Amèle Debey

5 nov. 202315 Min

«Notre système exploite les crises dans le but d’instaurer un état d’urgence permanent»

Mis à jour : mars 29

Éditeur, écrivain et fondateur de la lettre hebdomadaire Antipresse, Slobodan Despot est devenu un personnage incontournable du cosmos médiatique romand à grands coups d’impertinence. Fin connaisseur de l'Europe de l'Est, il observe et commente l'actualité avec un rare franc-parler et une intelligence aiguisée qui rafraîchit le débat d'idées dans une période où l'esprit critique est plus que jamais une question d'hygiène démocratique.

© Ingrid Hoffmann

Amèle Debey, pour L’Impertinent: A quel moment vous êtes-vous rendu compte que quelque chose clochait dans la gestion de la crise Covid?

Slobodan Despot: Tout au début, avant même le confinement. S’il y avait un foyer épidémique en Chine, on devait, en bonne gouvernance, confiner la Chine et ne pas laisser les Chinois entrer en Europe. Or, cela n’a pas été le cas. Là j’ai compris que l’on répétait le schéma de la pandémie H1N1 en 2009, qui s’était déclarée au Mexique à l’origine.

L’OMS avait très rapidement sonné l’alerte, mais ni elle ni le Mexique n’avaient préconisé ni appliqué les mesures évidentes de quarantaine sur l’épicentre. De deux choses l’une: soit c’est grave et on boucle le foyer, soit on ne fait rien et ce n’est pas si grave. A moins, évidemment, que l’on veuille répandre la maladie, ce que nous ne saurions envisager.

Pour ce qui est de la Suisse, nous avions un plan pandémie et la première chose que les autorités ont faite a été de ne pas le suivre. Pourquoi l’a-t-on élaboré et complété à cinq reprises durant les dernières décennies si c’était pour ne pas l’appliquer? Il suffisait de lire ce qu’il contenait pour s’apercevoir que l’on faisait le contraire de ce que l’on préconisait.

Pourquoi à votre avis?

Plus de vingt ans avant ces événements, l’homme le plus intelligent que j’ai connu dans ma vie, celui qui comprenait le mieux la société moderne, Alexandre Zinoviev, m’avait dit deux choses: premièrement, le problème principal de l’humanité au XXIe siècle serait la gestion de foules qui se compteront en milliards d’individus.

«La gestion de la pandémie était un alibi pour mettre en place d’autres systèmes de gestion des masses»

Deuxièmement, le monde occidental ne maintiendrait une façade de démocratie que pour faire contraste au concurrent soviétique. Une fois que celui-ci serait éliminé, le monde occidental gérerait ses foules comme n’importe quel système autoritaire, parce qu’il ne peut faire autrement. La démocratie est périmée. La gestion de la pandémie était un alibi pour mettre en place d’autres systèmes de gouvernement — ou plutôt de gestion des masses — que ceux, reposant sur l’autonomie de la personne, que nous croyions être les seuls dignes de l’être humain éclairé.

Y a-t-il un avant et un après-Covid selon vous?

Oui. Dans une société encore démocratique, on n’aurait pas osé limiter la liberté de déplacement des gens, les enfermer chez eux, sous aucun prétexte. Sauf en cas de couvre-feu, donc d’état de guerre. On a utilisé cette stratégie du choc pour s’octroyer un accès à ce qui est le sanctuaire absolu de l’individu quand il est considéré comme un citoyen pourvu de droits, à savoir l’accès à son corps. Quand le pouvoir s’octroie un accès illimité à votre corps et qu’en plus il le motive par la nécessité non pas de vous protéger vous, mais de protéger les autres, ça veut dire qu’il peut vous faire tout ce qu’il veut — tout en vous culpabilisant si vous résistez.

Cette expérience a rendu la population extrêmement docile. Les gens ne posent plus de questions sur les décisions les plus absurdes de leurs gouvernements. On le voit avec l’Ukraine: comment les citoyens européens peuvent-ils avaler l’idée que l’Union européenne octroie une allocation permanente à l’effort de guerre ukrainien, mesurée en milliards, sur leurs impôts? En quoi cela les concerne-t-il? Y a-t-il un parti significatif dans un pays d’Europe qui ait soulevé la question? Y a-t-il un Etat membre de l’UE qui ait dénoncé les abus de pouvoir des commissaires européens non élus, cooptés, qui prennent des décisions en matière de finances ou de politique militaire qui relèvent des Etats?

