Michael Wyler

26 déc. 20225 Min

Conséquences de la guerre en Ukraine: un vrai Nibor sed Siob!

Nous connaissons tous la légende de Robin des Bois, ce hors-la-loi au grand cœur qui détroussait les riches pour donner aux pauvres! Et bien, un Nibor sed Siob, c’est un Robin des Bois inversé et c’est que nous sommes en train de subir. Explications.

© iStock/Pixabay

Depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, il y a dix mois, quelque huit milliards de «pauvres» sur terre se font détrousser pour donner leurs sous à quelques riches. C’est le Hold Up du Millénaire», le plus gros transfert de richesses jamais réalisé dans l’Histoire et bien un Robin des Bois à l’envers!

Car les quelques francs, euros, dollars, pesos, roupies, nairas ou reals de plus que chacun d’entre nous doit trouver pour se nourrir, se chauffer, se soigner, se transporter, etc. ne disparaissent pas dans la nature: ils vont tout droit dans la poche d’un très petit nombre de profiteurs: Etats, entreprises et individus.

A qui profite le crime?

Imaginez un instant que vous être propriétaire du Qatar ou de l’Arabie Saoudite (ce qui est le cas des familles régnantes de ces émirats et royaumes). Vous gagnez déjà super bien votre vie avec un pétrole qui se vend à 60 francs le baril, puisque vous en produisez quelques millions par jour.

Et là, du jour au lendemain, boum! Sans que vous ayez à bouger le petit doigt, votre pétrole se vend 30 francs de plus par baril. Pour un pays comme l’Arabie Saoudite, qui en produit quotidiennement plus de 11 millions, c’est tous les jours 330 millions de francs de bénéfice supplémentaire!

La production mondiale étant de l’ordre de 100 millions de barils/jour, les producteurs engrangent quelque trois milliards de francs de bénéfices supplémentaires chaque jour. Ne pointons toutefois pas le doigt sur les pays du Golfe, car s’ils profitent bien du conflit, ils n’en sont pas la cause. Et là, il convient de tourner (discrètement) le regard vers les Etats-Unis, incontestablement, le plus gros gagnant de cette guerre.

Illustration: au cours du 3ème trimestre 2022, Saudi Aramco a engrangé un bénéfice de 42 milliards, ExxonMobil de 20 milliards, Chevron de 11 milliards, Shell de 9,5 milliards, BP de 8 milliards et Total de 6,5 milliards. Des bénéfices en hausse de plus de 20%.

Ces milliards engrangés le sont grâce à nous tous. Ces Etats et entreprises ont fait de nous les otages de leur cupidité et nous détroussent, comme Robin des Bois détroussait naguère les riches.

Quant aux Etats-Unis, outre le fait que ce conflit leur permet de renforcer leur rôle de suzerain de l’Europe et de mettre certains de leurs vassaux au pas, ils se retrouvent sur la plus haute marche du podium des «championnats du monde de la démocratie», et offrent à leurs 330 millions d’habitants un miroir déformant et flatteur, idéal en période d’incertitudes économiques.

Lecteur assidu des fables de la Fontaine, le président de l’Ukraine, M. Zelensky, sait bien que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Il ne s’est donc pas privé, lors de son récent passage à Washington, de rappeler que la victoire absolue du peuple américain face à la barbarie nazie était due «à sa droiture spirituelle» (oubliant le rôle majeur de l’URSS) et de chanter les louanges de ces USA, « garants de la démocratie et de la sécurité dans le monde».

Drapés de l’aura de «leader du monde libre» (sic), les Etats-Unis ont imposé des sanctions envers la Russie, nous prenant à la gorge, tout en devenant le plus gros producteur de pétrole au monde, loin devant le n°2 qu’est l’Arable Saoudite et sont devenus le 2ème exportateur mondial de gaz, offrant ainsi un avenir radieux à son complexe militaro-industriel.

D’ici fin 2022, l’’aide américaine à l’Ukraine – essentiellement du matériel militaire – aura dépassé 100 milliards de dollars ce qui assure quelque 2 millions d’emplois aux Etats-Unis et permet d’engranger de belles recettes fiscales. Ainsi, le budget du Département de la défense, déjà considérable, augmentera de 8% en 2023 pour atteindre 858 milliards de francs.

Dieu que la guerre est belle!

