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«Doucement mais sûrement, je redeviens fréquentable»

Dernière mise à jour : 22 juin 2023

Difficile de trouver une personnalité plus clivante que l’humoriste Dieudonné. Plusieurs fois condamné pour incitation à la haine, injures raciales, ou encore négationnisme, il est officiellement persona non grata en France tout autant qu’en Suisse. Récemment, le trublion a présenté ses excuses à la communauté juive. Ceux qui ne doutent pas de sa sincérité s’interrogent: pourquoi maintenant? Dans quel but? Et quel regard porte-t-il sur une carrière agrémentée d'outrances et de provocations plus ou moins maîtrisées? Entretien.

© YouTube


Amèle Debey, pour L’Impertinent: Que faites-vous en ce moment? Montez-vous toujours sur scène?

Dieudonné M’bala M’bala: Oui, oui. Avec un spectacle qui s’appelle Foutu pour foutu. C’est un spectacle extraordinaire, car il a commencé dans la vie réelle et non pas sur scène, avec Jean-Marie Bigard. Puis, avec Francis Lalanne. Aujourd’hui je joue ce spectacle tout seul, mais normalement il était prévu à plusieurs.


Que s’est-il passé?

Jean-Marie Bigard avait envie de faire un spectacle avec moi, il y a de cela un an. Il m’a appelé et je lui ai répondu tout à fait favorablement. J’ai donc écrit ce spectacle. Puis il y a eu tout un tas de pressions autour de Jean-Marie pour ne pas faire ce duo et il s’est trouvé obligé de renoncer.


Francis Lalanne m’a dit que cela l’intéressait. Avec lui, le spectacle aura un autre titre. Il s’appellera La cage aux fous et il devrait commencer le 7 avril, en fonction des décisions de justice. On a loué une salle, mais il y a encore des pressions politiques pour que je ne puisse pas jouer.


Francis Lalanne a annoncé une représentation au Cirque d’Hiver, mais celui-ci a démenti sur Twitter. Qu’en est-il?


Le Tribunal de Commerce doit trancher le 28 mars et notre avocat dans cette affaire (maître Emanuel Ludot) paraît assez confiant. Il y a un document signé par la production et un acompte versé.

Etes-vous interdit de monter sur scène?


Non, mais il y a encore quelques résistances dans la sphère politique, des personnes hostiles qui refusent l’idée de me voir réintégrer la scène humoristique française «officielle» et qui continuent à émettre des arrêtés d’interdictions. En Suisse, il y a une association qui m’est encore un peu hostile, mais j’espère que cela s’arrangera avec le temps.

La presse suisse disait récemment dans un article que vous aviez dû ruser pour monter sur scène à Genève. Louer la salle sous un faux nom.

Il se dit tout un tas de choses. En l’occurrence j’intervenais dans une conférence. La presse dit que je ruse, mais c’est très exagéré et pourquoi employer la ruse alors que j’ai parfaitement le droit de louer n’importe quelle salle de spectacle? Me refuser la location d’une salle c’est s’exposer à une procédure en justice, puisqu’il s’agit d’un délit que l’on nomme: «refus de vente». Pour contourner les pressions politiques et médiatiques, il faut parfois trouver un mode opératoire un peu différent.

Vous aviez donc loué sous un autre nom?


Non, je ne me prête pas à ce genre de pratiques. Mais si des gens organisent une conférence et m’y invitent, j’y vais. Cela me permet de rencontrer un public et d’éviter d’exposer les responsables de salles à des pressions. Parce que lorsque je repars, eux restent sur place et doivent répondre de leur choix de programmation.


Si ma présence irrite certains politiques, cela peut avoir des conséquences regrettables sur la suite de l’exploitation d’un lieu, comme les subventions, les aménagements publics, parkings etc. Ils risquent d’être embêtés et ce n’est pas l’objectif. Alors que là, les loueurs de salles sont protégés puisqu’ils ne me louaient pas à moi. Mais tout cela remonte à une période révolue puisque, doucement mais sûrement, je redeviens fréquentable.