L’Europe est chapeautée par une organisation politico-militaire, l’OTAN, qui fonctionne selon des règles qu’elle s’est établie elle-même, et les fonctionnaires européens se font les relais de ses décisions. Et personne ne bronche, quelques courageux parlementaires mis à part! Je pense qu’avant 2020, il y aurait eu des questionnements. Désormais, la population d’Europe a été placée dans un état de sidération permanente.

Paradoxalement, on constate également une grogne dans la population, où de plus en plus de gens s’élèvent contre tout cela.

C’est vrai, mais quel relais ont-ils dans les structures de pouvoir? Les élites agissent constamment contre l’intérêt et le sentiment de la base. Ce qui veut dire que l’on est gouvernés par une oligarchie. Pourquoi ignore-t-on le résultat des référendums, comme en France au sujet de la Constitution européenne? En Suisse même, on applique les référendums quand ils ne dérangent pas l’entourage. Mais quand il est question de gestion des flux migratoires, par exemple, on ne les applique pas. Dans l’UE, c’est mieux: les référendums «citoyens» n’ont aucune valeur contraignante pour le pouvoir, on peut donc les ignorer.

«La démocratie est vécue comme un concept publicitaire»

Pourquoi ne demande-t-on pas aux gens s’ils veulent financer la guerre en Ukraine, voire affronter la Russie? On entend des avis, y compris en Suisse, soutenant que la volonté populaire nuit à la démocratie, en d’autre termes que la liberté menace… la liberté. C’est l’absurde au pouvoir, une logomachie qui ne fait vivre la démocratie que comme un concept publicitaire.

L’anthropologue Emmanuel Todd fait une observation très juste: Il oppose nos ex-démocraties libérales sous «contrôle oligarchique» («libérales oui, démocratiques, non») — où la majorité est tenue en échec par l’hyperclasse et les minorités — aux «démocraties autoritaires» où la majorité écrase les minorités. Mais où les dirigeants jouissent d’une haute cote de popularité.

Ces résultats sont-ils fiables?

Il suffit de voyager un peu, de se mêler à la population en Chine ou en Russie et de leur demander. On n’est pas dans des régimes à la Charlie Chaplin avec un dictateur exerçant un contrôle absolu sur les pensées. Les gens sont tout aussi branchés sur les réseaux sociaux et tout aussi informés qu’ici. En Chine, quiconque a un QI dépassant la température ambiante sait comment contourner la limitation de l’internet. Et lorsque ces gens disent qu’ils sont globalement contents et qu’ils ont confiance dans leurs dirigeants, cela vaut autant qu’entendre des gens ici dire que l’on est dirigés par de complets crétins corrompus. Ils n’ont pas de moins bons arguments pour dire que leur système leur convient que nous n’en avons pour dire que le nôtre ne nous convient pas.

Récemment vous avez été ciblé par un article de watson parce que vous avez retweeté l’information qualifiée de fake news selon laquelle Olena Zelenska avait dépensé 1 million de dollars de bijoux lors d’un voyage à New York…

On a décrété que c’était une fake news parce que Newsweek l’a qualifiée comme telle après un «fact-check» très expéditif. Or prendre Newsweek comme critère de fiabilité de l’information, cela revient à nommer Gainsbourg président de la Croix-Bleue. Ce que j’ai relevé d’intéressant dans l’affaire Zelenska, c’est l’alternative cocasse qu’elle nous présentait: la preuve qu’elle ne pouvait avoir acheté pour un million de bijoux chez Cartier, c’est qu’elle était en train d’applaudir un vieux nazi au parlement canadien… Les médias auraient eu tout intérêt à étouffer cette affaire.