Si cette guerre a, jusqu’à présent, coûté des dizaines de milliers de vies et plus encore de blessés aux belligérants, elle aura aussi coûté quelque 2000 milliards de francs en avions, bateaux, chars, armes, bâtiments et installations détruits. Des chiffres tellement énormes qu’on peine à se les représenter. Pour se faire une idée: la valeur de construction assurée de l’ensemble des bâtiments suisses représentait 2800 milliards de francs!

Autre façon de visualiser la chose: même s’ils n’étaient pas pauvres avant la guerre, les 10 milliardaires les plus riches du monde ont une fortune totale de 1300 milliards de francs et d’une certaine façon, nous sommes tous leurs otages.

Pour les producteurs d’armes, la guerre en Ukraine est déjà en soi une bénédiction. Mais il y a mieux encore: la «panique» provoquée par l’invasion russe a amené nombre de pays à augmenter considérablement leurs budgets militaires. Allemagne, France, Italie, Suisse sans même parler de Taïwan, de l’Arabie Saoudite et d’autres passent des commandes se chiffrant en milliards.

Pas le temps de se frotter les mains chez les principaux fabricants, tant les commandes sont importantes. Chez les quatre plus gros producteurs que sont Lockheed Martin, Raytheon, Boeing et Northrop Grumman, américains par le plus pur des hasards, les chiffres d’affaires – et les bénéfices – ont doublé. Il en va de même pour les fabricants européens.

Qui paie pour tout cela? Nous tous. A travers impôts, taxes et augmentation de coûts des matières premières, énergétiques notamment.

Les questions à (ne pas se) poser

Allergique aux théories de conspiration et aux experts autoproclamés qui ignorent les faits qui ne collent pas à leurs opinions, je me pose néanmoins des questions.

Vu les profits qu’ils en tirent (financièrement et politiquement) les Etats-Unis ont-ils simplement saisi une opportunité qui se présentait à eux (l’agression de la Russie en février 2022) ou ont-ils contribué à la créer?

M. Poutine est-il un sociopathe complètement à côté de ses pompes, qui mal conseillé par des courtisans corrompus – ignorait qu’il ne gagnerait pas facilement la guerre (ce que nous savions tous, évidemment…) ou un grand stratège qui a trouvé un moyen simple et efficace d’affaiblir l’Europe, paniquée par la crainte de manquer d’énergie et dont la population paie cher les sanctions made in USA? Ou les deux?

La guerre que mène la Russie lui coûterait, dit-on, 500 millions de francs par jour. Or, en novembre 2022 (pour prendre un exemple récent), la Russie aurait vendu en moyenne pour 727 millions de francs par jour notamment de pétrole et de gaz, plus qu’avant l’invasion de l’Ukraine et les sanctions.

Autre question: les dirigeants des pays membres de l’Union européenne sont-ils réellement d’innocentes brebis apeurées ayant couru se réfugier dans les jupes de tante Sam? Ou ont-ils joué à l’être, histoire de pouvoir écraser les oppositions internes (genre gilets jaunes) et mobiliser leur population dans un grand élan de solidarité avec les réfugiés ukrainiens? Dans son œuvre Le Prince, Machiavel nous apprend que la peur – et un ennemi commun sont de magnifiques instruments de contrôle d’une population.

En clair: nos politiques sont-ils (pour la plupart) des bobets, moutons de Panurge, qui ne se posent pas la moindre question ou des opportunistes attachés au pouvoir et favorisant par leur politique, des entreprises qui le leur rendront bien un jour?

Vu les problèmes que ces hausses de prix entraînent pour les plus démunis de la planète, je me demande si les chefs d’entreprises dans la pharma, l’énergie, l’armement et la finance (notamment) et leurs conseils d’administration sont de braves gens un peu gênés de gagner autant d’argent ou d’affreux cyniques pour lesquels seuls comptent les profits et leur bien-être personnel.

Enfin, dernière question: lors de son récent voyage à Washington, M. Zelensky a affirmé que la paix n’était pas pour demain et qu’elle ne serait acceptable et juste que si l’Ukraine recouvre la totalité de son territoire. Et donc, combien de temps aurait duré et durerait cette guerre sans l’aide massive, matérielle et logistique, des pays membres de l’OTAN qui, officiellement, ne sont pas partie au conflit?

Rien de neuf sous le soleil. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter la chanson Masters of War de Bob Dylan (ou d’en lire les paroles). Composée il y a 60 ans, elle n’a rien perdu de son actualité.

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