En parlant de ça: est-ce que les excuses que vous avez formulées étaient destinées à apaiser les choses? Vous êtes-vous dit que vous en aviez marre de toute cette pression?

Cela faisait une vingtaine d’années que j’étais confronté à quelques associations communautaires. J’ai été condamné par la justice et j’ai subi une censure exceptionnelle. J’avais vraiment envie de sortir de cette confrontation ennuyeuse et stérile avec ces associations de la haine. Jusqu’à présent, je n’avais pas trouvé d’interlocuteur, puisque j’incarnais officiellement ce que la société a pu produire de plus abject. J’étais devenu le mal absolu: «l’antisémite». Alors qu’encore une fois, je considère que l’antisémitisme est une expression de la bêtise humaine. Le racisme représente pour moi un stade avancé de débilité profond. A la limite, cela pouvait devenir la matière première de mon rire, mais je n’ai jamais été dans ce «délire», va-t-on dire.


«Après les demandes de pardon, il faut s’inscrire dans une dynamique de réparation»

Donc je cherchais des interlocuteurs dans la communauté juive depuis des années, pour pouvoir leur expliquer ce que je suis en train de vous expliquer. Mais j’ai été catalogué comme l’un des plus virulents antisémites d’Europe, ce qui rendait toute rencontre compliquée. Et puis grâce à Francis Lalanne, j’ai pu rentrer en contact avec des Israéliens et c’est grâce à Israël Magazine que j’ai enfin pu expliquer le fond de ma démarche et présenter ma demande de pardon à ceux ou celles que j’aurais pu blesser.


Après la publication de cette demande de pardon, j’ai enfin pu m’expliquer et rencontrer des gens avec lesquels aujourd’hui je travaille pour lutter contre toutes les formes de racisme, quel qu’il soit.

Pouvez-vous comprendre que certaines personnes puissent voir dans vos excuses une énième provocation?

J’ai pu l’entendre. Ceux qui n’y croient pas, qui n’arrivent pas à y croire sont évidemment libres. Avec le temps peut-être…


Je n’ai pas d’intérêt à défendre des positions qui ne sont pas les miennes. Je n’ai jamais incité à la haine envers qui que ce soit. J’ai pu blesser, j’ai pu heurter des gens, aller dans une forme d’outrance et de surenchère en me laissant entraîner par la provocation de mes adversaires les plus fanatiques. C’est un fait et pour ceux qui ont été choqués, j’ai demandé pardon et cela me paraît tout à fait normal.

Mais après les demandes de pardon, il faut s’inscrire dans une dynamique de réparation. Essayer d’apporter ma pierre à l’édifice de la réconciliation. De la concorde.

Comment comptez-vous vous y prendre concrètement? Par quoi ça passe?

Grâce à des gens, justement. Des associations notamment juives qui sont ouvertes à ma démarche et qui ont envie de travailler avec moi. Nous verrons quelle forme cela prendra, cela devrait commencer par un débat. C’est souvent sur un malentendu que poussent les fleurs de la discorde. Je voudrais tenter à mon humble niveau d’aider les gens à communiquer. J’ai constaté que trop souvent le manque de communication pouvait engendrer des conflits sur la base de regrettables malentendus.


Par le passé, j’ai pu constater qu’il existait des tabous profonds, que même un humoriste ne pouvait pas aborder comme le sujet: «Israël/Palestine». On est tout de suite confronté à une sorte de chantage à l’antisémitisme alors que l’on doit pouvoir parler librement.

Vous êtes un personnage qui polarise beaucoup, pensez-vous vraiment être le mieux placé pour rétablir cette communication?

Justement. On ne peut pas faire la paix tout seul. Il faut bien le faire avec le «méchant». J’ai incarné ce personnage d’épouvantail dans le champ culturel. C’est à moi de construire la passerelle entre sioniste et antisioniste de France.

Ceux qui sont en charge de l’éducation et des médias ne sont pas parvenu à apaiser les tensions, bien au contraire. Peut-être faut-il parler autrement au peuple. Un peuple qui a la sensation d’être pris pour un con.

