Amèle Debey

17 août 202315 Min

«Les émeutes sont la suite logique de l'idéologie du risque zéro»

Mis à jour : mars 29

Michel Maffesoli est un sociologue français, professeur et auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, dont le plus récent Le temps des peurs, aborde l’instrumentalisation des dangers et des menaces par les pouvoirs afin de contraindre les comportements individuels. Tant la crise Covid que les récentes émeutes en France sont, pour cet observateur et pamphlétaire aguerri, la preuve par l’exemple de ses analyses sociologiques. Et ce ne serait qu'un début.

Michel Maffesoli est professeur émérite à la Sorbonne

© DR

Amèle Debey, pour L’Impertinent: A quel moment vous êtes-vous dit que quelque chose clochait dans la gestion de la crise Covid?

Michel Maffesoli: Très rapidement. Dès les années 70, quand j’ai fait la thèse d’Etat qui a été publiée dans un de mes livres intitulé La violence totalitaire, j’avais déjà rendu attentif au fait que la grande tendance de la technocratie, de la bureaucratie du moment était une hygiénisation de la vie sociale. Je montrais déjà le danger d’un processus qui faisait que tout devait être hygiénisé. Que les sociétés équilibrées avaient été les sociétés qui avaient intégré un peu de risque. Ma critique du risque zéro et une vieille critique sociologique.

Quand est arrivé ce que j’ai appelé une psychopandémie, dans la foulée de beaucoup de bons auteurs j’ai très rapidement reniflé que l’on avait là la réalisation de ce que j’avais appelé la violence totalitaire. A l’époque, je parlais de «totalitarisme doux», peut-être avais-je tort car il est très violent à bien des égards.

C’était pour moi une illustration de cette espèce de grande tendance qui est le propre d’une époque finissante. Je suis un protagoniste de la postmodernité et je disais que cette modernité est en voie d’achèvement, de décadence. Et comme tout ce qui est en décadence, ils ont tendance à caricaturer, à accentuer ce qui est leur ADN fondamental.

Cette crise vous a-t-elle inspiré votre dernier ouvrage, Le temps des peurs?

Bien évidemment. Jusque-là j’avais fait à ma manière, je suis plutôt un théoricien. Il m’a paru dès le début de cette psychopandémie qu’il fallait trouver une façon de le dire ou de l’écrire de manière beaucoup plus pamphlétaire. Mon livre est un pamphlet écrit au fil de la plume, il est la suite d’un livre précédent appelé L’ère des soulèvements.

Le temps des peurs est une espèce d’illustration, au jour le jour. Comme tout pamphlet c’est une suite de réflexions et d’humeur à ce que nous observions quotidiennement: la négation même de tout être ensemble. Porter des masques, ce que j’appelais la mascarade. Ces fameux gestes barrières. Ces processus d’isolement et de couvre-feu. J’y voyais-là l’illustration de la prise du pouvoir un peu partout en Europe.

On a pu constater également que le niveau d’érudition n’épargnait pas de basculer dans le narratif officiel. Dans les facultés et autres académies, il y a eu tout autant de suivisme qu’ailleurs, non?

C’est amusant, car une étudiante d’Amsterdam me disait la même chose hier. Ce n’est pas mon sentiment. Cela a pu exister, mais j’ai plutôt senti une indéniable résistance. J’habite dans le Ve arrondissement, juste en face de la Sorbonne. Je reçois parfois des étudiants qui viennent boire un coup avec moi – ce même pendant cette période-là, mon salon était plein – et j’ai pu constater cette forme de résistance. Tant en ce qui concerne le port du masque que les gestes barrières.


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C’était frappant de voir qu’il y avait des apéros tous les soirs, donc des événements qui rassemblaient des gens dans l’ordre privé. Personnellement je n’ai jamais porté le masque et je n’ai jamais eu de problème en me promenant dans les rues de Paris.

Dans le Quartier latin, il y avait toujours des rassemblements de ces jeunes devant telle ou telle université. Ce que je vous dis n’est pas de la théorie, c’est une simple constatation. Je ne nie pas par-là l’existence de ce que vous indiquez, mais il y avait tout une série de ruses et de duplicité par rapport à cela.