On nage en pleine débilocratie! Dans leur intérêt, les Zelensky auraient dû bien réfléchir avant de faire la fête à un SS, ou de faire venir la somptueuse photographe Annie Leibowitz en Ukraine en temps de guerre pour se pavaner sur la couverture de Vogue, comme si tout n’était que représentation. Cela étant, que Mme Zelenska convertisse un million en bijoux, j’ai trouvé cela normal et sensé. Ils ne savent pas s’ils seront encore au pouvoir demain. Des comptes en banque, c’est bloqué en dix minutes, une cassette de bonne joaillerie reste toujours convertible.

Mais ces polémiques mondaines masquent de plus en plus mal la réalité de ce régime corrompu porté à bout de bras par le financement occidental, qui a fait interdire les partis d’opposition et les médias critiques et se vante de faire assassiner ses ennemis intérieurs et extérieurs. (Ce ne sont pas mes opinions, mais des faits reconnus désormais par le New York Times ou le Washington Post.) Zelensky est gentiment en train d’arriver à son point Noriega (voir l’histoire du Panama si cela vous intrigue), et alors tous ces journalistes qui lui auront servi de garde prétorienne vont devoir se livrer à de cuisants exercices de casuistique ou d’amnésie.

Aujourd’hui, la course à l’information a pris une ampleur édifiante, j’en parlais récemment dans un billet d’opinion. Quel est votre avis sur la question? Comment vous prémunissez-vous de cela au sein de l’Antipresse?

L’information a tendance à nous abrutir parce que nous ne sommes plus instruits à la comprendre, c’est-à-dire à l’intégrer à une vision du monde. Les faits ne sont qu’un premier échelon. L’information brute doit être convertie en savoir. Il y a beaucoup de choses qui relèvent de l’information, mais ne contribuent pas au savoir. Troisième stade: le savoir est converti en connaissance. Le savoir est une encyclopédie, la connaissance est une sagesse: je n’ai pas besoin de garder des bibliothèques dans ma tête pour comprendre comment le monde fonctionne, mais il est nécessaire de les avoir lues.

Le savoir n’est-il pas biaisé s’il se base sur des informations partiellement vraies ou complètement fausses?

C’est pour cela qu’il faut la dépasser. On lit la grande littérature, les grands psychologues, les grands anthropologues et les grands philosophes et à partir de là on se crée un système critique qui permet de dire si telle information est crédible ou non, si elle s’insère dans l’aire vraisemblable des agissements humains.

L’information médiatique charrie une grande quantité d’absurdités qui vont à rebours d’une connaissance solide de la nature humaine ou de la mentalité des peuples. Par exemple, lorsque quelqu’un relève qu’il y a une surreprésentation des nazis en Ukraine, la réplique fuse qu’il y a aussi des nazis en Russie!

Oui, comme il y a des poissons volants, mais ce n’est pas la norme. Ce genre d’équivalence montre qu’on ignore totalement l’histoire de la Russie et l’histoire de l’Ukraine — ainsi que les idées et les croyances qui ont forgé l’identité de ces peuples, dont l’un est partiellement issu de l’autre. Pour l’immense majorité des Russes, le nazisme incarne un mal absolu. Chaque famille a versé sa cotisation de sang pour le combattre.

«Les journalistes ne sont même pas suffisamment lettrés pour ne pas être remplacés par ChatGPT»

Un exemple concret de cette insensibilité: en 2019, lors de la commémoration du débarquement de Normandie, Macron n’a pas invité les Russes, mais il a invité les Allemands. Quand on sait que les 80% des pertes militaires allemandes pendant la Seconde guerre mondiale sont le fait des Russes, non des Anglais ni des Américains, que la Russie a laissé 27 millions de morts sur le front, on comprend que ne pas l’inviter aux commémorations constitue une muflerie extrêmement offensante. Inviter les Allemands à leur place par-dessus le marché, c’est une déclaration de guerre.

Mais les gens qui n’ont aucune profondeur historique ne vont rien y comprendre. Si vous n’avez aucune culture historique et géopolitique, vous ne pourrez pas établir les liens de causalité réels. Vous allez considérer que chaque événement que les médias amènent sur le devant de la scène commence au moment où il monte à la une, comme la lumière du frigo ne s’allume que quand on ouvre la porte.

Est-ce que le problème vient du fait que les journalistes ne sont pas assez cultivés à notre époque?