Dans votre lettre d’excuse, vous parlez de «gesticulation artistique». Ne pensez-vous pas que c’est le mélange entre démarche artistique et meeting politique qui a posé problème?

C’est ce que certains vont dire, je ne le pense pas. J’ai l’impression qu’il y a toujours une démarche politique, que ce soit de votre part en tant que journaliste, ou de celle de l’artiste qui monte sur scène. On exprime un point de vue, qu’on le veuille ou non. Même s’il est le plus large possible, le plus ouvert. Il y a un moment où il devient insipide s’il n’a pas de socle dans le raisonnement.

Selon moi, l’objectivité n’existe pas. On a tous un point de vue, un sens du bien et du mal. Moi je pense avoir le sens de l’humour, le sens du rire et j’utilise ce vecteur pour communiquer avec les autres. Aujourd’hui, je suis certain que ce vecteur du rire, de la dérision, de l’autodérision a un rôle très important à jouer dans une société sclérosée, sous tension et en guerre. J’essaie de faire mon travail et je vais continuer à le faire. Je ne peux pas rassurer les gens qui n’ont pas envie de l’être. J’ai envie de leur dire «regardez ce que je vais faire et jugez en fonction de ce qui va être fait et dit».

En 2006, vous aviez accordé une interview à Frédéric Taddeï dans Ce soir ou jamais, lors de laquelle vous aviez notamment déclaré que «l’humoriste est le baromètre de la liberté d’expression». Pensez-vous que ce soit toujours possible à notre époque? Car on a souvent l’impression que cette liberté d’expression s’amenuise, en particulier ces derniers temps.

C’est vrai que beaucoup d’humoristes se plaignent aujourd’hui de ce cadre de plus en plus restreint dans lequel ils évoluent. Je plains la nouvelle génération qui arrive et qui n’ose plus.

Or, la matière première du rire ce sont tous ces tabous, tous ces nœuds dans la société qu’il nous faut dénouer avec un peu de recul, de hauteur… de dérision. C’est vrai qu’on est dans une société où tout est pris au sérieux de manière excessive selon moi. Encore une fois, je prêche pour ma paroisse qui est celle de l’humour, du rire. Je suis un pèlerin de la farce et j’espère pourvoir accomplir mon devoir, mon sacerdoce encore longtemps. Mais ça devient très, très délicat effectivement. Les gens se prennent tellement au sérieux.


«Le débat sur le genre est un débat de civilisation qui nous est confisqué par des élites autoproclamées»

J’ai vu qu’en Suisse vous étiez très préoccupés par les questions ayant trait au genre. La Suisse semble s’être fixé une mission avang-ardiste de libération des genres. C’est passionnant pour le clown que je suis d’être face à un sujet quasi religieux qui incarne toutes les valeurs démocratiques du moment. Le nouveau sujet sur lequel il est interdit de rire. C’est pour moi l’un des sujets les plus amusants sur lequel il est urgent de le faire. Dans le respect des souffrances de chacun, évidemment.


Le débat sur le genre est un débat de civilisation qui nous est confisqué par des élites autoproclamées qui ont perdu tout sens de la réalité.


En ce moment, ils ne savent même plus comment gérer cette situation schizophrénique de la quête de liberté à géométrie variable. Cette situation où on ne peut plus rien dire, on ne peut plus parler, on ne peut plus donner son avis sans être taxé de tout ce qu’on veut.

On entend souvent que le «on ne peut plus rien dire» est la phrase des «vieux cons» qui regrettent que «c’était mieux avant».

En tout cas le fait est que l’on ne peut pas discuter, rigoler des sujets qui nous faisaient rire, qui nous font rire, tout en étant extrêmement graves et douloureux.

Par exemple, j’ai un personnage de transgenre: c’est un sujet délicat, qui renferme beaucoup de souffrances. Mais l’idée pour moi est de transcender toutes ces douleurs par le rire. Ceux qui ont la haine des trans sont aussi risibles que ceux qui hurlent à la transphobie, ils ont tous deux leur place dans mon cirque.