Dans votre livre, vous parlez beaucoup des médias. La «presse de convenance» comme vous dites l’est-elle plus par conviction, par opportunisme ou par lâcheté, selon vous?

Il faudra un jour que je fasse un pamphlet sur la presse. Ce qu’il est convenu d’appeler le mainstream, le courant central est ce que j’appelle l’oligarchie médiatico-politique. Il y a une espèce d’endogamie, ça couche ensemble. On voit bien comment, d’une certaine manière, l’essentiel de cette presse ne fait que la même chose que l’ordre politique.

Je cite Joseph de Maistre qui parlait de la «canaille mondaine». Ce qui me paraît particulièrement applicable à ce qu’il s’est passé dans cette espèce de soumission. Après il faudrait graduer pour répondre à votre question, mais je ne suis pas un spécialiste en la matière. Mais gardons l’idée de l’oligarchie.


 
Il y avait, très souvent d’ailleurs, des gens influencés par ceux de mon âge. Les soixante-huitards qui sont devenus notaires à la place du notaire. Il y avait une forme de connivence structurelle et ce au nom de la science, bien évidemment. Puisque cela donne des raisons de justifier les pires des mensonges.

Au nom de la sécurité également me semble-t-il… la population n’étant pas capable de savoir ce qu’il y a de mieux pour elle-même.

Bien sûr: le fameux risque zéro. Il est toujours dangereux d’imposer de l’extérieur le bien aux gens. C’était l’attitude de l’Inquisition à l’époque, c’est le propre de tous les totalitarismes. Cette attitude qui va considérer le peuple comme un enfant qu’il convient de guider, structurellement. Il y a un mépris du peuple dans cette attitude. Ces fameux démocrates sont très peu démophiles. En France, on parle de populisme avec une connotation très péjorative à l’égard de ce peuple qui n’a pas de vraie pensée. Il convient de lui imposer de l’extérieur – fut-ce d’une manière violente – les impositions que l’on sait.

«Il y a un mépris du peuple dans cette attitude»

La finitude est ce qui nous caractérise, on va vers la mort. Il ne s’agit pas de nier ou de dénier la finitude, mais de voir comment on l’accompagne, comment on la ritualise. Il y avait une dénégation de la finitude amenant les mesures autoritaires et terroristes qui ont été les mesures que l’on sait.

Les mesures ont été levées. L’inquiétude était-elle infondée ou avons-nous basculé dans une forme de totalitarisme, selon vous?

D’une certaine manière oui je pense que la technobureaucratie participe de ce que j’avais appelé la violence totalitaire en son temps. Je pense donc qu’il y a là quelque chose de cet ordre, mais ce n’est pas la première fois.

Oui, il y a du totalitarisme, de l’aliénation, de l’imposition et en même temps une forme de duplicité populaire: on est double et dupe, on ne se laisse pas tout à fait avoir, on va ruser avec ça. Faire comme si on acceptait. Le fameux «cause toujours tu m’intéresses». Il y a un certain nombre de lois et d’injonctions imposées, mais on arrive à se dépatouiller avec ça.

Vous dites aussi dans votre livre qu’il s’agissait plus d’une crise spirituelle que d’une crise sanitaire.

Oui, c’est plus compliqué que ça. Je considère qu’il y a des époques. En grec, le mot époque veut dire parenthèse. Dès qu’une parenthèse s’ouvre, une parenthèse se ferme. De mon point de vue est en train de se fermer la parenthèse moderne. Celle qui s’est inaugurée au XVIIe siècle: le cartésianisme. Celle qui s’est confortée au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, en particulier Jean-Jacques Rousseau. Celle qui s’est institutionnalisée au XIXe, avec les grandes institutions. C’est cette modernité qui est en train de s’achever.

Dans ces moments d’achèvement, il y a des formes caricaturales et paroxystiques. Cela entraine cette forme de totalitarisme qui n’est pas véritablement la chose la plus importante.

Vous dites que nous sommes en train de transiter vers «une autre manière d’être ensemble». Qu’entendez-vous par là?

