Jean-Charles Biyo'o Ella

25 oct. 20205 Min

Cours d'eau pollués et malades en série près des industries

Mis à jour : mars 29

Alors que l’Etat encourage l’investissement étranger dans l’optique de lutter contre le sous-développement et la pauvreté, plusieurs multinationales sont accusées, aussi bien par la population que par la société civile, de ne pas respecter les normes environnementales et d’exposer les communautés aux risques des produits chimiques dangereux pour la santé. Deuxième épisode de notre reportage en direct du Cameroun.

Le cour d'eau polluée en question. © J-C. B.E

«Quand nous étions plus jeunes, c’était dans ce cours d’eau en face de la maison qu’on se baignait. On pouvait même boire de cette eau sans risque de maladies. Mais aujourd’hui, si je tente de vous la donner, vous tombez malade en moins de 15 minutes. La raison est simple: l’eau est souillée à cause des pesticides de cette société!» C’est par ces mots chargés de désespoir que le vieux Youbi, un patriarche de la ville de Mbandjock, dans la haute Sanaga Cameroun, exprime sa rage contre Sosucam.

«Je suis en colère parce qu’on a déjà trop parlé, ajoute-t-il, on s’est plaint auprès des responsables de la société et des autorités de la ville, nous sommes fatigués! On en a marre de la pollution et de ses maladies. Lavez-vous dans cette rivière qui nous a vus grandir. Avant le soir, vous aurez des boutons partout sur le corps.» Le vieillard profère ces accusations en s’appuyant, dit-il, sur deux arguments: la réalité du quotidien et des maladies enregistrées, ainsi que les résultats d’études qu’aurait menées le Centre Pasteur de Yaoundé, qui dispose de l’un des laboratoires les mieux équipés du Cameroun. Mais en jetant un coup d’œil dans la rivière en question, l’on y voit des vieux tissus, des bouteilles en plastique drainées par le cours d’eau et des déchets ménagers de tout ordre. Difficile d’établir exactement à quel niveau se trouve la responsabilité de l’industriel et à quel niveau se trouve celle des populations dans la pollution de ces eaux.

Les villageois lavent la pistache dans l'eau polluée. © J-C. B.E

Toutefois, comment en arrive-t-on à accuser la firme française être à l’origine de la pollution de l’environnement? Toujours selon les communautés riveraines, tout se passe lors des opérations d’épandages aériens, au cours desquels l’industriel utilise des engrais et des pesticides en grande quantité.


Le premier article de la série: «Comment les agro-industries privent les villageois camerounais de leur terre»


«Venez voir», lance notre interlocuteur, en nous conduisant derrière ses deux petites cases faites de paille. Il tient à nous présenter ce qui reste des trois séchoirs construits pour étaler du couscous – un aliment très prisé dans le pays – et du maïs. «C’est ici, sur ces étals, que nos épouses sèchent souvent les graines. Mais lorsque la Sosucam vient faire son épandage aérien, ces insecticides polluent toute notre nourriture. Puisque nous sommes entourés de plantations de canne à sucre. Et quand on mange de cette nourriture, on tombe malade», déplore-t-il.

Maïs et cacao sèchent dans la cour. © J-C. B.E

Nous poursuivons la ronde de la concession. A 50 mètres de sa case principale, il pointe du doigt: «Regardez, toute ma pépinière a été brûlée par ces pesticides.» Mais ce n’est pas tout, renchérit l’octogénaire, lorsque la société prépare la coupe de la canne, elle brûle le champ. «Nos villages étant situés à l’intérieur des plantations, nous nous retrouvons exposés à la chaleur extrême pendant des heures, nous inhalons la fumée et la cendre des feuilles de canne. Et tout cela nous rend malades», déplore encore cet ancien fonctionnaire de l’administration camerounaise.