Là, j’ai entendu parler récemment de gens qui étaient dans la «détransition», c’était passionnant et j’ai très envie de travailler avec eux sur un sketch. Eux aussi souffrent de la situation. Des parents qui conseillent à leur enfant de 12 ans de réfléchir avant de transitionner, c’est déjà de la transphobie. Il faut quand même essayer d’installer une sorte de sérénité dans ce débat. Et je pense que le rire – en respectant tout le monde – est le meilleur moyen. Il y a des phases de transition entre un homme et une femme qui sont drôles. Même eux arrivent à rire d’eux-mêmes.

N'êtes-vous pas tout de même à nouveau en train de vous foutre dans la merde?

C’est vrai. Mais j’ai l’impression de faire mon travail.

Selon le dessinateur Xavier Gorce, l’humour s’adresse à l’intelligence et pas à l’émotion. Mais il semblerait que tout le monde ne soit pas d’accord là-dessus…

Oui, c’est vrai. Mais je pense que la meilleure façon de vivre ensemble est de réussir à se faire rire. Et le premier devoir de l’humoriste c’est l’autodérision. Il faut être capable de rire de soi. A partir du moment où on a travaillé là-dessus, on peut rire de beaucoup de choses.

Encore une fois, c’est indispensable. C’est bien parce que les gens se prennent beaucoup trop au sérieux que l’on en est là aujourd’hui.

J’ai vu que certaines personnes me traitaient de transphobe à cause de mon sketch, mais je m’interroge. N’est-ce pas de la transphobie? Que de me refuser à moi aussi la possibilité d’incarner ce personnage? Ne le suis-je pas au moment où je le fais? C’est une vraie question que je me pose: n’est-ce pas transphobe de me traiter de transphobe quand j’ai une perruque sur la tête?


«Le droit à la dérision et à la caricature est indispensable»

La plupart des comédiens qui incarnent un personnage sur scène, parviennent à devenir ce personnage au moment où ils le font. C’est donc de l’autodérision lorsqu’ils s’amusent à faire rire avec leur souffrance. Comment peut-on critiquer cette démarche? J’aimerais que l’on puisse respecter mon genre mon genre à moi qui est d’être un clown. J’ai parfois envie de crier «laissez-moi vivre, laissez-moi rire de ce monde! Respectez le rire de l’autre même s’il vous dérange».


Le droit à la dérision et à la caricature est indispensable. Cette dictature qui nous est imposée aujourd’hui, cette vénération du mouvement LGBT génère une forme d’exclusion de ceux qui ne se sentent pas comme faisant partie de ce mouvement.

Je comprends qu’il y ait des gens qui souffrent dans le mouvement LGBT et qui se regroupent pour se défendre, mais ça ne peut pas être aussi agressif. Je pense que le rire a un rôle à jouer à ce moment-là.

Est-ce que s’associer avec tous ces mouvement-là n’est pas renier vos principes anticommunautaristes?

Non, justement. Comme je ne fais pas partie de cette communauté et que je suis dans une démarche de réconciliation, je trouve important d’ouvrir un débat et de «décommunautariser» le sujet. Il n’y a pas que les LGBT qui ont le droit de parler des LGBT, pas que les juifs qui ont le droit de parler des juifs, ni les noirs des noirs, etc.

Mon idée est de parler du rire. De savoir quelles sont les limites que chacun autorise au rire. Quand on m’a condamné pour «j’ai chaud à la tête devant le barbecue», par exemple. Pourquoi? Est-ce que j’ai réellement blessé des gens? Je veux comprendre.

Pour moi ce n’était pas irrespectueux envers les personnes ayant souffert de l’holocauste. A aucun moment je n’ai voulu blesser ces gens-là. Et si tel a été le cas, une fois encore je m’excuse.

