Amèle Debey

5 déc. 20214 Min

A Stockholm, la pandémie a accéléré la digitalisation de la société

Mis à jour : mars 29

Sous ses allures de vieille tante européenne, la capitale suédoise est à la pointe de la technologie. Le pays nordique ambitionne de devenir «le meilleur au monde dans l’utilisation des opportunités créées par la digitalisation». Rien que ça! Mais vu ce qu’il se passe à Stockholm, où l’argent liquide a pratiquement disparu au bénéfice, notamment, des micropuces sous-cutanées, on peut se dire qu’il n’en est pas loin. Troisième et dernier volet de notre reportage en Suède.

© DR

«Ah zut, tu as retiré du cash? J’aurais dû te dire que ce n’était pas la peine.» A mon arrivée de l’aéroport, Charlotte, mon hôte provisoire, m’informe, le plus naturellement du monde, de la disparition de l’argent liquide dans la capitale. Incrédule, je l’interroge et nous nous mettons à faire la liste des endroits où on peut encore payer avec «du vrai argent» à Stockholm. Seuls les supermarchés lui viennent à l’esprit.


 
Lors de mes journées de pérégrination dans les rues de la ville, j’ai eu l’occasion de m’apercevoir qu’elle disait vrai. Dès que vous entrez quelque part, demandez immédiatement si vous pouvez payer en cash, car personne ne vous informera du contraire, tant la pratique est entrée dans les mœurs. Pour faire un tour de manège à Gröna Lund, sur l’île de Djurgarden, il faut réserver sa place à l’avance sur internet. Pas la peine d’essayer de faire ça sur place, face aux employés du parc d’attractions. Ils vous renverront à votre smartphone. Selon des observateurs locaux, la disparition du cash permet d’endiguer les braquages. Et l’utilisation constante d’un QR code facilite la vie quotidienne.
 

Fleuron de l’innovation


 
«Le pays scandinave porte le titre de pays le plus innovant d’Europe et Stockholm n’est qu’au deuxième rang mondial derrière la Silicon Valley pour ce qui est du nombre de pôles technologiques par habitant», rapporte Business France. En 2017, le gouvernement a créé le Conseil national suédois de la numérisation, avec pour objectif que la Suède soit la meilleure au monde pour exploiter les opportunités créées par la numérisation. «La stratégie repose sur cinq objectifs intermédiaires: la compétence numérique, l'innovation numérique, la sécurité numérique, l'infrastructure numérique et la gestion numérique», peut-on lire sur le site.


 
Si la Suède était déjà bien partie dans la course vers le sommet de la high-tech, la crise Covid a fait l’effet d’un coup d’accélérateur.


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La pandémie a-t-elle accéléré la digitalisation de la société? «Absolument, selon Kevin Munro, directeur d’une école municipale de Stockholm. Beaucoup d’établissements scolaires avaient prévu de se digitaliser davantage, mais n’avaient pas les moyens de le faire pour diverses raisons. Désormais, tout est ouvert. Et il sera intéressant d’observer ce qui va se passer maintenant.»

Kevin Munro © A.D

«Je pense que la pandémie a vraiment accéléré l’utilisation d’internet, de l’enseignement à distance, ajoute le principal. En particulier avec les élèves qui ont de la peine à venir à l’école. Qui, même avant le Covid, étaient diagnostiqués avec de l’anxiété et de la phobie sociale. C’est une notion qui a fait son apparition en Suède ces dix dernières années. Nous les appelons les home sitters. Nous ne savions pas vraiment quoi faire avec ces élèves. Ceux-ci ont bien vécu la pandémie, parce qu’ils pouvaient rester chez eux. Donc nous allons continuer à pratiquer l’enseignement à distance comme stratégie avec ces enfants. C’est un problème grandissant en Suède.»


 
Comment ça marche? Les professeurs se connectent sur Google Meet et interagissent simultanément avec les élèves présents et ceux qui sont derrière leur écran. Selon Kevin, cela fonctionne très bien. Il confie cependant que les enseignants font contre mauvaise fortune bon cœur, car ils préfèrent les cours à distance au décrochage scolaire.


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Lors de la réalisation de cette interview, le 28 octobre, Kevin avait toujours quelques élèves qui suivaient les cours à distance, mais pas à cause du Covid. «C’est une des alternatives que nous avons trouvée à la phobie sociale, mais le but est toujours de pouvoir avoir les élèves en présentiel.»


 
Nicole McDonald, qui dirige elle aussi une école de Stockholm, tient le même son de cloche: «Je pense que beaucoup de gens, peu importe l’âge, sont devenus plus compétents à utiliser la technologie pendant la pandémie. Parce que, tout d’un coup, tout le monde s'est mis à utiliser Facetime, ou les appels vidéo de Whatsapp, en particulier les personnes âgées, pour qui il était important de conserver un lien avec leur famille.»

Son pass dans la peau


 
En Suède, on a tellement l’habitude de dégainer sa carte de crédit ou son smartphone dans ses interactions avec les autres, que le passage aux micropuces sous-cutanées s’est fait en douceur. Depuis 2018, de plus en plus de Suédois acceptent – et même désirent – se faire poser ces puces comme substitut à leur porte-monnaie ou leurs clés. Selon le média local Aftonbladet, le recours aux micro-puces a explosé récemment avec l’annonce du gouvernement d’instaurer le pass sanitaire lors d’événements publics de plus de 100 personnes. Selon le tabloïd, environ 6000 personnes en Suède se sont fait greffer une puce dans la main. Ce qui n'est que délire complotiste chez nous n'est pas perçu de la même manière là-bas.


 
Dans le tram, un jeune homme fait la manche, un vieux Nokia 3310 à la main, comme une incise temporelle dans les années 2000. Si tout échange commercial de biens se fait à l’aide de son smartphone ou de sa carte de crédit, les services aussi sont désormais promulgués derrière un écran. Dans le métro, une publicité pour une séance de psy virtuelle trône au-dessus des vitres. Une pratique qui avait lieu avant même que la pandémie nous force à limiter nos contacts sociaux.

© A.D


 
Prise dans sa course effrénée à la numérisation globale, la Suède n’a donc pas aussi mal vécu la crise Covid que certains autres pays d’Europe. Et sa gestion mesurée des différentes vagues n’est pas la seule explication à cela. Reste à savoir dans combien de temps le reste du monde lui emboîtera le pas.

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