Pour le moins! Ils ne sont même pas suffisamment lettrés ni dotés de style pour ne pas être remplacés par ChatGPT.

Qu’est-ce qui vous surprend le plus de la part des médias ces dernières années?

L’étendue de la bêtise de fonction. Se rendre plus idiot qu’on ne l’est. Le suivisme est un euphémisme. Il y a un nivellement absolu, que certains veulent expliquer par les dépendances financières des médias qui sont des danseuses des Etats ou de leurs sponsors privés, étant donné qu’ils ne peuvent plus se financer ni par les abonnements, ni par la publicité.

Sans les 250 millions de la Fondation Gates au début de la crise Covid, est-ce que tous ces médias auraient entonné, sans aucune espèce de recul critique, la chanson de la doxa et des vaccinations? Probablement pas. Mais alors, certains auraient simplement cessé d’exister. Et ne parlons pas des donations d’Etat.

Est-ce que cela veut dire que les gens censés nous apporter les informations nécessaires à constituer notre savoir sont désormais d’un niveau similaire ou plus bas que les gens qu’ils sont censés instruire?

Sur les terrasses des cafés, où je travaille souvent, j’entends des commentaires sur l’actualité. Ces observations de M. Tout-le-Monde témoignent souvent d’un plus grand esprit critique que ce que je lis dans les journaux.

Elon Musk a racheté Twitter pour, dit-il, protéger la liberté d’expression. Le réseau social est devenu une sorte de café du commerce. Est-ce que, selon vous, c’était mieux avant? Ou croyez-vous en la bonne foi du milliardaire?

Je crois en sa volonté de rétablir la liberté d’expression, car ses projets ne sont pas de la même nature que celui de ces prédécesseurs. Ce n’est pas le même monde. Je ne sais pas si c’est mieux, mais je crois qu’il est sincère dans ce qu’il dit.

«Vous risquez à tout instant de marcher sur la susceptibilité explosive d’une minorité offensée»

Maintenant, je crois que la liberté d’expression dans une société qui repose sur la valorisation de l’individu, sur les droits de l’homme, sur l’idée que nous sommes instruits, alphabétisés, majeurs et responsables, cette liberté d’expression doit être absolue. Quitte à ce que le code pénal régule la chose. Jusqu’il y a quelques années, on avait un assez bon système qui réprimait les offenses dans le domaine public lorsqu’elles pouvaient entrainer un tort objectif à quelqu’un.

Mais aujourd’hui, l’expression publique est comme un champ de mines où vous risquez à tout instant de marcher sur la susceptibilité explosive d’une minorité offensée et d’être taillé en pièces. Ceci alors même que vous n’avez à aucun moment enfreint la loi!

Une société démocratique défend la liberté d’expression. Une société qui limite la liberté d’expression n’est pas démocratique. C’est simple.

Thierry Breton a récemment ouvert une enquête sur Twitter pour «désinformation».

Oui et c’est extrêmement intéressant. Voyant les réactions, il a également écrit à Facebook et à TikTok. Autant vous dire que les Chinois ont dû bien rire. Cette espèce d’anémone de mer posée sur un sac de gélatine bureaucratique qu’est Thierry Breton ne sait même pas dans quel monde il nage. Il n’est rien, il n’est même pas élu et il s’adresse à des géants.

Il a demandé à Musk de policer lui-même sa plateforme. Musk lui a demandé de fournir une liste des posts qui relèvent de la désinformation pour que l’on sache quels sont ses critères. Breton lui a répondu, de manière très caractéristique, que ses services se tenaient à sa disposition pour arranger l’affaire. A quoi Musk a magistralement répliqué que chez X, on ne faisait pas d’arrangements sous la table.

On voit que le réflexe automatique de ces apparatchiks consiste à fermer les volets et molletonner les portes: restons entre nous, le public n’en saura rien. Il a révélé la nature de son système, il ne sait pas communiquer autrement. Il pouvait s’attendre à une telle réponse. Par la suite, Musk lui a aussi glissé la peau de banane du partenariat de l’UE avec NewsGuard, une officine de normalisation de l’info liée à la CIA et à l’OTAN.