Maintenant, les leçons de morale que l’on impose à l’école sur ce thème sont également un sujet de comédie. Tout ce qui touche à la souffrance unique, c’est à se tordre de rire. On va expliquer à un noir, ou à une femme violée qu’il existe une souffrance au-dessus de toutes les autres souffrances. C’est abject, c’est absurde, c’est immonde. C’est ce que j’ai combattu. Mais pas en essayant de minimiser, ni de ridiculiser la souffrance des autres.

Peut-on dire que ce qui vous a amené à cette position très polémique tout au long de votre parcours est une espèce de surenchère?

C’est ça. J’ai été agressé à plusieurs reprises en Martinique par des gens de la communauté juive qui ont été jugés et incarcérés. C’est arrivé à Paris également. Puis des associations, plutôt que de me taper dessus, ont tenté de me faire des procès, de me ruiner économiquement. Une autre technique, agressive aussi, dont je ne suis pas le seul à avoir subi les effets. Énormément de monde a quitté la France victime de ce chantage à l’antisémitisme.


Mais aujourd’hui je n’en suis plus là. Pour moi le plus important est de poursuivre mon chemin de pèlerin de la farce et de faire rire le plus grand nombre, à commencer par les membres de la communauté juive… il va falloir que je sois bon.

N’était-ce pas ça LE piège: à force de parler de ça, vous avez fini par vous enfermer vous-même dans ce sujet-là?


Sûrement, mais je n’étais pas le seul connard de l’histoire. J’ai traité des sujets sensibles, je l’admets, face à des gens pas drôles.

Tout comme ce qui touche aux LGBT. Finalement vous vous attaquez toujours aux trucs les plus casse-gueule?

N’est-ce pas le rôle de l’humoriste d’être sur les sujets les plus sensibles, les plus sérieux? Parce que le rire est indispensable quand la société se prend trop au sérieux. C’est ce que j’essaie de faire. Maintenant, je constate que c’est devenu quasiment impossible.

Ce personnage vous a défini pendant tellement longtemps, n’avez-vous pas peur des conséquences de ce que certains définissent comme une trahison? Je pense notamment à Alain Soral, qui a déjà réagi en ce sens. Le juste milieu n’est pas une position très populaire…

En demandant pardon aux gens que j’ai pu blesser dans des sketchs, je trahirais qui? De véritables antisémites? Ils n’auraient pas compris que je ne l’ai jamais été. Je dois dire que je me préoccupe peu des gesticulations des autres. Je suis concentré sur les miennes, afin de ne pas me casser la gueule.


J’ai toujours dénoncé la compétition victimaire et la hiérarchisation des souffrances. Cela me paraissait amusant. Le travail que j’ai fait, je le comprends: voilà ce que j’ai critiqué et dénoncé. Mais je n’ai jamais dit que ça n’avait jamais existé.

Pour parler d’Alain Soral, le fait est qu’il est chez vous, en Suisse. Le fait qu’il ait fui la justice française le rend peu crédible aux yeux de ceux qui continuent à subir les pires injustices en France. Personnellement, j ai décidé de rester en France et d’assumer jusqu’au bout. Je suis resté à la disposition de mes juges contrairement à lui. Donc nous ne sommes pas du tout dans la même situation. La justice me convoque, j’y vais. Elle veut m’incarcérer, elle peut le faire. Alors que lui s’est extrait de cette problématique par peur et par fatigue.

Venons-en à l’Afrique et plus précisément au Cameroun. Avez-vous pour projet de vous y installer durablement?

Oui, tout à fait. Ma retraite et ma fin de vie je les imagine là-bas.

Lors d’un reportage au Niger, j’ai rencontré des observateurs de la politique actuelle qui dénonçait une «néocolonisation plus grave que la précédente». Qu’en pensez-vous?

Nous sommes pieds et poings liés aux intérêts économiques de la France dans cette zone CFA. Mais l’Afrique retient son souffle face à la guerre en Ukraine. Tout le monde attend de voir ce qu’il va se passer: le maître occidental est dans une bien piètre posture. C’est comme ça que c’est perçu en Afrique, où la plupart des gens sont pro-Russes.

