Jean-Charles Biyo'o Ella

31 oct. 20205 Min

Quand la déforestation et l’exploitation minière menacent la vie des pygmées

Mis à jour : mars 29

Entre destruction de leur habitation, non indemnisation des dommages, perte de leur écosystème, changement de leurs modes alimentaires et déconnexion de leur système de vie, les peuples de la forêt sont à bout de souffle au Cameroun. Et pour cause, des agro-industries mènent de vastes opérations de coupe de bois et d’exploitation minière aux conséquences directes sur les communautés. Troisième et dernier épisode de notre reportage au Cameroun.

La déforestation a des conséquences graves sur les populations locales. © J-C. B.E

Dans l’arrondissement de Djoum, petite agglomération de 18'000 habitants située à la frontière avec le Congo Brazzaville, Marie Ba’ana ne passe pas inaperçue. La coordinatrice de l’ONG APIFED a fait de la défense des droits des Pygmées, dont la tribu Baka, son combat quotidien contre les abus des agro-industries, qui utilisent des nouvelles cultures comme arme de déforestation massive au Cameroun. Dans le département de l'Océan, à près de 300 kilomètres de l'industriel SudCam, une autre agro-industrie fait l'objet de vives critiques. Le français Socapalm (société camerounaise de palmerais) a détruit des milliers d'hectares de forêts pour la remplacer par le palmier à huile.

Idem pour Hevecam et SudCam pour l’hévéa. «Sud Cameroun hévéa (SudCam) a coupé le cordon ombilicale qui liait ces peuples à leur forêt», soupire la dame. «Celle-ci n’est plus la forêt des Pygmées, comme c'était originellement le cas au Cameroun, mais elle est devenue celle de SudCam. Quelle honte pour notre histoire, qui continue pourtant d’enseigner aux enfants que les pygmées sont des êtres humains qui vivent dans la forêt. Pouvons vraiment nous dire aujourd’hui que les Pygmées du Cameroun vivent encore dans la forêt?» s’interroge la défenseuse des droits de l’homme.

«Un acte qui viole fondamentalement les droits de ces peuples autochtones»

Pour comprendre cette indignation, il faut plonger dans la jungle tropicale camerounaise, théâtre des opérations des agro-industries. Parmi celles qui retiennent le plus d’attention de par le désastre causé se trouve la fameuse SudCam, l’acronyme de Sud Cameroun Hévéa. La filiale d’Halcyon agri, le géant mondial du caoutchouc, livreur de matière première des pneus Michelin et Bridgeton, entre autres, s’installe au Cameroun en 2008. A son arrivée, il acquiert du gouvernement 60'000 hectares de forêt primaire, soit trois fois et demi la superficie de Yaoundé, la capitale camerounaise.

En 2011, la multinationale engage les premières opérations de terrassement de la forêt. Selon Greenpeace, entre 2011 et 2018, elle a rasé plus de 10'000 hectares de forêt tropicale pour cultiver l’hévéa. «Un acte qui viole fondamentalement les droits de ces peuples autochtones, obligés de changer leur manière et méthode de vivre», pouvait-on lire dans le rapport de Greenpeace.

En outre, selon cette organisation non gouvernementale, au-delà de mener des activités néfastes pour le climat, Sudcam s’est implantée sur les terres des peuples autochtones Baka, lesquels ont été expropriés sans y avoir préalablement consenti, ni avoir reçu d’indemnisation équitable en contrepartie.


Lire le premier épisode: Comment les agro-industries privent les villageois camerounais de leurs terres


En effet, la législation camerounaise ne reconnaît que de manière très limitée les droits fonciers des populations autochtones et des communautés locales, dont les terres sont régulièrement cédées par le gouvernement.