Il paraît que les eurocrates veulent aussi réglementer l’usage du VPN. La vocation de ce système illégitime et incompétent est d’être plus oppressif que les Chinois. Car ceux-ci donnent une contrepartie à leur population. C’est un système autoritaire, mais qui en une génération a résolu le problème de la faim et a créé une classe moyenne prospère. Des métropoles comme Pékin, Shanghai ou Shenzhen sont des villes d’une sécurité et d’une propreté époustouflantes. Les Chinois sont fiers de vivre dans leur pays. Ils sont nourris. Ce pays produit plus d’ingénieurs que l’UE et les Etats-Unis réunis. Les gens ont donc des compensations. Ici, pour le moment, nous n’avons pas de compensation pour l’autoritarisme, on se contente de monter sans cesse les taxes en dégradant les services.


(Re)lire notre papier: «La nouvelle loi européenne sur le numérique est un jeu de dupes irréalisable»


Que pensez-vous de l’hypothèse selon laquelle le système souhaite mettre un terme à la propriété? Dans quel but?

Il n’y a pas forcément de but. Alexandre Zinoviev, en décrivant l’évolution des sociétés, nous montre que ce n’est pas par l’intention de quelqu’un qu’une société plus ou moins viable se transforme en un piège à rats. Il y a des lois d’évolution des sociétés qui font que les décisions sont toujours prises dans une même direction lorsque l’on entre dans cette spirale.

La suppression de la propriété privée est une vieille utopie qui flatte l’égo des philosophes et des penseurs en Europe depuis des siècles. Le communisme est du reste une invention de la classe instruite européenne.

«On est en train de supprimer les classes moyennes»

Ensuite, si on regarde comment se comportent les très riches aujourd’hui, ces gens n’ont pas d’autre idée que d’accumuler le plus d’argent possible sans redistribution. Cela veut dire qu’à un moment donné les classes moyennes et inférieures vont se retrouver dans un tel dénuement qu’elles accepteront de recevoir une sorte de pension au seuil de la misère.

En Suisse, des familles pouvaient encore vivre sur un salaire moyen-supérieur il y a une génération. Aujourd’hui, c’est impossible. On est en train de supprimer les classes moyennes. On ne devrait pas célébrer un type comme Schwab qui professe un tel mépris de l’existence d’autrui, on devrait plutôt l’enfermer. Si l’on avait rendu publiques il y a une génération encore les théories qui motivent sa «quatrième révolution industrielle», les gens auraient crié au fou.

Vous avez fondé un média qui s’appelle l’Antipresse, vous êtes assez critique des médias en général, pourtant vous travaillez à la RTS. N’y a-t-il pas un léger paradoxe?

Je suis chroniqueur à la RTS, effectivement. J’ai été mis dans ce bain par Michel Zendali avant qu’il prenne sa retraite et j’y suis resté car j’imagine que l’on est content de me recevoir. Et je considère que c’est encore un îlot de bonne santé dans la RTS que d’avoir Les beaux parleurs qui, en restant très courtois, remettent en question certains lieux communs du système médiatique. Pour la RTS, c’est une bonne carte de visite.

Vous êtes donc la preuve vivante d’une certaine ouverture proposée par le service public?

Oui, mais de nouveau: il y a des poissons volants, mais ils ne sont pas la norme.

Au sein de l'émission les Beaux Parleurs je me sens très bien et il n’y a aucune hostilité. En revanche, depuis 2020 je n’ai plus jamais été invité à Infrarouge, alors qu’on m’y conviait souvent. Pareil pour les débats à la radio. La discussion y est sévèrement calibrée. Le débat n’existe qu’entre des gens qui pensent tous plus ou moins la même chose, avec des nuances qui vont de turquoise jusqu’à bleu.

Avez-vous le sentiment qu’il y a un lien entre tous les événements qui arrivent ces dernières années? Le Covid, puis les guerres et les conflits?

Ce que je vois, comme dit plus haut, c’est que nous sommes dans un système délégitimé qui exploite les crises dans le but d’instaurer un état d’urgence permanent qui permet de gérer une société de manière simplifiée et autoritaire.

Je ne sais pas si quelqu’un a décidé de faire débarquer les quatre cavaliers de l’apocalypse, avec la peste Covid, la guerre-Ukraine, la famine qui peut être causée par les restrictions climatiques précédant, enfin, la Mort.