Personnellement, j’observe la situation. Etre pro-Russes, c’est être pour la guerre aussi. Ce qui n’est pas mon cas. Mais je comprends qu’il y ait un ras-le-bol et l’image de la France est désastreuse. C’est une détestation absolue de ce drapeau français. Je dois dire que je le comprends.


«Ce qui m’est arrivé l’a été en partie parce que je suis un homme noir»

Je le regrette parce que j’aime profondément les Français et la culture française, la plus belle culture du monde. J’aime les gilets jaunes, les antivax, le peuple français est un peuple extraordinaire dirigé par des assassins. Pour les Africains, l’assassinat par la France de Mouammar Kadhafi a parachevé la destruction de l’image française en Afrique. Il était le dernier grand roi d’Afrique pour la plupart des Africains. Il était vraiment aimé du peuple. C’était l’un des artisans de l’Union africaine.

Il ne faut pas oublier que la première visite de Nelson Mandela à sa sortie de 27 années de prison est à Tripoli, pour remercier le colonel Kadhafi de l’avoir aidé et soutenu pendant toutes ces années d’apartheid. Kadhafi c’est l’anti-Occident.

Quelles issues de la guerre en Ukraine sont particulièrement attendues?

Si la Russie parvenait à gagner cette guerre, cela signerait la fin d’une époque et le début d’une autre dans laquelle la Chine et la Russie deviendraient les nouveaux partenaires privilégiés du continent, de toutes les matières premières.

La France avait une carte à jouer dans les années 2000, mais aujourd’hui c’est foutu. Le partenaire chinois est bien plus efficace. Et puis avec lui c’est gagnant-gagnant.

Pour beaucoup d’Africains, le rapport avec la France a été désastreux. L’homme noir a été méprisé et abusé. Je ne peux pas dire le contraire. C'est encore bien présent et se ressent aux Antilles ou en Kanaky.

Je pense même que ce qui m’est arrivé l’a été en partie parce que je suis un homme noir. Le vilain nègre doit être lynché en place publique pour faire peur aux autres. On a condamné mon rire alors que Charlie Hebdo a fait une Une me représentant avec un cerveau de singe. Ce racisme, il existe.

Pourquoi serait-ce du racisme quand cela vient de Charlie Hebdo et de l’humour quand cela vient de vous?

C’est du racisme à partir du moment où moi je n’ai pas le droit à la même liberté d’expression. Charlie Hebdo n’a jamais été condamné, jamais été interdit et moi si. Quelle différence entre eux et moi?


Vous parliez de retraite toute à l’heure, est-ce que vous songez à la prendre?

Cela fait déjà un bout de temps. J’ai 57 ans, je voulais m’arrêter dans ces eaux-là, parce que j’ai plein de choses à faire dans mon village là-bas. J’aime y être. Je m’y sens bien. Yannick Noah et moi nous rencontrons souvent là-bas – lui y est plus souvent – et on se sent bien.

Chez Taddeï, vous disiez aussi que certains humoristes étaient des bourgeois de l’humour. Y en a-t-il qui vous font rire dans la nouvelle génération?

Je trouve qu’ils sont complètement paralysés. Il y en a qui ont beaucoup de talent. Je ne pourrai pas les citer, mais je vais bientôt prendre le temps de la transmission. Cela va être intéressant de leur livrer mon expérience à tous ces jeunes collègues. De manière générale, n’importe lequel qui monte sur scène pour tenter de faire rire est un collègue.


«J’espère avoir pu repousser les limites de la liberté d’expression»

Il ne faut pas le faire pour les mauvaises raisons, à savoir tenter de devenir célèbre et faire du cinéma. C’est difficile d’être drôle quand on fait ça. L’humour est devenu le tremplin à tout un tas de choses. Pour moi, la première division c’est la scène et le rire. Les humoristes de scène ont tous mon respect.

J’espère avoir pu les aider, les libérer un petit peu en repoussant les limites de la liberté d’expression. Car s’il y a une catégorie artistique qui a besoin de liberté d’expression c’est bien le clown, le bouffon.

 

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