Oui, c’est mon dada théorique. Autant les papis boomers de mon âge restent sur les valeurs modernes: individualisme, rationalisme, progressisme, autant les jeunes générations sont porteuses de quelque chose d’autre. Comme je l’expliquais dans le livre prophétique Le temps des tribus, ce n’est plus le «je», c’est le «nous» qui va prévaloir. Internet aidant de diverses manières. Ce n’est plus seulement le rationalisme – qui a été la grande marque du XVIIIe siècle, mais l’émotionnel sous ses diverses formes. Ce n’est plus seulement le progressisme, c’est l’instant, c’est le présent.

Soyons attentifs à ce que sont ces pratiques juvéniles, ces jeunes générations qui sont la société de demain et qui contaminent celle d’aujourd’hui. Il y a lieu d’y être attentif.

Ce qui m’a frappé pendant cette psychopandémie, c’est la façon de ruser des jeunes générations. Par exemple, le nombre de ces étudiants qui – sans l’afficher, sans être militant – ne se sont pas fait vacciner en se passant les certificats de mains en mains. C’est une forme de résistance qui constitue des éléments importants dans cette société en gestation.

Aujourd’hui, on constate une violence accrue chez les très jeunes. Comment expliquer cette recrudescence et voyez-vous un lien avec la façon dont on les a traités pendant la crise Covid?

Par rapport à ce qui s’est passé dans les deux, trois ans qui se sont écoulés, on peut dire la chose suivante: notre espèce est une espèce animale. L’agressivité fait partie de ce que nous sommes. Les sociétés équilibrées ont trouvé des moyens de se «purger» de cela, de le ritualiser. Aristote parle de catharsis, quand on sort le pus. Au Moyen-Âge vous aviez les fêtes des fous, le carnaval sous ses diverses modulations, des quantités de moments où il y avait de l’excès. Quand cette agressivité ne peut pas s’homéopathiser, elle devient perverse, paroxystique. Le pus se répand sur l’ensemble du corps social. Nous avons ici une bonne illustration de cela.

On a tout aseptisé, comme nous l’avons vu tout à l’heure, on avait évacué le risque d’une manière exagérée, perverse même parfois, il y a eu des manifestations de ce qui n’était pas permis. J’ai beaucoup suivi les émeutes en France de ces dernières semaines, car elles étaient une illustration de mes écrits: on voyait, d’une manière caricaturale, la manifestation de ce que l’on n’avait pas su gérer. Une société équilibrée gère le mal, ne le dénie pas. Si on ne fait pas ça, on a exactement ce que j’appelais dans les livres précédents les soulèvements, l’insurrection.

Les grands médias ont très peu parlé des rassemblements musicaux, des rave party qui se sont tenues pendant le Covid. Trois à quatre mille personnes au même endroit, sans gestes barrières ni masque.

Il y a donc bien un lien entre les deux, selon vous?

Pour moi, c’est la suite logique. C’est parce qu’il y a eu cette idéologie du risque zéro que l’on a eu des formes de soulèvement, d’insurrection et d’émeute. Comme je l’ai dit dans différentes émissions: le sang va couler. Nous ne sommes qu’au début de ces soulèvements. Tant qu’il y aura cette espèce d’imposition de cette hygiénisation à outrance, cela va déborder et ressortir de diverses manières. Cela va dépendre comment, dans les mois qui viennent, la technostructure va continuer à imposer ce risque zéro et il y aura des violences incontrôlées qui seront sanglantes. Ce n’est qu’un début.

N'y a-t-il pas également une perte de sens?

Je pense que ce qui a été la grande dominante de cette modernité est en train de s’achever. C’est-à-dire une conception très marxisante: le fameux matérialisme historique. Ce qui prévalait était uniquement l’économie, le matériel, des choses de cet ordre… autant à gauche qu’à droite d’ailleurs. Le fameux bourgeoisisme soit socialiste, soit capitaliste qui restait sur ce que Marx appelait l’infrastructure économique.