Des accusations graves que le personnel médical de la zone semble confirmer à demi-mots, sans pour autant vouloir se prononcer ouvertement. «On ne badine pas avec ce grand voisin», souffle ironiquement un agent de santé dans sa blouse blanche. Au centre médical d’arrondissement de Nkoteng, l’une des trois villes sur lesquelles sont étalées des plantations de la multinationale française, l’infirmier principal du coin, Ngo’o Betye, affirme enregistrer un nombre élevé de maladies cardio-vasculaires. S’il ne confirme pas que ces dernières sont directement liées aux activités de la Sosucam, il reconnaît que «puisque la ville est entourée de champs de canne, les grains de pollen peuvent être des éléments déclencheurs des cas d’asthme; ou de bronchites qui apparaissent ici.»

Le centre de santé de l'arrondissement de Nkoteng, qui accueille les malades. © J-C. B.E

«De plus, poursuit ce soignant, si on ne peut pas affirmer que ce sont les pesticides utilisés par Sosucam qui sont à l’origine des maladies, on peut toutefois affirmer qu’ils constituent des corps étrangers susceptibles de dégrader l’organisme, ouvrant la voie à plusieurs pathologies respiratoires comme la tuberculose, entre autres. Et ces cas, nous les recevons fréquemment ici, surtout en période de coupe de canne», précise l’agent de santé.

Version de l’accusé

«Avant Sosucam, la vie était presque impossible dans ces villes, il y a quelques années», se vante l’agro-alimentaire à travers son patron de la responsabilité sociétale. Sur les accusations de pollution, Wenceslas Noubi Fowo explique qu’il s’agit des tristes expériences du passé. Que ce vent de la tourmente est désormais derrière la société, aujourd’hui appelée à regarder vers l’avant. «Aucun villageois honnête ne peut vous dire que le conflit lié à la pollution de ses vivres a perduré ces dernières années. Avant de procéder aux épandages, nous prenons soin de contacter des chefs traditionnels pour qu’ils passent, maison par maison, transmettre le message à toute la communauté sur le jour exact auquel nous procédons au pompage des insecticides. Et si jamais il y a une petite erreur, nous la faisons payer par le prestataire qui s’occupe de cet épandage.»

En 2010, l’ONG française, Les Amis de la Terre, avait décerné le prix Pinocchio à Sosucam. Un prix en réalité ironique, pour dénoncer le désastre environnemental et sociétal lié aux activités menées au Cameroun par cette société française. Ceci après un appel urgent lancé par l’ONG Peuples solidaires pour dénoncer les conséquences environnementales et humaines des milliers d’hectares de cannes à sucre de Sosucam.

Le site de la fondation Sosucam. © J-C. B.E

Il existe au Cameroun plusieurs sources ponctuelles de pollution industrielle. Mais si l'on considère le pays dans son ensemble, les principaux problèmes de pollution des eaux semblent surtout dus à l'absence de mécanismes de transformation de la part de ces agro-industries. Le cacao et le café, le palmier à huile et l’hévéa restent les cultures qui utilisent le plus de pesticides.

Au Sud du pays, les populations riveraines de l’usine Sud Cameroun Hévéa (SudCam), filiale d’Halcyon Agri, le géant mondial du caoutchouc, se plaignent elles aussi des mauvaises odeurs issues de la plantation d’hévéa. Elles font un curieux rapprochement: «Depuis l’arrivée de SudCam, nous nous sommes rendu compte qu’il y a beaucoup de maladies dans le village.» Des accusations difficiles à vérifier auprès des sources plus ou moins neutres. Mais l’ONG Greenpeace dénonce depuis des années l’action de cet agro au sein de la forêt équatoriale et ses conséquences à long terme dans la nature.

Quant à SudCam, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

Toutefois, dans une étude menée en 2019 par CAWHFI avec l’appui de l’Unesco et de l’Union Européenne, sur l’impact des activités agro-industrielles de Sud Cameroun Hévéa sur le site du Patrimoine mondial de la réserve de la faune du Dja au Cameroun, le document relève que l'usinage engendre «la pollution (acide formique, ammoniaque) et des déchets, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre».


Le précédent épisode du reportage au Cameroun:

«Comment les agro-industries privent les villageois camerounais de leur terre»

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