Ce qui fascine, c’est que cette panique climatique affecte au maximum un cinquième de la population mondiale pendant que le reste vit sa vie. S’il y avait une once de raison dans le monde occidental, on n’appliquerait pas des mesures climatiques radicales et sans retour comme celles qui consistent à abattre des cheptels ou à obliger les fermiers néerlandais à fermer boutique avant d’avoir obtenu un consensus mondial sur la gestion du climat.

Personne ne va les suivre dans cette hystérie en voyant les dégâts qu’elle provoque. Or si les grands pays industriels ne suivent pas, elle n’a aucun sens.

«Cette même société qui s’abandonne à la psychose climatique œuvre sans relâche à numériser tous les aspects de la vie humaine»

On a eu un petit âge glaciaire au XVIe siècle en Europe. On sait aussi qu’au XIIe-XIIIe siècle, on a eu des étés plus chauds qu’aujourd’hui pendant plusieurs décennies. Quelle est l’activité humaine suffisamment importante qui aurait entraîné un réchauffement climatique au XIIe siècle? Ou alors, quels comportements humains auraient entraîné la petite ère glacière du XVe-XVIe siècle? On n'en a aucune idée. Mais là où on peut agir, on ne le fait pas.

Il y a en effet des conséquences de l’activité humaine extrêmement guérissables qu’on ne soigne pourtant pas. Par exemple le bétonnage de l’environnement. On sait très bien que les surfaces urbaines couvertes de béton sont nettement plus chaudes en été qu’une surface de verdure qui absorbe la chaleur. On sait que quand il y a des inondations dans le Midi de la France, c’est parce que l’eau ne peut pas entrer dans le sol à cause du béton. Ce problème qui est constaté et dû à des décisions urbanistiques que l’on a prises depuis le début du XXe siècle peut être aisément résolu: on peut imposer un quota de verdure par mètre carré. Or, dans les grandes villes, on ajoute du gris. Et ce sont les mêmes qui parlent de macrophénomènes climatiques sur lesquels nous n’avons aucun levier.

Dernier point, capital: cette même société qui s’abandonne à la psychose climatique œuvre sans relâche à numériser tous les aspects de la vie humaine. Le monde qu’elle construit n’est pas seulement une prison, mais encore un gouffre à énergie. On va les alimenter avec quoi, tous ces terminaux, ces serveurs et ces véhicules électriques? Cette pensée magique finira par abolir les lois de la nature.

Avez-vous parfois l’impression d’être prisonnier de vos propres certitudes? Du rôle que vous ou les autres vous êtes attribué?

Je ne peux pas être prisonnier de la cage que les autres me tressent, c’est leur affaire. A aucun moment je ne me sens isolé. Je suis entouré d’une importante communauté de gens dont j’ai la témérité de penser qu’ils sont plutôt mieux instruits et mieux fondés culturellement que la moyenne.

D’autre part, je suis surpris par la peur qu’ont les gens de ceux qui pensent avec leur propre tête. Lorsque, encore étudiant, j’ai commencé à payer ma caissemaladie, mon assurance m’avait envoyé une revue sur papier glacé destinée aux jeunes assurés. L’ayant vue, j’ai écrit une lettre recommandée à cette compagnie en leur demandant de ne plus m’envoyer cet imprimé frivole sans grammaire et sans intérêt et de déduire de mes cotisations ma part du financement de ce gaspillage.

«Un être humain digne de ce nom n’a pas un rôle, il a un destin»

J’ai reçu une lettre de l’un des gérants qui me faisait part de son étonnement, puisque, disait-il, les retours étaient très positifs. Je lui ai répondu que si 95% des gens faisaient caca sur le tapis, ce ne serait toujours pas une raison pour ne pas préférer les toilettes. Et je me suis moi-même octroyé une déduction approximative de quelques francs. (Aujourd’hui, on ne m’écrirait même plus, on me mettrait simplement aux poursuites… )

Les rôles que les gens vous attribuent en disent davantage sur eux-mêmes que sur vous. Un être humain digne de ce nom n’a pas un rôle, il a un destin.

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