De mon point de vue, il y a une saturation du matérialisme et un retour du spirituel qui peut prendre des formes paroxystiques. Cela peut être les Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne, le pèlerinage des jeunes catholiques vers Chartes et cela peut être aussi les espèces de soulèvements contemporains qui sont aussi une manifestation d’une forme de spiritualité. Péguy avait une formule qui disait «Tout commence en mystique et s’achève en politique». Et moi j’ai poursuivi en disant «Quand la politique s’achève, le mystique reprend».

Je pense qu’il y a – en particulier chez ces jeunes générations – un vrai désir faut-il dire mystique, spirituel ou symbolique, là-dessus laissons encore un peu de temps. Mais manifestement quelque chose qui ne se reconnaît plus simplement dans une conception économiciste ou matérialiste du monde. Il me paraît que le spirituel va retrouver une force et une vigueur indéniable.

Je crois qu’il y a une grande rébellion contre les valeurs qui ont marqué la modernité, comme la valeur travail, qui est une expression de Karl Marx dans Le Capital.

Si on ne veut pas utiliser le mot spirituel, qui est toujours bien chargé, on peut parler de qualitatif: «faire de sa vie une œuvre d’art», «ne plus perdre sa vie à la gagner». On pourrait trouver une quantité de slogans de cet ordre qui, de mon point de vue, traduisent cette rébellion.

Cette politique hygiéniste survenue juste après les gilets jaunes était également une manière de remettre les gens dans le rang pour vous?

Bien évidemment. L’injonction est cette attitude parentale, paternelle sensément, qui considère que ce peuple est un peu débile. Il s’agit de le remettre en ordre. Les gilets jaunes ont joué un rôle non négligeable qui restera, peut-être pas de la même manière, mais ces soulèvements vont se développer sous des formes diverses.

Dans le même temps, il y a toujours quelque chose qui va imposer des contrôles. Ce que sont les injonctions. Je ne sais pas où en est le débat à Lausanne, mais je le vois revenir en France sur ce que serait un pass sanitaire conforté par des médecins qui ne soignent pas et qui essaient de réimposer des formes d’injonctions. Ce n’est pas fini.

«L’injonction considère que le peuple est un peu débile»

Mais en même temps, dans les deux ou trois dernières années qui viennent de s’écouler, mon sentiment est qu’il y a des formes de résistances de plus en plus évidentes. Cela s’observe – en opposition aux médias mainstream qui sont soumis – par les réseaux sociaux, les blogs, les forums de discussions, où des formes de résistance sont en train de se faire et prennent de plus en plus de terrain, qu’on le veuille ou non.

Tout au long de cette crise, on a constaté des formes de soumission assez graves. En France, les gens devaient quand même signer eux-mêmes leurs propres autorisations de sortir de chez eux…

Comme je l’ai dit tout à l’heure par rapport aux étudiants: on ne peut pas nier ce que vous dites, mais il y avait des quantités de pratiques de ruse.

La population générale a suivi les règles.

Oui et non. Peut-être qu’en Suisse c’était exactement le cas, mais je maintiens que ce ne fut pas tout à fait le cas en France. Ce n’est pas mon sentiment. Bien sûr que le discours officiel développait cette théorie. Quotidiennement, ce n’était pas aussi clair. Les deux exemples que je connais personnellement sont ceux de Paris et de mon petit village natal. Ce n’était pas aussi simple. C’est mon sentiment.

Face aux injonctions contradictoires perpétuelles tout au long de cette crise, vous dites dans votre livre que les dirigeants étaient dupes d’eux-mêmes. Peut-on alors vraiment parler de mensonge dans ce cas?

Pour moi ce ne sont pas que les politiciens, c’étaient les journalistes et les experts de tous ordres. Il y avait des sincérités successives. Dire que le masque n’est pas nécessaire et le rendre obligatoire une semaine après. C’est une façon chic et simple de dire que ce sont des menteurs.

