité connue de l'auteure


«J’ai été prof pendant 24 ans. Si je m’imagine faire cours masqué devant une trentaine de lycéens ou de collégiens eux-mêmes masqués, cela me paraît effrayant. Je devine trop bien la déperdition d’attention, de communication, d’échanges, sans parler des problèmes de discipline! Et je m’étonne qu’on ne s’en soucie pas davantage, comme si, tout d’un coup, il n’y avait plus que la santé qui compte. Je plains les enfants qui vont devoir apprendre l’anglais avec un professeur masqué. Alors que les enfants, nous disent les pédiatres, ne risquent pratiquement rien, vis-à-vis du Covid.

On compromet leurs études pour protéger leurs grands-parents. Il se trouve que j’ai l’âge d’être grand-père. Je ne voudrais surtout pas qu’on perturbe les études de mes petits-enfants pour protéger ma santé de presque septuagénaire! Cela ne prouve pas que l’obligation du port du masque dans les écoles soit injustifiée. Je ne suis pas expert dans ce domaine, et c’est pourquoi ce n’est pas un avis que je donne. Mais j’ai le droit de m’inquiéter, et aussi de m’étonner que les autres, semble-t-il, s’inquiètent si peu.»

André Comte-Sponville, pour L’Impertinent


Les précédentes enquêtes d'Amèle Debey:

«Comment a-t-on pu donner autant de pouvoir à cet homme?»
 

Les EMS survivront-ils au coronavirus?

Le racisme noir sur blanc

Le business ancestral de la peur

Covid 19: à qui profite l'obéissance de l'Afrique?

Indépendants, entre résilience et persévérance

    5730
    3