De manière didactique, une étude a été établie sur les atteintes portées aux droits des peuples autochtones dans le cadre de l’implantation de Sudcam, en mettant en évidence les déplacements forcés des communautés baka de leurs terres traditionnelles, la destruction des ressources forestières dont elles dépendent pour leur subsistance, ainsi que la démolition des campements qu’elles occupaient au sein de la concession.

A écouter ces peuples, l’action des industriels les prive de leur pharmacopée traditionnelle. Ce qui a des conséquences systématiques sur leur santé. Les Pygmées Baka sont un groupe ethnique répandu dans les forêts tropicales du Cameroun, du Congo, du Gabon et de la République centrafricaine. Ce sont des personnes de courte taille, la plupart des adultes mesurant moins d’un mètre et demi. De façon traditionnelle, ils utilisent leur milieu naturel pour se soigner, ceci malgré le développement de la médecine conventionnelle.

Concrètement, les Pygmées utilisent des écorces d’arbre, des feuilles de plantes, des racines et des fruits de la forêt pour se soigner. Mais l’installation des sociétés a mis un terme à ce «système de santé» traditionnel. Avec la déforestation, explique un Pygmée, le climat change directement: «Nous sommes habitués à vivre sous les arbres, maintenant qu’il n’y en a plus, il fait chaud. Nos huttes ont été détruites. On est obligés de se balader dans la nature, sans repère». A cela s’ajoute «l’impossibilité pour nous de chasser et de pêcher. Si on enlève la chasse, la pêche et la cueillette à un Pygmée, il n’a plus de vie» témoigne le jeune André.

Cas de l’exploitation minière

A Betaré Oya, dans la région de l’Est Cameroun, l’exploitation de l’or est l’une des activités entretenues dans la zone par des sociétés étrangères d’une part, mais aussi part des locaux d’autre part, qui profitent des puits abandonnés par de grands exploitants. Seulement, cette exploitation ne se passerait pas dans le respect des normes environnementales requises, qui mettraient des populations à l’abri de tout danger, d’après la société civile camerounaise. Cette dernière souligne que les peuples autochtones sont les premiers exposés à cette exploitation.

Les populations exploitent de manière artisanale les sites miniers abandonnés par les sociétés. © J-C. B.E

Entre utilisation de produits toxiques, activités minières dans les cours d’eau, mauvaise gestion des déchets, non réhabilitation des sites après exploitation, non réalisation des études d’impact et non-paiement de la caution environnementale, les peuples autochtones de la région de l’Est Cameroun restent exposés à tout les dangers. Selon Dynamique mondiale des jeunes, l’une des organisations de la société civile camerounaise qui a mené cette étude, la fraude et la corruption de l’administration ont fait leur nid, au détriment des populations.


Lire le second épisode: Cours d'eau pollués et malades en série près des industries


Entre autres griefs évoqués, on note l’assèchement des zones humides à cause de l’utilisation de méthodes d’extraction ou de transformation très gourmandes en eau. Les déplacements de populations et la destruction des lieux de vie, au profit de l’installation du site d’extraction et/ou des infrastructures de l’usine de traitement. Les communautés autochtones dénoncent aussi la menace des sites sacrés, le harcèlement sexuelle des jeunes filles, les cas de viol puisque les l’exploitation minière drainent un flux élevé de travailleurs étrangers à proximité des communautés et le développement de problèmes économiques, de santé publique et de prostitution.

Mais les cas les plus préoccupants dans la région demeurent les accidents liés aux fosses abandonnées par les entreprises étrangères. Entre 2017 et 2018, au moins 50 personnes ont trouvé la mort dans des sites abandonnés. Selon les autorités, ces personnes ont été surprises par un éboulement, alors qu’elles cherchaient de l’or dans le trou abandonné par la société Chinoise d’exploitation minière LU et Lang.

Quelques images d'un village Baka. © Greenpeace


Les précédents épisodes de notre reportage au Cameroun:

Cours d'eau pollués et malades en série près des industries

Comment les agro-industries privent les villageois camerounais de leurs terres

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