Je crois que le mensonge c’est que régulièrement, quand une élite est en voie de déshérence, quand elle pressent que c’est fini, elle en rajoute. Un de mes maîtres à Strasbourg démontrait que quand une armée pressent qu’elle a perdu, elle est sanglante. C’est ce qui s’appelle les combats d’arrière-garde. Ce sont ceux qui sont les plus violents. Je considère que les élites au pouvoir pressentent qu’on ne les croit plus et du coup ils en rajoutent. Excusez-moi de vous rappeler les 53% d’abstentionnisme dans les diverses élections en France. Ce à quoi il faut rajouter les non-inscrits sur les listes électorales. Vote blanc, vote nul, ce qui fait que le président de la République ou un député quelconque représente 10% de la population. Dans la perspective d’Hannah Arendt, ce n’est plus une représentation politique. C’est une dénégation de cette représentation.

Comme ils pressentent cela, ils vont exagérer les diverses injonctions. Mais pour moi c’est un combat d’arrière-garde. Le grand sociologue Vilfredo Pareto, dans son livre sur la sociologie générale parle de la circulation des élites. Il montre que quand une élite a fait son temps, il faut que ça circule. C’est mon hypothèse sur l’élite médiatico-politique actuelle. C’est ce qui est en jeu actuellement, mais cela prend quelques décennies, ça ne se fait pas du jour au lendemain.

Que va-t-il arriver après alors?

Je n’en sais rien, ce n’est pas mon métier. J’essaie de donner un certain nombre d’indices. Mais soyons attentifs à ce qui est en train de se passer sur les réseaux sociaux. Au fait qu’au niveau de ces jeunes générations, il y a une élite en gestation. Une société a besoin d’élite. A certains moments, quand il n’y a plus d’accord entre le peuple et les élites – ce qui me paraît être le cas actuellement – se crée à bien des égards une nouvelle forme d’élite.

Ce que je peux dire c’est que celle qui est au pouvoir est en déshérence.

A propos du wokisme, vous dites qu’il sert à détourner l’inconscient collectif?

Je suis beaucoup plus violent – c’est d’ailleurs le propos de mon prochain pamphlet – je dis que le wokisme est la caricature de la philosophie des Lumières, de Jean-Jacques Rousseau. Les Lumières étaient un universalisme. Le wokisme va universaliser une particularité: la peau, le genre, le sexe.

Le wokisme est la suite logique de la philosophie des Lumières, de façon caricaturale. Là encore, c’est un combat d’arrière-garde.

Vous dites aussi qu’il est la forme contemporaine d’une institution valorisant ce qu’elle est censée condamner…

Oui, c’est-à-dire qu’il s’insurge contre ce que sont les grandes valeurs établies, les conteste, mais ne fait qu’exacerber ce qu’il critique. L’étymologie du mot contestation veut dire «témoigner avec». Le contestataire est dans le même champ que ce qu’il conteste. D’une certaine manière, il reste dans ce champ de l’universalisme et des Lumières, mais il l’applique à telle particularité: genre, peau, sexe etc.

Dans les mouvements de contestation anti-mesures Covid, on s’aperçoit également que la résistance tend à reproduire ce qu’elle dénonce.

Bien sûr, on est dans le même champ, comme je le disais. Mais si l’on reste sur les pratiques juvéniles – le fait est que je rencontre beaucoup de jeunes qui viennent me voir – eux ne s’inscrivent pas dans la contestation. Ils font un pas à côté. C’est plutôt cela qui me paraît important : ne pas adhérer, ne pas contester, mais se mettre à l’écart. De mon point de vue, cela représente bien les formes de résistance actuelles.


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Toute ma carrière, j’ai vu comment, sur 40 ans, les jeunes s’engageaient politiquement dans divers partis. Ces deux dernières décennies, il n’y a plus d’engagement politique. C’est ultra minoritaire. Mais en même temps, il n’y a pas d’adhésion à l’idéologie officielle. C’est ce que j’appelle le pas à côté. C’est une manière de ne pas se situer, ni pour, ni contre, mais «cause toujours, tu m’intéresses».

Une notion a été plus que jamais employée ces dernières années, c’est celle du «complotisme», dont vous parlez beaucoup dans votre livre.

C’est comme populisme ou communautarisme. C’est la forme contemporaine de l’Inquisition: au nom d’un dogme, on condamne. D’une certaine manière, L’Impertinent serait complotisme dans cette perspective. C’est une attitude de l’imposition du pouvoir, mais il est intéressant de voir comment ce qu’ils appellent le complotisme se diffuse. Les réseaux sociaux sont un élément du fait que l’on ne se reconnaît pas dans ce complotisme. Toutes ces notions ne sont que des formes paroxystiques d’un essai de domination théorique.

On va stigmatiser celui qui ne pense pas comme nous, qui ne veut pas se soumettre. A cet égard, il va y avoir de plus en plus de «complotismes», si on continue à employer ce mot qui ne veut rien dire, sinon qu’il traduit très précisément l’attitude inquisitrice qui régulièrement ressurgit. Le cléricalisme n’est pas mort. Il est actuellement le fait de personnes qui sont au pouvoir de diverses manières.

Vous avez été franc-maçon jusqu’à récemment. Pourquoi avoir quitté le mouvement et que représente-t-il aujourd’hui?

J’y suis rentré en 1972, à Lyon et je suis disciple du sociologue Gilbert Durand, qui était lui-même franc-maçon. Je suis rentré dans une loge qui était pour moitié anarchiste, ce qui reste ma tradition. Il y avait, au sein de ce Grand Orient, de cette obédience, des libres penseurs qui s’inscrivaient dans cette tradition anarchisante et libertaire qui continue à être la mienne. J’y suis resté tant que cette tendance avait droit de cité.

J’ai démissionné le 10 novembre 2022, parce qu’après deux ou trois ans de discussions avec les dignitaires de cette obédience, il n’était plus possible de penser librement. Ce qui a été amusant c’est que les critiques qui m’ont été adressées sont celles que j’ai citées dans L’ère des soulèvements: il ne faut pas accepter la muselière, les gestes barrières etc. Il y a eu un rapport contre moi disant qu’ils étaient obligés de se plier à ce qui est édicté par les injonctions étatiques. C’est ce qui m’a amené à prendre mes distances et à écrire un pamphlet très dur qui va paraître le 17 août et qui va faire pas mal de bruit je crois.

L’hygiénisme a donc contaminé même la franc-maçonnerie alors?

Bien évidemment, mais pas que! Je rappelle également dans L’ère des soulèvements que cela a été le cas également pour l’Église catholique. Les prêtres portaient le masque, un siège sur deux inoccupés, les distances à respecter, l’absence de contact, sans parler de l’eau bénite remplacée par du gel hydroalcoolique… Nous n’étions plus dans la logique catholique, mais dans cette espèce d’hygiénisme sanitaire et c’était pour moi pareil concernant la franc-maçonnerie.

A quoi sert la franc-maçonnerie de nos jours?

De mon point de vue, pas à grand-chose. Au XVIIIe siècle, elle était tout à fait en accord avec l’esprit du temps. Le Zeitgeist. C’est pour cela que ça marchait. Peu à peu, elle s’en est éloignée. Elle n’est plus en phase avec la post-modernité.

Dans mon livre précédent, Le trésor caché, lettre ouverte aux francs-maçons, je montrais qu’il y a des éléments qui peuvent être en phase avec la postmodernité dans le trésor franc-maçonnique. Non pas l’éducation, mais l’initiation. Non pas l’individualisme, mais la communauté, etc. Pour moi, ce sont les éléments importants qui vont prévaloir dans les jeunes générations.

Quand je suis entré en franc-maçonnerie, la moyenne d’âge était de 42 ans. Aujourd’hui c’est plutôt 65. Elle n’est plus en phase.

Quel pouvoir avait-elle?

Beaucoup de choses qui se sont élaborées à la fin du XIXe ont été concoctées dans ce qu’étaient les tenues maçonniques. De mon point de vue, ce n’est plus le cas. Ils n’impulsent pas, mais ils suivent. Il n’y a plus cette attitude prospective, mais une attitude de suivisme. Pour moi c’est une décadence.


"Le temps des peurs" est son dernier ouvrage en date.

Le temps des peurs, Michel Maffesoli, éditions du Cerf, 2023

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